Cour d'appel de Bruxelles 25 mars 2005
INTERMÉDIAIRES COMMERCIAUX
Concession - Concession exclusive de vente - Notion - Ne requiert pas d'engagement de non-concurrence de la part du concessionnaire - Résolution pour manquement grave - Conditions - Obligation de dénonciation rapide - Indemnité compensatoire de préavis - Objectif poursuivi
Il n'est nullement requis pour qu'il y ait concession de vente exclusive que le contrat prévoie une interdiction pour le concessionnaire de vendre des produits concurrents. Ainsi, il n'existe pas de faute grave lorsque le concessionnaire commence à distribuer les produits d'une autre marque si une telle distribution n'est pas interdite par la convention de concession.
Pour que le juge puisse prononcer la résolution d'un contrat, il ne suffit pas qu'il constate l'existence d'un manquement contractuel; il faut aussi qu'il le considère comme suffisamment grave. Par ailleurs, la faute doit être dénoncée rapidement.
Le préavis raisonnable doit permettre au concessionnaire d'exécuter les obligations qu'il a contractées envers des tiers et de se procurer une source de revenus nets équivalente à celle qu'il a perdue, le cas échéant moyennant reconversion totale ou partielle de ses activités. Le préavis doit, au minimum, laisser au concessionnaire le temps de supprimer certains frais fixes ou de retrouver une source de revenus couvrant les frais incompressibles. Le concessionnaire ne peut prétendre à un délai de préavis lui permettant en tous cas de retrouver une concession produisant des effets équivalents à la concession perdue et ce, quel que soit l'aléa de cette recherche.
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TUSSENPERSONEN (HANDEL)
Concessie - Exclusieve verkoopconcessie - Begrip - Vereist geen niet-concurrentieverplichting vanwege de concessiehouder - Ontbinding wegens ernstige tekortkoming - Voorwaarden - Verplichting tot spoedige aangifte - Opzeggingsvergoeding - Doelstelling
Teneinde als exclusieve concessieovereenkomst te worden beschouwd, is geenszins vereist dat de overeenkomst een verbod voor de concessiehouder inhoudt om concurrerende producten te verkopen. Zodoende is er geen sprake van een ernstige fout als de concessiehouder producten van een ander merk gaat verkopen indien een dergelijke distributie niet door de concessieovereenkomst is verboden.
Opdat de rechter de ontbinding van een overeenkomst zou kunnen uitspreken, volstaat het niet dat hij het bestaan van een contractuele tekortkoming vaststelt; hij dient deze tekortkoming bovendien als voldoende ernstig te beschouwen. Overigens moet de fout spoedig gemeld worden.
De redelijke opzeggingstermijn moet aan de concessiehouder de mogelijkheid bieden om zijn verplichtingen tegenover derden ten uitvoer te brengen en een bron van netto-inkomsten te verwerven gelijkwaardig aan degene die hij verloor, ten minste, aan de concessiehouder de tijd laten om bepaalde vaste kosten op te heffen of een bron van inkomsten te vinden die de onsamendrukbare kosten dekt. De concessiehouder kan geen aanspraak maken op een opzeggingstermijn die hem in elk geval in staat stelt een andere concessie te vinden die gelijkwaardige gevolgen heeft als de verloren concessie, ongeacht de afloop van die zoektocht.
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Raekelboom SA / Tarkett A.B.
Siég.: M. Regout, Ch. Schurmans et H. Mackelbert (conseillers) |
Pl.: Mes J. Coduys loco J. Verlinden, D. Chaval et N. Flandin |
I. | Décision attaquée |
L'appel est dirigé contre le jugement prononcé contradictoirement par le tribunal de commerce de Bruxelles, le 16 juin 2000.
Les parties ne produisent aucun acte de signification de ce jugement.
II. | Procédure devant la cour |
L'appel principal est formé par requête, déposée par Raekelboom au greffe de la cour, le 20 décembre 2000.
Par conclusions déposées au greffe de la cour le 26 octobre 2001, Tarkett introduit un appel incident.
Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues.
III. | Faits et antécédents de la procédure |
1. Depuis fin 1980, Raekelboom est l'importateur en Belgique des parquets fabriqués et vendus par Tarkett. Elle est présentée aux détaillants comme l'importateur “exclusif” pour la Belgique (cf. lettre de Tarkett à la société Carlier de Namur du 16 avril 1982, pièce 42 du dossier de Tarkett).
