PRATIQUES DU COMMERCE
Action en cessation - Action en cessation intracommunautaire en matière de protection des intérêts des consommateurs - Loi du 26 mai 2002 - Droit applicable - Action délictuelle - Publicité trompeuse destinée à des consommateurs résidant au Royaume-Uni - Application du droit belge
L'appréciation de la légalité d'un envoi publicitaire par une entreprise établie en Belgique à destination de consommateurs anglais doit se faire sur base du droit belge dans la mesure où, s'agissant d'une action en réparation consécutive à un acte délictueux, est seul pertinent le droit de l'État sur le territoire à partir duquel la publicité litigieuse a été envoyée.
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HANDELSPRAKTIJKEN
Vordering tot staking - Intracommunautaire vordering tot staking op het gebied van de bescherming van de consumentenbelangen - Wet van 26 mei 2002 - Toepasselijk recht - Strafvordering - Misleidende reclame gericht op consumenten die in het Verenigd Koninkrijk verblijven - Toepassing van het Belgische recht
De beoordeling van de wettigheid van een publicitaire zending gericht aan Engelse consumenten, verzonden door een in België gevestigde onderneming, moet gebeuren op grond van het Belgische recht in de mate dat, waar het gaat om een vordering tot schadevergoeding voortvloeiend uit een misdrijf, enkel het recht van de Staat vanwaar uit de kwestieuze publiciteit werd verzonden, van toepassing is.
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la détermination de la loi applicable à une pratique anticoncurrentielle
1.La détermination du droit applicable aux pratiques anticoncurrentielles et à celles qui nuisent aux intérêts des consommateurs n'a cessé ces dernières années de préoccuper tant la jurisprudence que la doctrine. L'arrêt annoté, qui n'a qu'une valeur historique puisque la solution qu'il pose est dépassée par l'entrée en vigueur du Code de droit international privé [2], offre une nouvelle occasion de se confronter à cette délicate question.
En l'espèce, l'Office of Fair Trading, une autorité anglaise chargée de veiller au respect de la législation protégeant notamment les consommateurs, entendait obtenir la cessation, sous peine d'astreinte, de pratiques douteuses déployées par une entreprise belge dont les envois adressés à des consommateurs résidant en Angleterre leur annonçaient qu'ils avaient gagné un important prix tout en les encourageant fortement à passer commande d'un produit dont un catalogue vantait les mérites [3].
L'Office avait obtenu gain de cause en première instance [4], dans ce qui constitue sans doute l'une des premières applications de la directive 98/27 relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs [5]. La discussion par la cour d'appel des critiques formulées par l'entreprise belge contre cette décision permet de revenir sur la détermination du droit applicable à la demande formulée par l'Office [6], pour constater dans un premier temps l'incertitude qui entoure la concrétisation des facteurs de rattachement retenus (1) et terminer par quelques considérations sur la prise en compte de la loi étrangère (2).
1. | Quel(s) facteur(s) de rattachement pour les pratiques anticoncurrentielles? |
2.La détermination du ou des facteurs de rattachement pertinents permettant d'identifier le droit applicable à une pratique anticoncurrentielle a de longue date été une source d'insatisfaction. Malgré les tentatives de clarification par la doctrine [7], il régnait jusqu'à l'adoption du Code de droit international privé un certain flou tant sur la méthode à retenir que sur son application. Outre que la question était rendue complexe par la qualification donnée à la LPC [8], souvent élevée au rang de loi de police [9], l'examen de la jurisprudence révèle une hésitation certaine sur l'approche à retenir [10], [11]. Les deux pôles de l'hésitation sont bien connus: il s'agit d'une part de l'acte dommageable et d'autre part du dommage. Cette hésitation - et la difficulté certaine à localiser l'un ou l'autre de ces éléments - traduisait un malaise certain dans l'appréhension des comportements anticoncurrentiels présentant une dimension transfrontalière.
Classiquement, la plupart des décisions justifient l'application de la loi belge par la localisation en Belgique de certains éléments constitutifs de la pratique anticoncurrentielle [12]. Ainsi le tribunal de commerce de Gand a décidé, après avoir constaté qu'un défendeur préparait dans ses ateliers en Belgique du jambon qu'il commercialisait ensuite en s'appropriant illégitimement le qualificatif de “jambon d'Ardenne”, que cette circonstance suffisait à justifier l'application de la loi belge, même si la vente avait eu lieu en Allemagne lors d'une foire commerciale [13]. La plupart des juridictions se contentent de la localisation en Belgique d'une partie des faits litigieux, et notamment du “point de départ” du fait dommageable [14]. En matière de publicité transfrontalière, le président du tribunal de commerce de Tournai a par exemple décidé que la distribution en Belgique de dépliants publicitaires conçus en France était de nature à justifier l'intervention de la législation belge [15].
