Article

Cour d'appel Bruxelles, 25/10/2005, R.D.C.-T.B.H., 2006/7, p. 736-739

Cour d'appel de Bruxelles 25 octobre 2005

TRANSPORT
Transport aérien - Accord aérien belgo-zaïrois - Faillite du transporteur désigné - Absence de droit pour ce dernier de céder à une autre compagnie sa désignation ou les créneaux horaires utilisés - Caractère souverain de la désignation
Est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir, l'action au nom d'une compagnie aérienne, initialement désignée comme bénéficiaire des droits de trafic accordés par un accord aérien bilatéral, qui est tombée en faillite et dont les activités n'ont pas été poursuivies par la curatelle.
Bien que les compagnies désignées puissent y puiser certains droits subjectifs, la désignation résultant d'un accord aérien n'est pas cessible, pas plus que les créneaux horaires dont la compagnie bénéficiait. En raison du caractère souverain de la décision de désignation par un état, l'acceptation d'une nouvelle désignation par l'autre état ne peut être qualifiée de fautive ni engendrer un dommage réparable.


VERVOER
Luchtvervoer - Luchtvaartakkoord tussen België en Zaïre - Faillissement van de aangestelde transporteur - Afwezigheid van recht voor deze laatste om zijn aanstelling of de gebruikte uurroosters aan een andere vennootschap over te dragen - Soevereine aard van de aanstelling
Is onontvankelijk wegens gebrek aan belang om in rechte te treden, iedere vordering in naam van een luchtvaartmaatschappij, aanvankelijk aangesteld als begunstigde van de verkeersrechten toegekend door een bilateraal luchtvaartakkoord, die failliet is gegaan en waarvan de activiteiten door de curatele niet werden voortgezet.
Hoewel de aangestelde vennootschappen daaraan bepaalde subjectieve rechten kunnen ontlenen, is de aanstelling voortvloeiend uit een luchtvaartakkoord niet overdraagbaar, net zo min als de uurroosters waarvan de vennootschap geniet. Omwille van de soevereine aard van de beslissing tot aanstelling van de luchtvervoerder door een staat, kan de aanvaarding van deze aanstelling door de andere staat niet als foutief gekwalificeerd worden, noch herstelbare schade doen ontstaan.

État belge, Belgocontrol et BIAC / Fr. Hanssens-Ensch, en sa qualité de curateur d'Air Zaïre

Siég.: H. Mackelbert (conseiller unique)
Pl.: Mes E. Gillet, L. Depré

(...)

III. Faits et antécédents de la procédure

l. Le 10 septembre 1965, la République démocratique du Congo et le Royaume de Belgique concluent un accord en vue d'établir des services aériens entre leurs territoires respectifs.

L'article III de cette convention précise que chaque partie contractante a le droit de désigner une entreprise de transport aérien qui sera affectée à l'exploitation des services agréés.

La société désignée en vertu de cette convention est la société de droit public commercial à caractère commercial Air Zaïre.

Le 13 octobre 1994, Air Zaïre et la société de droit zaïrois Scibe Airlift conviennent d'exploiter ensemble un aéronef affrété par Scibe sur la liaison avec la Belgique, dans le respect du nombre de fréquences reconnues à Air Zaïre en sa qualité d'entreprise désignée. Cet accord prévoit notamment que tous les frais d'exploitation sont à charge de Scibe et qu'Air Zaïre percevra les recettes de la vente de 20 sièges par vol et pourra bénéficier d'un allotement de 100 sièges supplémentaires.

Les vols sont effectués sous le code IATA attribué à Air Zaïre, soit “QC”.

Par jugement du 12 juin 1995, le tribunal de commerce de Bruxelles prononce la faillite d'Air Zaïre et désigne Me Hanssens-Ensch comme curateur. Ce jugement est frappé d'appel et est confirmé par un arrêt de la cour du 21 septembre 1995. Le recours en cassation contre cet arrêt est rejeté par la Cour de cassation par son arrêt du 2 décembre 1996.

La poursuite des activités de la société n'est pas demandée par le curateur.

2. Le 22 juin 1995, la curatrice constate que Scibe continue à “organiser des vols sous le bénéfice de la licence d'exploitation d'Air Zaïre” et la met en demeure d'y mettre fin, et de lui payer toutes les sommes dues en exécution de la convention du 13 octobre 1994.