Raekelboom distribue des brochures, imprimées en Suède, dont deux d'entre elles mentionnent en quatrième page de couverture qu'elle est l'importateur exclusif de Tarkett pour la Belgique (cf. pièces 45 et 52 du dossier de Raekelboom) alors que les autres se bornent à reprendre les coordonnées de Raekelboom qui n'est qualifié que d'“importateur” .
Il n'est pas contesté que Raekelboom est le seul importateur de Tarkett en Belgique.
Le 2 septembre 1983, Tarkett invite les représentants de Raekelboom en Suède afin de discuter de leurs activités communes pour les années 1983 et 1984, en ce qui concerne le budget, les livraisons et les possibilités d'expansion sur le marché belge (cf. lettre de Tarkett du 2 septembre 1983, pièce 13 du dossier de Raekelboom).
À cette même époque, Raekelboom se dote d'un show-room spécialement conçu pour présenter les différents types de parquets et les parties mettent sur pied un service de livraison bihebdomadaire permettant à Raekelboom de disposer d'un stock suffisant afin de servir la clientèle rapidement (cf. lettre de Tarkett du 25 avril 1983 à Mme La Fineur, pièce 15 du dossier de Raekelboom).
En 1987, Raekelboom livre également au Luxembourg (cf. liste de prix du 2 janvier 1987 valable pour la Belgique et le Luxembourg, pièce 67 du dossier de Raekelboom).
2. Le 20 mai 1987, Raekelboom se plaint auprès de Tarkett qu'une firme hollandaise vend des parquets Tarkett en Belgique.
Le 10 juin 1987, Tarkett répond que l'agent hollandais conteste avoir vendu en Belgique et demande à Raekelboom de lui fournir de plus amples renseignements, dès lors qu'elle considère qu'il est très important que chacun respecte son secteur géographique.
Le 25 septembre 1990, Tarkett adresse à Raekelboom un projet de contrat de distribution exclusive que celle-ci refuse de signer, notamment parce qu'il contient une clause d'interdiction de distribution de produits concurrents et une obligation de respecter un quota minimum d'achat et parce qu'il prévoit l'application du droit suédois et la compétence des tribunaux suédois (cf. pièce 7 du dossier de Raekelboom et plus particulièrement la mention manuscrite “Inacceptable” sur la traduction française du projet de contrat).
Le 23 avril 1992, Raekelboom se plaint à nouveau qu'une autre société hollandaise s'adresse directement à ses clients pour leur proposer les mêmes produits.
Le 23 septembre 1992, Tarkett annonce qu'elle compte lancer sur le marché belge un nouveau parquet, moins cher que les parquets traditionnels, dénommé Febolit, qui sera également vendu dans des chaînes de magasins “Do it yourself”, qui s'adressent à une clientèle désireuse d'acheter du matériel sans intermédiaire pour en effectuer elle-même le placement (cf. pièce 88 du dossier de Raekelboom). À la demande de Tarkett, Raekelboom participe activement à la commercialisation de ce nouveau produit, notamment en procédant à une étude du marché concurrentiel (cf. fax du 3 septembre 1993, pièce 62 du dossier de Raekelboom), en envisageant l'engagement exprès d'un représentant, M. Van Boekhoven (cf. pièce 62 du dossier de Raekelboom) et en coopérant à l'élaboration de brochures. Les parties s'échangent également des courriers relatifs aux objectifs de vente qu'elles pourraient atteindre.
Les brochures sont imprimées en Suède sous la supervision de Tarkett (cf. fax des 9 novembre 1993 - pièce 82 du dossier de Raekelboom - contenant en annexe des projets de brochure en français et en néerlandais dans lesquelles il est mentionné que Raekelboom est l'importateur exclusif). Cette mention ne figure toutefois pas dans la brochure relative aux planches de 10 mm d'épaisseur (pièces 53 à 57 du dossier de Raekelboom).
Le 22 décembre 1993, Tarkett déclare avoir appris que Raekelboom importait également des parquets de la firme norvégienne Langmoen qui est sa concurrente, ce qu'elle déclare ne pouvoir accepter dès lors qu'elle lui a donné une “protection en Belgique” et qu'elle a cessé de vendre les parquets Febolit par un autre canal.
Le 21 janvier 1994, Tarkett adresse à Raekelboom les minutes d'une réunion du même jour au cours de laquelle les parties ont convenu que Raekelboom cesserait d'importer les produits Langmoen, sauf les bois Merbau et Kambala. Par fax du 29 avril 1994, Raekelboom confirme son accord sur ce point.
