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Le contrôle des amendes infligées par la Commission bancaire, financière et des assurances et les pouvoirs de la cour d'appel de Bruxelles, R.D.C.-T.B.H., 2006/8, p. 787-796

Le contrôle des amendes infligées par la Commission bancaire, financière et des assurances et les pouvoirs de la cour d'appel de Bruxelles

David De Roy  [1]

TABLE DES MATIERES

I. L'arrêt du 19 janvier 2006

II. Le contrôle “de pleine juridiction” de la cour d'appel de Bruxelles: quelques repères II.1 La loi du 2 août 2002 et les travaux préparatoires

II.2. La jurisprudence de la cour d'appel de Bruxelles relative au contrôle des décisions de la CBFA

II.3. La cour d'appel de Bruxelles et les autorités administratives indépendantes de régulations économiques

III. Le pouvoir d'infliger une nouvelle amende

IV. Conclusion

RESUME
Le contrôle juridictionnel des autorités administratives indépendantes de régulation suscite de nombreuses questions, particulièrement en ce qui concerne l'étendue des pouvoirs du juge; tel est notamment le cas des pouvoirs octroyés à la cour d'appel de Bruxelles, à l'égard de certaines de ces autorités. Si l'exercice d'un pouvoir de substitution est admis en théorie lorsque la juridiction annule la décision d'une autorité de régulation, la jurisprudence révèle les difficultés que cause la mise en oeuvre concrète de ce pouvoir. Un arrêt rendu par la cour d'appel de Bruxelles le 19 janvier 2006 a trait au pouvoir de réformation d'une décision par laquelle la Commission bancaire, financière et des assurances inflige une amende administrative; son analyse offre l'occasion de revenir sur cette problématique et d'observer les évidentes lacunes du cadre législatif.
SAMENVATTING
De gerechtelijke controle van de onafhankelijke administratieve toezichthoudende overheden werpt talrijke vragen op, in het bijzonder wat de omvang van de bevoegdheden van de rechter betreft; dit is o.m. het geval voor de aan het hof van beroep van Brussel toebedeelde bevoegdheden, m.b.t. een aantal van deze overheden. Zo het uitoefenen van een substitutiebevoegdheid in theorie toegelaten is wanneer het hof de beslissing van een reguleringsinstantie vernietigt, blijkt uit de rechtspraak dat de concrete uitoefening van deze bevoegdheid moeilijk ligt. Een arrest dat op 19 januari 2006 door het hof van beroep te Brussel werd gewezen heeft betrekking op de hervormingsmacht van een beslissing waarbij de Commissie voor het Bank-, Financie- en Assurantiewezen een administratieve geldboete oplegt; de studie van dit arrest biedt de gelegenheid om deze problematiek te kaarten en om de evidente lacunes van de wetgeving vast te stellen.

1.Il paraîtra relever des lieux communs d'observer que le contrôle juridictionnel des actes des autorités administratives indépendantes de régulation soulève de délicates questions. Maintes fois posées [2], celles-ci n'en apparaissent que plus pertinentes chaque fois qu'une décision amène le juge à exprimer la conception qu'il entend défendre de sa compétence, de ses pouvoirs et des modalités suivant lesquelles la procédure peut être conduite en son prétoire. Ce constat s'impose particulièrement dans le cadre des compétences spécifiques de la cour d'appel de Bruxelles, pour lesquelles les silences du législateur contraignent cette juridiction à tracer les contours du rôle qu'il lui incombe de jouer. Parmi ces questions récurrentes, celles de la nature et de l'étendue des pouvoirs du juge retiennent l'attention, en ce qu'elles conduisent notamment à s'interroger sur la reconnaissance, au profit de la cour d'appel de Bruxelles, d'un pouvoir de substitution à l'autorité de régulation dont elle contrôle la décision.

Un arrêt du 19 janvier 2006 [3] amène la cour d'appel à se substituer à la Commission bancaire, financière et des assurances (ci-après désignée CBFA) à l'occasion du contrôle d'une décision par laquelle cette autorité de régulation inflige une amende dans le cadre d'une offre publique d'acquisition.

I. L'arrêt du 19 janvier 2006

2.Dans le cadre d'une offre publique d'acquisition portant sur des certificats immobiliers régie par la loi du 22 avril 2003 relative aux offres publiques de titres, la CBFA est amenée à prendre une décision par laquelle elle inflige à la société qui a pris l'initiative de l'offre une amende administrative d'un montant de 50.000 euros. Elle ordonne également à la société sanctionnée de publier cette décision sur son site internet et d'en informer la presse. À l'origine de cette sanction, la CBFA reprochait à l'offrant deux manquements à la législation précitée, à savoir, d'une part, d'avoir publié un prospectus différent de celui qu'elle avait approuvé et, d'autre part, d'avoir publié une annonce qui ne lui avait pas été préalablement soumise.

3.Dès lors que cette décision lui fait grief, la société sanctionnée forme contre celle-ci un recours tendant à son annulation ou, à titre subsidiaire, à une réduction “à un montant raisonnable”. La CBFA conclut [4] au rejet du recours et, à titre subsidiaire, soutient que, “si la cour devait constater l'irrégularité de la décision, il lui appartiendrait de sanctionner comme de droit les manquements commis par” la société (ce qui revient, à l'estime de la CBFA, à confirmer les amendes prononcées).

4.À la faveur d'un contrôle de régularité de la procédure à l'issue de laquelle la décision litigieuse a été adoptée, la cour d'appel de Bruxelles décide qu'elle est viciée par l'apparence de partialité affichée par le comité de direction de la CBFA, et que ce vice doit conduire à l'annulation de la décision, ainsi qu'à un “nouvel examen de la cause” [5]. S'y employant, elle décide que n'est pas établie l'infraction consistant à avoir publié un prospectus différent de celui qui avait été approuvé, mais bien celle qui consiste à avoir publié une annonce non soumise à la CBFA. Cette infraction vaut alors à la société qui avait lancé l'offre publique, d'être condamnée au paiement d'une “nouvelle” amende.