Certains tribunaux sont allés plus loin en acceptant que la loi belge pouvait s'appliquer dès lors que le dommage ou une partie de celui-ci est subi en Belgique. Ce raisonnement fut adopté dans l'affaire Tractebel, dans laquelle le président du tribunal de commerce de Bruxelles a retenu l'application de la loi belge dès lors que les pratiques dénoncées “connaissent leur point final en Belgique et causent dès lors un prétendu dommage sur ce marché” [16]. Il n'était plus question dans cette hypothèse d'un rattachement fondé sur le fait dommageable, bien difficile à localiser il est vrai en matière d'atteinte à une marque dans le contexte d'inscriptions de noms de domaine [17].
3.Dans l'affaire commentée, ces deux approches ont été successivement retenues. En première instance, le tribunal a mis l'accent sur le fait que les pratiques douteuses de l'entreprise belge visaient exclusivement des consommateurs anglais. Selon le tribunal de commerce, “l'infraction, à la supposer établie, sort ses effets en Grande-Bretagne, parce que la publicité est destinée à, et vise l'achat de produits par des consommateurs se trouvant sur le marché britannique: c'est en Grande-Bretagne que les effets de la pratique en question sont “visibles”. Le tribunal en concluait que “c'est le marché britannique qui est susceptible d'être perturbé par la pratique qualifiée... de déloyale et que s'il doit être considéré que l'ordre public économique de la Grande-Bretagne est dérangé par cette pratique, ce ne peut être qu'en application des lois de ce pays” [18].
À ce raisonnement clairement fondé sur le lieu du dommage et en particulier sur la concrétisation du dommage sur un marché spécifique, la cour d'appel a préféré une approche plus classique qui s'appuie sur le lieu où doivent être localisés les éléments matériels constitutifs du fait générateur du dommage. Analysant la pratique litigieuse à la lumière de la responsabilité extracontractuelle, la cour se montre fidèle à la jurisprudence de la Cour de cassation qui retenait, avant l'adoption du Code de droit international privé, le fait dommageable comme seul élément décisif pour déterminer le droit applicable à la responsabilité extracontractuelle [19]. En l'espèce, la cour d'appel a isolé au titre de fait dommageable la décision des responsables de la société incriminée de distribuer la publicité litigieuse en Grande-Bretagne. Or il était patent que cette décision avait été prise en Belgique. La seule concession faite par la cour au raisonnement suivi en première instance, fut de prendre en compte l'influence du droit européen et en particulier des directives relatives à la publicité trompeuse dans l'interprétation des dispositions du droit belge applicables.
4.Si la succession de raisonnements différents peut laisser perplexe, elle a le mérite de mettre en lumière que l'hésitation est permise sur l'approche à adopter [20]. L'on retiendra que l'interprétation adoptée par le juge de 1ère instance pouvait difficilement se justifier si l'on s'en tient à l'approche classique en matière de responsabilité délictuelle, selon laquelle seul le fait dommageable est pertinent [21]. Quant au raisonnement plus orthodoxe de la cour d'appel, l'on peut se demander s'il était nécessaire d'estimer, comme l'a fait la cour, que la décision de procéder aux envois litigieux constituait le seul fait dommageable pertinent. En réalité, le fait dommageable était constitué d'un complexe de faits comprenant certes la décision de procéder aux envois mais aussi l'envoi lui-même des courriers litigieux - dont rien ne dit qu'il a eu lieu depuis la Belgique. La difficulté est classique [22], elle n'en demeure pas moins source d'insatisfaction.
5.Le Code de droit international privé a le grand mérite, sinon d'apporter une solution à l'abri de toute critiques, au moins de clarifier le débat. L'article 99 § 2, 2° du code propose de retenir pour apprécier les demandes de réparation fondées sur la concurrence déloyale ou la pratique commerciale restrictive, le droit de l'État “sur le territoire duquel le dommage est survenu ou menace de survenir” [23].
Cette précision fournie par le code devrait tout d'abord permettre de rappeler à la pratique la nécessité d'adopter par priorité un raisonnement fondé sur la règle de rattachement. L'adoption d'une règle de rattachement spécifique donne à celle-ci une visibilité certaine qui devrait permettre de reléguer au second plan la référence au caractère de “loi de police” (ou “règle spéciale d'applicabilité”, pour adopter la terminologie du code) de la LPC [24]. En outre, la règle retenue par le code possède un large champ d'application - même si la délimitation de ses contours aurait pu être plus précise [25] - qui contribuera aussi à privilégier la méthode conflictualiste.