Le même jour, elle demande à la RVA de lui préciser le montant de sa créance et lui suggère “d'interdire tout vol organisé par Scibe (...) tant que (sa) créance n'est pas réglée” et lui demande “compte tenu de la situation de faillite (s'il ne faut) pas signaler à Scibe (...) qu'aucun vol ne peut plus être organisé sous licence Air Zaïre”.

Le 30 juin 1995, la curatrice écrit au commandant de l'aéroport de Bruxelles-National pour lui signaler qu'elle fait formellement interdiction à Scibe d'affréter le moindre vol sous le n° accordé à Air Zaïre et lui demande de faire le nécessaire pour que le vol prévu vers Kinshasa le 4 juillet 1995 soit interdit.

Le 4 juillet 1995, elle adresse un fax au ministre des Communications par lequel elle s'oppose à ce que le vol du même jour ait lieu. Il n'est pas donné suite à cette injonction.

Saisi par la curatrice, le président du tribunal de commerce de Bruxelles, siégeant en référé, interdit par ordonnance du 10 juillet 1995 à l'État belge et à la RVA d'autoriser quelque compagnie que ce soit d'assurer, directement ou indirectement, le moindre vol sous le n° de licence “Air Zaïre” (commençant par QC...) depuis un aéroport situé en territoire belge vers un autre, situé en territoire zaïrois et retour sous peine d'une astreinte de 10.000.000 FB par vol.

Le 11 juillet 1995, l'huissier de justice D'Hoore se rend à l'aéroport de Bruxelles-National et constate que le vol prévu pour 22 h 30 est annoncé avec un code IATA “ZM”. Il y rencontre le commandant adjoint de l'aéroport qui lui montre un fax du ministre zaïrois des transports du 5 juillet 1995 désignant temporairement Scibe comme instrument d'exploitation des droits de trafic découlant de l'accord belgo-congolais du 10 septembre 1965 et un message télécopié du ministère belge des Transports du 11 juillet 1995 avalisant cette décision.

3. Par exploit des 26 et 27 novembre 1996, la curatrice fait assigner l'État belge et la RVA devant le tribunal de commerce de Bruxelles en paiement de 40.000.000 FB provisionnels à titre de dommages et intérêts.

Elle considère que les autorisations des vols des 13, 20, 27 juin et 4 juillet 1995 ont été accordées en fraude des droits de trafic aérien qui étaient, selon elle, toujours attribués à la société faillie et constituaient un élément important de son fonds de commerce.

En cours d'instance, la curatrice étend sa demande et réclame en outre 460.000.000 FB de dommages et intérêts couvrant le dommage subi en raison de l'acceptation fautive de la désignation de Scibe en qualité d'instrument d'exploitation des droits de trafic, en contravention avec les dispositions de l'accord belgo-congolais du 10 septembre 1965.

Le premier juge fait partiellement droit à la demande et condamne l'État belge et la RVA au paiement de 5.000.000 FB de dommages et intérêts pour avoir autorisé le vol du 4 juillet 1995.

4. L'État belge et la RVA interjettent appel de cette décision qu'ils demandent à la cour de mettre à néant.

La curatrice forme un appel incident, faisant grief au premier juge d'avoir limité la faute commise par l'État belge et la RVA au seul vol du 4 juillet 1995 et de ne pas avoir pris en compte tous les effets de la mono-désignation d'Air Zaïre.

Elle réclame une indemnisation de 247.893,52 euros pour chaque vol qui a été autorisé et 12.394.676,23 euros pour l'atteinte portée au bénéfice de la mono-désignation dont Air Zaïre bénéficiait comme instrument exclusif des lignes aériennes entre Bruxelles et Kinshasa.

IV. Discussion

5. La curatrice soutient qu'Air Zaïre restait désignée comme seule entreprise affectée à l'exploitation de la ligne Bruxelles-Kinshasa, nonobstant sa mise en faillite et sa décision de ne pas poursuivre les activités.

Elle considère que la RVA devait interdire tout vol effectué sous le code IATA accordé à Air Zaïre ou à tout le moins qu'elle devait solliciter son autorisation, ce qu'elle n'a pas fait.

La curatrice estime qu'elle a été privée, de ce fait, de la possibilité de valoriser un élément d'actif qu'elle possédait et de vendre le fonds de commerce.

Elle soutient encore qu'en avalisant la désignation de Scibe comme entreprise désignée dans le cadre de l'accord du 10 septembre 1965, l'État belge a porté atteinte aux droits d'Air Zaïre découlant de cet accord.