5.En infligeant cette nouvelle amende, la cour d'appel exerce ainsi un véritable pouvoir de réformation, l'amenant à substituer son appréciation à celle de l'autorité dont elle vient d'annuler la décision. L'exercice de ce pouvoir ne semble pas avoir fait débat en l'espèce, puisque la cour ne consacre aucun développement à son fondement, sa portée ou encore ses limites [6]. Pourtant, sur cette question, l'arrêt se distingue nettement d'autres décisions récentes, dans lesquelles la cour d'appel s'explique plus longuement sur les conditions au respect desquelles elle estime devoir subordonner l'exercice d'un pouvoir de réformation, ou sur les circonstances qui, au contraire, y font obstacle. Ce contraste incite l'observateur à se demander si le pouvoir de réformation de sanctions administratives infligées par une autorité de régulation est à ce point évident qu'il dispense la cour d'appel de décrire la conception qu'elle défend de ses pouvoirs à l'égard de tels actes. Après avoir brièvement situé les repères au regard desquels peuvent être envisagées, de manière générale, la nature et l'étendue des pouvoirs de la cour d'appel à l'égard de certaines autorités de régulation (II), nous nous interrogerons plus particulièrement sur le pouvoir d'infliger une nouvelle amende, en lieu et place de celle que la cour a préalablement mise à néant (III).

II. Le contrôle “de pleine juridiction” de la cour d'appel de Bruxelles: quelques repères

6.Une approche de l'étendue et de la nature des pouvoirs conférés à la cour d'appel de Bruxelles incite naturellement à examiner les dispositions légales pertinentes et à tenter de les interpréter (II.1.). Les silences du législateur et les questions qu'il laisse sans réponses recommandent alors de se tourner vers les enseignements dispensés par la cour d'appel de Bruxelles dans ses arrêts relatifs au contentieux de la CBFA (II.2.) ou d'autres autorités de régulation (II.3.).

II.1 La loi du 2 août 2002 et les travaux préparatoires

7.L'article 121 de la loi du 2 août 2002 dispose qu'à l'encontre des décisions de la CBFA qu'il identifie, “un recours est ouvert auprès de la cour d'appel de Bruxelles”. Le législateur n'a toutefois pas précisé la nature de ce recours, pas plus que l'étendue des pouvoirs ainsi conférés à la juridiction désignée [7]. C'est donc spontanément vers les travaux préparatoires, et plus particulièrement l'Exposé des motifs, que l'observateur se tournera pour tenter d'interpréter cette disposition: le gouvernement y expose les conceptions sous-jacentes au projet de loi; celles-ci ne paraissant pas avoir été remises en cause au cours des débats parlementaires, elles peuvent donc être considérées comme témoignant de la volonté du législateur.

8.Le gouvernement appréhende avant tout ce recours sous l'angle de la répartition des attributions entre le Conseil d'État et les juridictions de l'ordre judiciaire: les actes de la CBFA devraient, en vertu de l'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'État, faire l'objet d'un recours en annulation devant la haute juridiction administrative; il a toutefois paru préférable de “centraliser le contentieux relatif à certaines matières rentrant dans les missions de contrôle dévolues à la [CBFA] au sein d'une seule juridiction, la cour d'appel de Bruxelles” [8]. L'article 121 de la loi du 2 août 2002 n'aurait donc d'autre portée que de déroger à la compétence de principe du Conseil d'État. Interprétée en ce sens, cette disposition imposerait de considérer que la cour d'appel de Bruxelles, à l'instar du Conseil d'État, ne peut excéder les limites d'un contrôle de légalité, l'amenant - le cas échéant - à censurer la décision litigieuse: telle est la caractéristique du “contentieux objectif” auquel se réfère d'ailleurs l'auteur du projet [9].

9.Sans transition - et sans crainte d'un risque de confusion [10] - le Gouvernement précise que les recours ouverts au titre de l'article 121 précité sont des “recours de pleine juridiction”, qui permettent à la juridiction de “substituer entièrement son appréciation à celle de l'autorité dont la décision est attaquée, dans tous ses aspects de fait et de droit” [11]; “la cour d'appel de Bruxelles peut donc non seulement annuler mais également réformer la décision de l'autorité administrative et substituer à celle-ci sa propre décision” [12]. L'organisation d'un recours de pleine juridiction semble justifiée par le souci “d'assurer au justiciable la prise en compte la plus étendue de ses droits”, particulièrement “dans le cadre des compétences reconnues à la [CBFA] d'infliger des amendes administratives” [13].

10.Enfin, probablement embarrassé par le contraste entre un discours aussi précis sur la nature des pouvoirs de la cour d'appel de Bruxelles et le silence dont il suggère au législateur de faire preuve au travers de l'article 121, le gouvernement paraît conscient des difficultés auxquelles il expose la cour d'appel à ce propos, et des incertitudes en lesquelles le projet de loi plonge les acteurs concernés: “le gouvernement fait confiance à la sagesse de la cour d'appel de Bruxelles qui, dans l'exercice de ses nouvelles compétences exclusives, pourra définir une jurisprudence stable et le cas échéant, préciser et nuancer les limites de son contrôle, selon le type de recours qu'elle est appelée à connaître. La cour d'appel de Bruxelles pourra ainsi déterminer, au cas par cas, le degré de “marginalité” du contrôle qu'elle entendra exercer sur l'action de l'autorité administrative. Le fait que le législateur lui reconnaisse un pouvoir de contrôle de pleine juridiction évitera à la cour d'appel de devoir débattre de la nature même de son contrôle. Elle pourra librement choisir les motifs de la réformation éventuelle des décisions qui lui seront soumises, sans avoir à s'inquiéter de ce que ces motifs excéderaient la nature d'un contrôle par hypothèse limité” [14].

11.Ainsi investie de la confiance du législateur en sa sagesse, la cour d'appel se trouve simultanément nantie d'une prérogative d'autodétermination de ses pouvoirs et - revers de la médaille - contrainte de définir le rôle qu'elle jouera sur un terrain où l'articulation entre les interventions respectives des différents acteurs [15] se révèle pourtant si délicate.

II.2. La jurisprudence de la cour d'appel de Bruxelles relative au contrôle des décisions de la CBFA

12.Les arrêts rendus au titre de l'article 121 précité sont à ce jour peu nombreux. Si l'on excepte deux arrêts des 25 février [16] et 1er juillet 2005 [17] dans lesquels la cour d'appel n'examine pas la nature et l'étendue de ses pouvoirs, et l'arrêt du 19 janvier 2006 auquel une attention particulière est accordée dans le cadre de cette contribution, seul un arrêt du 10 février 2006 [18] livre un enseignement utile à la définition des pouvoirs de contrôle à l'égard des actes de la CBFA, particulièrement en ce qui concerne la “pleine juridiction” [19]: la cour d'appel y trace, par quelques lignes directrices, les limites de son pouvoir de réformation.

13.Dans le cadre d'une offre publique d'acquisition sur certificats immobiliers, l'offrant demande notamment à la cour d'appel de Bruxelles de mettre à néant une décision par laquelle la CBFA constate que le dossier introduit par celui-ci n'est pas complet sur le plan de l'information des porteurs et de déclarer que la CBFA ne disposait pas d'éléments objectivement justifiés pour refuser cette approbation. C'est précisément ce deuxième chef de demande qui amène la cour d'appel à préciser les conditions d'exercice de ses pouvoirs.

