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De la possibilité de céder son droit de désignation et ses créneaux horaires, R.D.C.-T.B.H., 2006/7, p. 739-740

TRANSPORT
Transport aérien - Accord aérien belgo-zaïrois - Faillite du transporteur désigné - Absence de droit pour ce dernier de céder à une autre compagnie sa désignation ou les créneaux horaires utilisés - Caractère souverain de la désignation
Est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir, l'action au nom d'une compagnie aérienne, initialement désignée comme bénéficiaire des droits de trafic accordés par un accord aérien bilatéral, qui est tombée en faillite et dont les activités n'ont pas été poursuivies par la curatelle.
Bien que les compagnies désignées puissent y puiser certains droits subjectifs, la désignation résultant d'un accord aérien n'est pas cessible, pas plus que les créneaux horaires dont la compagnie bénéficiait. En raison du caractère souverain de la décision de désignation par un état, l'acceptation d'une nouvelle désignation par l'autre état ne peut être qualifiée de fautive ni engendrer un dommage réparable.


VERVOER
Luchtvervoer - Luchtvaartakkoord tussen België en Zaïre - Faillissement van de aangestelde transporteur - Afwezigheid van recht voor deze laatste om zijn aanstelling of de gebruikte uurroosters aan een andere vennootschap over te dragen - Soevereine aard van de aanstelling
Is onontvankelijk wegens gebrek aan belang om in rechte te treden, iedere vordering in naam van een luchtvaartmaatschappij, aanvankelijk aangesteld als begunstigde van de verkeersrechten toegekend door een bilateraal luchtvaartakkoord, die failliet is gegaan en waarvan de activiteiten door de curatele niet werden voortgezet.
Hoewel de aangestelde vennootschappen daaraan bepaalde subjectieve rechten kunnen ontlenen, is de aanstelling voortvloeiend uit een luchtvaartakkoord niet overdraagbaar, net zo min als de uurroosters waarvan de vennootschap geniet. Omwille van de soevereine aard van de beslissing tot aanstelling van de luchtvervoerder door een staat, kan de aanvaarding van deze aanstelling door de andere staat niet als foutief gekwalificeerd worden, noch herstelbare schade doen ontstaan.
De la possibilité de céder son droit de désignation et ses créneaux horaires
M. Godfroid

1.L'arrêt commenté de la cour d'appel de Bruxelles est une des multiples péripéties judiciaires liées à la déclaration de faillite par les tribunaux belges [1] de la compagnie d'aviation Air Zaïre en 1995. Il a été l'occasion pour les juridictions belges de se pencher sur des questions de droit aérien public qui sont rarement examinées tant à l'étranger que dans notre pays.

2.La curatrice d'Air Zaïre recherchait la responsabilité civile de l'État belge, de Belgocontrol, venant aux droits et obligations de l'ancienne Régie des Voies Aériennes (RVA), et de BIAC [2] pour avoir accepté et pour ne pas s'être opposés, après la cessation des activités d'Air Zaïre, à l'exécution de vols par Scibe qui de facto exploitait déjà la liaison Kinshasa-Bruxelles et retour en vertu d'un contrat de coopération avec Air Zaïre en raison des difficultés financières et opérationnelles rencontrées par cette dernière.

La curatrice réclamait de substantielles indemnités aux autorités belges pour avoir toléré, malgré sa demande d'interdiction et l'injonction rendue par la présidente du tribunal de commerce de Bruxelles, l'exécution dans les jours qui ont suivi la faillite de vols par Scibe sous le couvert du code (IATA) d'Air Zaïre puis pour avoir accepté au début du mois de juillet 1995 la désignation par le Zaïre de Scibe comme nouveau transporteur aérien bénéficiaire des droits de trafic de l'accord aérien qui lie les deux états.

Statuant par voie de réformation partielle du jugement a quo, la cour rejette pour des motifs, que nous approuvons, l'action en responsabilité intentée.

3.Rappelons tout d'abord que les accords aériens bilatéraux ont pour objet premier l'échange, en principe réciproque et égal, des “libertés de l'air” dont les cinq premières sont définies dans l'accord relatif au transport aérien international [3], qui n'est toutefois jamais entré en vigueur faute de ratifications suffisantes.

Ils constituent le système qui a été instauré au départ de la règle énoncée à l'article 6 de la Convention de Chicago du 7 décembre 1944 pour l'organisation sur une base bilatérale des liaisons aériennes régulières [4]. Ces accords sont des traités internationaux et soumis à ce titre au régime juridique de ces actes [5].

4.Ces accords donnent au premier chef naissance à des droits et/ou obligations dans le chef des états parties. Ils ne sont qu'indirectement conclus en faveur du ou des transporteurs aériens désignés par les états pour exercer et à ce titre bénéficier des droits échangés pour pouvoir opérer un service aérien régulier.

Il y a déjà quelques années, à l'occasion d'un litige opposant la compagnie yougoslave, à l'époque, JAT à l'Etat belge, nous avons toutefois soutenu avec succès que les accords aériens pouvaient être directement applicables et partant donner naissance à des droits subjectifs au profit des compagnies [6].

L'arrêt commenté adopte cette théorie pour écarter l'objection des défenderesses originaires que l'action en responsabilité ne pouvait, à défaut de droit de la plaignante, être déclarée recevable.

La cour avait toutefois aussi à trancher deux autres questions inédites en jurisprudence belge et très rarement évoquées à l'étranger, à savoir la possibilité d'une cession à un tiers des droits exercés par le transporteur désigné et du sort des créneaux horaires (slots) en cas de cessation d'activités.

5.Le but avoué de la curatrice était en effet de pouvoir réaliser au profit de la masse l'élément d'actif que constituait à ses yeux la désignation d'Air Zaïre avec les prérogatives qui y sont attachées.