6. L'État belge et la RVA considèrent quant à eux que la demande de la curatrice est irrecevable aux motifs que l'accord du 10 septembre 1965 entre la République démocratique du Congo et le Royaume de Belgique relatif au transport aérien ne produit aucun effet direct au profit de la compagnie aérienne désignée et que les licences de vol et les créneaux horaires ne sont pas cessibles.

Subsidiairement, ils considèrent qu'aucune faute n'a été commise et qu'en tout état de cause la société faillie ne peut faire valoir l'existence d'un dommage réparable.

Sur la recevabilité

7. La convention de Chicago du 7 décembre 1944 relative à l'aviation civile internationale dispose que:

- chaque état a la souveraineté complète et exclusive sur l'espace aérien au-dessus de son territoire (cf. art. 1er);

- aucun service aérien international régulier ne peut être exploité au-dessus ou à l'intérieur du territoire d'un état contractant, sauf permission spéciale ou toute autre autorisation dudit état et conformément aux conditions de cette permission ou autorisation (cf. art. 6).

Aux termes de l'article II de l'accord du 10 septembre 1965, la Belgique et le Congo se sont accordés mutuellement des droits de survol et d'escale, étant entendu que chaque partie conserve le droit de désigner l'entreprise de transport aérien qui sera affectée à l'exploitation des services agréés sur les routes spécifiées.

Cette réserve n'implique cependant pas que l'accord ne soit pas directement applicable et qu'une compagnie aérienne ne puisse y puiser des droits subjectifs (P. Frühling et M. Godfroid, “Le nouveau droit aérien belge”, R.D.C. 2000, p. 555; Bruxelles 10 juin 1999, J.T. 1999, p. 699 ).

C'est donc à tort que l'État belge et la RVA soutiennent que la demande ne serait pas, en soi, recevable.

8. La curatrice admet cependant qu'elle n'a jamais eu l'intention de poursuivre l'activité d'Air Zaïre après le jugement déclaratif de faillite.

La curatrice considère en outre que le contrat commercial conclu avec Scibe est implicitement résilié par le fait de la faillite (cf. ses conclusions, p. 19). Il y a lieu, à ce sujet, de rappeler que, depuis le 13 octobre 1994, Air Zaïre n'exploitait plus personnellement la ligne Bruxelles-Kinshasa puisqu'elle l'avait sous-traitée à Scibe qui affrétait sur cette ligne un de ses avions et en assumait tous les frais d'exploitation.

En s'opposant à ce que Scibe ou toute compagnie puisse opérer des vols vers le Zaïre, la curatrice reconnaît qu'elle n'avait d'autre but que de tenter de céder à Scibe ou à un tiers le bénéfice, d'une part, de la désignation d'Air Zaïre comme transporteur aérien sur la ligne Bruxelles-Kinshasa et, d'autre part, les créneaux horaires dont elle disposait à l'aéroport de Bruxelles-National (cf. ses conclusions p. 7, al. 7 et s., p. 15, dernier al. et p. 16, al. 1 et s.).

9. La désignation du transporteur aérien est une prérogative souveraine des états. Il est même admis qu'il s'agit d'une compétence discrétionnaire à l'égard de l'autre état qui est partie à l'accord bilatéral (P. Frühling et M. Godfroid, l.c.).

Il s'en déduit que les droits subjectifs qu'un transporteur aérien peut puiser dans un accord bilatéral ne s'étendent pas au droit de céder à un tiers le bénéfice de sa propre désignation. Il ne peut en effet être admis que les états, parties à un accord bilatéral conclu en exécution de la Convention de Chicago du 7 décembre 1944, puissent se voir imposer un transporteur aérien qu'elles n'auraient pas agréé.

En l'espèce, il convient de constater que tant l'État belge que l'État zaïrois ont accepté que Scibe puisse opérer des vols entre la Belgique et le Zaïre immédiatement après la faillite d'Air Zaïre. Contrairement à ce que soutient la curatrice, l'État zaïrois n'a pas considéré qu'Air Zaïre restait sa compagnie désignée en juin et en juillet 1995, immédiatement après sa faillite, puisqu'il résulte de la lettre du 9 avril 1996 du ministre zaïrois des Transports à son homologue belge que l'État zaïrois n'a envisagé une d'Air Zaïre qu'à partir du 4 avril 1996, demande qui a d'ailleurs été maintenue en suspens du fait de la faillite d'Air Zaïre.