14.Après avoir visé explicitement le pouvoir de réformation que lui reconnaît la loi [20] et dont il lui revient de déterminer l'étendue et les limites “cas par cas”, la cour énonce les trois conditions au respect desquelles est subordonné l'exercice de ce pouvoir [21]. Primo, la juridiction de la cour “s'exerce dans les limites des compétences de la CBFA et dans le respect de la nature des pouvoirs confiés à cette autorité”. Secundo, un pouvoir de substitution “ne se conçoit que dans le cas d'une décision de la CBFA préalablement annulée” à la suite du contrôle de légalité. Tertio, “la possibilité d'exercer un pouvoir de réformation et la latitude d'appréciation dont la cour dispose doivent s'apprécier, cas par cas, en fonction des modalités procédurales et des formalités auxquelles la CBFA est assujettie pour prendre sa décision et les garanties qui y sont liées et en tenant compte de l'étendue des moyens requis pour procéder aux contrôles nécessaires pour opérer des choix”.

15.Appliquant ces principes à la demande dont elle est saisie, la cour d'appel, après s'être assurée de ce qu'elle disposait “de tous les éléments nécessaires pour apprécier le caractère complet et adéquat de l'information contenue dans le prospectus”, constate qu'une des indications contenues dans le projet de prospectus ne pouvait être approuvée en raison de ce qu'elle est de nature à induire le public en erreur. En conséquence, elle décide que la demande doit être rejetée, en ce qu'elle tend à voir déclarer que “la CBFA ne disposait pas d'éléments pour refuser d'approuver le prospectus” [22].

II.3. La cour d'appel de Bruxelles et les autorités administratives indépendantes de régulations économiques

16.À l'égard d'autres autorités de régulation avec lesquelles un certain parallélisme [23] peut être établi, la cour d'appel a également développé sa jurisprudence relative à l'étendue de ses pouvoirs.

Sans prétendre passer en revue l'ensemble des décisions de la cour d'appel en lesquelles est en jeu l'exercice d'un pouvoir de substitution à l'autorité de régulation, il nous paraît utile d'en épingler quelques-unes, significatives, par les développements qu'y consacre la cour d'appel, des conditions dans lesquelles un tel pouvoir peut être reconnu, ou, au contraire, des obstacles à cette reconnaissance.

17.Dans une affaire qui a donné lieu à un arrêt du 18 juin 2004, la cour d'appel de Bruxelles était notamment appelée à se prononcer sur un chef de demande qui devait la contraindre à substituer une décision à celle, mise à néant dans le cadre de cette instance, de l'Institut belge des services postaux et des télécommunications (ci-après désigné IBPT) [24]. Tout en admettant que le législateur lui a attribué une compétence de pleine juridiction se traduisant notamment dans l'exercice d'un pouvoir de réformation de la décision litigieuse de l'IBPT [25], la cour subordonne l'exercice de ce pouvoir à la possibilité effective de substituer sa décision à celle du régulateur, ce qui suppose, d'une part, qu'elle ne heurte pas le principe de séparation des pouvoirs en privant l'IBPT de son pouvoir d'appréciation et, d'autre part, qu'elle ne prenne pas une décision au mépris de formalités préalables dont les dispositions légales et réglementaires imposent l'accomplissement à l'autorité de régulation [26].

18.Dans le cadre de recours dirigés contre une décision de l'IBPT, relative aux coûts de portage des numéros mobiles, la cour d'appel était invitée à mettre à néant la décision du régulateur et à fixer les coûts d'établissement qui faisaient l'objet de la décision attaquée. Dans son arrêt du 14 octobre 2004 [27], la cour d'appel décide de poser à la Cour de justice des Communautés européennes plusieurs questions préjudicielles dont les réponses lui permettront de statuer sur le bien-fondé du recours en annulation. Sans attendre, elle rejette le recours en ce qu'il tend à la réformation de la décision litigieuse, dès lors que celle-ci revêt un caractère réglementaire et que, à l'estime de la cour, “en organisant un recours de pleine juridiction devant la cour d'appel de Bruxelles contre les décisions de l'IBPT, réglementaires ou individuelles, le législateur national n'a pas entendu lui confier un pouvoir réglementaire” et qu'“en conséquence, le pouvoir de réformer un acte réglementaire en lui substituant d'autres dispositions ne saurait entrer dans les attributions de la cour” [28].

19.À proximité du contentieux des autorités sectorielles de régulation, le recours formé contre une décision d'admissibilité d'une opération de concentration, prise par le Conseil de la concurrence, a amené la cour d'appel à préciser - à la faveur d'une approche tranchant, semble-t-il [29], singulièrement avec la jurisprudence développée précédemment en ce domaine - la nature et les limites du contrôle juridictionnel qu'elle exerce sur les décisions du Conseil de la concurrence. À la faveur d'une motivation relativement développée, l'arrêt du 15 septembre 2005 décide en substance que le contrôle exercé par la cour d'appel porte exclusivement sur la légalité de la décision litigieuse et qu'il ne lui permet pas de réformer la décision qu'elle a, le cas échéant, mise à néant [30]. Cette approche du contrôle juridictionnel repose sur des arguments divers dont les principaux sont le défaut de pouvoir discrétionnaire dans le chef de la cour d'appel, l'insuffisance des moyens d'investigation dont elle disposerait, le souci de respecter les garanties procédurales que la loi accorde aux entreprises dans le cadre du contrôle des opérations de concentrations par le Conseil de la concurrence et les exigences liées à la sécurité juridique [31]. Pour limiter de la sorte l'étendue de son contrôle, la cour considère que le silence du législateur, à cet égard, ne peut s'interpréter comme l'habilitant à exercer les pouvoirs dévolus en cette matière à l'autorité de concurrence [32]; ce faisant, elle suggère - si besoin en était encore - combien les silences du législateur peuvent se révéler lourds de conséquences dans l'analyse de la nature et des limites du contrôle juridictionnel des autorités de régulation.

