Cour de cassation 19 janvier 2006
LOI SUR LES FAILLITES
Modification de la date de cessation de paiement
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B.S. / H.A., Top Star International, V.G. et V.P.
Siég.: R. Boes, E. Waûters, G. Bourgeois, G. Londers et E. Dirix |
M.P.: G. Dubrulle (avocat général) |
Pl.: Me Claeys-Boúúaert |
R.G. C.04.0446.N |
1. Exposé des faits - L'arrêt du 19 janvier 2006 a trait à la modification de la date de cessation de paiement lors de la faillite d'une société en liquidation (application de l'art. 12 dernier al. L.faill.). Les faits les plus importants qui sont à la base de cet arrêt, peuvent être résumés comme suit.
La SA Top Star International a été mise en liquidation de fait suite à une décision du 12 septembre 1996. En date du 13 février 1997, la société a été liquidée de fait avec effet rétroactif au 1er janvier 1997. Dans le cadre de ladite liquidation de fait, la totalité du fonds de commerce a été vendue avec une plus-value. Les actions ont été transférées à une personne morale. Il n'y a eu aucune déclaration d'impôt. Tout les moyens liquides disponibles ont été retirés de la société pour le financement de l'achat d'actions sans valeur et les avoirs en caisse de la société ont été alloués aux époux V.-P. Par cette construction, la société échappe aux impôts. En réaction, l'État belge requiert la modification de la date de cessation de paiement jusqu'à la date de la décision de la liquidation de fait, à savoir le 12 septembre 1996. L'État belge a succombé aussi bien en première instance qu'en appel.
2. Contexte - En principe, la cessation de paiement est réputée avoir lieu à partir du jugement déclaratif de faillite. Le tribunal ne peut fixer à une date antérieure la cessation de paiement, sauf si des éléments sérieux et objectifs indiquent clairement que la cessation de paiement a eu lieu avant le jugement. La modification de la date de cessation de paiement n'est pas illimitée dans le temps. La date de la cessation de paiement ne peut être fixée à une date précédant de plus de six mois le jugement déclaratif de faillite [1]. Toutefois, il existe une exception à cette règle pour la faillite d'une personne morale dissoute plus de six mois avant le jugement déclaratif de faillite, que sa liquidation soit clôturée ou non. Dans le cas où il existe des indices que la liquidation a été ou est menée dans l'intention de nuire aux créanciers, la date de la cessation de paiement peut être fixée au jour de la décision de dissolution. Dans cette hypothèse, le tribunal peut remonter plus de six mois en arrière [2].
3. Ratio legis - Le but de cette règle particulière est d'engager la lutte contre les liquidations volontaires frauduleuses des sociétés. La prolongation de la période de six mois précédant la faillite, vise à (pouvoir) frapper tout acte commis depuis la dissolution. Toutefois, l'application de cette disposition est soumise à deux conditions. La prolongation de la période suspecte ne sera réalisable que s'il existe des indices que la liquidation a été menée dans l'intention de nuire aux créanciers. À cet égard, on peut penser à une aliénation à des prix excessivement bas ou à un transfert en faveur d'actionnaires introuvables [3]. Une autre hypothèse est celle d'une liquidation qui vise à échapper à la publicité et au contrôle accompagnant la faillite ainsi qu'aux sanctions civiles et pénales résultant de celle-ci [4]. Une deuxième condition est que la prolongation soit appliquée vis-à-vis “d'une personne morale dissoute plus de six mois avant le jugement déclaratif de faillite, dont la liquidation est clôturée ou non”. Cette condition comprend une limitation: la période suspecte ne peut être reportée plus de six mois pour des sociétés qui n'ont pas encore été dissoutes depuis plus de six mois [5]. Le curateur ou tout tiers intéressé qui requiert la modification de la date de cessation de paiement, sera tenu de démontrer les éléments objectifs et sérieux de nature à révéler que la société a cessé ses paiements, ainsi que la preuve, du moins des indices, que la liquidation a été frauduleusement réalisée, soit au moment de la dissolution, soit ultérieurement en cours de liquidation [6]. En effet, l'article 12 dernier alinéa L.faill. stipule que la date de la cessation de paiement ne peut être fixée avant le jour de la décision de dissolution.
