Article

Cour d'appel Bruxelles, 23/06/2005, R.D.C.-T.B.H., 2006/6, p. 640-648

Cour d'appel de Bruxelles 23 juin 2005

CONCURRENCE
Loi sur la protection de la concurrence économique - Contentieux préjudiciel - Nature
La nature du contentieux préjudiciel interne en droit de la concurrence implique le pouvoir de la cour d'appel de Bruxelles de connaître des faits de la cause et de statuer sur la licéité de la pratique en cause par application des règles du droit de la concurrence.
Les questions préjudicielles doivent être reformulées au regard de l'objet du litige pendant devant le juge de renvoi. Lorsque cette contestation porte sur le droit d'un brasseur de poursuivre l'exécution forcée de contrats d'approvisionnement exclusif qu'il a conclus avec l'exploitant d'un débit de boissons, la question de la licéité de ces accords doit être exclusivement examinée au jour de la cessation d'activité de l'exploitant et au jour de l'introduction de la demande, sans qu'il y ait lieu de vérifier les éventuels effets anticoncurrentiels de ces accords à un quelconque autre moment depuis leur formation.



CONCURRENCE
Accord restrictif de concurrence (art. 81 traité CE) - Accords verticaux - Moment où doit s'apprécier la validité de l'accord - Restriction sensible de la concurrence - Contrat d'approvisionnement exclusif - Nullité
Au vu de l'évolution des Communications de la Commission européenne dans le sens d'une plus grande indulgence vis-à-vis des accords verticaux ne contenant pas de restrictions de concurrence caractérisées, les accords litigieux ne constituent pas une restriction sensible de la concurrence, étant donné la faible part du brasseur sur les marchés pertinents, et l'absence d'éléments produits par les parties démontrant la contribution significative de ces accords à un éventuel effet cumulatif de verrouillage de ces marchés.
Quand bien même les accords litigieux relèveraient de l'article 81 paragraphe 1 du traité CE, et ne pourraient pas bénéficier d'une exemption par catégorie, encore la cour devrait-elle apprécier si ces accords ne rempliraient pas les conditions de fond de l'article 81 paragraphe 3, conformément au système d'exception légale instauré par le règlement 1/2003.
MEDEDINGING
Wet tot bescherming van de economische mededinging - Prejudicieel geschil - Aard
De aard van het interne prejudiciële geschil in het mededingingsrecht impliceert dat het hof van beroep te Brussel de mogelijkheid heeft om kennis te nemen van de feiten van de zaak en te beslissen over de rechtmatigheid van de omstreden praktijk met toepassing van de regels van het mededingingsrecht.
De prejudiciële vragen dienen te worden geherformuleerd in het licht van het onderwerp van het voor de verwijzende rechter hangende geding. Indien de betwisting betrekking heeft op het recht van een brouwer om de gedwongen tenuitvoerlegging te vorderen van exclusieve afnameovereenkomsten die hij heeft gesloten met de uitbater van een drankgelegenheid, dient de rechtmatigheid van deze contracten uitsluitend te worden onderzocht op de dag dat de uitbater zijn activiteit stopzet en op de dag dat het verzoek wordt ingediend, zonder dat daarbij rekening dient te worden gehouden met de mogelijke mededingingsbeperkende gevolgen van deze contracten op om het even welk ogenblik sinds hun ontstaan.
MEDEDINGING
Mededingingsbeperkende akkoorden (art. 81 EG-Verdrag) - Verticale akkoorden - Ogenblik waarop de geldigheid moet worden beoordeeld - Merkbare beperking van de mededinging - Exclusieve afname - Nietigheid
In het licht van de evolutie van de Mededelingen van de Europese Commissie naar een grotere inschikkelijkheid ten opzichte van de verticale akkoorden die geen uitgesproken mededingingsbeperkingen bevatten, vormen de litigieuze overeenkomsten geen merkbare beperking van de mededinging, gelet op het zwakke marktaandeel van de brouwer op de relevante markten, en het gebrek aan door de partijen aangebrachte elementen die de significante bijdrage van deze akkoorden tot een eventuele cumulatieve marktafschermende uitwerking aantonen.
Gesteld dat de litigieuze akkoorden vallen onder artikel 81 lid 1 EG-Verdrag, en dat ze geen groepsvrijstelling kunnen genieten, dan nog dient het hof te oordelen of deze akkoorden al dan niet voldoen aan de basisvoorwaarden van artikel 81 lid 3, overeenkomstig het door Verordening 1/2003 ingestelde systeem van wettelijke uitzondering.

Laurent E. / SA Brasserie Haacht

Siég.: M. Regout (conseiller ff. président), Ch. Schurmans et H. Mackelbert (conseillers)
Pl.: Mes P. Thys et F. Mottard

Dans l'affaire (…) ayant pour objet la demande adressée à la cour, en application de l'article 42bis de la loi sur la protection de la concurrence économique coordonnée le 1er juillet 1999 (ci-après “la loi”), par la cour d'appel de Liège, et tendant à obtenir (…) une décision sur la licéité d'une pratique de concurrence:

La cour,

(…)

Rend le présent arrêt:

(…)

II. La procédure devant la cour

6. Des observations écrites ont été déposées par:

- la brasserie Haacht le 15 octobre 2004;

- Laurent E. le 15 novembre 2004;

- le Conseil de la concurrence le 22 octobre 2004;

- le Corps des rapporteurs le 22 octobre 2004.