20.Dans l'affaire qui a donné lieu à un arrêt du 25 octobre 2005, un opérateur de téléphonie avait demandé à l'IBPT l'accès à des documents qui devaient lui permettre de vérifier si l'un de ses concurrents respectait, ou non, les dispositions légales et réglementaires applicables à ses activités. Suite au refus (à tout le moins implicite) de l'IBPT, de réserver une suite favorable à cette demande, l'opérateur saisit la cour d'appel de Bruxelles d'un recours tendant, d'une part, à l'annulation de la décision (implicite) de refus et, d'autre part, à voir la juridiction imposer à l'IBPT, sous peine d'astreinte, de communiquer à la demanderesse une copie des documents que détient le régulateur, relativement au respect, par le concurrent, des obligations légales auxquelles est soumis le développement d'un réseau de téléphonie mobile. Pour statuer sur ce deuxième chef de demande (après avoir annulé la décision litigieuse), la cour d'appel devait mesurer l'étendue des pouvoirs que lui confère la loi. Elle décide, à ce propos, que “de uitoefening van de volle rechtsmacht impliceert dan niet dat het hof een beslissing in de plaats moet stellen van deze die het heeft vernietigd en het daarbij de bevoegdheid uitoefent die toekomt aan de overheid die de vernietigde beslissing heeft getroffen” [33]. Elle poursuit cependant dans les termes suivants: “De uitoefening van die rechtsmacht belet nochtans niet om vast te stellen dat de beslissing over de aanvraag inhoudelijk hoe dan ook niet wettig kon worden getroffen. Zulks is het geval wanneer de inwilliging van de beroepsgrieven er alleen maar kan toe leiden dat het tegenovergestelde diende te worden beslist.” [34]. Cette affirmation de principe n'empêchera pas la cour d'appel de considérer que - l'examen des griefs formulés à l'encontre de la décision litigieuse conduisant à décider qu'aucune des hypothèses d'exclusion du droit d'accès aux documents de l'IBPT n'est rencontrée - l'autorité de régulation doit mettre l'opérateur en mesure d'exercer son droit d'accès ainsi constaté; l'arrêt ne prononce toutefois aucune condamnation en ce sens, à charge de l'IBPT.

21.Enfin, un arrêt rendu le 12 mai 2006 mérite également d'être brièvement évoqué. Dans le cadre d'un recours introduit par Belgacom contre une décision par laquelle l'IBPT lui enjoint de modifier son offre de référence pour le dégroupage de l'accès à sa boucle locale pour l'année 2004, l'opérateur demande notamment à la cour de mettre à néant la décision querellée et de confirmer l'offre qu'il avait initialement soumise au régulateur. À l'IBPT qui invitait la cour “à déclarer le recours de Belgacom non fondé à défaut pour Belgacom de produire des éléments précis et concrets qui permettraient de modifier la décision attaquée dans un sens déterminé, ce qui mettrait la cour dans l'incapacité de substituer sa propre décision à celle de l'IBPT” [35], la cour répond [36] qu'il lui appartient de “déterminer, pour chacun des griefs pris séparément, si elle doit se limiter à un contrôle de la légalité de la décision attaquée ou si elle est habilitée à substituer son appréciation à celle de l'IBPT” [37]. L'approche “casuistique” de la nature des pouvoirs de la cour d'appel s'y révèle ainsi encore plus précise que là où elle est déterminée par le “type de recours” [38]. Statuant, par ailleurs, sur la demande de Belgacom, en ce qu'elle tendait à voir confirmer son offre de référence, la cour rejette cette demande au motif qu'“il ne résulte d'aucune disposition qu'une offre de référence sur l'accès dégroupé à la boucle locale doit être approuvée pour avoir des effets. Le pouvoir de l'IBPT d'exiger des modifications de l'offre de référence n'implique pas celui de l'approuver et l'absence d'objection ne vaut pas approbation de l'offre de référence”. Cette analyse confirme (à tout le moins implicitement) l'une des conditions au respect desquelles la cour d'appel soumet l'exercice d'un pouvoir de substitution, à savoir le respect des compétences et pouvoirs de l'autorité de régulation [39]: là où une “confirmation” aurait pu ressortir au pouvoir de substitution de la cour d'appel, celui-ci ne peut trouver à s'exercer à l'égard d'un tel chef de demande, dès lors qu'il ne relève pas des compétences de l'IBPT d'approuver pareille offre pour qu'elle produise des effets.

III. Le pouvoir d'infliger une nouvelle amende

22.De toute évidence, la réformation d'une décision de condamnation au paiement d'une amende ne se heurte pas à certaines des objections qu'a précédemment opposées la cour d'appel à l'exercice d'un pouvoir de substitution: ainsi, par exemple, en infligeant une “nouvelle” amende, le juge n'exerce aucun pouvoir réglementaire [40] et ne prend pas une décision dont l'adoption doit être assortie de formalités peu compatibles avec la procédure suivie dans le cadre d'un recours juridictionnel [41]. En revanche, on peut difficilement soutenir que, ce faisant, le juge n'empiète pas sur le domaine d'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'autorité administrative, et plus particulièrement sur les parcelles laissées à l'appréciation de celle-ci. On ne peut, en effet, raisonnablement contester que la fixation du montant de l'amende relève - à tout le moins dans une certaine mesure [42] - du pouvoir d'appréciation de la CBFA, et que la substitution d'une “nouvelle” amende par le juge amène celui-ci à substituer sa propre appréciation à celle de l'autorité administrative.

23.Sans se risquer à déceler dans l'arrêt du 19 janvier 2006 un revirement ou une contradiction au regard des décisions brièvement évoquées [43], on ne manquera pas de relever un contraste évident entre celui-là et celles-ci: alors que, pour répondre aux “silences” volontaires du législateur, la cour d'appel prend toujours soin de développer les arguments sous-jacents à la conception qu'elle entend, au cas par cas, défendre de ces pouvoirs, elle fait l'économie de cet exposé dans l'arrêt du 19 janvier 2006. Le pouvoir de réformation des amendes administrative serait-il à ce point évident qu'il dispense la cour d'appel d'en décrire les fondements, limites et modalités d'exercice? C'est ici qu'on se demandera si la solution retenue dans l'arrêt du 19 janvier 2006 ne reflète pas une conception suivant laquelle le contrôle des sanctions administratives serait appréhendé en termes spécifiques, admettant sans réserve un pouvoir de réformation, là où l'exercice d'un tel pouvoir peut faire débat à propos d'autres actes d'autorités de régulation. Les éventuels indices d'une telle approche spécifique seront avant tout recherchés dans la loi du 2 août 2002 et ses travaux préparatoires.

