Article

Cour d'appel Bruxelles, 30/01/2004, R.D.C.-T.B.H., 2007/10, p. 969-972

Cour d'appel de Bruxelles 30 janvier 2004

INTERMÉDIAIRES COMMERCIAUX
Concession - Concession de vente exclusive - Concédant belge - Concessionnaire de Hong-kong - Choix implicite du droit belge - Portée - Inapplicabilité de la loi du 27 juillet 1961
La volonté implicite, mais certaine, d'un concédant belge de faire régir par le droit belge une convention-cadre de distribution, exécutée exclusivement à l'étranger, peut se déduire de l'existence d'un accord sur l'application du droit belge aux ventes conclues entre les parties dans le cadre du contrat de distribution et de la proposition exprimée par le concédant de soumettre le contrat-cadre au droit belge.
Cependant, à défaut de stipulation contractuelle explicite faisant référence à la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée, celle-ci n'est pas applicable à la concession qui ne s'exécute pas dans tout ou partie du territoire belge. Seul le droit commun s'applique.
Un préavis de six mois est jugé raisonnable, sur la base du droit commun, compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales (7 ans), de l'importance de la concession dans le chiffre d'affaires global (30% puis réduit à 25%) et du caractère déficitaire de l'activité commerciale.
TUSSENPERSONEN (HANDEL)
Concessie - Exclusieve concessieovereenkomst - Belgische concessiegever - Concessiehouder uit Hong-kong - Impliciete keuze voor het Belgisch recht - Draagwijdte - Niet-toepasselijkheid van de wet van 27 juli 1961
De impliciete maar zekere wil van een Belgische concessiegever om een kaderovereenkomst inzake distributie, die exclusief in het buitenland wordt uitgevoerd, te doen beheersen door Belgisch recht, kan worden afgeleid uit het bestaan van een overeenkomst betreffende de toepasselijkheid van het Belgisch recht op de verkopen gesloten tussen de partijen in het kader van de distributieovereenkomst en uit het voorstel geformuleerd door de concessiegever om de kaderovereenkomst aan het Belgisch recht te onderwerpen.
Bij gebrek echter aan een expliciete contractuele bepaling die verwijst naar de wet van 27 juli 1961 betreffende de eenzijdige beëindiging van de voor onbepaalde tijd verleende concessies van alleenverkoop, is deze niet van toepassing op de concessie die niet over geheel of over een gedeelte van het Belgische territorium wordt uitgevoerd. Enkel het gemeen recht is van toepassing.
Op basis van het gemeen recht wordt een opzegperiode van zes maanden als redelijk beschouwd, waarbij rekening wordt gehouden met de duurtijd van de handelsrelaties (7 jaar), het belang van de concessie in het globale zakencijfer (30% en daarna verminderd tot 25%) en van het deficitair karakter van de handelsactiviteit.

SA Interbrew Belgium / Société de droit de Hong-kong King Solar Max Ltd

Siég.: H. Mackelbert (conseiller)
Pl.: Mes N. Clarembeaux loco Th. van Innis et N. Flandin, Th. Bosly
I. Décision attaquée

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé contradictoirement par le tribunal de commerce de Bruxelles, le 20 mars 2001.

Les parties ne produisent aucun acte de signification.

II. Procédure devant la cour

L'appel est formé par requête, déposée par Interbrew au greffe de la cour, le 7 mai 2001.

Par conclusions déposées le 9 juillet 2001, Solar Max introduit un appel incident.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues.

III. Faits et antécédents de la procédure

1. Mottet Haugaard est spécialisée dans l'importation et la distribution de bières à Hong-kong.

Depuis le mois d'août 1992, Solar Max y distribue différentes bières produites par Interbrew.

Aucune convention écrite n'a été conclue entre les parties.

Les marchandises sont envoyées par conteneurs et font l'objet de factures émises en francs belges. Celles-ci contiennent des conditions générales de vente prévoyant la compétence exclusive des tribunaux de Bruxelles et l'application du droit belge.

Des réunions sont fréquemment organisées entre Solar Max et le représentant d'Interbrew à Singapour, au cours desquelles la stratégie commerciale est discutée et mise au point.

Dans le courant de l'année 1996, Interbrew propose à Solar Max de conclure un contrat d'importation et de distribution exclusive et met la négociation de celui-ci à l'ordre du jour des réunions (cf. fax du 29 novembre 1996). Le 3 juin 1997, Interbrew adresse à Solar Max un projet type de contrat pour une durée déterminée de cinq ans, moyennant un engagement d'approvisionnement minimum à négocier.