Faisant suite à une demande d'assistance que la cour lui a adressée au titre de l'article 15 paragraphe 1 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (J.O. L. 1 du 4 janvier 2003, p. 1), la Commission européenne a donné un avis écrit qui a été visé par le greffe le 4 février 2005.

Des observations écrites complémentaires ont été déposées par:

- Laurent E. le 16 février 2005;

- la brasserie Haacht le 17 février 2005.

7. Les parties ont été entendues à l'audience du 17 mars 2005 au cours de laquelle l'affaire a été mise en délibéré.

III. Les données relatives à la position de la brasserie Haacht

8. La brasserie Haacht produit aux débats devant la cour une communication de fin 2002 de la Commission publiée suite à la notification par la SA Interbrew Belgium de ses contrats de brasseurs (J.O. C. 283/14 du 20 novembre 2002), qui donne diverses informations sur le marché de la distribution de la bière dans le secteur horeca belge.

Sur ce marché, les parts détenues par les brasseurs sont évaluées comme suit:

- Interbrew: environ 56%;

- Alken-Maes: environ 13%;

- Palm: approximativement 7%;

- Haacht: quelque 6%.

La Commission indique encore au point 8 de cette communication que “la plupart des 52.000 débits horeca de Belgique sont des cafés (35.000), dont (

La brasserie Haacht se réfère en outre à un communiqué de presse du 15 avril 2003 dans lequel la Commission indique qu'en raison de sa part de marché dans le secteur Horeca belge, Interbrew “est le seul brasseur belge dont les accords d'exclusivité ne sont manifestement pas couverts par le nouveau règlement d'exemption par catégorie relatif aux accords verticaux de fin 1999”, à savoir le règlement (CE) n° 2790/1999 de la Commission du 22 décembre 1999 concernant l'application de l'article 81 paragraphe 3 du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées (J.O. L. 336/21 du 29 décembre 1999).

9. Aucune information n'est produite aux débats relativement au marché des boissons autres que la bière.

IV. Sur la compétence de la cour de connaître des questions qui lui sont soumises

10. Selon le corps des rapporteurs, l'objet des articles 42 et 42bis de la loi serait d'organiser un recours préjudiciel uniquement en interprétation de la loi. La cour d'appel de Bruxelles n'aurait donc pas le pouvoir de statuer, en fait et en droit, sur la licéité de la pratique de concurrence faisant l'objet du litige en principal.

Le Corps des rapporteurs fait valoir à cet égard que toute autre interprétation aurait pour conséquence:

- de vider de manière substantielle la compétence du juge du fond à appliquer les articles 81 et 82 CE, le cas échéant après avoir posé une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes ou après avoir demandé l'assistance de la Commission, comme sa compétence à appliquer les articles 2 et 3 de la loi;

- de doter la cour du pouvoir de statuer sur la licéité des opérations de concentrations.

11. L'article 42 de la loi donne à la cour d'appel de Bruxelles la compétence de statuer à titre préjudiciel, par voie d'arrêt, “sur les questions relatives au caractère licite d'une pratique de concurrence au sens de la loi”.

L'article 42bis précise que lorsque la solution à un litige dépend du caractère licite d'une pratique de concurrence au sens de la présente loi, la juridiction saisie, à l'exception de la Cour de cassation, doit surseoir à statuer et saisir la cour d'appel de Bruxelles.

Aux termes du paragraphe 5 de cette même disposition, la juridiction qui a posé la question préjudicielle, ainsi que toute juridiction appelée à statuer dans la même affaire, à l'exception de la Cour de cassation, sont tenues, pour la solution du litige à l'occasion duquel a été posée la question, de se conformer à l'arrêt rendu par la cour d'appel de Bruxelles.

Dès lors que ces dispositions donnent expressément à la cour d'appel de Bruxelles la compétence de répondre aux questions relatives à la licéité d'une pratique de concurrence faisant l'objet du litige au principal, il y a lieu de constater qu'elles n'organisent pas un renvoi préjudiciel “en interprétation de la loi”.

En conséquence, ce mécanisme de renvoi préjudiciel:

- implique le pouvoir de la cour d'appel de Bruxelles de connaître des faits de la cause et de statuer sur la licéité de la pratique en cause au regard des règles de la concurrence applicables, en ayant égard aux motifs et aux objectifs des questions qui lui sont adressées;

- institue une procédure contentieuse au cours de laquelle les parties dans le litige au principal doivent recevoir l'occasion de présenter leurs observations.

Par ailleurs, si le but de ces dispositions avait été de donner à une juridiction le pouvoir d'interpréter la loi, sans connaître des faits, le choix du législateur se serait porté logiquement sur la Cour de cassation et non sur la cour d'appel de Bruxelles qui est juge du fond. De même, le législateur n'aurait pas jugé utile de donner aux autorités nationales de concurrence la possibilité de formuler des observations. Or, si la loi a estimé que leur intervention dans la procédure était utile, c'est parce qu'elles sont les mieux placées pour fournir à la cour des données économiques sur le marché en cause et la position qu'y occupent les parties en litige.

12. Il résulte des considérations qui précèdent qu'il n'y a pas lieu de craindre que ledit mécanisme de renvoi préjudiciel ait pour conséquence directe ou indirecte de priver le juge saisi d'un litige de la faculté prévue à l'article 234 CE (ex art. 177 du traité), de saisir la Cour de justice des Communautés européennes de questions concernant l'interprétation du droit communautaire de la concurrence nécessaire au règlement du litige qui lui est soumis.