24.La loi du 2 août 2002 et les travaux préparatoires. Si l'on excepte la reconnaissance du caractère nécessairement suspensif du recours formé contre les décisions infligeant une astreinte ou une amende administrative [44], la loi du 2 août 2002 ne ménage pas de distinction significative entre les différentes catégories d'actes de régulation pour ce qui concerne l'organisation des recours juridictionnels devant la cour d'appel de Bruxelles. S'agissant plus particulièrement de la nature et de l'étendue des pouvoirs du juge, il ressort des travaux préparatoires que le législateur a tenu - pour l'ensemble des actes du régulateur - à organiser un recours de pleine juridiction, “particulièrement souhaitable dans le cadre des compétences reconnues à la CBFA d'infliger des amendes administratives” [45]. Il est soutenu, par ailleurs, que les exigences déduites de l'article 6 CEDH (se traduisant dans le souci de voir la décision infligeant une sanction administrative soumise à un contrôle “par une autorité judiciaire saisie de tous les aspects de fait et de droit” [46]) sont rencontrées par le recours de pleine juridiction ouvert devant la cour d'appel de Bruxelles [47]. Le législateur n'a manifestement pas entendu exprimer la volonté de ménager une distinction, dans l'étendue du contrôle juridictionnel, entre les amendes administratives et les autres actes de régulation, au point que la cour d'appel de Bruxelles puisse trouver dans la loi du 2 août 2002 la source d'un pouvoir “indiscutable” [48] de réformation des amendes. L'éventuelle spécificité du contrôle juridictionnel de celles-ci tiendrait alors peut-être davantage à un courant jurisprudentiel et doctrinal plaidant en faveur d'un pouvoir juridictionnel de réduction des amendes administratives.

25.Le contrôle juridictionnel des sanctions administratives - Évolutions récentes. Pour rappel, à la faveur d'une lente évolution, sans doute provoquée - à tout le moins partiellement - par la notion de “pleine juridiction” suivant les exigences déduites de l'article 6 CEDH, la Cour de cassation a, par touches successives, cerné l'étendue et tracé les limites du contrôle juridictionnel des sanctions administratives, particulièrement dans les matières fiscales et sociales [49]. Elle semble aujourd'hui admettre [50] que le juge saisi d'un recours formé contre l'une de ces sanctions puisse la réduire au nom du principe de proportionnalité. En revanche, la jurisprudence de la Cour laisse encore très incertaine la réponse à la question de savoir si le juge qui a annulé une sanction administrative peut en infliger une nouvelle [51]. La reconnaissance d'un tel pouvoir de substitution à l'égard de sanctions administratives semble d'ailleurs dépasser l'approche strasbourgeoise de la “pleine juridiction” et relever davantage de conceptions véhiculées dans le système belge de contentieux administratif [52].

26.Un enseignement utile? Si la décision de la cour d'appel, dans l'arrêt annoté, devait s'analyser en une réduction du montant de l'amende infligée par la CBFA au titre du contrôle de proportionnalité - ce qu'avait demandé à titre subsidiaire la société sanctionnée - l'arrêt paraîtrait s'inscrire dans la ligne des récents enseignements jurisprudentiels et doctrinaux dont question ci-dessus. Cette solution serait conforme à une lecture de l'article 121 de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers, suivant laquelle - en dépit de son silence à cet égard - le législateur a entendu soumettre les sanctions administratives à un “contrôle de pleine juridiction” permettant leur réduction conformément aux exigences déduites de l'article 6 CEDH.

27.Cependant, - ainsi qu'on l'a déjà suggéré - la cour d'appel ne procède pas, dans l'arrêt annoté, à une réduction du montant de l'amende initialement infligée [53], mais bien à l'adoption d'une décision infligeant une nouvelle amende; on n'eût parlé de réduction que si la juridiction n'avait pas remis en cause la décision de la CBFA, mais seulement ses effets, qu'elle eût limités en revoyant “à la baisse” un montant jugé excessif. Or, en l'espèce, la cour d'appel a décidé que le vice de légalité entachant la décision d'infliger une amende devait conduire à l'annulation de celle-ci, ainsi qu'à un “nouvel examen de la cause”. Cette perspective suppose la reconnaissance, par la cour d'appel, de son pouvoir de substitution dans des matières laissées à la discrétion de l'autorité administrative, alors que, par ailleurs, elle se montre soucieuse de ne pas heurter le principe de séparation des pouvoirs par l'invasion des parcelles d'appréciation discrétionnaire de l'autorité administrative indépendante. Le pouvoir que la cour d'appel exerce en l'espèce pourrait s'autoriser d'un raisonnement suivant lequel une substitution à la CBFA découle des exigences du contrôle juridictionnel des sanctions administratives. En d'autres termes, le caractère de “sanction” de la décision litigieuse justifierait qu'elle soit soumise à un contrôle juridictionnel s'exerçant selon des modalités spécifiques, lesquelles se traduiraient notamment dans l'attribution d'un pouvoir plus étendu au juge. Celui-ci jouirait ainsi de la faculté de concevoir différemment son pouvoir de contrôle suivant l'objet et les caractéristiques des décisions déférées à sa censure [54]. Pareille approche apparaîtrait ainsi conforme à la faculté laissée à la cour d'appel de Bruxelles de déterminer “cas par cas” l'étendue de son contrôle, d'une part, et aux conditions desquelles elle assortit l'exercice d'un pouvoir de réformation [55]. Par ailleurs, cette conception rejoindrait les réflexions et questions que suscite depuis longtemps la situation particulière des sanctions administratives dans l'organisation du contrôle juridictionnel des actes des autorités de régulation [56].

28.Sans doute satisfaisante au regard du souci de cohérence “interne” de la jurisprudence de la cour d'appel de Bruxelles, cette analyse suscite inévitablement de nouvelles questions ou observations témoignant des incertitudes que suscite la nature du contentieux attribué à cette juridiction. Trois réflexions sont rapidement suggérées.

29.Le mieux serait-il l'ennemi du bien? Cette reconnaissance du pouvoir de substituer une nouvelle amende mène à une situation pour le moins paradoxale dans laquelle - sous prétexte de garantir la protection juridictionnelle la plus étendue, en soumettant le contrôle des amendes à un contrôle de pleine juridiction - ce même administré se voit exposé au risque d'une nouvelle sanction, alors que son recours - de type “objectif”, rappelons-le - tend uniquement à l'annulation de la sanction [57]. On se demandera si cet effet “pervers” d'un détour par la “pleine juridiction” n'est pas provoqué par l'ambiguïté qui caractérise cette notion. Celle-ci réfère tantôt à l'étendue du contrôle juridictionnel (éléments de fait et de droit, proportionnalité,…), tantôt à la nature des pouvoirs exercés dans le cadre de ce contrôle [58]. Le courant jurisprudentiel évoqué ci-dessus procédait initialement de la première acception. Un glissement (ou une extension) vers la seconde, probablement inspiré par la conception de l'appel en matière pénale [59], conduit - nous semble-t-il - à une dérive au regard de la conception “objective” du contentieux.