À l'instar du projet “Rome II”, le code privilégie le dommage comme élément essentiel de rattachement. À défaut de précision dans le texte de l'article 99 sur ce qu'il faut entendre par “dommage” [26], l'on pourra utilement s'inspirer de la règle européenne selon laquelle le dommage vise les conséquences que la pratique litigieuse entraîne sur les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs [27].
En l'espèce, cette règle aurait imposé de retenir l'application du seul droit anglais puisque les envois litigieux visaient uniquement des consommateurs anglais. Il en ira de même chaque fois qu'une entreprise procède à des envois publicitaires à destination d'un pays particulier. Par contre lorsqu'une entreprise belge entend faire interdire à une autre de commercialiser certains produits sur un marché étranger en se prévalant de qualités ou d'un titre qu'elle ne peut légitimement revendiquer, c'est le droit du pays de commercialisation des produits litigieux qui devra être retenu [28].
Contrairement au projet de règlement européen, le code ne prévoit pas de règle particulière pour les situations dans lesquelles l'acte de concurrence déloyale affecte exclusivement les intérêts d'un concurrent déterminé [29]. L'on pense au refus par une entreprise belge de vendre ses produits à une entreprise hongroise [30]. À défaut de précision, le dommage auquel l'article 99 § 2 fait référence doit dans cette hypothèse particulière s'entendre du préjudice causé par le refus de vente. Ce préjudice devra le plus souvent être localisé dans l'État où la victime du refus est établie, sauf à démontrer qu'elle entendait commercialiser les produits en dehors de son marché national [31].
6.L'article 99 du code a le mérite de faire la clarté sur le facteur de rattachement pertinent en matière de pratique anticoncurrentielle. Certes, il n'est pas certain que le critère du dommage retenu par le code soit toujours facile à mettre en oeuvre. Dans certaines hypothèses, la localisation du dommage se révélera en effet hasardeuse. Il en ira ainsi lorsque le dommage allégué se réalise dans plusieurs États différents. La suggestion faite par les travaux préparatoires, de procéder dans ce cas à une “application distributive des droits des États concernés” [32] apparaît comme un expédient.
En tout état de cause, la solution retenue par le code invite à une lecture stricte du dommage et de sa localisation. S'appuyant sur une jurisprudence européenne relative à la détermination de la juridiction compétente, l'exposé des motifs insistait déjà sur le fait que le “lieu de survenance du dommage ne s'entend pas comme le lieu où le dommage est ressenti, mais comme celui où il s'est matérialisé, le lieu où il a produit ses effets à l'égard de la victime” [33]. Il n'est dès lors pas question de prétendre appliquer le droit belge parce que la partie qui allègue avoir subi un dommage est établie en Belgique. Encore faudra-t-il vérifier si l'on peut accepter que le dommage est directement survenu à cet endroit. À ce titre, l'on ne peut qu'approuver la position adoptée par certaines juridictions avant l'entrée en vigueur du code, qui refusaient d'appliquer le droit belge lorsque le dommage localisé en Belgique constituait la conséquence d'un dommage survenu dans un autre pays [34].
Cette attitude mesurée contraste avec l'approche plus souple adoptée récemment par le tribunal de commerce de Charleroi à l'occasion d'un litige qui a opposé un nombre impressionnant de clubs et de joueurs de football à des fédérations nationales et internationales [35]. Constatant que ces fédérations étaient mises en cause pour atteinte au droit communautaire et notamment pour abus de puissance économique, le tribunal a invoqué l'article 99 § 2, 2° du code pour conclure à l'application du droit belge au motif que le préjudice allégué par le club de football “est subi en Belgique”. Le tribunal avait déjà, à l'occasion de l'examen de sa compétence internationale, estimé que le dommage allégué par le club s'était manifesté en Belgique. Il est indéniable qu'en dernier ressort, la décision litigieuse aura des conséquences sur la position patrimoniale du club. Ceci n'exclut pas pour autant que l'on puisse localiser le dommage à un autre endroit que celui du siège du club. Le tribunal avait constaté que le préjudice financier subi par le club résultait de l'absence de compensation financière pour la mise à disposition d'un joueur qui fut blessé lors d'un match au Maroc. L'on aurait pu dès lors attendre du tribunal qu'il explique à quelle occasion la mise à disposition forcée du joueur a eu des conséquences directes pour le club. S'il s'avérait que le club a été contraint de participer à une rencontre à l'étranger sans ledit joueur, l'application du droit belge pourrait en effet plus difficilement être justifiée [36]. En outre, l'on peut se demander si dans ce cas de figure particulier, il est possible de distinguer entre le lieu où le fait dommageable est posé et le lieu où le dommage survient [37].