3. Les ventes en 1994 progressent considérablement et les relations entre les parties redeviennent harmonieuses.
Le 2 janvier 1995, Tarkett propose à nouveau à Raekelboom la signature du contrat de distribution que cette dernière avait refusé de signer en 1991. Aucune suite ne sera donnée à cette proposition.
Le 19 juin 1995, Raekelboom se plaint que les parquets Febolit sont vendus dans de grandes surfaces, comme la chaîne Home Market qui s'approvisionne à l'étranger. Le même jour, Tarkett lui répond que ce phénomène se produit dans tous les pays, eu égard à l'internationalisation du commerce, et qu'elle ne peut l'arrêter.
Le 16 février 1996, Raekelboom proteste contre le fait que Tarkett aurait l'intention de ne plus faire figurer la mention “importateur exclusif” sur les brochures. Le 27 février 1996, Tarkett répond qu'il y a deux ou trois ans qu'elle a reçu instruction de ne plus utiliser cette expression dans ses brochures et qu'elle propose de discuter de cette question lors d'une réunion ultérieure. Cette réponse ne satisfait pas Raekelboom qui rappelle que le retrait de cette mention date déjà du 14 septembre 1995 (cf. fax du 26 mars 1996, pièce 25 du dossier de Raekelboom).
Le 9 octobre 1996, Tarkett annonce que des contacts sont pris avec la chaîne Carpetland.
Le 16 octobre 1996, Tarkett se plaint que Raekelboom se fournit en bois de chêne et de hêtre en épaisseur de 14 mm auprès de la firme Universal, ce qui est contraire, selon elle, à l'accord du 21 janvier 1994. Tarkett se plaint également du volume insuffisant des commandes alors qu'elle a refusé, dit-elle, de vendre directement à d'autres clients en Belgique qu'elle s'est empressée de diriger vers Raekelboom.
Par lettre du 18 octobre 1996, Raekelboom met Tarkett en demeure:
- de signaler à Home Market que Raekelboom est le distributeur exclusif des produits Tarkett et que toute commande doit être passée par son intermédiaire;
- d'interdire à la société hollandaise Dehnert & Janssen d'utiliser l'adresse de sa succursale belge pour faire la promotion des parquets Tarkett;
- de faire cesser le dumping des prix au Luxembourg organisé par la société Tarkett France;
- de lui faire connaître tous les contacts qu'elle aurait eus avec d'autres sociétés en vue de la vente de ses produits en Belgique.
Le 29 novembre 1996, Tarkett répond:
- qu'elle n'a jamais vendu de parquets en Belgique à d'autres entreprises que Raekelboom;
- que tout autre parquet qui se trouverait sur le marché belge provient sans doute du marché parallèle;
- qu'il lui est impossible de contraindre ses autres importateurs étrangers à ne pas vendre en Belgique;
- qu'elle n'a jamais accordé d'exclusivité à Raekelboom, raison pour laquelle elle a interdit que les dépliants en fassent mention;
- qu'elle est inquiète de la baisse importante des ventes depuis 1994 et demande que des mesures soient prises pour augmenter le chiffre d'affaires;
- qu'elle propose que les parties se rencontrent le 17 décembre 1996.
Le 5 décembre 1996, l'huissier de justice Labranche constate, à la requête de Raekelboom, que des produits Febolit sont en vente dans le magasin Leroy-Merlin à Anderlecht qui appartient à une chaîne française de magasins de type “Do it yourself”. Interrogée par Raekelboom, cette entreprise répond, le 24 décembre 1996, que ses commandes sont gérées et facturées par sa centrale d'achat de Belgique.
Les parties se rencontrent le 13 janvier 1997 et ne parviennent pas à trouver un accord. Le 17 janvier 1997, Tarkett confirme à Raekelboom qu'elle a le sentiment que celle-ci n'est plus intéressée à poursuivre la collaboration, dès lors que les parquets Tarkett ne représentent plus qu'une toute petite partie de la gamme des produits vendus par Raekelboom, parmi lesquels se retrouvent de nombreux produits concurrents. Elle annonce qu'elle recherchera de nouveaux distributeurs en Belgique.
4. Par fax et courrier recommandé du 23 janvier 1997, Tarkett résilie la convention moyennant un préavis de six mois.
Le 28 janvier 1997, Raekelboom saisit le président du tribunal de commerce de Bruxelles siégeant en référé et lui demande de constater la résiliation du contrat de concession de vente exclusive aux torts de Tarkett et subsidiairement d'ordonner la suspension des effets du contrat, de l'autoriser à prendre toute mesure pour compenser la perte subie afin d'assurer sa stabilité financière et de la dispenser de prester le préavis qui lui a été signifié.
