Article

Tribunal de commerce Charleroi, 30/11/2005, R.D.C.-T.B.H., 2006/8, p. 862-864

Tribunal de commerce de Charleroi 30 novembre 2005

FAILLITE
Curateur - Honoraires - Demande de taxation d'honoraires extraordinaires - Article 7 A.R. du 10 août 1998
Le législateur attend du curateur que celui-ci soit à même, non seulement de remplir la mission qui incombe normalement à l'avocat dans le cadre d'une procédure judiciaire, mais également qu'il dispose de la formation requise pour mener à bien certaines tâches plus spécifiques inhérentes à une procédure de liquidation. En l'état actuel du droit, le curateur sera nécessairement confronté à des problèmes juridiques parfois complexes qu'un non juriste ne pourrait éluder seul mais qui, en tant que tel, ne peuvent d'emblée être considérés comme des devoirs extraordinaires. En revanche, si les éléments que le curateur fait valoir peuvent être considérés comme des circonstances au sens de l'article 3 alinéa 2 de l'arrêté royal du 10 août 1998, le tribunal de commerce peut, lorsque la faillite est en état d'être clôturée, le cas échéant appliquer un coefficient correcteur (réducteur ou multiplicateur).
FAILLISSEMENT
Curator - Ereloon - Vordering tot begroting van een buitengewoon ereloon - Artikel 7 K.B. van 10 augustus 1998
De wetgever verwacht van de curator dat deze in staat is niet enkel de opdracht die normaal gezien rust op de advocaat in het kader van een gerechtelijke procedure, uit te voeren, maar eveneens dat deze de vereiste opleiding heeft genoten om bepaalde meer specifieke taken, die inherent zijn aan een procedure van vereffening, tot een goed einde te brengen. In de huidige stand van het recht zal de curator ongetwijfeld geconfronteerd worden met soms complexe juridische problemen die een niet-jurist niet alleen zou kunnen omzeilen, maar die echter als dusdanig niet als buitengewone taken kunnen worden beschouwd. Daarentegen, indien de elementen die de curator doet gelden kunnen worden beschouwd als omstandigheden in de zin van artikel 3 lid 2 van het koninklijk besluit van 10 augustus 1998, dan kan de rechtbank van koophandel bij de sluiting van het faillissement in voorkomend geval een correctiecoëfficiënt (reductiecoëfficiënt of vermenigvuldigingscoëfficiënt) toepassen.

Me L. Dermine q.q.

Siég.: E. Felten (juge-président), M. Balsat et W. Vilain (juges consulaires)
Pl.: Me L. Dermine

Le tribunal, après avoir délibéré de la cause, rend ce jour le jugement suivant:

I. Procédure

Vu, produites, en forme régulière, les pièces de procédure légalement requises et notamment:

Vu la requête en taxation d'honoraires extraordinaires et déposée, au greffe du tribunal de commerce de céans, le 6 septembre 2005;

Vu l'avis de Monsieur Philippe Lardinois, juge-commissaire à la faillite de la SA Nouvelles Entreprises Depauw, et daté du 30 septembre 2005;

Vu les conclusions déposées par Maître Louis Dermine, au greffe du tribunal de commerce de céans, le 18 octobre 2005;

Vu le dossier déposé par Maître Louis Dermine à l'audience publique du 19 octobre 2005;

Ouï le requérant, Maître Louis Dermine, à l'audience publique du 19 octobre 2005, date à laquelle la cause a été prise en délibéré.

Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire, l'usage de la langue française ayant été fait.

II. Objet de la demande

La demande de Maître Louis Dermine, agissant en sa qualité de curateur à la faillite de la SA Nouvelles Entreprises Depauw, tend à entendre taxer à la somme de € 5.000 les honoraires extraordinaires qu'il promérite dans le cadre de la procédure “faillite Depauw/Wathelet et consorts”.

III. Discussion

L'article 33 alinéa 1er de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, après avoir énoncé que les honoraires des curateurs sont fixés en fonction de l'importance et de la complexité de leur mission et qu'ils ne peuvent être fixés exclusivement sous la forme d'une indemnité proportionnelle aux actifs réalisés, confère habilitation au Roi pour déterminer les prestations et frais couverts par les honoraires, les frais pouvant faire l'objet d'une indemnisation séparée ainsi que les modalités de leur arbitrage.

En vertu de cette habilitation, le Roi a établi, par arrêté royal du 10 août 1998, les règles et barèmes relatifs à la fixation des honoraires et frais des curateurs.

L'article 7 dudit arrêté royal traite des honoraires extraordinaires et précise:

“Peuvent faire l'objet d'honoraires extraordinaires, les prestations énumérées ou non à l'article 5, qui ne font pas partie de la liquidation normale de la faillite et qui ont contribué ou qui auraient raisonnablement dû contribuer à conserver ou à augmenter l'actif de la faillite ou en limiter le passif.