4. Décision de la Cour de cassation - La Cour de cassation a statué comme suit:
"1. Aux termes de l'article 12, sixième alinéa, de la Loi sur les faillites, le jugement ne peut pas fixer la date de la cessation de paiement à une date précédant de plus de six mois le jugement déclaratif de faillite sauf s'il s'agit d'une faillite d'une personne morale dissoute plus de six mois avant le jugement déclaratif de faillite, dont la liquidation est clôturée ou non et s'il existe des indices que la liquidation a été ou est menée dans l'intention de nuire aux créanciers. Dans ce cas, la date de la cessation de paiement peut être fixée au jour de la décision de dissolution. Cette disposition est également applicable quand l'avoir social, conformément au droit qui était en vigueur autrefois, est liquidé sans que les associés aient pris une décision formelle en dissolution de la société. Dans ce cas, la date de cessation de paiement peut être fixée à cette date.
2. En statuant qu'une dissolution formelle de la société est requise pour l'application de l'article 12 de la Loi sur les faillites et qu'une situation de fait ne suffit pas, et en rejetant à ce titre la demande de fixer la date de cessation de paiement à plus de six mois avant le jugement déclaratif de faillite, la juridiction d'appel viole cette disposition de la loi.”.
La Cour de cassation casse l'arrêt qui avait considéré que la constatation que la société avait déjà transféré son fonds de commerce au mois de septembre 1996, du moins avant fin 1996, et qu'elle n'exerçait plus d'activités, ne permettait pas de conclure que la décision de dissolution avait déjà été prise à ce moment. Pour l'application de l'article 12 L.faill., la cour d'appel a requis l'existence d'une décision formelle de dissolution, soit par décision de l'assemblée générale des actionnaires, soit par la voie judiciaire sur l'initiative d'un créancier ou du Ministère Public. Selon la juridiction d'appel, une liquidation de fait ne suffit pas pour justifier le report de la date de la cessation de paiement. Etant donné que la société était finalement légalement dissoute le 10 octobre 2002 pour dépôt tardif des comptes annuels et que la dissolution n'était pas menée dans l'intention de nuire aux créanciers, la cour d'appel n'a pas fait application de l'article 12, dernier alinéa L.faill.
5. Évaluation - La décision de la Cour de cassation se fonde sur le principe “fraus omnia corrumpit”. Une autre appréciation impliquerait que par une liquidation de fait frauduleuse, les créanciers seraient privés de de la protection de l'article 12 dernier alinéa L.faill., ce qui est contradictoire à ce qui a été évoqué dans la ratio legis de la disposition évoquée ci-dessus [7]. On doit conclure de la lecture de l'arrêt évoqué que deux conditions doivent être remplies pour l'application de l'article 12 dernier alinéa L.faill.: 1° une personne morale dissoute plus de six mois avant le jugement déclaratif de faillite; 2° des indices que la liquidation est menée dans l'intention de nuire aux créanciers. L'existence d'une décision formelle de dissolution n'est pas considérée comme une condition.
[1] | Voy. p. ex. Comm. Bruges (section Ostende), R.W. 1999-2000, 786. |
[2] | Il convient d'observer que cette règle ne porte pas atteinte à l'art. 2 al. 4 L.faill. stipulant que la personne morale ne peut être déclarée en faillite que jusqu'à six mois après la clôture de la liquidation. |
[3] | E. Wymeersch, “Toepassingsvoorwaarden”, in H. Braeckmans, E. Dirix et E. Wymeersch, Faillissement & Gerechtelijk akkoord: het nieuwe recht, Antwerpen, Intersentia, 1998, (79) 86-87, n° 9. |
[4] | J. Windey-Gouder de Beauregard, “La procédure”, in La faillite et le concordat en droit positif belge après la réforme de 1997, Commission Droit et Vie des Affaires, Éd. Collection Scientifique de la Faculté de Droit de Liège, 1998, (159) 206-207, n° 78. |
[5] | E. Wymeersch, “Toepassingsvoorwaarden”, in H. Braeckmans, E. Dirix et E. Wymeersch (eds.), Faillissement & Gerechtelijk akkoord: het nieuwe recht, Anvers, Intersentia, 1998, (79) 86-87, n° 9. |
[6] | I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat, Brussel, Kluwer, 2003, p. 404, nr. 671. |
[7] | Vgl. Chr. Van Buggenhout, “Kanttekeningen bij de wetten betreffende het gerechtelijk akkoord en het faillissement”, R.W. 1997-98, (449) 459. |