Il ne peut se déduire des dispositions de la loi que seule la cour d'appel de Bruxelles est compétente pour procéder au renvoi préjudiciel devant la Cour de justice.

En outre, vu la primauté du droit communautaire, toute interprétation des dispositions nationales qui aurait pour effet de priver le juge saisi du litige au principal de la faculté de soumettre à la Cour de justice des questions exigeant une interprétation du droit communautaire serait à écarter.

Dans son arrêt du 27 juin 1991 (C-348/89, Mecanarte-Metalurgica da Lagoa/Alfandega do Porto, Rec., p. I-3277), la Cour de justice a en effet rappelé que “l'effet utile du système instauré par l'article 177 du traité exige que les juridictions nationales disposent de la faculté la plus étendue de saisir la Cour de justice si elles considèrent qu'une affaire pendante devant elles soulève des questions exigeant une interprétation ou une appréciation de validité des dispositions du droit communautaire nécessaires au règlement du litige qui leur est soumis” et que l'efficacité du droit communautaire se trouverait menacée si l'existence d'un recours obligatoire pouvait empêcher le juge national, saisi d'un litige régi par le droit communautaire, d'exercer la faculté qui lui est attribuée par l'article 234 CE (ex art. 177 du traité) de soumettre à la Cour de justice les questions portant sur l'interprétation ou sur la validité du droit communautaire (point 44).

Dès lors que l'interprétation du droit communautaire relève de la compétence exclusive de la Cour de justice, l'article 42bis de la loi qui énonce que le juge qui a posé la question est tenu pour la solution du litige de se conformer à l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles, ne peut être interprété en ce sens qu'il empêcherait la juridiction de renvoi de saisir la Cour de justice de questions d'interprétation du droit communautaire de la concurrence nécessaires au règlement du litige qui lui est soumis.

13. S'agissant de l'examen de l'admissibilité des opérations de concentration soumises à une notification préalable, il suffit de constater que la loi confère une compétence exclusive au Conseil de la concurrence.

Le mécanisme de renvoi préjudiciel qu'elle organise est dès lors étranger à cette matière.

V. Sur les questions soumises à la cour

14. La première question posée par la cour d'appel de Liège vise à savoir si la brasserie Haacht a violé l'article 81 paragraphe 1 en imposant en juin 1997, à la SPRL Baril Café qui exploitait un débit de boisson situé à Liège, rue Saint Jean en Iles, 21, une obligation d'achat exclusif d'une durée de cinq ans et portant sur les boissons autres que la bière alors qu'elle bénéficiait déjà depuis juin 1993, pour ce même débit de boissons, d'une obligation de non-concurrence d'une durée de 10 ans portant sur la bière.

Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si les accords des 24 juin 1993 et 3 juin 1997 relèvent, depuis la conclusion du second accord, de l'article 81 paragraphe 1 CE, la licéité du premier accord n'étant pas contestée pour la période allant du 24 juin 1993 au 3 juin 1997.

La seconde question vise à savoir quelles seraient, dans l'affirmative, les conséquences d'une violation de l'article 81 paragraphe 1 CE, sur l'exercice des droits que le contrat du 24 juin 1993 confère à la brasserie Haacht en cas de cessation d'exploitation.

Eu égard aux données exposées par la juridiction de renvoi et à l'objet du litige au principal, ces questions appellent quelques observations préliminaires.

15. Il convient d'abord de relever que l'accord individuel en cause dans le litige au principal est constitué des contrats conclus le 24 juin 1993 par la brasserie Haacht avec Laurent E. qui servent de fondement à la demande (ci-après, “l'accord litigieux”).

Cet accord constitue un accord d'achat exclusif qui n'a pas pour objet d'affecter le commerce entre les États membres ou de restreindre la concurrence, au sens de l'article 85 paragraphe 1 CE, puisqu'il ne réunit pas de par sa seule nature, les éléments constitutifs de l'incompatibilité avec le marché commun, prévus à cette disposition (C.J.C.E. 12 décembre 1967, aff. 23/67, Brasserie De Haecht/Wilkin Janssen, Rec., p. 00525; 7 décembre 2000, aff. 214/99, Neste, Rec. 2000, p. I-11121, point 25).

En l'absence d'objet anticoncurrentiel, un accord ne peut être incriminé qu'au titre de ses effets (C.J.C.E. 28 mai 1998, C-7/95, John Deere Ltd/Commission).

C'est dès lors seulement en procédant à l'appréciation des effets de l'accord litigieux, qui implique la nécessité de prendre en considération le contexte économique et juridique au sein duquel cet accord se situe, notamment l'accord conclu en date du 3 juin 1997, qu'il y a lieu de vérifier si ce contrat viole les interdictions énoncées à l'article 81 paragraphe 1 CE et est frappé de nullité, la cause de nullité de celui-ci n'étant en outre pas nécessairement contemporaine de sa formation.

16. Pour saisir la portée des questions posées et apprécier la nécessité le cas échéant de les reformuler, il convient en outre de déterminer au préalable à quel moment il y a lieu de se placer pour apprécier, en l'espèce, la compatibilité de l'accord litigieux avec l'article 81 paragraphe 1 CE.

