Article

Cour d'appel Bruxelles, 08/12/2005, R.D.C.-T.B.H., 2006/9, p. 990-993

Cour d'appel de Bruxelles 8 décembre 2005

PRATIQUES DU COMMERCE
Action en cessation - Action en cessation intra­communautaire en matière de protection des intérêts des consommateurs - Loi du 26 mai 2002 - Droit applicable - Action délictuelle - Publicité trompeuse destinée à des consommateurs résidant au Royaume-Uni - Application du droit belge
L'appréciation de la légalité d'un envoi publicitaire par une entreprise établie en Belgique à destination de consommateurs anglais doit se faire sur base du droit belge dans la mesure où, s'agissant d'une action en réparation consécutive à un acte délictueux, est seul pertinent le droit de l'État sur le territoire à partir duquel la publicité litigieuse a été envoyée.
HANDELSPRAKTIJKEN
Vordering tot staking - Intracommunautaire vordering tot staking op het gebied van de bescherming van de consumentenbelangen - Wet van 26 mei 2002 - Toepasselijk recht - Strafvordering - Misleidende reclame gericht op consumenten die in het Verenigd Koninkrijk verblijven - Toepassing van het Belgische recht
De beoordeling van de wettigheid van een publicitaire zending gericht aan Engelse consumenten, verzonden door een in België gevestigde onderneming, moet gebeuren op grond van het Belgische recht in de mate dat, waar het gaat om een vordering tot schadevergoeding voortvloeiend uit een misdrijf, enkel het recht van de Staat vanwaar uit de kwestieuze publiciteit werd verzonden, van toepassing is.

D. Duchesne SA / Office of Fair Trading

Siég.: M. Regout (conseiller f.f. président), H. Mackelbert et E. Herregodts (conseillers)
Pl.: Mes M. Favart, Cl.-A. Chas loco P L'Ecluse et E. Balate, E. Vervaeke
I. La décision attaquée

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé le 6 décembre 2004 par le président du tribunal de commerce de Bruxelles, siégeant comme en référé.

Ce jugement a été signifié à la SA Duchesne le 3 janvier 2005.

II. La procédure devant la cour

La requête d'appel a été déposée au greffe de la cour d'appel le 2 février 2005.

L'Office of Fair Trading (appelé “l'OFT” dans le présent arrêt) a formé un appel incident par conclusions déposées au greffe de la cour le 29 avril 2005.

La procédure est contradictoire.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

III. Les faits et antécédents de la procédure

1. La SA Duchesne, société belge dont le siège social est établi à Nivelles, est active dans le secteur de la vente par correspondance au travers de divers catalogues d'articles de ménage, de décoration, de loisir et de bricolage.

En Grande-Bretagne la SA Duchesne est active sous les dénominations commerciales “TV Direct Distribution” et “Just 4 you”.

Afin de promouvoir la vente des produits que contiennent ses catalogues, la SA Duchesne joint régulièrement à ceux-ci un jeu promotionnel dont, selon ses propres dires, les caractéristiques sont toujours les mêmes.

2. L'OFT est une organisation britannique qui veille au bon fonctionnement des marchés pour les consommateurs. Ses objectifs sont, entre autres, “contribuer à maximiser le bien-être des consommateurs à long terme, protéger les intérêts des plus vulnérables en leur procurant des informations et proposant des voies de recours, protéger les consommateurs contre les pratiques frauduleuses et en promouvoir une offre compétitive et répondant à leur besoin” (voy. “Communication de la Commission relative à l'art. 4 § 3 de la directive 98/27/CE relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs, concernant les entités qualifiées pour intenter une action au titre de l'art. 2 de ladite directive”, J.O. 8 juillet 2003, 2003/C 159/11, in fine).

3. Le 19 février 2004 le conseil de l'OFT a adressé un courrier à la SA Duchesne, notifiant à celle-ci qu'une série de plaintes lui avaient été communiquées par des consommateurs à propos d'envois publicitaires au Royaume-Uni.