Reconventionnellement, Tarkett sollicite le paiement d'une somme provisionnelle de 21.028.046 FB à titre de dommages et intérêts.
Le président du tribunal ne s'estime pas suffisamment informé et renvoie l'affaire au rôle.
5. Par exploit du 28 janvier 1997, Raekelboom fait citer Tarkett devant le tribunal de commerce de Bruxelles. Elle demande au tribunal de:
- prononcer, aux torts de Tarkett, la résolution du contrat de concession de vente exclusive;
- condamner Tarkett à payer 19.122.726 FB à titre d'indemnité de préavis et 95.613.628 FB à titre d'indemnité complémentaire.
Tarkett introduit une demande reconventionnelle tendant au paiement de dommages et intérêts pour non-exécution par Raekelboom de ses obligations de concessionnaire, soit 14.374.080 FB pour l'année 1995, 28.987.728 FB pour l'année 1996 et 16.256.400 FB pour l'année 1997.
Le jugement attaqué dit les demandes recevables mais non fondées.
6. Raekelboom interjette appel de cette décision et réitère ses demandes originaires devant la cour.
Pour le cas où la cour confirmerait le caractère exclusif de la concession, Tarkett reformule devant la cour sa demande reconventionnelle.
IV. | Discussion |
1. | Sur la qualification du contrat |
a. Sur l'exclusivité |
7. Les parties ne contestent pas qu'elles étaient unies par un contrat de concession.
Raekelboom soutient que Tarkett lui aurait concédé un droit exclusif absolu de vendre ses produits, tant les parquets Tarkett que les parquets Febolit et Harriswood. Tarkett, quant à elle, conteste avoir jamais accepté de conférer une quelconque exclusivité.
En l'absence d'écrit, le juge saisi d'un litige portant sur l'existence d'une convention de concession exclusive est tenu de rechercher, sur la base des éléments qui lui sont soumis, si une telle concession a été convenue par les parties et, dans l'hypothèse de ventes directes par le concédant, si celles-ci font l'objet d'une restriction conventionnelle à une exclusivité reconnue (Cass. 23 février 1995, Pas. 1995, I, 200).
(i) Sur les parquets Tarkett |
8. Il résulte clairement des éléments du dossier, et notamment des lettres de Tarkett des 16 avril 1982 et 10 juin 1987, que Raekelboom disposait non seulement d'une exclusivité de distribution en fait mais aussi que celle-ci lui avait été contractuellement reconnue par Tarkett.
Il importe peu que ces lettres aient été écrites au début des relations contractuelles dans la mesure où il n'est pas établi que les parties auraient accepté ultérieurement de modifier la nature de leurs relations commerciales.
Par ailleurs, dans sa lettre du 22 décembre 1993, Tarkett reconnaît également avoir donné une “protection” à Raekelboom. De plus, à plusieurs reprises, Tarkett a reconnu qu'elle s'était interdit de vendre à d'autres distributeurs que Raekelboom (cf. notamment sa lettre du 16 octobre 1996).
Contrairement à ce que Tarkett soutient, il n'est nullement requis pour qu'il y ait concession de vente exclusive que le contrat prévoie une interdiction pour le concessionnaire de vendre des produits concurrents. Ainsi, il n'existe pas de faute grave lorsque le concessionnaire commence à distribuer des produits d'une autre marque si une telle distribution n'est pas interdite par la convention de concession (Cass. 10 septembre 1987, R.D.C. 1988, 611).
En l'espèce, les parties n'ont jamais prévu une telle restriction de distribution. Ce n'est que le 21 janvier 1994 qu'elles ont conclu une convention aux termes de laquelle Raekelboom s'interdisait de s'approvisionner auprès du seul fournisseur Langmoen ce qui démontre qu'elle pouvait acheter des produits concurrents.
Il est donc sans intérêt de déterminer si Tarkett a donné ou non son accord sur le texte des deux brochures relatives aux parquets Tarkett sur lesquelles Raekelboom figure avec la mention “importateur exclusif”. La cour observe néanmoins que ces deux brochures ont été imprimées en Suède par l'imprimeur qui a réalisé les autres brochures auxquelles Tarkett a donné son “imprimatur” et qu'aucune protestation n'a jamais été émise par Tarkett avant 1995 à propos des mentions figurant sur lesdites brochures.