La demande au principal tend à entendre condamner Laurent E. à réparer le préjudice que la brasserie Haacht estime avoir subi du fait de la résiliation anticipée de la convention entre les parties, intervenue suite à la cessation d'activité.

Pour que ce droit à une indemnité puisse être reconnu à la brasserie Haacht, il faut que la brasserie Haacht justifie un droit à l'exécution forcée de l'obligation d'achat exclusif jusqu'à l'expiration du terme convenu qui ne se heurte pas à la prohibition des ententes.

Pour examiner le bien-fondé du moyen soulevé par Laurent E., en appréciant les effets anticoncurrentiels éventuels du contrat entre les parties par référence au jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se produirait à défaut de l'accord litigieux et pour vérifier si l'accord peut justifier l'octroi d'une exemption, il y a donc lieu de se placer au jour où la brasserie Haacht a entendu se prévaloir du terme convenu, et non à tout moment depuis la formation du contrat.

C'est en effet la mise en oeuvre de la clause d'achat exclusif pour la durée qui restait à courir au jour de la rupture qui est seule en cause en l'espèce.

Pour apprécier le bien-fondé de la demande en dommages et intérêts introduite par la brasserie Haacht en décembre 2000, il n'y a pas lieu de vérifier si l'accord a réuni à un quelconque moment depuis sa formation en 1993 les conditions d'application de l'article 81 paragraphe 1 CE sans pouvoir bénéficier d'une exemption au titre du paragraphe 3 de la même disposition, mais seulement de se demander si l'accord litigieux était affecté d'une cause de nullité au jour du manquement allégué et au jour de l'introduction de la demande, compte tenu de la durée totale de l'accord, du contexte économique et juridique existant à ce moment et notamment de l'existence du contrat du 3 juin 1997.

Ainsi qu'il découle de la jurisprudence de la Cour de justice, tout particulier peut se prévaloir en justice de la violation de l'article 81 paragraphe 1 CE, même lorsqu'il est partie à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de cette disposition (C.J.C.E. 20 septembre 2001, C-453/99, Courage et Crehan, Rec., p. I-6297, point 24).

Il se déduit de cette jurisprudence que la partie à un contrat qui allègue avoir subi un dommage en raison de son assujettissement à une clause contractuelle contraire à l'article 81, peut en principe demander à l'autre partie la réparation de son préjudice pour la période concernée et qu'elle ne pourrait être privée de ce droit au seul motif que la cause de nullité a entre-temps disparu. La juridiction de renvoi n'est cependant pas saisie d'une quelconque demande en réparation d'un préjudice qui résulterait pour Laurent E. de son assujettissement à l'obligation d'achat exclusif pour la période au cours de laquelle cette obligation a été respectée, soit jusqu'au 22 juillet 1999.

Il ne se déduit en revanche pas de la règle énoncée par la Cour dans l'arrêt Courage et Créhan déjà cité, qu'une partie à un contrat à prestations successives et d'une durée déterminée qui a volontairement exécuté ses obligations pendant un laps de temps, pourrait opposer à une demande en exécution du contrat jusqu'à l'expiration du terme convenu - en nature ou sous forme de dommages et intérêt -, une cause de nullité qu'elle n'a jamais invoquée pendant la période au cours de laquelle la clause contractuelle aurait pu être prohibée en raison de ses effets anticoncurrentiels, lorsque cette cause a disparu.

L'effet utile de l'interdiction énoncée à l'article 81 paragraphe 1, ne paraît en effet pas être mis en cause par l'exécution d'un contrat qui n'est pas contraire aux règles de la concurrence au moment où son exécution forcée est demandée, quand bien même ce contrat aurait eu pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à un moment déterminé.

17. Dès lors, afin de fournir à la juridiction de renvoi une réponse utile à ses questions et de lui permettre de trancher le litige qui lui est soumis, il convient de reformuler la première question qui revient à savoir si Laurent E. est fondé à opposer à la demande en résiliation des contrats et en dommages et intérêts pour résiliation anticipée de la convention de brasserie, un moyen tiré de la contrariété de ce dernier contrat avec l'article 81 CE.

18. Il résulte de la décision de renvoi que la cour d'appel de Liège s'interroge sur la licéité du contrat de brasserie entre les parties au regard de l'article 81 CE en partant de la prémisse que ce contrat ne pouvait plus bénéficier de l'exemption prévue par le règlement (CEE) 1984/83, et ce, à compter du jour de la conclusion du contrat portant sur des boissons autres que la bière.

Cependant, au jour où la brasserie Haacht a pris la décision de se prévaloir du non-respect des obligations pesant sur Laurent E. en vertu du contrat de fourniture de bière du 24 juin 1993, en invitant la Banque à dénoncer le crédit dont il bénéficiait, le règlement (CE) n° 2790/1999, déjà cité, était entré en vigueur depuis le 1er janvier 2000.

Ce règlement était applicable depuis le 1er juin 2000, à l'exception de l'article 12 paragraphe 1, en vertu duquel les exemptions prévues par le règlement (CEE) n° 1984/83 dont la période de validité expirait le 31 décembre 1999, continuaient néanmoins de s'appliquer jusqu'au 31 mai 2000. Cet article 12 paragraphe 1 s'appliquait à partir du 1er janvier 2000.