Au courrier précité était annexée une mise en demeure émanant de l'OFT (datée du 20 février 2004) ainsi qu'un texte de promesse, à signer par la SA Duchesne, contenant l'engagement de cette dernière de mettre fin aux pratiques critiquées.

La SA Duchesne ne conteste pas que les courriers du 19 et du 20 février 2004 dont il est fait état ci-dessus ont été précédés par des rencontres entre parties, notamment en décembre 2003.

4. Le 11 mars 2004 la SA Duchesne a été citée à comparaître devant le président du tribunal de commerce de Bruxelles, siégeant comme en référé.

5. L'action mue par l'intimée devant le premier juge tendait à entendre:

- constater que l'appelante distribue des envois publicitaires en Grande-Bretagne, adressés individuellement à des consommateurs nommés en personne, sans que cette publicité soit demandée par les consommateurs, et dans lesquels l'appelante annonce aux destinataires qu'ils viennent de gagner un montant important d'argent ou un chèque, en les encourageant à réclamer le montant ou le chèque gagné en renvoyant un talon de réclamation avec une commande de produits figurant dans le catalogue qui fait partie de cet envoi publicitaire, et ce sur un bon de commande figurant sur la page contenant le talon de réclamation;

- constater que le consommateur à qui cet envoi est destiné se sent obligé de placer une commande pour réclamer le montant gagné, ou le chèque;

- constater que les mailings en question trompent le consommateur, ou peuvent tromper le consommateur, en lui faisant croire qu'il vient de gagner suite à un tirage au sort qui a déjà eu lieu, et que le montant ou le chèque gagné est disponible définitivement et immédiatement, tandis qu'en réalité ce prix n'est pas attribué;

- constater que l'appelante trompe le consommateur ou peut tromper le consommateur en lui faisant croire qu'au moins il participe à un tirage au sort par lequel il peut gagner un montant élevé ou un chèque, tandis qu'en réalité il n'y a aucune chance raisonnable que ce montant ou chèque puisse être gagné, et qu'au lieu du montant ou du chèque, le consommateur ne reçoit qu'un bon de valeur d'une £, à valoriser en achetant des produits de l'appelante;

- constater que les envois publicitaires en question portent atteinte ou peuvent porter atteinte aux intérêts collectifs des consommateurs en Grande-Bretagne;

- dire pour droit que les actes en question constituent à titre principal des infractions aux dispositions des articles 23, 1°, 23, 2°, 23, 4°, à titre subsidiaire aux articles 23, 10°, 23, 14° et 94 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur et des dispositions des “Controle of Misleading Advertisements Regulations 1988” (CMARs), en français “Règlements sur le contrôle des publicités trompeuses 1988”;

- ordonner la cessation de ces actes constatés et de la publicité dans laquelle ces actes sont contenus;

- ordonner que le jugement sera affiché par un huissier de justice à l'intérieur et à l'extérieur de l'entreprise de l'appelante pour une période de deux mois, et que le jugement sera publié deux fois dans deux journaux ou hebdomadaires en Grande-Bretagne, dans deux journaux d'organisations de consommateurs en Grande-Bretagne, au choix de l'intimée, ainsi que sur le site internet de l'OFT;

- dire que le contenu du jugement ou de son résumé sera communiqué dans une émission de la télévision en Grande-Bretagne d'une chaîne à choisir par l'intimée;

- dire que l'intimée sera autorisée à organiser l'affichage, la publication et l'émission en question et qu'elle sera en droit d'en récupérer tous les frais, y inclus les frais de traduction sur l'appelante et ce sur simple production de facture, à déclarer exécutoire par le juge des saisies; le cas échéant, dire que l'intimée est en droit d'organiser également la publicité du jugement à ses propres frais;

- condamner l'appelante au paiement d'une astreinte de 25.000 euros pour chaque infraction aux commandements de l'ordonnance de cessation à intervenir, constatée à partir de la signification du jugement à intervenir; dire que la constatation de l'infraction peut être faite pour l'intimée ou ses préposés dans un simple procès-verbal.