Ce document, non rempli et non signé, prévoit, notamment, qu'Interbrew pourra résilier le contrat avec un préavis de trois mois (raturé en six mois) si les quotas de vente ne sont pas atteints. Il prévoit également un arbitrage, à Bruxelles, selon les règles de la Chambre de commerce internationale de Paris, et l'application du droit belge.

En décembre 1997, Interbrew propose d'acquérir 50% du capital de Solar Max.

Aucune de ces deux propositions n'est menée à bonne fin.

2. Depuis le mois de février 1997, Solar Max accuse des retards de paiement (cf. fax d'Interbrew du 12 février 1997) ce qui entraîne l'envoi, par Interbrew, de lettres de mise en demeure. Le 19 avril 1999, Interbrew menace de confier le dossier à son avocat.

Le 30 août 1999, Interbrew rompt les relations commerciales moyennant un préavis de deux mois.

Le 21 septembre 1999, Interbrew propose à Solar Max de lui payer une indemnité de 3.500.000 FB, soit l'équivalent, selon elle, de deux années de bénéfice net réalisé sur les ventes de bières Stella, Hoegaerden, Leffe et Belle-Vue, à la condition que les arriérés de factures soient payés dans les 90 jours, ou déduits de ladite indemnité. Interbrew propose également de poursuivre une collaboration pour la vente d'autres bières, en l'occurrence Rolling Rock et Labatt, sous la forme d'un contrat de cinq ans.

Le 5 octobre 1999, Solar Max décline cette proposition qu'elle estime non conforme avec la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée. Elle estime qu'un préavis de trois ans aurait dû lui être signifié et formule des contre-propositions, dont le paiement d'une indemnité de 900.000 USD.

Par courrier du 11 octobre 1999, Interbrew conteste l'application de la loi belge et soutient que le contrat est régi par la loi de Hong-kong. Elle prend acte du refus de sa proposition commerciale.

3. Par exploit du 27 octobre 1999, Solar Max fait citer Interbrew devant le tribunal de commerce de Bruxelles.

Elle demande le paiement de 38.676.873 FB à titre d'indemnité compensatoire de préavis et 11.823.507 FB à titre d'indemnité complémentaire.

Par le jugement attaqué, le premier juge fait partiellement droit à sa demande.

Il condamne Interbrew à payer à Solar Max une indemnité compensatoire de préavis de 12 mois, compte tenu des 2 mois de préavis prestés, soit 13.386.718 FB et une indemnité complémentaire de 11.823.507 FB, augmentés des intérêts judiciaires depuis le 27 octobre 1999.

4. Interbrew interjette appel de cette décision dont elle postule la réformation.

Solar Max forme un appel incident. Elle demande à la cour de condamner Interbrew à lui payer 40.945.777 FB à titre d'indemnité compensatoire de préavis et 11.823.507 FB à titre d'indemnité complémentaire.

Subsidiairement, au cas où la cour dirait que ni le droit commun belge, ni la loi du 27 juillet 1961 ne serait applicable, elle demande le paiement de 52.769.284 FB sur la base du droit commun des contrats de Hong-kong.

À l'audience du 9 janvier 2004, les parties s'accordent pour considérer qu'au cas où la loi belge ne s'appliquerait pas, il y aurait lieu de dire pour droit que le contrat est régi par le droit anglais.

IV. Discussion
1. Droit applicable

5. Au début de leurs relations, les parties ne se sont pas exprimées sur la loi applicable.

Solar Max soutient que le droit belge régirait le contrat, ce que conteste Interbrew.

6. Les parties ont convenu que leur monnaie de compte et de paiement serait le franc belge, et que les ventes, conclues dans le cadre du contrat de distribution, seraient régies par le droit belge.

La proposition de souscrire un contrat écrit d'importation et de distribution exclusive, prévoyant l'application du droit belge, s'inscrit dans le prolongement des relations contractuelles existantes. Il se déduit, en effet, des nombreuses réunions qui se sont tenues, à l'époque, qu'Interbrew souhaitait imposer à Solar Max une politique commerciale déterminée et des objectifs de vente à atteindre (cf. pièce 37 du dossier de Solar Max). De telles obligations complémentaires nécessitaient de préciser les droits et les obligations des parties.