30.Contentieux objectif et rôle du juge. Bien qu'il ait attribué à la cour d'appel de Bruxelles un pouvoir de pleine juridiction, le législateur n'a jamais prétendu disqualifier le contentieux normalement attribué au Conseil d'État, en lui déniant son caractère “objectif”. Cela étant, en se livrant à un “nouvel examen de la cause”, la cour d'appel semble davantage - ainsi qu'on vient de le suggérer - intervenir à la manière d'une juridiction saisie de l'appel d'un jugement qui a infligé une sanction pénale [60]. Par la substitution d'une nouvelle “peine” à celle dont l'annulation était demandée, la cour d'appel ne dépasserait-elle pas le rôle de censeur de l'acte administratif naturellement joué par le juge saisi d'un recours formé dans le cadre d'un contentieux objectif?

31.Contentieux objectif et rôle des parties. Les règles de conduite du procès civil offrent aux parties l'occasion de jouer, le cas échéant, plusieurs rôles: ainsi, par exemple, le défendeur peut-il, à son tour, former une demande par voie reconventionnelle. Si les dispositions du Code judiciaire sont applicables aux recours ouverts auprès de la cour d'appel de Bruxelles, à l'encontre des actes de certaines autorités de régulation, c'est toutefois à la condition, définie par l'article 2 du Code judiciaire, qu'il n'y soit pas fait obstacle par des dispositions légales non expressément abrogées ou par des principes de droit dont l'application n'est pas compatible avec celle des dispositions dudit Code. La cour d'appel de Bruxelles l'a rappelé à diverses reprises, et notamment dans un arrêt rendu le 9 décembre 2005, à l'occasion duquel, statuant sur le droit d'intervention d'un opérateur dans le cadre de l'instance ouverte par le recours d'un de ses concurrents, elle souligne qu'elle doit appliquer les dispositions du Code judiciaire “en tenant compte du fait que le recours organisé par la loi précitée présente un caractère objectif, vu la nature de l'acte attaqué” [61]. Appliqué à la problématique qui retient l'attention en l'espèce, ce même enseignement déduit de l'article 2 du Code judiciaire ne devrait-il pas s'opposer à ce que l'autorité de régulation forme une demande et dépasse ainsi les limites du rôle généralement assigné à la “partie adverse” dans le cadre d'un contentieux objectif, à savoir se borner à tenter de démontrer la légalité de la décision litigieuse? Sans doute ouverte, la question mérite à tout le moins d'être posée.

IV. Conclusion

32.Y aurait-il lieu de distinguer les pouvoirs de la cour d'appel, selon que les décisions soumises à son contrôle ont, ou non, trait à des astreintes ou amendes administratives? La distinction a été suggérée [62] et l'arrêt rendu le 19 janvier 2006 pourrait en offrir une illustration. Le choix posé par la cour d'appel de Bruxelles à l'égard de cette catégorie d'actes s'inscrit dans la latitude que lui a ménagée le législateur et - sous réserve de certaines interrogations laissées en suspens [63] - il témoigne d'une certaine cohérence au regard d'autres décisions en lesquelles la juridiction s'est exprimée sur la nature et l'étendue de ses pouvoirs. Cela étant, cet arrêt du 19 janvier 2006 dissimule avec peine l'ambiguïté qui caractérise, en pareille situation, le pouvoir exercé par la cour d'appel de Bruxelles, celle-ci apparaissant simultanément sous les traits du juge d'appel et du censeur de l'administration.

33.Outre qu'elle attire l'attention sur la délicate et incertaine reconnaissance d'un pouvoir de substitution de la cour d'appel à certaines autorités de régulation et sur les pouvoirs de cette juridiction à l'égard des sanctions administratives, la présente note suggère surtout la difficulté de définir la nature, l'étendue et les limites du contrôle des autorités de régulation, confié à la cour d'appel de Bruxelles, et le vide que causent à cet égard les silences du législateur. Celui-ci a cru bon de s'en remettre à la sagesse de la juridiction pour déterminer les modalités d'exercice de ses pouvoirs [64]. Sans doute, cette abstention relève-t-elle d'un certain pragmatisme; celui-ci ne doit cependant pas faire perdre de vue que, en vertu de différentes législations, tant la cour d'appel que l'autorité dont celle-ci contrôle les actes participent toutes deux à un système de régulation qui, à bien des égards, bouleverse les modes de production du droit, l'encadrement de l'activité économique par les pouvoirs publics et l'activité des autorités investies de fonctions exécutives ou juridictionnelles [65]. La cohésion de ce système de régulation requiert qu'il s'inscrive dans un cadre normatif suffisamment précis, assurant notamment une articulation efficace des interventions respectives des différents acteurs désignés. À l'instar de l'arrêt du 19 janvier 2006 et des autres décisions évoquées, les enseignements que livreront les premières expériences en la matière permettront d'évaluer la qualité des cadres normatifs au regard de cette exigence.

Note

Vous pouvez consulter les arrêts de la cour d'appel de Bruxelles des 19 janvier 2006 et 10 février 2006 au site web http://tbh-rdc.larcier.be de ce numéro.