6. La SA Duchesne a conclu devant le premier juge à l'irrecevabilité de la demande de l'OFT, ou en tout cas à son non-fondement. À titre subsidiaire, elle a soulevé cinq questions préjudicielles à poser à la Cour de justice des Communautés européennes.

7. Par jugement du 6 décembre 2004, le premier juge a, après avoir écarté certaines pièces de l'OFT des débats:

- constaté que la SA Duchesne distribue des envois publicitaires en Grande-Bretagne, adressés individuellement à des consommateurs nommés en personne, sans que cette publicité soit demandée par les consommateurs, et dans laquelle l'appelante annonce aux destinataires qu'ils viennent de gagner un montant important d'argent ou un chèque, en les encourageant à réclamer le montant ou le chèque gagné en renvoyant un talon de réclamation avec une commande de produits figurant dans le catalogue qui fait partie de cet envoi publicitaire, et ce sur un bon de commande, figurant sur la page contenant le talon de réclamation;

- constaté que le consommateur à qui cet envoi est destiné se sent incité à placer une commande pour réclamer le montant gagné, ou le chèque;

- constaté que les mailings en question trompent le consommateur, ou peuvent tromper le consommateur, en lui faisant croire qu'il vient de gagner suite à un tirage au sort qui a déjà eu lieu, et que le montant ou le chèque gagné est disponible définitivement et immédiatement, tandis qu'en réalité ce prix n'est pas attribué;

- constaté que les envois publicitaires en question portent atteinte aux intérêts collectifs des consommateurs en Grande-Bretagne;

- dit pour droit que les actes en question constituent des infractions aux dispositions des “Control of Misleading Advertisements Regulations 1988” (en français: “Règlements sur le contrôle des publicités trompeuses 1988”);

- ordonné la cessation de ces actes constatés et de la publicité dans laquelle ces actes sont contenus, sous peine d'une astreinte de 25.000 euros par infraction constatée à partir de la date de la signification du jugement;

- dit que la constatation de l'infraction peut être faite pour l'OFT ou ses préposés dans un simple procès-verbal.

IV. Objet de l'appel et de l'appel incident

8. La SA Duchesne demande à la cour:

- de déclarer l'appel formé par elle recevable et fondé;

- de mettre à néant le jugement attaqué et, statuant à nouveau:

* à titre principal: déclarer la demande initiale de l'OFT non fondée;

* à titre tout à fait subsidiaire: fixer le montant de l'astreinte à 500 euros par infraction constatée, à savoir par jeu promotionnel non conforme au jugement du 6 décembre 2004 adressé à l'ensemble des prospects de la SA Duchesne en Grande-Bretagne;

- de déclarer l'appel incident non fondé;

9. L'OFT conclut à la confirmation du jugement a quo, sous la seule réserve que l'ordre de cessation qu'il contient aurait dû, selon lui, être libellé comme suit:

“ordonner la cessation de l'envoi de toute communication ou de toute lettre destinée à un consommateur au Royaume-Uni, dans laquelle est annoncé à ce dernier un gain ou un prix, tandis que ce gain ou ce prix n'est pas attribué en réalité au consommateur”.

L'OFT forme également un appel incident:

- tendant à entendre faire application du droit belge pour condamner la publicité en cause et plus particulièrement des articles 20, 21, 22 et 23 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et l'information et la protection du consommateur (LPCC);

- tendant à entendre mettre à charge de la SA Duchesne, outre les frais et dépens de la première instance liquidés par le premier juge, les frais de traduction exposés par l'OFT.

En ordre subsidiaire, l'OFT demande à la cour, avant de statuer au fond et en application de l'article 877 du Code judiciaire, d'ordonner à la SA Duchesne la production de la liste, du fichier et de la base de données contenant les destinataires de ses mailings au Royaume-Uni pour le joindre au dossier de la procédure dans le délai à fixer par la cour.