L'existence d'un contrat de concession de vente exclusive est ainsi établie pour les parquets Tarkett.
(ii) Sur les parquets Febolit et Harriswood |
9. Il n'est pas contesté qu'à partir de 1993, Raekelboom a élargi, sur l'insistance de Tarkett, sa gamme de produits aux parquets Febolit et Harriswood.
Par ailleurs, Tarkett affirme qu'elle n'a jamais vendu en Belgique de parquets Febolit à d'autres sociétés que Raekelboom. Celle-ci bénéficiait donc, à tout le moins, d'une exclusivité de fait.
Bien que Tarkett conteste avoir concédé contractuellement une concession de vente exclusive pour ces types de parquets, il ressort néanmoins des pièces du dossier qu'elle a bien réservé à Raekelboom le droit exclusif de vendre ce type de produit.
En effet, par ses courriers des 4 novembre 1992 et 19 août 1993, Tarkett a insisté pour que Raekelboom distribue également les parquets Harriswood et Febolit. Raekelboom a pris contact avec un représentant spécialement affecté à la commercialisation de ce produit. Tarkett et Raekelboom ont également collaboré à l'élaboration de brochures spécifiques pour ce type de parquets et ont déterminé, ensemble, des objectifs et une politique de vente (cf. fax de Raekelboom du 3 septembre 1993).
La reconnaissance du caractère exclusif de la concession se déduit plus particulièrement du fait que sur la totalité de ces brochures, sauf une (pièces 53 à 57 du dossier de Raekelboom), Raekelboom apparaît comme le distributeur exclusif de Tarkett. Or, il ne peut être soutenu que ces brochures auraient été imprimées à l'insu de Tarkett, dès lors que, d'une part, l'imprimeur suédois atteste que Tarkett a toujours reçu copie du produit fini pour vérification (cf. pièce 49 du dossier de Tarkett) et que, d'autre part, les projets avant impression, contenant cette mention, ont été envoyés par Tarkett elle-même (cf. son fax du 9 novembre 1993).
En outre, ce n'est qu'en septembre 1995, alors que la commercialisation du produit avait commencé depuis près de deux ans, que Tarkett s'est opposée à cette mention, en prétendant que la réglementation européenne ne le lui permettait pas.
Il s'en déduit que les produits Febolit et Harriswood sont entrés dans le champ d'application de la concession de vente exclusive.
10. Raekelboom ne bénéficiait cependant pour ces produits que d'une quasi-exclusivité, limitée à un canal de distribution.
En effet, dans sa lettre du 23 septembre 1992, Tarkett explique très clairement à Raekelboom que le nouveau produit Febolit est destiné à être distribué à la fois dans les chaînes de grands magasins de type “Do it yourself” et dans les autres magasins. Dans son fax du 9 novembre 1993 (pièce 86 du dossier de Raekelboom), Tarkett rappelle que ce produit est destiné à être offert aux chaînes “Do it yourself” et aux installateurs. Dans un autre courrier, Tarkett ne fait pas mystère non plus des contacts qu'elle prend avec la chaîne Carpet Land.
Raekelboom n'a jamais contesté ce droit que Tarkett entendait se réserver. En effet, dans un fax du 3 septembre 1993, elle explique qu'il ne lui sera possible de concurrencer les produits bon marché vendus dans les magasins de tapis et “Do it yourself” que si elle bénéficie de prix très compétitifs.
Si Raekelboom peut revendiquer l'exclusivité de la distribution chez les détaillants et les installateurs, elle ne peut prétendre que celle-ci s'étendait aussi aux chaînes multinationales de type “Do it yourself” établies en Belgique puisque Tarkett s'est réservé contractuellement le droit de vendre personnellement à ces chaînes de magasins. On ne peut cependant en conclure que Raekelboom ne serait pas concessionnaire exclusif pour son canal de distribution, dès lors qu'une concession de vente conserve son caractère exclusif nonobstant le fait que le concédant s'est réservé conventionnellement le droit de vendre personnellement, dans le territoire concédé, les mêmes produits que ceux faisant l'objet de la concession (Cass. 23 février 1995, Pas. 1995, I, 201; M. Willemart, “Concessions exclusives ou le monopole partagé” J.L.M.B. 1995, pp. 1356-1360).