[1] Référendaire près la Cour de cassation, Chercheur à la Faculté de Droit des F.U.N.D.P. Les observations engagent leur auteur à titre strictement personnel.
[2] D. De Roy, “Le pouvoir réglementaire des autorités administratives indépendantes en droit belge”, Rapports belges au Congrès de l'Académie internationale de droit comparé à Utrecht, Bruxelles, 2006, nos 49-54; X. Taton, “Les recours objectifs de pleine juridiction et les pouvoirs limités du juge judiciaire”, R.D.C.-T.B.H. 2005, pp. 799-809 ; idem, “La nature des nouvelles compétences de la cour d'appel de Bruxelles en matière d'offres publiques d'acquisition”, R.D.C.-T.B.H. 2003, pp. 811-822. G.-A. Dal, “Poursuites et recours”, Rev. prat. soc. 2003, pp. 295-312.
[3] Accessible sur le site www.juridat.be et sur le site www.rdc-tbh.be .
[4] C'est nous qui soulignons, nous référant aux termes de l'arrêt.
[5] Arrêt, n° 37.
[6] Sous la seule réserve de références à quelques enseignements jurisprudentiels et doctrinaux sur lesquels nous reviendrons ultérieurement (cf. infra, n° 25).
[7] Sauf à soutenir que la reconnaissance d'un pouvoir de réformation des décisions soumises au contrôle de la cour d'appel se déduit de l'art. 121 § 6 de la loi du 2 août 2002; aux termes de cette disposition, “Les recours visés au § 1er, 4°, sont suspensifs de la décision de la CBFA. Les recours visés aux § 1er, 1°, 2° et 3°, ne sont pas suspensifs de la décision de la CBFA, sauf les exceptions prévues par ou en vertu de la loi. Toutefois, la cour d'appel de Bruxelles peut avant dire droit, ordonner la suspension de l'exécution de la décision de la CBFA lorsque le demandeur invoque des moyens sérieux susceptibles de justifier la réformation de la décision et lorsque l'exécution immédiate de celle-ci risque de causer un préjudice grave et difficilement réparable. La cour statue toutes affaires cessantes sur la demande de suspension.” (cf., en ce sens l'arrêt rendu par la cour d'appel de Bruxelles le 10 février 2006; infra, nos 13-15). On peut toutefois se demander s'il n'est pas délicat de prétendre tirer parti des termes de cette disposition qui vise, selon la volonté du législateur (Exposé des motifs, p. 130), à accorder à la cour d'appel de Bruxelles un pouvoir de suspension comparable à celui qu'exerce le Conseil d'État: si tel est le cas le terme “réformation” doit s'interpréter comme signifiant “annulation”; en revanche, si le terme “réformation” reçoit bien l'acception qu'y reconnaît la cour d'appel de Bruxelles, les conditions dans lesquelles la suspension peut être ordonnée sont plus strictes que devant le Conseil d'État, particulièrement dès lors que tout acte susceptible d'annulation ne peut pas nécessairement donner lieu à réformation.
[8] Exposé des motifs, p. 29 (cf. également pp. 128-129).
[9] Ibid., pp. 29, 129 et 135.
[10] Tandis qu'il fait apparaître que l'article 121, en déférant certains contentieux à la cour d'appel de Bruxelles, déroge à la compétence attribuée au Conseil d'État par l'art. 14 L.C.C.E., le Gouvernement décrit les pouvoirs de “pleine juridiction” par référence à ceux qu'exerce également le Conseil d'État, mais au titre de l'art. 16 L.C.C.E., entretenant ainsi une certaine confusion entre deux domaines de compétences de la haute juridiction administrative.
[11] Exposé des motifs, p. 131.
[12] Ibid.
[13] Ibid.
[14] Ibid., p. 132.
[15] Particulièrement l'autorité de régulation et le juge.
[16] Forum financier - Dr. banc. fin. 2005, pp. 135 et s., note A. Bruyneel, “Un jalon important dans l'histoire juridique de la C.B.F.A.?”, T.R.V. 2005, pp. 317 et s., note C. Clottens, “Over de grijze zone van de openbare overnameaanbiedingen op vastgoedcertificaten en de grenzen van het toezicht van de CBFA”.
[17] T.R.V. 2005, pp. 329 et s., note C. Clottens, “De notie 'openbaar beroep op het spaarwezen' en de toepassing van de reglementering inzake openbare overnameaanbiedingen”.
[18] Accessible sur le site www.rdc-tbh.be .
[19] On ne perd évidemment pas de vue que plusieurs arrêts ont été rendus dans le cadre de l'offre publique sur Electrabel (M. Fyon, “L'offre publique sur Electrabel et la jurisprudence naissante de la cour d'appel de Bruxelles en matière d'offres publiques d'acquisition”, Forum financier - Dr. banc. fin. 2006, pp. 5 et s.). La cour d'appel de Bruxelles n'a toutefois pas eu l'occasion d'y consacrer des développements révélateurs de la conception qu'elle entend défendre de la “pleine juridiction” ou des pouvoirs en l'exercice desquels celle-ci se traduit. Seul un arrêt du 8 novembre 2005 amène la cour d'appel à noter qu'“elle est sans pouvoir de juridiction pour recueillir des informations complémentaires à l'occasion d'une offre publique d'acquisition” et qu'elle ne peut se substituer à la CBFA lorsque celle-ci a approuvé le prospectus. Ces considérations nous semblent toutefois étrangères à une réflexion sur la notion de “pleine juridiction”, dès lors que la décision de la cour d'appel est motivée, par ailleurs, par le fait que la décision d'approbation d'un prospectus par la CBFA n'est pas susceptible de recours (Bruxelles 8 novembre 2005, Forum financier - Dr. banc. fin. 2006, p. 15).
[20] Arrêt, n° 47.
[21] Arrêt, n° 48.
[22] Arrêt, n° 53.
[23] Dans le secteur des télécommunications, le législateur a organisé un recours de pleine juridiction devant la cour d'appel de Bruxelles (loi du 17 janvier 2003 concernant les recours et le traitement des litiges à l'occasion de la loi du 17 janvier 2003 relative au statut du régulateur des secteurs des postes et télécommunications belges, art. 2), lequel se traduit notamment dans l'attribution à cette juridiction d'un pouvoir de réformation (Ch. Repr., Projet de loi relatif au statut du régulateur des secteurs des postes et des télécommunications belges, Doc. 50 1937/001, p. 24). Dans le secteur de l'électricité, un recours contre certaines décisions de la commission de régulation de l'électricité et du gaz est organisé par l'art. 29bis de la loi du 29 avril 1999 relative à l'organisation du marché de l'électricité. Suivant les termes de l'art. 29bis § 2, “la cour d'appel de Bruxelles est saisie du fond du litige et dispose d'une compétence de pleine juridiction”. Un recours identique est organisé dans le secteur du gaz (loi du 12 avril 1965 relative au transport de produits gazeux et autres par canalisations, art. 15-20). Fin juin 2006, la cour d'appel n'avait cependant pas encore rendu d'arrêt dans ces deux secteurs de l'énergie.
[24] Sur cet arrêt et les données de la cause en laquelle il a été rendu, cf. X. Taton, “Les recours objectifs de pleine juridiction…”, o.c., pp. 800-801.
[25] Arrêt, n° 63.
[26] Arrêt, n° 64.