Sont, entre autres, ainsi visés la poursuite de l'activité commerciale par le curateur ou les devoirs exceptionnels résultant du nombre des créanciers ou par la dispersion des avoirs du failli.”.

Il ressort de cette disposition que l'alinéa 1er impose une double condition à l'octroi d'honoraires extraordinaires:

1° les prestations ne doivent pas faire partie de la liquidation normale de la faillite;

2° ces prestations doivent avoir (ou auraient dû) contribuer à maintenir ou augmenter l'actif ou à limiter le passif de la faillite.

Il convient, en l'espèce, d'examiner dans quelle mesure la condition relative au fait que les prestations ne doivent pas faire partie de la liquidation normale de la faillite et qu'elles ouvrent dès lors le droit à l'éventuel octroi d'honoraires extraordinaires est ou non rencontrée.

Le rapport au Roi précédant l'arrêté royal du 10 août 1998 est éloquent: “La prestation visée par cette disposition sera le plus souvent celle qui requiert un niveau de spécialisation tel qu'il justifie le recours au service spécialisé de tiers. Si le curateur, dans un souci d'économie en faveur de la masse, réalise lui-même les actes dont la nature aurait justifié le recours à un tiers et s'en acquitte avec un résultat satisfaisant, ceux-ci justifieront l'octroi d'honoraires extraordinaires.”.

En effet, si antérieurement à la loi du 8 août 1997, de nombreux barèmes des tribunaux de commerce ainsi qu'une certaine jurisprudence avaient largement qualifié de devoirs extraordinaires justifiant l'octroi d'honoraires particuliers des devoirs qui se rencontraient en réalité dans de nombreuses faillites (voy. A. Cloquet, Les Novelles. Droit Commercial, t. IV, Les concordats et la faillite, 3ème éd., Larcier, 1985, nos 2270-2272), tant les travaux préparatoires de la loi du 8 août 1997 que le rapport au Roi précédent l'arrêté royal du 10 août 1998 montrent la volonté du législateur de rompre radicalement avec cette pratique antérieure.

Le ministre de la Justice T. Van Parys, en son rapport au Roi, précise ainsi que “Le principe de la taxation forfaitaire ne doit qu'exceptionnellement être écarté. La raison essentielle en est que ce système est basé sur une compensation des manques à gagner subis par un curateur déterminé dans les faillites proportionnellement les moins rémunératrices, par une hausse relative des honoraires promérités par lui dans certaines faillites proportionnellement plus rémunératrices. Cette compensation globale ne peut jouer à sens unique en faveur du curateur, ce qui serait le cas si les devoirs ordinaires par nature dépassant le volume moyen des devoirs de ce type se métamorphosaient ipso facto, en devoirs extraordinaires.”.

Dans le même temps, le ministre de la Justice a précisé que l'application d'un coefficient correcteur au barème des indemnités proportionnelles, au contraire des honoraires extraordinaires, devait avoir vocation à être utilisé couramment par le tribunal de commerce afin de faire mieux correspondre le montant des honoraires avec la qualité des prestations accomplies par le curateur (Rapport au Roi, art. 3).

Maître Louis Dermine justifie essentiellement le droit à obtenir des honoraires extraordinaires en se fondant sur une étude de Maître H. Born (H. Born, “La notion de devoirs extraordinaires en matière de faillites et leur évaluation”, J.C.B. 1980, 261 et s.) où celui-ci relève deux catégories de devoirs exceptionnels:

- les devoirs qui sont accomplis par le curateur dans l'exercice de ses fonctions, mais qui excèdent quantitativement ou qualitativement la norme;

- ceux qui, excédant le cadre des fonctions spécifiques de curateur, sont en réalité accomplis par le curateur avant tout en sa qualité, soit de mandataire at litem (procès compliqué), soit de conseil technique (consultations juridiques spécialisées, expertises comptables) de la masse ou du failli et plus généralement, en tant que fournisseur de services et qu'un curateur non avocat ou non spécialiste de la branche dont il relève eût été en droit de confier à un tiers professionnellement ou techniquement mieux apte à l'accomplir, en passant le prix de son intervention en frais de gestion.

Cette étude de Maître H. Born est toutefois antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 8 août 1997 sur les faillites et à l'arrêté royal du 10 août 1998, les règles et barèmes relatifs à la fixation des honoraires et frais des curateurs. Or, comme énoncé ci-avant, tant les travaux préparatoires de la loi du 8 août 1997 que le rapport au Roi qui précèdent l'arrêté royal du 10 août 1998 montrent que la volonté du législateur a été de rompre radicalement avec la qualification très large des honoraires extraordinaires telle que celle-ci prévalait antérieurement à l'entrée en vigueur desdites dispositions légales.