Il était toutefois perdu de vue qu'Air Zaïre était la compagnie désignée par l'État zaïrois contre lequel l'action n'était pas dirigée et qu'en principe la désignation par un des états parties à l'accord aérien est une prérogative participant à l'exercice de la puissance publique qui, sous réserve de certaines conditions [7], s'impose à l'autre état.

L'arrêt rejette la prétention de la curatrice en soulignant que les états parties à l'accord aérien bilatéral du 10 septembre 1965 ne peuvent “se voir imposer un transporteur aérien qu'elles n'auraient pas agréé”, après avoir rappelé que “la désignation du transporteur aérien est une prérogative souveraine des états”. Il en déduit légitimement que “les droits subjectifs qu'un transporteur aérien peut puiser dans un accord bilatéral ne s'étendent pas au droit de céder à un tiers le bénéfice de sa propre désignation”.

6.Il faut toutefois tempérer le caractère souverain de la désignation du ou des transporteurs aériens (selon que l'on se trouve en présence d'une mono ou d'une pluri-désignation). D'une part, il n'est pas rare que la législation d'un état fixe les critères de désignation du ou des transporteurs. Tel est le cas en Belgique de la loi du 3 mai 1999 relative aux transporteurs aériens réguliers qui énonce que le Roi fixe les règles d'attribution, de durée et de cessation de la désignation, ce qui, à notre connaissance, n'a pas encore été fait. Il est à présumer que la règle de l'interdiction de cession y sera inscrite.

D'autre part, l'état cocontractant peut ne pas accepter la compagnie désignée lorsqu'elle ne réunit pas certaines conditions, comme le contrôle et l'administration par des nationaux du pays de désignation, le respect des règles de l'accord ou de conventions internationales [8], et une nouvelle fois la loi du 3 mai 1999, en son article 4, a) a prévu cette hypothèse.

Sous ces réserves, il est exact que la désignation du ou des transporteurs aériens par un état est une décision souveraine vis-à-vis de l'autre état.

7.Se fondant sur l'article 10 du Règlement CEE n° 95/93 du Conseil du 18 janvier 1993 fixant les règles communes d'attribution des créneaux horaires dans les aéroports de la Communauté, l'arrêt a jugé que la cessation des activités opérationnelles d'Air Zaïre avait pour conséquence que les créneaux horaires, que cette compagnie utilisait, avaient perdu toute valeur parce qu'ils retournaient dans le pool servant à attribuer de nouveaux créneaux horaires.

Cette disposition crée en effet un pool dans lequel sont versés les créneaux horaires inutilisés ou abandonnés par un transporteur afin de permettre au coordinateur de l'aéroport de satisfaire aux demandes qui n'ont pu l'être auparavant.

8.Cette question est distincte de celle de la possibilité légale de transférer ou d'échanger des créneaux horaires qui était régie par l'article 8.4 du règlement précité [9].

Ces règles, au demeurant peu claires et qui faisaient l'objet d'interprétations divergentes, ont été modifiées par l'article 8bis du Règlement (CE) n° 793/2004 du Parlement Européen et du Conseil du 21 avril 2004 [10].

Il autorise dans certains cas limitativement énumérés les transferts internes ou externes des créneaux horaires ou l'échange, l'un pour l'autre, entre transporteurs aériens. Ces opérations doivent être notifiées au coordinateur qui peut les refuser lorsqu'elles ne sont pas conformes au règlement ou dans d'autres circonstances telle l'existence d'un préjudice pour les opérations aéroportuaires compte tenu des contraintes techniques, opérationnelles et environnementales par exemple.

Le pool de créneaux horaires est maintenu aux termes du nouvel article 10 du Règlement n° 793.

[1] Comm. Bruxelles 12 juin 1995, Rev. prat. soc. 1996, p. 129 note J.-L. Van Boxtael, confirmé par l'arrêt de la cour d'appel du 21 septembre 1995 (J.T. 1995, p. 719) et pourvoi rejeté par l'arrêt de la Cour de cassation du 2 décembre 1996 (R.D.C. 1997, p. 526 et l'étude de M. Claeys: “De bevoegdheidsregels voor de internationale faillietverklaring naar huidig en toekomstig recht”, pp. 501 et s.).
[2] BIAC était à l'origine une entreprise publique autonome et est devenue une société de droit privé en vertu d'un arrêté royal du 27 mai 2004 (M.B. 24 juin 2004).
[3] Accord dit des “Cinq Libertés” du 7 décembre 1944; cons. J. Naveau et M. Godfroid, in Précis de droit aérien, p. 48, n° 37.
[4] Pour une définition de ce concept, voy. l'art. 2, d) du Règlement n° 2408/92 du 23 juillet 1992 concernant l'accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons aériennes intra-communautaires.
[5] Art. 167 de la Constitution coordonnée et M. Folliot: Les relations aériennes internationales, p. 221.
[6] Bruxelles 10 juin 1999, J.T. 1999, p. 699 et notre commentaire avec P. Frühling, in “Le nouveau droit aérien belge”, R.D.C. 2000, p. 555.
[7] Cf. La clause de nationalité et contrôle.
[8] Cf. art. 1 al. 4 du protocole du 14 février 2002 modifiant l'accord originaire de 1965 entre le Zaïre et la Belgique.
[9] Pour une étude d'ensemble, voy. N. Deleuze: “Vers un marché des créneaux horaires”, R.F.D.A.S. 1997, pp. 239 et s. et P. Frühling et W. Eyskens: “Current and future issues relating to slot management and mobility in the European Union”, Air & Space Law 2004, pp. 79 et s.
[10] J.O. L. 138/50 du 30 avril 2004.