En application de l'article 12 paragraphe 2 de ce règlement, l'interdiction énoncée à l'article 81 paragraphe 1 du traité ne s'appliquait pas, pendant la période du 1er juin 2000 au 31 décembre 2001, aux accords en vigueur au 31 mai 2000 qui ne remplissent pas les conditions d'exemption prévues par le nouveau règlement (CE) n° 2790/1999, mais qui remplissaient les conditions d'exemption prévues par le règlement (CEE) n° 1984/83.

19. En vertu de l'article 3 paragraphe 1 du règlement (CE) n° 2790/1999, les accords verticaux entre entreprises non concurrentes, susceptibles de tomber sous le coup de l'article 81 paragraphe 1 du traité, qui imposent à l'acheteur des obligations de non-concurrence sans lui imposer certains autres types de restrictions ayant des effets anticoncurrentiels graves, bénéficient d'une exemption par catégorie, lorsque la part que le fournisseur détient ne dépasse pas 30% du marché pertinent sur lequel il vend les biens ou services contractuels.

Aux termes de l'article 5 de ce règlement, l'exemption des obligations de non-concurrence imposées à l'acheteur est subordonnée à la condition que leur durée n'excède pas 5 ans.

L'obligation de non-concurrence prévue dans le contrat signé le 3 juin 1997 entre la Brasserie Haacht et la SPRL Baril Café et portant sur des boissons autres que la bière, n'excède pas cinq ans.

Pour la définition du marché en cause aux fins du calcul du seuil de 30% prévu par le règlement, il y a lieu de prendre en compte le marché de la distribution dans les débits de boissons, des boissons spécifiées dans cette convention, et des boissons que les acheteurs finals considèrent comme substituables. En effet, rien n'indique que ces boissons et la bière puissent être considérées comme substituables de sorte qu'il n'y a pas lieu de tenir compte de la part de marché de la brasserie Haacht sur le marché de la distribution de la bière dans les débits de boissons pour examiner la licéité du contrat du 3 juin 1997.

Il ne ressort d'aucun élément du dossier que la part de la brasserie Haacht sur un des marchés concernés par les produits contractuels faisant l'objet du contrat du 3 juin 1997 serait supérieure à 30%.

Le bénéfice de l'exemption au titre de ce règlement n'est pas subordonné à d'autres conditions. L'existence éventuelle d'un second accord entre le fournisseur et l'acheteur contenant une clause de non-concurrence mais portant sur des biens ne faisant pas partie du même marché que les biens contractuels visés par le premier accord, ne prive dès lors pas ce premier accord du bénéfice de l'exemption.

Il n'y a donc pas lieu de tenir compte de l'existence du contrat du 24 juin 1993 relatif à la bière, pour vérifier si le contrat du 3 juin 1997 relatif à des biens autres que la bière, bénéficiait d'une exemption au titre du règlement (CE) 2790/1999.

Il résulte de ce qui précède que, comme l'indique la Commission dans son avis, dans l'hypothèse où le contrat du 3 juin 1997 tombe sous le coup de l'interdiction des ententes, l'obligation de non-concurrence qu'il contient bénéficiait au jour de la dénonciation du crédit pour cessation d'exploitation, de l'exemption par catégorie prévue dans le règlement (CE) 2790/1999, entré en vigueur le 1er juin 2000.

Laurent E. ne peut donc invoquer l'existence de ce contrat qui bénéfice depuis le 1er juin 2000 d'une exemption, pour mettre en cause la validité de la clause de non-concurrence contenue dans le contrat qui le lie à la brasserie Haacht.

20. S'agissant des dispositions de l'article 12 du règlement (CE) 2790/1999 qui organisent une période de transition pour les accords verticaux en vigueur au 31 mai 2000, la Commission a indiqué dans sa communication relative aux lignes directrices sur les restrictions verticales (J.O. C. 291 du 13 octobre 2000, p. 1) que “les accords conclus par les fournisseurs dont la part de marché ne dépasse pas 30% et qui ont signé avec leurs acheteurs des accords de non-concurrence pour une durée supérieure à cinq ans sont ainsi couverts par le règlement d'exemption par catégorie si, au 1er janvier 2002, la durée de ces accords de non-concurrence qui reste à courir ne dépasse pas cinq ans”.

Cette position est logique. Le nouveau règlement qui tient compte de l'expérience acquise à ce moment, définit les accords verticaux dont on peut présumer avec suffisamment de certitude qu'ils remplissent normalement les conditions prévues à l'article 81 paragraphe 3, à l'aide de critères quantitatifs différents de ceux qui avaient été retenus dans le règlement (CEE) 1984/83 et qui avaient pour conséquence que l'exemption par catégorie s'appliquait sans limites de part de marché.

Il n'y a donc pas lieu de tenir compte de la durée initiale de la clause de non-concurrence prévue dans les accords en vigueur au 31 mai 2000 pour vérifier s'ils réunissent, au 1er juin 2000, les conditions prévues par le règlement (CE) n° 2790/1999, mais seulement de la durée restant à courir au 1er janvier 2002.

La part de marché de la brasserie Haacht ne dépasse pas 30% du marché pertinent de la distribution de la bière dans le secteur horeca belge.

L'accord du 24 juin 1993 était donc également couvert par ce règlement à partir du 1er juin 2000 puisque la durée des obligations de non-concurrence qui restait à courir au 1er janvier 2002 ne dépassait pas cinq ans.