Tarkett a vendu à des chaînes étrangères, allemandes et françaises. Or, il n'est pas contestable que celles-ci, acheteuses, dans leur pays, de parquets Tarkett avaient le droit de les revendre à leurs succursales ou filiales belges et que Tarkett ne pouvait les contraindre à s'en abstenir, au regard de la législation européenne en matière de concurrence.
(...)
2. | Sur la résolution pour manquements graves |
a. Sur la tierce complicité en matière d'importations parallèles |
12. Raekelboom reproche à Tarkett d'avoir permis que les dépliants distribués par son importateur hollandais, la société Dehnert & Janssen, mentionnent l'existence d'une succursale vendant ses produits directement en Belgique, ou à tout le moins de n'avoir rien fait pour l'interdire.
Le 9 mai 1996, Raekelboom a reçu de l'imprimeur suédois Sahlin une copie de la brochure de la société Dehnert & Janssen pour s'en inspirer lors de la conception d'une nouvelle brochure. En quatrième page de couverture sont mentionnées toutes les succursales de cette société en Hollande, ainsi que sa succursale belge, établie à Kampenhout.
Ce n'est que cinq mois plus tard, soit le 18 octobre 1996, que Raekelboom a mis Tarkett en demeure d'interdire à Dehnert & Janssen de mentionner l'adresse de sa succursale en Belgique.
Depuis le mois de septembre 1995, les parties sont en désaccord quant au caractère exclusif de la concession et échangent un abondant courrier à ce sujet, Tarkett considérant que les règlements européens lui interdisent de concéder des droits exclusifs ou, qu'à tout le moins, ils ne lui permettent pas d'imposer des mesures de restriction à ses clients étrangers.
13. Pour que le juge puisse prononcer la résolution d'un contrat, il ne suffit pas qu'il constate l'existence d'un manquement contractuel, il faut aussi qu'il le considère comme suffisamment grave.
Par ailleurs, la faute doit être dénoncée rapidement (cf. P. Kileste et P. Hollander, “Examen de jurisprudence (1997-2001)”, R.D.C. 2003, n° 32, p. 419), à défaut de quoi il ne peut être soutenu que le contrat n'a plus aucune utilité économique pour la partie qui entend obtenir du juge qu'il en prononce la dissolution avec effet rétroactif. On ne peut en effet prétendre qu'un contrat est rompu et en poursuivre normalement l'exécution.
Or, en l'espèce, Raekelboom a attendu cinq mois pour formuler ce reproche. La dénonciation de la faute est donc tardive.
En outre, la cour ignore la qualification juridique des relations contractuelles entre Tarkett et la société Dehnert & Janssen, et s'il peut être déduit de celles-ci que Tarkett avait le droit de lui imposer des restrictions de distribution compatibles avec les règlements européens.
À supposer même que la société Dehnert & Janssen soit un distributeur et pas un client de Tarkett, le fait pour cette dernière de ne pas avoir protesté contre l'indication d'une succursale belge dans les prospectus de Dehnert & Janssen ne peut être considéré comme une participation active à une importation parallèle. Cette mention a d'ailleurs pu lui échapper.
Eu égard à ce qui précède, l'abstention de Tarkett de répondre positivement à la mise en demeure d'intervenir auprès de son distributeur ou client hollandais pour que celui-ci s'abstienne de vendre ses produits en Belgique, n'est pas d'une gravité suffisante pour justifier une décision aussi lourde de conséquences que la résolution d'un contrat.
(...)
c. Sur la violation de l'exclusivité |
15. Raekelboom soutient que Tarkett aurait violé l'exclusivité en vendant directement à des magasins de type “Do it yourself” comme Home Market et Leroy Merlin, et en approchant la société Carpet Land.
Ainsi que cela a été exposé au point 10, Tarkett s'est réservé le droit de vendre le parquet Febolit à de telles chaînes de magasin.
Le fax du 3 septembre 1993 ne précise pas que le droit que Tarkett s'est ainsi réservé serait limité à d'autres pays que la Belgique. En toute hypothèse, Tarkett affirme qu'elle n'a jamais livré directement aux succursales belges de ces chaînes de magasin et le contraire n'est pas prouvé par Raekelboom. À cet égard, les pièces produites par Raekelboom n'établissent nullement que la succursale belge de la chaîne française Leroy Merlin aurait acheté directement en Suède.
Le manquement invoqué n'est donc pas établi.
(...)