[27] X. Taton, “Les recours objectifs de pleine juridiction…”, o.c., pp. 801-802.
[28] Arrêt, n° 49.
[29] J.-Fr. Bellis et M. Favart, “Le contrôle juridictionnel sur les décisions d'admissibilité d'une concentration par le Conseil de la concurrence après l'arrêt Editeco”, J.T. 2005, pp. 765-770 .
[30] Cette analyse est révélatrice de la double dimension (source d'inévitables ambiguïtés) de la notion de “contrôle de pleine juridiction”, utilisée tantôt par référence aux valeurs au regard desquelles le contrôle est exercé (intégrant ou excluant l'opportunité), tantôt au résultat du contrôle (annulation simple ou réformation de la décision querellée) (D. De Roy, “Le pouvoir réglementaire des autorités administratives indépendantes en droit belge”, o.c., n° 50 et note 129).
[31] La cour dénonce ainsi les risques que ferait surgir un contrôle de l'opération de concentration dans un contexte économique différent de celui dans lequel le Conseil de la concurrence avait statué.
[32] La cour ajoute que “le souci du législateur, exprimé au cours des travaux préparatoires de la loi du 26 avril 1999, d'éviter dans la mesure du possible un réexamen par le Conseil de la concurrence des opérations de concentration dans l'hypothèse où sa décision serait mise à néant, ne peut fonder à lui seul l'exercice d'un tel pouvoir discrétionnaire par la cour ni l'obligation qui pèserait sur elle de supporter la charge de la preuve de la réunion des conditions d'admissibilité” (arrêt, n° 19).
[33] Arrêt, n° 45.
[34] Arrêt, n° 46.
[35] Arrêt, n° 14.
[36] Après avoir constaté que le “moyen” de l'IBPT “vise sans distinction l'ensemble des griefs formulés par Belgacom à l'encontre de la décision attaquée et repose sur la prémisse que la cour est habilitée à réformer en tous points la décision attaquée” (arrêt, n° 15).
[37] Ibid.
[38] Cf. supra, n° 10.
[39] Cf. supra, n° 14.
[40] Cf. supra, n° 18.
[41] Cf. supra, n° 17.
[42] Puisque la disposition qui accorde à la CBFA le pouvoir d'infliger une amende administrative lorsqu'elle constate une infraction aux dispositions de la loi du 22 avril 2003 détermine la “fourchette” dans laquelle l'autorité de régulation choisira le montant auquel elle estime devoir infliger l'amende (loi du 22 avril 2003, art. 27).
[43] Dès lors que, dans la plupart de celles-ci, la cour d'appel n'a jamais exclu, par principe, l'exercice d'un pouvoir de réformation que lui avait attribué le législateur, le refus de l'exercer étant - le cas échéant - motivé par des considérations particulières, qui relèvent, de près ou de loin, des conditions définies dans l'arrêt du 10 février 2006 (cf. supra, n° 14).
[44] Loi du 2 août 2002, art. 121 § 6. Pour les autres actes susceptibles de faire l'objet d'un recours en vertu de l'art. 121, ce recours ne sera suspensif. La cour d'appel de Bruxelles, peut avant dire droit, ordonner la suspension de l'exécution de la décision de la CBFA lorsque le demandeur invoque des moyens sérieux susceptibles de justifier la réformation de la décision et lorsque l'exécution immédiate de celle-ci risque de causer un préjudice grave et difficilement réparable.
[45] Exposé des motifs, p. 131 (développements consacrés au contrôle juridictionnel “en général”).
[46] Ibid., p. 140.
[47] Ibid. (développements consacrés au contrôle des amendes administratives).
[48] Et dont l'exercice ne doit donc procéder d'une argumentation dûment étayée.
[49] Parmi les très nombreuses études consacrées à cette problématique, on se référera notamment à celle de G. Van Haegenborgh et I. Boone, “Les sanctions administratives”, Rapport annuel 2004 de la Cour de cassation, Bruxelles, 2005, pp. 184 et s., spéc. pp. 226-243.
[50] Fût-ce sur la base de raisonnements différents selon que le contrôle est exercé en matière sociale ou fiscale.
[51] Ainsi qu'en témoignent notamment les solutions respectivement adoptées par deux arrêts des 12 novembre et 17 décembre 2001; cf. à ce propos, G. Van Haegenborh et I. Boone, o.c., pp. 240-242; M. Delange, “Les pouvoirs du juge dans le droit de la sécurité sociale”, Questions de droit social, Liège, Formation permanente CUP, 2002, pp. 98-106.
[52] A. Vagman, “Autorité administrative indépendante, amendes administratives et diffusion de scènes de violence gratuite: réflexions autour de l'arrêt SA TVI prononcé le 5 décembre 2001 par le Conseil d'État”, A.P.T. 2003, pp. 282-291, spéc. pp. 283 et 290.
[53] Même si le résultat tangible pour la société sanctionnée est identique.
[54] La cour d'appel de Bruxelles n'ignore évidemment pas cette faculté, ainsi qu'en témoigne l'arrêt précédemment évoqué du 10 février 2006: “il résulte également de la nature du contentieux que l'étendue du pouvoir de pleine juridiction dont la cour est investie doit être déterminée cas par cas, ce que les travaux préparatoires confirment puisque le législateur s'en est remis 'à la sagesse de la cour d'appel de Bruxelles qui, dans l'exercice de ses nouvelles compétences exclusives, pourra (…) préciser et nuancer les limites de son contrôle, selon le type de recours qu'elle est appelée à connaître' (Exposé des motifs, […] p. 132)” (arrêt, n° 48).
[55] Bruxelles 10 février 2006 (supra, nos 12-15). Pour autant que l'arrêt du 19 janvier 2006 puisse être lu à la lumière de principes énoncés ultérieurement. La jurisprudence antérieure offre néanmoins de nombreuses illustrations des principes énoncés dans l'arrêt du 10 février 2006.
[56] Cf. not. P. Devolvé, “Le pouvoir de sanction et le contrôle du juge”, La puissance publique, l'organisation et le contrôle du marché. Les petites affiches, 17 septembre 2001, pp. 18-28.
[57] Ou, à titre subsidiaire, à sa réduction.
[58] D. De Roy, “Le pouvoir réglementaire des autorités administratives indépendantes en droit belge”, o.c., n° 50 et note 129; G. Van Haegenborgh et I. Boone, o.c., pp. 209-210.
[59] Ibid., pp. 209-210, n° 32.
[60] Cette conception d'une intervention à la manière d'un juge d'appel a d'ailleurs été exprimée au cours des travaux préparatoires (Exposé des motifs, p. 131). Cf. également P.-A. Foriers, “Le référé en droit des sociétés et des offres publiques”, Le référé judiciaire, Bruxelles, 2003, p. 262.
[61] Bruxelles 9 décembre 2005, R.G. 2004/AR/174, n° 24.
[62] X. Taton, “Les procédures dérogatoires et accélérées en droit bancaire et financier”, Les actions en cessation, Bruxelles, Commission Université-Palais, 2006, vol. 87, pp. 187-189.
[63] Ainsi en est-il de la question d'un pouvoir de substitution exercé là où la CBFA exerce une compétence discrétionnaire.
[64] Cf. supra, n° 10.
[65] Cf., à ce propos, l'approche générale de D. De Roy et R. Queck, “De la téléphonie vocale aux offres publiques d'acquisition - Vers un 'droit de la régulation'?”, J.T. 2003, pp. 553-563 .