De manière pertinente, dans son étude récente, Madame M.-Cl. Ernotte (M.-Cl. Ernotte, “Les frais et honoraires des curateurs”, R.D.C. 2005, 220 et s., spéc. 235-236) expose que le second critère dégagé dans l'étude précitée de Maître H. Born n'est plus pertinent actuellement dès lors que, depuis la loi du 8 août 1997, les curateurs sont choisis parmi les avocats, lesquels doivent en outre justifier d'une formation et d'une compétence dans la matière des faillites (voy. art. 27 de la loi du 8 août 1997). Il en résulte que le législateur attend du curateur que celui-ci soit à même, non seulement de remplir la mission qui incombe normalement à l'avocat dans le cadre d'une procédure judiciaire, mais également qu'il dispose de la formation requise pour mener à bien certaines tâches plus spécifiques inhérentes à une procédure de liquidation.

Or, comme le relève encore Madame M.-Cl. Ernotte, en l'état actuel du droit, particulièrement en matière d'action en responsabilité menée par les curateurs à l'égard des anciens administrateurs voire des actionnaires, le curateur se voit nécessairement confronté à des problèmes juridiques parfois complexes qu'un non juriste ne pourrait éluder seul mais qui, en tant que tel, ne peuvent d'emblée être considérés comme des devoirs extraordinaires.

Il n'est d'ailleurs pas contestable qu'actuellement qu'un certain nombre de faillites nécessite que la curatelle introduise une ou plusieurs actions en responsabilités à l'encontre des fondateurs, dirigeants de droit ou de fait en vue de récupérer diverses sommes dans l'intérêt de la masse.

Si de nombreuses procédures sont ainsi diligentées par les diverses curatelles dans l'intérêt de la masse, il appert que lesdites curatelles ne sollicitent qu'exceptionnellement, eu égard à des circonstances particulières, l'octroi d'honoraires extraordinaires et que dès lors depuis l'entrée en vigueur de la loi du 8 août 1998, lesdites curatelles considèrent comme faisant partie de leurs devoirs habituels d'examiner et le cas échéant de rechercher, la responsabilité des fondateurs, actionnaires et dirigeants de l'entreprise faillie.

En l'espèce, il n'est pas établi que les devoirs accomplis par Maître Louis Dermine étaient d'une complexité matérielle ou juridique relevant d'un niveau de spécialisation élevé tels qu'il justifiait le recours à un tiers spécialisé, ressortissaient à l'évidence à la compétence du juriste qu'est le curateur; compétence qui a justifié dans l'esprit du législateur de réserver la fonction de curateur aux seuls avocats (voy. Comm. Bruxelles (ch. des taxations) 8 décembre 1999, DAOR 2000, 145).

Si les devoirs accomplis par Maître Louis Dermine sont manifestement le résultat de son attention et du travail dans l'intérêt de la masse dont il a fait preuve, il ne s'agit là cependant que des qualités élémentaires requises pour justifier dans l'esprit du tribunal, de désigner tel avocat repris sur la liste prévue à cet effet en qualité de curateur (voy. Comm. Bruxelles (ch. des taxations) 8 décembre 1999, DAOR 2000, 145).

Il reste toutefois en défaut d'établir que ce travail et cette attention doivent être assimilés à des devoirs extraordinaires à rémunérer séparément sur base de l'article 7 de l'arrêté royal du 10 août 1998, les règles et barèmes relatifs à la fixation des honoraires et frais des curateurs.

Tenant compte de l'ensemble des considérations exprimées ci-avant, le tribunal estime qu'en l'espèce l'octroi d'honoraires extraordinaires ne se justifie point.

Le cas échéant, les éléments que fait valoir le curateur semblent plutôt relever par nature des circonstances énoncées à l'article 3 alinéa 2 de l'arrêté royal du 10 août 1998 relative à l'application d'un coefficient correcteur. Ce coefficient correcteur n'est toutefois susceptible d'être déterminé que lorsque la faillite est en état d'être clôturée. En effet, il ressort notamment du rapport au Roi que l'application du coefficient correcteur sera fonction de l'appréciation globale que le tribunal de commerce va porter sur la façon dont la faillite a été administrée (voy. Comm. Charleroi (32ème ch.) 2 novembre 2000, J.L.M.B. 2001, 1750 ).

En effet, le coefficient réducteur ou multiplicateur permet de tenir compte des spécificités de chaque cas et des difficultés plus ou moins grandes rencontrées, cette possibilité d'adaptation montrant la volonté de ne pas traiter de manière uniforme des affaires différentes mais au contraire celle de tenir compte avec souplesse des prestations réelles nécessaires à l'administration de chaque faillite (Liège 25 mai 2000, R.R.D. 2000, 487).

Par ces motifs,

Le tribunal de commerce,

Statuant en degré d'appel,

Dit n'y avoir lieu à allouer des honoraires extraordinaires.

(...)