Article

Cour d'arbitrage, 14/06/2006, R.D.C.-T.B.H., 2006/7, p. 746-747

Cour d'arbitrage 14 juin 2006

ASSURANCES
Contrat d'assurance - Prescription - Action directe - Délais - Non-discrimination
S'il est vrai que l'article 34 § 2 a pour conséquence que la situation d'une personne ayant subi un dommage résultant d'une faute est, en termes de délais de prescription, moins favorable lorsque cette personne met en oeuvre le droit propre qu'elle peut exercer contre l'assureur que lorsqu'elle exerce l'action en responsabilité contre l'auteur du dommage, il ne s'ensuit pas que la disposition en cause soit contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.
VERZEKERINGEN
Verzekeringsovereenkomst - Verjaring - Rechtstreekse vordering - Termijnen - Non-discriminatie
Indien artikel 34 § 2 tot gevolg heeft dat de situatie van een partij die schade heeft geleden als gevolg van een fout, voor wat betreft de verjaringstermijnen, minder gunstig is als deze partij het eigen recht aanwendt dat zij kan uitoefenen tegen de verzekeraar dan wanneer zij een vordering zou instellen wegens aansprakelijkheid tegen de veroorzaker van de schade, dan volgt daaruit niet dat de bedoelde bepaling strijdig is met de artikelen 10 en 11 van de Grondwet.

B.M., AXA Belgium / Conseil des ministres

Siég.: M. Melchior et A. Arts (présidents), P. Martens, A. Alen, L. Lavrysen, J.-P. Moerman et J. Spreutels (conseillers)
Pl.: Mes B. Castaigne et L. Schuermans

(...)

III. En droit
- A -
Quant à la question préjudicielle

A.1. Le Conseil des ministres propose de reformuler la question préjudicielle pour faire apparaître que ce n'est pas l'article 34 § 2, mais l'article 86 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre qui crée l'action directe à laquelle la question se réfère et pour indiquer que le délai de vingt ans visé à l'article 2262bis du Code civil court non pas à partir du jour qui suit celui où s'est produit le dommage mais à partir du jour qui suit celui où s'est produit le fait qui a provoqué le dommage.

Quant au fond

(...)

B.1. L'article 34 § 2 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre dispose:

“Sous réserve de dispositions légales particulières, l'action résultant du droit propre que la personne lésée possède contre l'assureur en vertu de l'article 86 se prescrit par cinq ans à compter du fait générateur du dommage ou, s'il y a infraction pénale à compter du jour où celle-ci a été commise.

Toutefois, lorsque la personne lésée prouve qu'elle n'a eu connaissance de son droit envers l'assureur qu'à une date ultérieure, le délai ne commence à courir qu'à cette date, sans pouvoir excéder dix ans à compter du fait générateur du dommage ou, s'il y a infraction pénale, du jour où celle-ci a été commise.”.

B.2. L'article 2262bis du Code civil dispose:

“§ 1er. Toutes les actions personnelles sont prescrites par dix ans.

Par dérogation à l'alinéa 1er, toute action en réparation d'un dommage fondée sur une responsabilité extracontractuelle se prescrit par cinq ans à partir du jour qui suit celui où la personne lésée a eu connaissance du dommage ou de son aggravation et de l'identité de la personne responsable.

Les actions visées à l'alinéa 2 se prescrivent en tout cas par vingt ans à partir du jour qui suit celui où s'est produit le fait qui a provoqué le dommage.

§ 2. Si une décision passée en force de chose jugée sur une action en réparation d'un dommage admet des réserves, la demande tendant à faire statuer sur leur objet sera recevable pendant vingt ans à partir du prononcé.”.

B.3. Il résulte du libellé de la question préjudicielle et de la motivation du jugement a quo que la Cour est interrogée sur le point de savoir si l'article 34 § 2 de la loi du 25 juin 1992 précitée viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il établirait une différence de traitement entre les victimes d'un dommage couvert par cette loi qui exercent un droit propre contre l'assureur en vue d'être indemnisées et les victimes d'un dommage résultant d'une faute extracontractuelle qui exercent une action en indemnisation contre l'auteur de la faute: alors que l'action des premières est soumise, en vertu de l'article 34 § 2 précité, à un délai de prescription de cinq ans ou, si la victime ignorait l'existence du droit propre au moment du fait générateur du dommage ou de l'infraction pénale, à un délai maximal de dix ans à compter du fait générateur ou du jour où l'infraction a été commise, celle des secondes est soumise, en vertu de l'article 2262bis du Code civil, à un délai de prescription de cinq ans à partir du jour défini par l'alinéa 2 de cette disposition et en tout cas à un délai maximal de vingt ans à partir du jour qui suit celui où s'est produit le fait qui a provoqué le dommage.