V. Discussion
1. La loi applicable au litige des parties

10. L'OFT invoque à titre subsidiaire que c'est à tort que le premier juge a fait application du droit anglais alors qu'il aurait dû - selon elle - appliquer le droit belge.

Afin de pouvoir juger du bien-fondé de l'appel interjeté par la SA Duchesne et de l'appel incident de l'OFT, il convient de déterminer préalablement quel est le droit applicable au litige qui oppose les parties.

11. Le Code de droit international privé du 16 juillet 2004 (CDIP), entré en vigueur le 1er octobre 2004, énonce en son article 127 § 1er:

“La présente loi détermine le droit applicable aux actes et aux faits juridiques qui sont survenus après son entrée en vigueur. Elle détermine le droit applicable aux effets produits après son entrée en vigueur par un acte ou un fait juridique survenu avant son entrée en vigueur, à l'exception des effets produits par un acte ou un fait visé aux articles 98, 99, 104 et 105.”

La décision émanant de la SA Duchesne qui est à la base des envois publicitaires mis en cause par l'OFT, est un acte qui intervient avant l'entrée en vigueur du Code de droit international privé (CDIP).

Il en est de même de la distribution des envois publicitaires aux consommateurs en Grande- Bretagne.

Ces envois étant des faits juridiques visés à l'article 99 du CDIP, le droit applicable aux effets produits par eux après le 1er octobre 2004 n'est pas non plus déterminé par le CDIP.

12. Compte tenu de ce qui précède, il convient d'examiner la question du droit applicable auxdits envois et à leurs effets, à la lumière des règles de droit international privé applicables avant l'entrée en vigueur de la loi du 16 juillet 2004 contenant le CDIP.

13. L'activité litigieuse de la SA Duchesne relève des obligations extracontractuelles.

La loi applicable aux obligations non-contractuelles, dont celles prévues en matière de pratiques de commerce, était, avant l'entrée en vigueur du CDIP, la loi du lieu du fait générateur du dommage, c'est-à-dire la “lex loci delicti commissi” (Cass. 17 mai 1957, Pas., I, p. 1111).

C'est à tort que la SA Duchesne identifie ce lieu avec celui où l'acte produit ses effets.

En effet, un acte peut avoir été commis dans un autre lieu que celui où il produit ses effets.

In casu il n'est pas établi que la décision des responsables de la SA Duchesne de distribuer la publicité litigieuse ait été prise en Grande-Bretagne.

Le fait que le siège social de la SA Duchesne - lieu où s'organisent et se décident ses activités - soit établi en Belgique (à Nivelles plus précisément) laisse présumer que ladite décision a été prise en Belgique.

Pour les motifs précités il y a donc lieu d'appliquer la loi belge dans le cadre de l'examen de la licéité des envois publicitaires en cause, dans la mesure où le fait générateur de la publicité mise en cause se situe en Belgique.

14. Le droit belge doit être interprété à la lumière du droit européen et plus précisément de la directive 84/450 CEE du Conseil de la Communauté européenne du 10 septembre 1984 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États-membres en matière de publicité trompeuse et de la directive 98/27/CE du Parlement européen et du Conseil relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs que la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques de commerce et sur l'information et la protection du consommateur et la loi du 26 mai 2002 relative aux actions en cessation intracommunautaires en matière de protection des intérêts des consommateurs transposent dans le droit belge.

(...)

VI. Conclusion

Pour ces motifs, la cour, statuant contradictoirement;

Reçoit l'appel principal et l'appel incident;

Dit l'appel principal et l'appel incident fondés dans la mesure ci-après;

Confirmons le jugement attaqué sous la seule émendation que le montant de l'astreinte est réduit à 2500 euros par dépliant envoyé en infraction à l'ordre de cessation;

Dit que le montant total de l'astreinte ne pourra excéder un million d'euros;

(...)