7.Malgré les difficultés que peut susciter la localisation du dommage, l'approche retenue par le code constitue une simplification de la règle de rattachement. Force est également de constater que la nouvelle règle de rattachement conduit à une plus grande prise en considération de la loi étrangère. Dès lors que le dommage est localisé à l'étranger, les juridictions belges devront en principe retenir l'application de la loi étrangère. Cet aspect mérite également quelques observations.
2. | La prise en compte et l'application de la loi étrangère? |
8.Se fondant sur le fait que “c'est le marché britannique qui est susceptible d'être perturbé par la pratique qualifiée par la demanderesse de déloyale”, le tribunal de commerce de Bruxelles avait dans l'affaire commentée apprécié en première instance la conformité des envois publicitaires litigieux aux prescriptions de la loi anglaise [38].
À notre connaissance, il s'agissait d'une première ou en tout cas d'un exemple rare d'application du droit étranger à une pratique anticoncurrentielle. La doctrine avait certes à maintes reprises indiqué que rien en cette matière ne s'opposait en principe à l'application en Belgique d'une loi étrangère visant à réprimer des atteintes à la libre concurrence ou aux intérêts des consommateurs [39]. Les juridictions demeuraient sourdes à cet appel [40].
9.Une décision isolée avait certes accepté de prendre en considération l'application d'une loi étrangère [41]. En l'espèce il s'agissait d'obtenir l'interdiction de deux publications effectuées dans des revues spécialisées, l'une paraissant aux Pays-Bas, l'autre en France. Après avoir constaté que les faits de la cause ne justifiaient pas l'application de la LPC, le tribunal a estimé que “indien het buitenlands recht een stakingsvordering toekent wegens oneerlijke handelspraktijken, zou de toepassing door ons land van dit buitenlands recht toch tot een stakingsbevel kunnen leiden”. La juridiction consulaire n'a toutefois pas dépassé cette déclaration de principe. Une fois le principe posé, le tribunal a en effet constaté qu'en l'espèce la demanderesse n'avait pas allégué que les pratiques qu'elle tentait de faire interdire, contrevenaient à des dispositions de droit étranger [42].
10.Certaines juridictions prenaient argument du fait que l'article 95 de la LPC ne permet de sanctionner que les seuls actes “constituant une infraction aux dispositions de la présente loi”. C'est sur cette base que la même cour d'appel de Bruxelles a en 1999 refusé de tenir compte de la violation potentielle du droit allemand pour réprimer une action publicitaire [43]. Après avoir constaté que la LPC ne pouvait s'appliquer à défaut pour l'action publicitaire litigieuse d'avoir été réalisée en Belgique ou d'y avoir produit des conséquences, la cour a estimé que les termes de l'article 95 ne permettaient pas de viser une violation d'une norme étrangère.
Cette appréciation a été reprise par une partie de la doctrine. Selon M. Prioux par exemple, l'on peut douter que le juge des cessations puisse s'appuyer sur l'article 95 pour connaître d'infractions à d'autres lois que la LPC puisque, si la loi belge ne s'applique pas, le juge des cessations n'est matériellement pas compétent pour connaître d'une action en cessation [44].
Outre que l'on peut sans doute contourner l'obstacle en soulignant le caractère procédural - et donc nécessairement soumis à la lex fori - de l'action qui permet d'obtenir la cessation d'un comportement répréhensible [45], il faut rappeler les ressources qu'offre la théorie générale du droit international privé. Dès lors que l'on a constaté qu'une pratique donnée produit des conséquences sur le territoire d'un État étranger et appelle donc l'application de la loi de cet État, il convient de rechercher dans cette loi quelle sanction peut être utilisée pour réprimer le comportement litigieux. Pour autant que le droit étranger mette sur pied une sanction globalement similaire à la cessation prévue par la LPC, rien ne s'oppose à notre sens à la saisine du juge des cessations [46]. Celui-ci pourra faire droit à la demande dès lors que le droit étranger organise une action dont les contours rejoignent en grande partie ceux prévus par l'article 95 [47].