Dès lors que l'exemption d'une clause de non-concurrence au titre de ce règlement ne dépend pas de l'existence éventuelle d'autres accords entre le fournisseur et l'acheteur relativement à d'autres biens que les biens contractuels concernés par la clause à examiner, l'accord du 3 juin 1997 qui concerne les boissons autres que la bière, est sans influence sur la validité de l'accord litigieux à compter du 1er juin 2000.

21. En vertu du règlement (CEE) n° 1984/83 en vigueur au jour de la conclusion des contrats litigieux de juin 1993 et de juin 1997, les contrats de brasserie par lesquels le fournisseur imposait au revendeur une obligation d'achat exclusif, et qui réunissaient les conditions énoncées dans ce règlement, bénéficiaient d'une exemption par catégorie.

Aux termes de l'article 8 c) et d) de ce règlement, le bénéfice de l'exemption par catégorie était retiré lorsque:

- l'accord est conclu pour une durée indéterminée, ou pour une durée excédant cinq ans dans la mesure où l'obligation d'achat exclusif concerne certaines bières et certaines autres boissons;

- l'accord est conclu pour une durée indéterminée ou pour une durée excédant dix ans dans la mesure où l'obligation d'achat exclusif ne concerne que certaines bières.

Laurent E. se fonde sur cette disposition pour conclure qu'à compter du 3 juin 1997, les contrats ne pouvaient plus bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par ce règlement et qu'ils étaient dès lors frappés de nullité, dès lors que la brasserie Haacht bénéficiait pour le même point de vente, de clauses de non-concurrence portant à la fois sur la bière et certaines autres boissons, dont la durée en ce qui concerne l'obligation de non-concurrence portant sur la bière, excédait cinq ans.

Comme indiqué plus haut, le comportement en cause dans l'affaire au principal est le refus de la brasserie Haacht d'accepter la résiliation anticipée de la convention et l'exercice par elle du droit qu'elle tire du contrat litigieux de se prévaloir du terme convenu.

Il n'y a donc pas lieu de remonter à la date de la conclusion du contrat du 3 juin 1997.

22. À supposer qu'il faille se placer au jour de la cessation d'activité pour vérifier la licéité de l'accord litigieux, et non au jour où la brasserie Haacht a dénoncé l'accord, il reste encore à vérifier si au jour de la faillite de la SPRL Baril Café qui est antérieure à l'entrée en application du règlement (CE) n° 2790/1999, la brasserie Haacht disposait du droit d'exiger le respect de l'obligation d'approvisionnement jusqu'à l'expiration du terme convenu.

23. Laurent E. soutient à tort que le règlement (CEE) n° 1984/83 crée une présomption d'incompatibilité avec l'article 81 paragraphe 1 CE de tous les accords de brasserie qui ne remplissent pas les conditions de l'octroi du bénéfice de l'exemption par catégorie qu'il prévoit.

Il résulte au contraire du considérant 4 de ce règlement dont la validité expirait le 31 décembre 1999, comme du considérant 4 du règlement (CE) n° 2790/1999, que le législateur européen n'a pas jugé nécessaire, pour l'application par voie de règlement de l'article 81 paragraphe 3 de définir dans ces règlements les accords verticaux qui sont susceptibles de tomber sous le coup de l'interdiction des ententes, mais qu'il s'est limité à définir des catégories d'accords qui réunissent normalement les conditions de fond de l'article 81 paragraphe 3 gouvernant l'octroi d'exemptions.

Il est donc inexact de prétendre comme le fait Laurent E. sur la base de la considération que les contrats litigieux pris ensemble ne réunissent pas les conditions auxquelles le règlement (CEE) n° 1984/83 subordonne le bénéfice de l'exemption par catégorie des contrats de brasserie, qu'il appartiendrait à la brasserie Haacht de prouver que les contrats ne relèvent pas de l'article 81 paragraphe 1 CE.

24. Échappent à l'article 81 paragraphe 1 CE, les accords qui ne peuvent affecter sensiblement le commerce entre États membres et les accords qui affectent le commerce entre États membres mais qui ne constituent pas une restriction sensible de la concurrence.

La première condition est remplie compte tenu du fait que la brasserie Haacht couvre plus de 5% du marché concerné de la distribution de la bière dans le secteur horeca belge, et qu'elle a donc une taille suffisamment importante pour que son comportement soit en principe susceptible d'affecter le commerce entre les États membres (C.J.C.E. 25 octobre 1983, C-107/82, AEG/Commission, Rec., p. 03151).

La Commission a par ailleurs défini, à plusieurs reprises et en tenant compte de l'expérience acquise, des seuils en dessous desquels elle considérait que les accords entre entreprises ne tombaient généralement pas sous le coup de l'interdiction des ententes.

Suivant sa communication du 3 septembre 1986 (J.O. C. 231 du 12 septembre 1986, p. 0002), les accords sont considérés comme d'importance mineure lorsque la part de marché des entreprises participantes sur le marché concerné ne représente pas plus de 5%, et lorsque le chiffre d'affaires total, réalisé au cours d'un exercice par les entreprises participantes, ne dépasse pas 200 millions d'Ecu.