Il ne peut être déduit des articles III, VI et IX de l'accord du 10 septembre 1965 qu'un transporteur aérien en faillite qui a cessé ses activités puisse néanmoins prétendre qu'il reste l'entreprise désignée pour exploiter les lignes aériennes. Les articles III et VI visent une entreprise en activité et l'article IX ne concerne que les relations entre les états contractants.

Dès lors que cette désignation n'est pas cessible, la curatrice ne peut faire valoir l'existence d'un quelconque dommage réparable pour avoir été privée du bénéfice d'une cession par une quelconque faute de l'État belge ou de la RVA.

Par ailleurs, en l'absence de poursuite des activités commerciales, il ne peut exister de dommage réparable qui résulterait de l'empêchement de conclure avec une autre compagnie aérienne une convention de code-sharing après la faillite.

10. Eu égard à sa mise en faillite et à l'absence de poursuite des activités commerciales, Air Zaïre ne pouvait plus prétendre à bénéficier des créneaux horaires qui lui avaient été accordés par l'aéroport de Bruxelles-National.

Il résulte en effet de l'article 10 du Règlement (CEE) 95/93 du Conseil du 18 janvier 1993 fixant des règles communes en ce qui concerne l'attribution des créneaux horaires dans les aéroports de la Communauté que tout créneau horaire non utilisé est retiré et versé dans un pool afin d'être, le cas échéant, redistribué.

Dès la cessation d'activité d'une compagnie aérienne, le créneau horaire lui est retiré. Il cesse dès lors d'être un actif immatériel susceptible d'être réalisé par la voie d'une cession à un tiers et il importe peu qu'aucune notification n'ait été faite par l'autorité aéroportuaire au curateur. Depuis le 12 juillet 1995, il était donc devenu impossible pour la curatrice de céder à un tiers le bénéfice de ces créneaux horaires.

Contrairement à ce que soutient la curatrice, l'activité de la société faillie n'a pas été poursuivie après la faillite. Certes, les vols des 13, 20, 27 juin et 4 juillet 1995 ont été opérés sous le code IATA attribué à Air Zaïre, mais il n'est pas contesté qu'ils ont été effectués par Scibe en son nom et pour son propre compte. L'usage erroné du code “QC” n'a causé aucun préjudice matériel puisque Eurocontrol a accepté de réclamer les droits de trafic à Scibe (cf. pièce 19 du dossier de la curatrice) et qu'il n'est pas prouvé qu'Eurocontrol serait revenu sur cette position, et que la société faillie aurait dû supporter des dettes de masse à ce sujet.

11. La désignation par chacun des états contractants de l'accord du 10 septembre 1965 de la compagnie aérienne qu'il a choisie en qualité d'instrument d'exploitation de ses droits aériens est une décision souveraine et discrétionnaire.

Par ailleurs, un transporteur aérien en faillite qui a cessé ses activités ne peut plus prétendre qu'il reste l'entreprise désignée par un accord bilatéral entre états pour exploiter les lignes aériennes.

Il s'en déduit que ce même transporteur ne peut s'immiscer dans la négociation entre les états en vue de désigner un autre transporteur. Pour ce seul motif, il ne peut être admis que la curatrice puisse reprocher à l'État belge d'avoir accepté la décision unilatérale de l'État zaïrois de désigner Scibe comme transporteur aérien.

La curatrice ne peut donc faire valoir l'existence d'un dommage réparable en relation avec une éventuelle faute commise par l'État belge au cours de ces négociations et notamment d'avoir avalisé la décision du 5 juillet 1995.

12. La curatrice n'a pas d'intérêt à agir, ne pouvant justifier d'un avantage, matériel ou moral, effectif mais non théorique qu'elle pouvait retirer de la demande au moment où elle l'a formée.

Cette demande doit donc être déclarée non recevable comme le soutiennent l'État belge et la RVA.

L'appel sur ce point est fondé et l'appel incident ne l'est pas.

V. Conclusion

Pour ces motifs, la cour, statuant contradictoirement,

1. Dit l'appel recevable et fondé.

2. Dit l'appel incident non fondé et en déboute Me Hanssens-Ensch.

3. Met le jugement attaqué à néant, sauf en ce qu'il a liquidé les dépens;

Statuant à nouveau,

Dit la demande de Me Hanssens-Ensch, q.q., non recevable et l'en déboute.

4. Met les dépens des deux instances à charge de la masse faillite de la société Air Zaïre.

(...)