Il ne s'agit plus alors de constater qu'il peut toujours être fait appel à l'action en cessation prévue par la LPC puisque cette action s'impose au titre de procédure en vertu de la lex fori. La distinction entre l'action en cessation et la cessation proprement dite nous paraît en effet délicate, voire artificielle. Dans le raisonnement proposé, le droit étranger reçoit un plus grand champ d'action puisqu'il est déterminant pour l'ensemble du remède à mettre en oeuvre, en ce compris la procédure particulière permettant de solliciter la sanction.
11.Si l'on accepte ce raisonnement, les avancées du droit européen devraient assurer une assise plus ferme à l'application du droit étranger. La directive 98/27 impose en effet aux États-membres d'organiser une procédure en cessation qui doit permettre de “faire cesser ou interdire toute infraction, avec toute la diligence requise et le cas échéant dans le cadre d'une procédure d'urgence.” [48].
Partant, l'on peut sans doute présumer que l'ensemble des droits des États-membres prévoient une action en cessation comparable à celle organisée par l'article 95. Ensemble, l'ouverture vers l'application du droit étranger que le Code de droit international privé apporte, conjuguée à l'harmonisation européenne sans cesse plus poussée [49], devraient briser le tabou de l'application par une juridiction belge d'une loi étrangère pour réprimer une pratique anticoncurrentielle.
[1] | Chargé de cours, Ulg., Avocat. |
[2] | Art. 99 § 2, 2° du Code de droit international privé (infra). Cette règle pourrait à court terme être elle-même dépassée par l'adoption, attendue de longue date, d'un Règlement européen dit “Rome II” relatif à la loi applicable aux obligations extracontractuelles, dont la Commission a présenté une version modifiée le 21 février 2006: proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non-contractuelles (COM(83) final). |
[3] | En général sur les questions de droit matériel que posent les “sweepstakes”, voy. l'étude générale de C. Cauffman, “Schijnbare beloften van prijzen in de reclame in Europees perspectief”, D.C.C.R. 2005, 3-33. |
[4] | Comm. Bruxelles (cess.) 6 décembre 2004, J.T. 2005, 343 . |
[5] | Sur cette directive, l'on consultera à profit les commentaires de D. Hoffmann, “Directive 'Actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs' (Dir. 98/27/CE du 19/5/98)”, REDP 2000, 147-154 et A. Morin, “Les actions collectives transfrontières. La directive relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs”, R.A.E. 1998, 211-216. Voy. déjà avant l'adoption de la directive, M. Fallon, “An essay on the mutual recognition of group actions (governmental, organizational or class actions) in crossborder consumer conflicts within the European Community”, in T. Bourgoignie (éd.), L'action collective et la défense des consommateurs, Kluwer, 1992, 245-261. |
[6] | Comme dans d'autres affaires soumises aux juridictions belges à propos de l'application dans l'espace de la loi sur les pratiques du commerce, la compétence internationale de ces dernières ne soulevait aucune difficulté puisque le défendeur avait incontestablement établi son domicile en Belgique (Prés. Comm. Bruxelles 7 septembre 1999, Annuaire pratique du Commerce et de la Concurrence, 1999, 835, avec une importante note de J. Meeusen; Bruxelles 22 décembre 1999, R.D.C. 2001, 244, note M. Pertegás Sender; Annuaire pratique du Commerce et de la Concurrence, 1999, 801). Comp. avec Prés. Comm. Nivelles 24 mars 2000 (en cause Koi & Goldfish Farm/Koi Ichi Ban UK), Computerr. 2000, 207, note E. Kindt (la juridiction se déclare à bon droit sans compétence pour connaître d'une demande visant une pratique soi-disant anticoncurrentielle dans la mesure où cette pratique ne se concrétisait que sur le seul territoire anglais). |
[7] | Voy. en particulier H. Van Houtte, “De toepassing van de Wet betreffende de handelspraktijken op transnationale gevallen van oneerlijke mededinging”, in Liber Amicorum P. De Vroede, II, Kluwer, 1994, 1407-1423; J. Meeusen, “De toepassing van de Wet Handelspraktijken op grensoverschrijdende geschillen”, Annuaire pratique du Commerce et de la Concurrence, 1999, 841-851 et M. Pertegás Sender, “De Wet op de Handelspraktijken: steeds toegepast op transnationale gevallen van oneerlijke mededinging?”, R.D.C. 1999, 394-397. Adde R. Prioux, “L'application internationale de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce, l'information et la protection du consommateur”, in Les pratiques du commerce, l'information et la protection du consommateur, Bruylant, 1994, 331-366. |