S'agissant des contrats de brasserie et suite à l'arrêt Delimitis déjà cité, la Commission a complété sa communication du 13 avril 1984 relative aux règlements (CEE) n° 1983/83 et (CEE) n° 1984/83 (J.O. n° C 101 du 13 avril 1984), par sa communication 92/C 121/02 (J.O. du 13 mai 1992), en précisant qu'elle considérait que les accords de fourniture de bière conclus par les brasseries au sens de l'article 6 et de l'article 8 paragraphe 2 du règlement (CEE) n° 1984/83 ne relèvent pas, d'une manière générale, de l'article 85 paragraphe 1 du traité CE si les deux conditions suivantes sont réunies:

- la part de marché de la brasserie n'est pas supérieure à 1% du marché national de la revente de bière dans les débits de boissons;

- elle ne produit pas plus de 200.000 hectolitres de bière par an.

Elle précisait que ces principes n'étaient pas applicables si l'accord en question était conclu pour plus de sept ans et demi s'il concerne la bière et d'autres boissons et pour plus de quinze ans s'il concerne uniquement la bière.

C'est sur la base de cette communication de mai 1992 que Laurent E. prétend que les contrats de fourniture de bière conclus par la brasserie Haacht, qui détient sur le marché de la distribution de la bière dans le segment horeca belge, une part de marché supérieure à 1%, doivent être considérés comme tombant sous le coup de l'interdiction des ententes.

25. Eu égard aux autres données économiques dont la cour dispose et au fait que, postérieurement à cette communication, l'approche de la Commission a nettement évolué dans le sens d'une plus grande indulgence à l'égard des accords verticaux ne contenant pas des restrictions de concurrence caractérisées, cette position ne saurait être suivie.

Dans sa communication du 9 décembre 1997 concernant les accords d'importance mineure (J.O. C. 372 du 9 décembre 1997), qui remplace celle de 1986, la Commission indiquait qu'elle considérait que les accords verticaux qui ne contiennent pas des restrictions dites caractérisées, ne tombent pas sous le coup de l'interdiction de l'article 81 paragraphe 1 (ex art. 85 par. 1) lorsque les parts de marché détenues par l'ensemble des entreprises participantes ne dépassent pas le seuil de 10%, sur aucun des marchés concernés,

Suivant sa communication de minimis du 22 décembre 2001 (J.O. C 368/13 du 22 décembre 1997), qui remplace celle de décembre 1997, la Commission considère que les accords entre non-concurrents qui affectent le commerce entre États membres, ne restreignent pas sensiblement la concurrence au sens de l'article 81 paragraphe 1 du traité, si la part de marché détenue par chacune des parties à l'accord ne dépasse 15% sur aucun des marchés en cause affectés par l'accord (point 7).

Ces communications sont pertinentes en l'espèce en ce qu'elles constituent une prise de position de la Commission par rapport au caractère peu dommageable pour la concurrence des accords verticaux en fonction de la part de marché du fournisseur, qui repose sur l'expérience acquise dans l'analyse des effets de tels accords.

La part de marché de Haacht sur le marché concerné de la distribution de la bière dans les débits de boissons ne dépasse pas ces seuils de 10% ou de 15%.

Il n'est fourni aucune donnée sur la position de la brasserie Haacht sur le marché de la distribution des boissons autres que la bière de sorte que rien ne permet de constater que la part de la brasserie Haacht sur le marché des produits visés dans l'accord de juin 1997 serait supérieure à ces seuils.

26. S'agissant de la question de savoir si au jour de la faillite, le contrat de brasserie litigieux tombait sous le coup de l'article 81 paragraphe 1 CE bien que les seuils précités ne soient pas atteints, et ce en raison de l'effet cumulatif d'accords de vente de biens ou de services contractés par différents fournisseurs ou distributeurs (effet cumulatif de verrouillage de réseaux parallèles d'accords ayant des effets similaires sur le marché), la position de la Commission a également évolué.

Dans ses communications de 1986 et de 1997, la Commission précisait que lesdites communications ne s'appliquaient pas lorsque, dans le marché en cause, la concurrence est restreinte par un effet cumulatif de verrouillage.

En revanche, dans sa communication de minimis de décembre 2001, la Commission considérait que le seuil de 15% de part de marché devait être abaissé à 5% lorsque, sur un marché en cause, la concurrence est restreinte par un effet cumulatif de verrouillage, et elle précisait que:

- on considère que les fournisseurs ou distributeurs individuels dont la part de marché n'excède pas 5% ne contribuent en général pas d'une manière significative à un effet cumulatif de verrouillage;

- un effet cumulatif de verrouillage n'existera vraisemblablement pas si moins de 30% du marché en cause est couvert par des (réseaux parallèles d') accords ayant des effets similaires (point 8).

Comme l'indique la Commission, le seuil de 5% défini au point 8 de la Communication de minimis doit s'interpréter comme une part de marché liée de 5%, la part de marché liée étant la fraction de la part de marché totale qui résulte des ventes effectuées par le biais d'obligations de “monomarquisme”, dénomination qui vise les accords dont le trait principal est d'inciter l'acheteur à s'approvisionner, pour un type de produit, auprès d'un seul fournisseur (Communication sur les lignes directrices sur les restrictions verticales, J.O. C 291 du 13 octobre 2000, point 142).

C'est en effet l'importance de la part de marché liée du fournisseur qui permet de déterminer si une responsabilité pour l'effet de fermeture du marché doit lui être imputée (C.J.C.E. 7 décembre 2000, C-214/99, Neste, Rec. 2000, p. I-11121, point 26).