La motivation du jugement a quo indique que le juge a quo vise spécialement la prescription décennale prévue à l'article 34 § 2 alinéa 2 de la loi du 25 juin 1992 et le délai de vingt ans prévu à l'article 2262bis § 1er alinéa 3 du Code civil. Cette motivation relève aussi que la jurisprudence admet, quant à celui-ci et à titre transitoire, que l'action civile résultant d'une infraction qui, bien que prescrite, n'a pas fait l'objet, au moment de l'entrée en vigueur de la loi du 10 juin 1998 modifiant certaines dispositions en matière de prescription, d'une décision passée en force de chose jugée, reste soumise à l'ancien délai prévu par le Code civil (prescription trentenaire, art. 2262 ancien du Code civil).

B.4. Contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, les catégories de personnes définies en B.3. constituent des catégories comparables puisqu'il s'agit, dans les deux cas, de personnes confrontées à des délais de prescription relatifs à des actions nées à la suite de faits qui ont provoqué un dommage.

B.5. Lors de l'adoption de l'article 34 de la loi du 25 juin 1992, le législateur a indiqué:

“Le § 2 concerne la prescription de l'action résultant du droit propre de la personne lésée contre l'assureur. Le principe de la prescription quinquennale a été retenu, sous réserve de l'application de délais différents fixés par des lois particulières. Le projet introduit le principe selon lequel la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'ignorance de son droit contre l'assureur” (Doc. parl. Chambre 1990-91, n° 1586/1, p. 36).

B.6. Tant l'article 34 § 2 de la loi du 25 juin 1992 que l'article 2262bis du Code civil énoncent le principe d'une prescription quinquennale.

Ce n'est que lorsque la personne lésée (que ce soit par une faute civile ou par une infraction pénale) visée à l'article 34bis ignorait l'existence de son droit propre envers l'assuré que le délai de prescription maximal est porté à dix ans alors qu'un délai maximal de vingt ans est prévu par l'article 2262bis.

B.7. S'il est vrai que l'article 34 § 2 a pour conséquence que la situation d'une personne ayant subi un dommage résultant d'une faute est, en termes de délais de prescription, moins favorable lorsque cette personne met en oeuvre le droit propre qu'elle peut exercer contre l'assureur que lorsqu'elle exerce l'action en responsabilité contre l'auteur du dommage, il ne s'ensuit pas que la disposition en cause soit contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

D'une part, parce la prescription décennale établie par cette disposition s'applique à la mise en oeuvre du droit propre exercé contre l'assureur lorsque l'assuré est responsable tant d'une faute civile extracontractuelle que d'une infraction pénale; il s'ensuit que l'article 34 § 2 formule une règle qui s'applique indifféremment aux victimes d'une infraction pénale et aux victimes d'une faute civile.

D'autre part, parce que les actions visées à l'article 34 § 2 sont des actions dirigées contre l'assureur du responsable du dommage alors que celles visées à l'article 2262bis le sont contre le responsable lui-même.

Le législateur a pu raisonnablement considérer que l'objet de telles actions était distinct et n'exigeait pas, dès lors, qu'elles soient soumises à des délais de prescription identiques. Il a pu, à cet égard, considérer qu'il n'y avait pas lieu de permettre à la victime d'exercer un droit propre que la loi lui ouvre contre l'assureur pendant une durée aussi longue que celle pendant laquelle elle peut exercer une action en responsabilité que la faute de l'assuré lui ouvre. La circonstance que les dispositions de la loi du 22 août 2002 “portant diverses dispositions relatives à l'assurance de responsabilité en matière de véhicules automobiles” indiqueraient que le législateur, en matière de suspension et d'interruption de la prescription et en matière de prescription des demandes tendant à faire statuer sur des réserves, aurait entendu réserver un sort semblable aux actions dirigées contre l'auteur du dommage et à celles dirigées contre l'assureur, n'implique pas que des dispositions antérieures, ayant un objet différent et traitant des actions en cause de manière différente, seraient contraires aux articles 10 et 11 de la Constitution.

B.8. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs,

LA COUR

dit pour droit:

L'article 34 § 2 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

(...)