[8] | Loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, telle que modifiée à de nombreuses reprises, ci-après “LPC”. |
[9] | La question était rendue encore plus difficile par la distinction parfois proposée entre loi de police et loi d'application immédiate (voy. J. Meeusen, “Onrechtmatige daad, wetten van politie en voorrangsregels in het Belgische internationaal privaatrecht” (note sous Cass. 29 avril 1996), R.W. 1996-97, 813, spéc. 814-815). Cette distinction n'était pas bien perçue par la jurisprudence, qui s'en tenait généralement à un raisonnement fondé sur l'art. 3 al. 1er C. civ. (aujourd'hui abrogé). Voy. par exemple la décision du tribunal de commerce de Bruxelles dans l'affaire des bières trappistes (Prés. Comm. Bruxelles 3 septembre 1997, Annuaire pratique du Commerce et de la Concurrence, 1997, 113). Dans cette affaire, qui opposait les cinq abbayes autorisées à utiliser l'appellation “Bière Trappiste” à un concurrent belge à qui elles reprochaient d'utiliser cette appellation sur des bouteilles destinées au marché américain, le président du tribunal se rangea à l'avis majoritaire en décidant que “de artikelen 93 en 94, alsmede de artikelen 95 en 98 van de WHPC, die de bestanddelen van het feit dat quasi-delictuele aansprakelijkheid teweegbrengt, alsmede de gevolgen ervan op burgerlijk gebied bepalen, inderdaad wetten van politie zijn in de zin van art. 3 lid 1 B.W.”. Voy. encore récemment les arguments invoqués par une société de droit autrichien à l'appui de son pourvoi en cassation contre une décision prononcée le 23 novembre 2003 par la cour d'appel de Bruxelles. La cour avait condamné le demandeur en cassation pour abus de sa position dominante sur le marché des annuaires. Le demandeur reprochait à l'arrêt d'avoir appuyé cette condamnation sur l'art. 93 de la LPC alors que celle-ci constituait une loi de police et que les lois de police d'un État ne peuvent s'appliquer qu'aux faits commis sur le territoire de cet État. Or, selon le demandeur, les faits qu'on lui reprochait avaient été commis en dehors de Belgique. La Cour de cassation s'est contentée de constater que l'arrêt entrepris avait considéré que la restriction de concurrence litigieuse avait été mise en oeuvre en Belgique (Cass. 23 mai 2005, C0401186F, Telekom Austria AG/Kapitol, S.A., Revue@dipr.be 2006/2, p. 34). |
[10] | Voy. en ce sens après une analyse minutieuse de la jurisprudence, J. Meeusen, l.c., Annuaire pratique du Commerce et de la Concurrence, 1999, 848-849, n° 8 ainsi que M. Pertegás Sender, l.c., R.D.C. 1999, (394), 396, n° 9. |
[11] | La jurisprudence n'avait pas le monopole de l'hésitation. Le législateur européen s'est aussi montré très prudent s'agissant de déterminer le droit applicable à une action en cessation. L'art. 2.2. de la directive 98/27 évite de trancher la difficulté en délaissant la question au droit international privé des États-membres. Cette même disposition souligne que le droit applicable “devrait donc normalement être, soit le droit de l'État-membre où l'infraction a son origine, soit celui de l'État-membre où l'infraction produit ses effets”… |
[12] | P. ex. Prés. Comm. Arlon 17 septembre 1998, Annuaire pratique du Commerce et de la Concurrence, 1998, 645. |
[13] | Prés. Comm. Gand 13 juillet 1992, WK 1485/92, inédit, citée par H. Van Houtte, l.c., 1409, n° 5. |
[14] | Pour reprendre l'expression utilisée notamment par le président du tribunal de commerce de Hasselt dans l'affaire de la Scotch Whisky Association (9 juillet 1999, Annuaire pratique du Commerce et de la Concurrence, 1999, 819, spéc. 822). |
[15] | Prés. Comm. Tournai 7 mai 1997, J.T. 1998, 202 , note. Comp. avec Comm. Termonde (cess.) 11 mai 2005, 751 (le tribunal refuse à bon droit de considérer que le simple fait que les publications litigieuses puissent être achetées en Belgique suffit à justifier l'application de la loi belge). |
[16] | Prés. Comm. Bruxelles 11 juin 1997, Computerr. 1997, 230. |