Rien ne permet de déduire des données dont la cour dispose que la part de marché liée de la brasserie Haacht a dépassé le seuil de 5% sur le marché de la distribution de la bière dans le segment horeca à un quelconque moment, notamment durant la période allant du jour de la faillite au 1er juin 2000.

Dès lors, même si sur la base des données relatives à la situation du marché en 2002, il est permis de présumer que plus de 30% du marché était couvert par des accords de non-concurrence puisque la part liée d'Interbrew représentait 23% des débits de boissons, il n'est pas pour autant établi que les contrats conclus par Haacht dont la part de marché est beaucoup plus réduite, même considérés cumulativement, ont contribué à un éventuel effet de verrouillage du marché de manière significative.

Faute d'éléments, il y a donc lieu de présumer que la contribution de la brasserie Haacht à un éventuel effet cumulatif de verrouillage ne pouvait être qu'insignifiante et que le contrat litigieux ne tombait dès lors pas sous le coup de l'interdiction des ententes.

C'est à tort que Laurent E. tente de démontrer que les contrats de la brasserie Haacht ont contribué de manière sensible à un verrouillage du marché en faisant valoir que la brasserie Haacht aurait elle-même reconnu que ses accords de brasserie relevaient de l'interdiction des ententes puisqu'elle a tenu compte des conditions d'exemption fixées par le règlement (CEE) n° 1984/83, notamment pour déterminer la durée de validité de ses contrats qui correspond, pour chaque type de contrat pris isolément, aux exigences de l'article 1 c) et d) de ce règlement.

L'appréciation de la compatibilité d'un accord avec l'article 81 paragraphe 1 CE ne saurait dépendre de l'appréciation qu'en font les entreprises concernées, ni a fortiori, des précautions qu'elles prennent pour échapper au risque d'être poursuivies en infraction.

27. Enfin, il convient de relever que la coexistence des deux contrats ne peut par elle-même faire obstacle à l'application de l'article 81 paragraphe 3 CE, à supposer même que le contrat de juin 1993 doive être considéré comme relevant de l'interdiction des ententes.

Un accord qui relève de l'article 81 paragraphe 1 CE et qui ne bénéficie pas de l'exemption par catégorie définie par le règlement applicable, peut encore être exempté lorsqu'il répond aux conditions de fond de l'article 81 paragraphe 3 CE gouvernant l'octroi d'exemptions.

Comme le relève la Commission dans ses observations à la cour, il appartient aux juridictions nationales de vérifier si l'accord litigieux répond à ces conditions, et ce en application du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de la concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, entré en vigueur le 1er mai 2004 (J.O. L. 1 du 4 janvier 2003, p. 1), qui s'applique à toutes les affaires pendantes indépendamment de la date des faits à l'origine du litige. Le fait que l'accord n'a pas été notifié est dès lors sans pertinence.

La position de la brasserie Haacht sur le marché de la distribution de la bière dans le secteur horeca est faible et elle doit faire face à la concurrence d'Interbrew dont la part de marché est dix fois supérieure.

Par ailleurs, les obligations de non-concurrence dont bénéficiait la brasserie Haacht pour le même débit de boissons dont l'une portait sur la bière et l'autre sur les produits autres que la bière, ne devaient coexister que durant cinq ans ce qui respecte l'esprit de ce règlement.

Enfin, au jour de la conclusion du contrat portant sur des boissons autres que la bière, la durée restant à courir du contrat portant sur la bière ne dépassait les cinq ans que de treize mois.

Il ne peut se déduire de cette seule circonstance que le contrat litigieux ne produirait pas les mêmes effets positifs sur la concurrence que ceux que produisent les accords exemptés au titre du règlement (CEE) n° 1984/83, tels qu'ils sont décrits dans les considérants 13 et suivants de ce règlement ou que la clause de non-concurrence qu'il contient dépasserait - en raison non de sa durée mais de l'existence d'un autre contrat exclusif portant sur des boissons autres que la bière pour le même débit de boisson -, ce qui est nécessaire pour atteindre ces effets.

Cette constatation est faite sans préjudice de l'examen du point de savoir si les sanctions prévues pour l'inobservation de la durée de validité du contrat litigieux sont ou non disproportionnées par rapport à l'objectif qu'elles visent, question dont la cour n'est pas saisie et qu'il appartiendra à la juridiction de renvoi d'examiner (C.J.C.E. 15 décembre 1994, Gottrup-Klim, Rec. 1994, p. I-05641, point 36).

28. Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que le moyen soulevé par Laurent E. à l'encontre de la demande en réparation du préjudice que la brasserie Haacht allègue avoir subi du fait de la résiliation anticipée de la convention du 24 juin 1993, et tiré d'une contrariété de l'accord entre les parties avec l'interdiction des ententes, n'est pas fondé.

Il n'y a donc pas lieu de répondre à la seconde question.

Par ces motifs

La cour,

Statuant sur les questions à elle soumises par la cour d'appel de Liège,

Dit pour droit que le moyen invoqué par Laurent E. pour s'opposer à la demande en réparation du préjudice que la brasserie Haacht allègue avoir subi du fait de la résiliation anticipée de la convention de brasserie du 24 juin 1993 et tiré d'une contrariété de ce contrat avec l'article 81 CE n'est pas fondé.

Constate que la seconde question est sans objet.

Renvoie l'affaire à la cour d'appel de Liège.