Si Interbrew a stipulé dans son projet que le contrat serait régi par le droit belge, c'est que, dans son esprit, les relations contractuelles l'étaient déjà auparavant.

Il est, en effet, illogique de soutenir que le droit applicable aux ventes successives est le droit belge, mais que le droit de Hong-kong s'appliquerait pour l'accord cadre de distribution.

C'est donc à bon droit que le premier juge a déduit de ces éléments de fait la volonté implicite, mais néanmoins certaine, d'Interbrew de faire régir ses relations commerciales par le droit belge.

L'appel sur ce point n'est pas fondé.

2. Champ d'application de la loi du 27 juillet 1961

7. La concession exclusive de vente consentie par Interbrew à Solar Max s'est exécutée uniquement sur le territoire de Hong-kong.

Les parties n'ont pas convenu que celle-ci serait régie par la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée.

Or la loi ne s'applique, en règle, qu'aux concessions qui produisent leurs effets dans tout ou partie du territoire belge (cf. art. 4, 1er al.).

La volonté du législateur était de protéger le concessionnaire opérant sur le marché belge (cf. Doc. parl. Sénat session 1959-60, 172, Exposé des Motifs de M. Wiard, auteur de la proposition de loi, justifiant la protection à un “agent exclusif se livrant à des efforts considérables et exposant des frais énormes pour répandre sur le marché belge (la cour souligne) des articles provenant d'une firme étrangère” notamment parce qu'il “ne se concevrait pas que l'agent exclusif pour la Belgique (la cour souligne) d'une firme établie dans un autre pays du marché commun ne soit pas protégé(...)”, idem, 426, Rapport de la commission des Classes Moyennes considérant qu'il “est regrettable de devoir constater que, jusqu'au moment actuel, le concessionnaire ne jouisse, en Belgique (la cour souligne) d'aucune protection légale (...)”.

Le fait que le droit belge régisse les relations contractuelles entre un concédant et un concessionnaire n'implique pas, en soi, que la loi du 27 juillet 1961 soit applicable à une concession produisant exclusivement ses effets à l'étranger (Kileste et Hollander, “Examen de jurisprudence”, R.D.C. 2003, p. 448; Rigaux et Fallon, Droit international privé, 1993, T. II, p. 565; Willemart, Les concessions de ventes en Belgique, p. 8; Vandepitte et de Schoutheete, “Le champ d'application territorial de la loi du 27 juillet 1961 sur les concessions de vente exclusive”, J.T. 1990, 725; Verbraeken, “La loi applicable aux contrats de concession de vente exclusive comportant un ou plusieurs éléments d'extranéité”, in Hommage à Jacques Heenen, p. 563; Verougstraete, “Quelques aspects du contrat de concession de vente exclusive et du franchisage”, in Les intermédiaires commerciaux, Édiditions du Jeune Barreau, 166).

Certes, le législateur n'a pas exclu que la loi puisse s'appliquer dans ce cas, mais il ne résulte d'aucun élément de fait soumis à la cour que l'intention des parties était de déroger au champ d'application territorial de la loi. Il n'y a donc pas lieu de procéder à une interprétation de la volonté des parties, sur la base de l'article 1162 du Code civil, comme le demande Solar Max.

Partant, à défaut de stipulation contractuelle explicite faisant référence à la loi du 27 juillet 1961, celle-ci n'est pas applicable à la concession en cause qui ne s'exécute pas en Belgique.

L'appel sur ce point est fondé.

3. Application du droit commun
a. Demande de résolution

8. Solar Max soutient, à titre subsidiaire, qu'Interbrew aurait commis des manquements graves justifiant la résolution, à ses torts, de la convention et le paiement de dommages et intérêts équivalents aux indemnités prévues par la loi du 27 juillet 1961.

Les manquements qu'elle invoque sont les suivants:

- rupture brutale et abusive de la convention;

- retards de livraison dans les mois qui ont précédés la rupture;

- refus de deux livraisons pendant la période de préavis.

9. Une convention comportant des prestations échelonnées dans le temps et conclue pour une durée indéterminée peut être résiliée à tout moment par chacune des parties, si cette résiliation n'est pas exclue par une règle légale particulière (Cass. 22 novembre 1973, Pas. 1974, I, 312).

Le droit de résiliation n'est pas discrétionnaire et la bonne foi qui doit présider à la résiliation des contrats s'oppose à ce qu'il soit exercé sans prendre en considération les intérêts légitimes de l'autre partie, celui qui résilie le contrat devant, en principe, veiller à éviter que la rupture soit préjudiciable à son cocontractant.