[17] | Voy. également à propos de l'enregistrement de noms de domaine, Prés. Comm. Bruxelles 15 septembre 1999, Annuaire pratique du Commerce et de la Concurrence, 1999, 722 (ce jugement adopte une approche globale mêlant compétence et droit applicable pour conclure que la LPC “s'applique à toutes les pratiques commerciales déloyales se produisant sur le territoire belge, même si elles trouvent leur source à l'étranger, de sorte que le juge belge est compétent”). |
[18] | On retrouve dans cet attendu des fragments d'une théorie qui entend fonder la détermination de la loi applicable aux pratiques anticoncurrentielles sur le marché. Voy. sur cette approche, H. Van Houtte, l.c., 1415, n° 12. Comme l'écrit M. Fallon, le concept de marché est d'un maniement difficile “lorsque le comportement affecte les activités d'une entreprise présente sur plusieurs marchés”: M. Fallon, “Groupe européen de droit international privé - compte-rendu de la sixième réunion - Venise 20-22 sept. 1996”, R.B.D.I. 1996, (677), 681. |
[19] | Voy. p. ex. Cass. 29 avril 1996, Pas. 1996, I, 395 et les autres références citées par J. Meeusen, l.c., R.W. 1996-97, 813-814. |
[20] | M. Fallon écrivait à ce propos que “aucun facteur de rattachement spécifique ne s'impose d'évidence”: M. Fallon, l.c., R.B.D.I. 1996, (677), 681. |
[21] | Voy. avant la codification, F. Rigaux et M. Fallon, Droit international privé, II, Droit positif belge, Larcier, 1993, 698-699, nos 1528-1529 ainsi que M. Fallon et S. Francq, “Chronique de jurisprudence. Les conflits de lois en matière d'obligations contractuelles et non-contractuelles (1986-1997)”, J.T. 1998, (683), 692, n° 36. |
[22] | Voy. les exemples cités par F. Rigaux et M. Fallon, o.c., 700 et s., nos 1530 et s. |
[23] | Comme on l'a noté, le code ne prévoit pas de règle de compétence internationale particulière pour les actions relatives à la concurrence déloyale ou aux pratiques commerciales restrictives (A. Puttemans, “Les droits intellectuels et la concurrence déloyale dans le Code de droit international privé”, R.D.C. 2005, (615), 618 , n° 9). L'on aura dès lors égard aux règles en matière de responsabilité délictuelle (et notamment l'art. 96, 2°). |
[24] | En ce sens, A. Puttemans, l.c., R.D.C. 2005, (615), 622, n° 23 . |
[25] | Mme Puttemans regrette l'utilisation de l'expression “pratique commerciale restrictive” qui est à ses yeux entourée d'une certaine ambiguïté (l.c., R.D.C. 2005, (615), 622 , n° 22). Il faut rappeler que le Code de droit international privé utilise à dessein des notions larges pour permettre d'appréhender des concepts et des règles de droit étranger. |
[26] | Les travaux préparatoires ne contiennent aucune explication complémentaire sur la notion de “dommage” retenue à l'art. 99 § 2, 2° du code. |
[27] | Comp. avec A. Puttemans, l.c., (615), 622, n° 23, qui évoque l'application de la loi du pays dont le marché est troublé. La première version de la proposition de Règlement “Rome II” adoptait une approche similaire, même si la rédaction était quelque peu différente puisque l'art. 5 du projet retenait pour régir l'obligation non-contractuelle résultant d'un acte de concurrence déloyale la loi “du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou risquent d'être affectés de façon directe et substantielle”. La nouvelle version de cette règle (qui figure dorénavant à l'art. 7 du projet) opère un détour par la règle générale pour fournir ensuite une précision sur la localisation du dommage. |
[28] | Voy. par exemple l'affaire des trappistes, Comm. Bruxelles 3 septembre 1997, précité. |
[29] | Voy. l'art. 7(2) du projet révisé de Règlement Rome II, selon lequel il faut dans ce cas faire application soit de la loi du pays dans lequel les deux concurrents sont établis ou, à défaut d'établissement sur le territoire du même État, retenir le critère de la loi du pays avec lequel l'obligation non-contractuelle présente les liens les plus étroits. |
[30] | Pour reprendre la trame factuelle qui sous-tend la décision du tribunal de commerce de Hasselt du 16 octobre 1998, DAOR 1999, 135. Dans cette affaire, le tribunal avait estimé être incompétent pour connaître de la demande. |