3. | Sur la demande subsidiaire fondée sur la loi du 27 juillet 1961 |
17. Pour le cas où le contrat ne serait pas résolu par la cour, Raekelboom introduit une demande subsidiaire qui s'appuie sur la lettre de rupture de Tarkett du 23 janvier 1997, lui signifiant un préavis de six mois. Elle soutient qu'en tout état de cause, elle est alors en droit de réclamer les indemnités prévues par les articles 2 et 3 de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée.
a. Sur l'indemnité compensatoire de préavis |
18. Le préavis raisonnable doit permettre au concessionnaire d'exécuter les obligations qu'il a contractées envers les tiers et de se procurer une source de revenus nets équivalente à celle qu'il a perdue, le cas échéant moyennant reconversion totale ou partielle de ses activités. Le préavis doit, au minimum, laisser au concessionnaire le temps de supprimer certains frais fixes ou de retrouver une source de revenus couvrant les frais incompressibles. Le concessionnaire ne peut prétendre à un délai de préavis lui permettant dans tous les cas de retrouver une concession produisant des effets équivalents à la concession perdue et ce, quel que soit l'aléa de cette recherche (Cass. 10 février 2005, R.G. C.03.0418.F).
Pour s'opposer à la demande d'indemnité compensatoire de préavis, Tarkett soutient que Raekelboom n'aurait plus respecté ses obligations en cessant pratiquement ses achats depuis la notification du préavis, ce qui constituerait une rupture de contrat dans son chef. Tarkett rappelle en outre que Raekelboom a demandé au président du tribunal de commerce d'ordonner la suspension des effets du contrat.
Tarkett reconnaît cependant que du 1er janvier au 20 mai 1997, Raekelboom a commandé 2.079 m² de parquets (cf. ses conclusions n° 350). Même si ce chiffre est très inférieur aux commandes enregistrées au cours des années antérieures, il ne peut en être déduit quelque conclusion quant à l'appréciation d'une faute, dès lors que Raekelboom n'était soumis à aucun quota minimum d'achats et que la baisse des commandes se situait dans le même ordre de grandeur que celui qui avait déjà été constaté en 1996. Par ailleurs, Tarkett n'a jamais notifié de rupture pour manquements graves dans le chef de Raekelboom.
Il s'en déduit que le contrat s'est bien poursuivi après la notification du préavis et, qu'en principe, Raekelboom pourrait prétendre à une indemnité compensatoire de préavis si la cour devait décider que les six mois accordés étaient insuffisants.
19. Raekelboom ne conteste pas qu'elle distribuait d'autres parquets que ceux fabriqués par Tarkett et même des parquets fabriqués par des sociétés directement concurrentes.
Au cours des années 1994 et 1995, Raekelboom commandait en moyenne entre 5.900 et 4.300 m² de parquets Tarkett par mois. En 1996, les commandes mensuelles ne furent plus que de 1.700 m² et au cours du préavis de 415 m² (cf. conclusions de Tarkett, p. 41, n° 350).
En outre, la comparaison des comptes annuels de Raekelboom de 1996 et 1997 fait apparaître une augmentation de sa marge brute alors que ses commandes auprès de Tarkett diminuent. En effet, elle passe de 77.317.000 FB en 1996 (378.853.000 FB de ventes moins 301.536.000 FB d'approvisionnements) à 78.574.000 FB en 1997 (367.209.000 FB - 288.635.000 FB) (cf. pièce 102 de son dossier).
Il est donc établi que Raekelboom pouvait aisément trouver d'autres sources d'approvisionnement que Tarkett et qu'un délai de préavis supérieur à six mois n'était pas nécessaire pour assurer la reconversion de ses activités. Raekelboom a d'ailleurs demandé au président du tribunal de ne plus être tenue d'honorer ses obligations de commande, ce qui démontre qu'elle ne devait pas en avoir beaucoup d'utilité.
La demande en paiement d'une indemnité compensatoire de préavis n'est pas fondée.
c. Sur l'indemnité complémentaire |
20. Raekelboom réclame une indemnité de plus-value de clientèle équivalente à cinq fois le bénéfice brut qu'elle a réalisé en 1994.
L'octroi d'une telle indemnité est subordonné à la preuve que l'exploitation de la concession a entraîné une plus-value notable de clientèle, que celle-ci a été apportée par le concessionnaire et qu'elle est restée acquise après la fin de la concession.
(i) Sur les parquets Tarkett |
21. Tarkett est une importante société internationale qui vend 200 millions de m² de parquets dans le monde (cf. pièce 64 du dossier de Raekelboom). Il n'est pas contesté qu'avant 1980, les parquets Tarkett étaient inconnus en Belgique et que la pénétration du marché est l'oeuvre de Raekelboom à laquelle Tarkett a adressé, à plusieurs reprises, des lettres de remerciement et de félicitations.