La circonspection ainsi imposée à celui qui exerce le droit de résiliation comporte, en règle générale, l'obligation de respecter un préavis, en vue de permettre au cocontractant de prendre ses dispositions.

10. La résiliation de la convention n'a pas été brutale puisqu'elle a été assortie d'un préavis sur la longueur duquel il conviendra de statuer. Par ailleurs, Interbrew a formulé une proposition transactionnelle qui n'a pas été acceptée par Solar Max.

Il convient en outre de constater que Solar Max a accusé un retard important dans le paiement de ses factures et que les ventes ont baissé entre 1997 et 1998 (cf. pièce 25 du dossier de Solar Max).

La décision de changer de distributeur n'était donc pas fondée sur des motifs illégitimes.

Solar Max ne peut, dès lors, prétendre qu'à une indemnité compensatoire de préavis, fixée selon les critères du droit commun, à l'exclusion de tous autres dommages et intérêts, et sans avoir égard, par analogie, aux indemnités prévues par la loi du 27 juillet 1961, inapplicable en l'espèce.

11. Quant à l'allongement des délais de livraison, Interbrew expose qu'elle a suspendu certains envois en raison des retards de paiement.

Ce fait n'est pas contesté par Solar Max qui, dans sa lettre du 29 juillet 1999, remerciait Interbrew pour son indulgence et sa patience, et demandait que les livraisons puissent reprendre leur cours normal.

Aucune faute ne peut donc être reprochée à Interbrew.

Il n'est enfin pas contesté que les deux dernières commandes, passées le 9 octobre 1999, en pleine période de préavis, n'ont pas été livrées.

Ce fait étant postérieur à la signification de la rupture, il ne peut être pris en considération pour soutenir qu'elle était fautive.

Interbrew invoque, par ailleurs, l'exception d'inexécution, au motif que Solar Max accusait toujours un retard de paiement.

En tout état de cause, Solar Max ne prouve pas avoir subi de ce fait un préjudice spécifique, et celui-ci ne peut être équivalent aux indemnités prévues par la loi du 27 juillet 1961.

Il n'y a donc pas lieu de prononcer la résolution de la convention.

b. Indemnité compensatoire de préavis

12. Compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales (7 ans), de l'importance de la concession dans le chiffre d'affaires global (30% en moyenne, mais diminuant en 1999 à 25% - cf. pièce 25 du dossier de Solar Max) et du caractère déficitaire de l'activité commerciale (cf. pièce 24 du dossier de Solar Max faisant apparaître des pertes mensuelles récurrentes), il y a lieu de fixer le préavis raisonnable, sur la base du droit commun, à 6 mois.

Comme un préavis de deux mois a été signifié par Interbrew, Solar Max peut prétendre à une indemnité compensatoire de préavis de 4 mois.

Eu égard au délai assez bref du préavis, il est justifié de prendre en considération la marge brute réalisée sur les produits dont la vente a été concédée, peu ou pas de frais généraux pouvant être compressés pendant cette période.

Les chiffres avancés par Solar Max à la page 29 de ses conclusions ne sont pas contestés, en tant que tels, par Interbrew qui possède, par ailleurs, toutes les données pour calculer la marge brute si celle-ci ne devait pas être exacte.

L'indemnité compensatoire de préavis s'élève donc, sur la base des chiffres de l'année précédant celle de la rupture, à 13.386.718 FB x 4/12 = 4.462.239 FB ou 110.616,02 EUR.

L'appel est partiellement fondé sur ce point.

4. Appel incident

13. Dès lors que l'appel principal est partiellement fondé, l'appel incident ne l'est pas.

V. Conclusion

Pour ces motifs, la cour, statuant contradictoirement,

1. Dit l'appel principal partiellement fondé.

2. Réforme le jugement attaqué, sauf en ce qu'il a reçu la demande et statué sur les dépens.

Statuant à nouveau,

Dit la demande fondée dans la mesure ci-après:

Condamne Interbrew à payer à Solar Max 110.616,02 EUR augmentés des intérêts judiciaires.

3. Dit l'appel incident non fondé et en déboute Solar Max.

4. Met les dépens d'appel à charge de Solar Max.

Ces dépens s'élèvent à 456,12 EUR pour elle et à 185,92 + 54,54 + 456,12 EUR pour Interbrew.

(...)