[31] | L'on pourrait également envisager d'appliquer dans cette hypothèse le droit qui gouverne une relation établie préalablement entre parties, conformément au principe du rattachement accessoire consacré par l'art. 100 du code. En vertu de cette disposition, le refus de vente opposé par un fournisseur belge à un client hongrois pourra être régi par le droit qui gouverne les contrats antérieurement conclus entre ces parties. |
[32] | Exposé des motifs, Doc. parl. Sénat 7 juillet 2003, 3-27/125. |
[33] | Idem. |
[34] | Par exemple Comm. Termonde 11 mai 2005, R.W. 2006, (749), 751: le tribunal note que si l'on peut accepter que la loi belge s'applique dès lors qu'une pratique anticoncurrentielle localisée à l'étranger a causé un dommage en Belgique, ceci ne vaut pas lorsque le dommage situé en Belgique est un dommage purement patrimonial. Et le tribunal d'ajouter que “de vermogensschade is een gevolg van andere schade, zoals de schade aan de naam en faam, die zich voornamelijk voltrekt daar waar de handeling wordt gesteld”. |
[35] | Comm. Charleroi 15 mai 2006, J.L.M.B. 2006, 1092 (le jugement intégral est disponible sur le site du tribunal de commerce à l'adresse suivante: www.tcch.be/images/JGT%20FIFA%20DEF.pdf ). |
[36] | Comme le fait la Cour de justice dans le cadre du Règlement Bruxelles I, il importe de distinguer le lieu où le dommage est survenu et le lieu où le dommage est subi, seul le premier étant pertinent. Voy. récemment C.J.C.E. 10 juin 2004, aff. C-168/02, Rudolf Kronhoffer C. Maier et al., dans laquelle la Cour a décidé que “l'expression 'lieu où le fait dommageable s'est produit' ne vise pas le lieu du domicile du demandeur où serait localisé 'le centre de son patrimoine', au seul motif qu'il y aurait subi un préjudice financier résultant de la perte d'éléments de son patrimoine intervenue et subie dans un autre État contractant” (attendu n° 21). Il s'en déduit qu'il ne suffit pas de constater que le siège social de la victime est localisé en Belgique pour en déduire que la perte d'une chance et l'appauvrissement prétendument supportés par cette dernière doivent être localisés en Belgique. |
[37] | Comp. avec les observations de M. Fallon (l.c., R.B.D.I. 1996, (677), 682) qui semble suggérer qu'en cas de distinction entre dommage direct et dommage indirect, l'on pourrait introduire une présomption en faveur d'une localisation du dommage au lieu de l'établissement principal de la victime. |
[38] | J.T. 2005, 434 . |
[39] | En particulier, J. Meeusen, l.c., pp. 847-848. Voy. aussi H. Van Houtte, l.c., 1413-1414, n° 10. |
[40] | Voy. p. ex. Gand 12 janvier 1990, Annuaire des pratiques du commerce, 1990, 70. |
[41] | Comm. Termonde (réf.) 11 mai 2005, spéc. p. 751. |
[42] | L'on peut se demander s'il n'appartenait pas au tribunal d'examiner de plein droit, au besoin après réouverture des débats, l'application des droits français et néerlandais. |
[43] | En première instance, le tribunal de commerce de Bruxelles avait également décidé que la LPC ne permettait pas de réprimer une violation à une disposition de droit étranger (décision inédite du 9 mars 1999, citée par la cour d'appel). |
[44] | R. Prioux, l.c., 353, n° 20, note 57. Voy. aussi A. Puttemans, l.c., 623, n° 24. |
[45] | Comme le fait M. Pertegás Sender (“L'application de la loi sur les pratiques du commerce à la concurrence déloyale transfrontière”, R.D.C. 2001, 247-248), qui distingue d'une part la sanction sollicitée, à savoir la cessation d'un comportement, soumise à la lex causae, de la procédure à laquelle il faut recourir pour obtenir cette sanction. Seule cette dernière question doit selon Mme Pertegás être soumise à la lex fori puisqu'elle constitue une question de procédure. |
[46] | La solution proposée s'éloigne de l'incorporation du droit étranger via la norme générale de conformité aux usages honnêtes proposée notamment par H. Van Houtte, l.c., 1422-1423, n° 21. |
[47] | Sur les difficultés et les limites de l'appréciation de l'équivalence entre institutions juridiques, voy. F. Rigaux et M. Fallon, Droit international privé, 3ème éd., Larcier, 2005, 302-303, n° 7.30. |
[48] | Art. 2.1. a) de la directive. |
[49] | En l'espèce, les faits litigieux appelaient une analyse sur base des directives 84/450 et 97/55 relatives à la publicité trompeuse. |