Raekelboom a ainsi constitué, au fil des ans, une clientèle importante. En 1994, Raekelboom a acheté pour 56.039.846 FB de parquets à Tarkett.
Après la résiliation du contrat, Tarkett reconnaît dans un article publié par une revue spécialisée, où elle explique la réorganisation de sa distribution par l'intermédiaire de sa filiale hollandaise, que son nom en Belgique y est déjà bien implanté (“Onze naam is in België al heel erg sterk”, pièce 100 du dossier de Raekelboom).
Il ne peut donc être contesté qu'au fil du temps, Raekelboom a contribué à faire connaître en Belgique les parquets Tarkett auprès d'une clientèle particulière de détaillants et d'installateurs.
Pour prétendre à une indemnité de clientèle, Raekelboom doit cependant prouver que la plus-value de clientèle est restée acquise à Tarkett.
Or, depuis 1995, le volume d'achat des parquets Tarkett est en constante diminution. Fin 1996, il ne représente plus que 30% de ce qu'il était en 1994 et 7% à l'expiration du préavis.
Il résulte en outre du tableau comparatif produit par Raekelboom (pièce 65/6 de son dossier) qu'en 1996 elle avait acheté à Tarkett 28.161 m² de parquets (toutes marques confondues) et 28.241 m² à d'autres fournisseurs. Au cours des six premiers mois de l'année 1997, elle a acheté 33.910 m² de parquets à ces autres firmes soit plus qu'au cours de toute l'année précédente. Il s'en déduit qu'en quelques mois, Raekelboom est ainsi parvenue à persuader sa clientèle d'acheter immédiatement des produits similaires.
Pour le surplus, Raekelboom ne fournit aucun indice sérieux d'une fidélisation de la clientèle aux produits ou à la marque. Il n'est donc pas démontré que la clientèle de revendeurs et d'installateurs constituée par Raekelboom (ou ce qu'il en restait) lui ait échappé au profit de Tarkett.
Raekelboom ne peut dès lors prétendre à une indemnité de clientèle pour ce type de produit.
(ii) Sur les parquets Febolit et Harriswood |
22. Ainsi que cela a été exposé aux points 2 et 10, le parquet Febolit était vendu à la clientèle finale par deux canaux de distribution, à savoir, d'une part, le circuit traditionnel de détaillants et de revendeurs et, d'autre part, les chaînes de type “Do it yourself” .
Le tableau suivant, extrait de la pièce 71 du dossier de Raekelboom, montre que les parquets Febolit ne représentaient chez elle qu'une petite partie de la gamme des produits achetés à Tarkett et qu'en 1996 le chiffre des ventes avait considérablement chuté.
Année | Type | 7 mm | 10 mm | 14 mm |
1993 | Tarkett | 206 m² | 24.659 m² | |
Febolit | 516 m² | 906 m² | ||
Harriswood | 9.576 m² | |||
1994 | Tarkett | 7.164 m² | 19.340 m² | |
Febolit | 230 m² | 3.173 m² | 2.692 m² | |
Harriswood | 13.432 m² | |||
1995 | Tarkett | 9.379 m² | 13.236 m² | |
Febolit | 146 m² | 3.339 m² | 2.252 m² | |
Harriswood | 10.143 m² | |||
1996 | Tarkett | 5.373 m² | 7.000 m² | |
Febolit | 633 m² | 694 m² | ||
Harriswood | 416 m² | |||
1997 | Tarkett | 1.599 m² | 478 m² | |
Febolit | 645 m² | 197 m² | ||
Harriswood |
Quant au parquet Harriswood, le chiffre d'affaires réalisé en 1996 ne représentait plus que 4% des ventes réalisées en 1995.
Il s'en déduit qu'à la date de la résiliation du contrat, la clientèle attachée à ces types de produits ne constituait plus une plus-value notable et qu'elle n'est pas restée acquise à Tarkett.
Aucune indemnité de clientèle ne doit donc être calculée pour les parquets Febolit et Harriswood.
23. Pour le surplus, Raekelboom ne fournit aucun élément permettant de conclure qu'elle aurait exposé des frais en vue de l'exploitation de la concession qu'elle n'aurait pas encore amortis ou que ces frais profiteraient à Tarkett après l'expiration du contrat ou encore qu'elle aurait été obligée de licencier des membres de son personnel.
(...)