Article

Cour de cassation, 20/06/2005, R.D.C.-T.B.H., 2006/4, p. 418-420

Cour de cassation 20 juin 2005

SOCIÉTÉS
Société privée à responsabilité limitée - Gestion - Responsabilité du gérant - Responsabilité extracontractuelle des organes d'une société - Coexistence avec la responsabilité de la personne
morale
Si la faute commise par l'organe d'une société au cours de négociations préalables à la conclusion d'un contrat engage la responsabilité directe de cette personne morale, cette responsabilité n'exclut pas, en règle, la responsabilité personnelle de l'organe mais coexiste avec celle-ci.

VENNOOTSCHAP
Besloten vennootschap met beperkte aansprakelijkheid - Bestuur - Aansprakelijkheid van de zaakvoerder - Buitencontractuele aansprakelijkheid van de organen van een vennootschap - Samenloop met de aansprakelijkheid van de rechtspersoon
Hoewel de fout die een orgaan van een vennootschap begaat bij de besprekingen die tot een overeenkomst hebben geleid, de aansprakelijkheid van die rechtspersoon rechtstreeks in het gedrang brengt, sluit die aansprakelijkheid, in de regel, de persoonlijke aansprakelijkheid van dat orgaan niet uit maar bestaat zij gelijktijdig met laatstgenoemde aansprakelijkheid.

D.S. et D.N. / M.A., P.G. et Cofigest, société de droit luxembourgeois

Siég.: Ph. Echement (président de section), Ch. Storck, D. Plas, Ch. Matray et Ph. Gosseries (conseillers)
M.P.: J.-F. Leclercq (premier avocat général)
Pl.: Mes J. Kirkpatrick, P. Van Ommeslaghe

Arrêt

I. La décision attaquée

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 30 mai 2002 par la cour d'appel de Bruxelles.

(...)

III. Les moyens de cassation

Les demandeurs présentent trois moyens libellés dans les termes suivants:

1. Premier moyen
Dispositions légales violées

- articles 59, 191 spécialement alinéa 1er, 191bis et 192 de la loi luxembourgeoise du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales;

- articles 1382, 1383, 1984, 1989, 1991 et 1992 du Code civil luxembourgeois;

- pour autant que de besoin, articles 1382, 1383, 1984, 1989, 1991 et 1992 du Code civil.

Décisions et motifs critiqués

Après avoir constaté que la demanderesse est la gérante statutaire de la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois Comptigest, que le demandeur est le gérant de fait de celle-ci et que les demandeurs ont représenté la société Comptigest dans le cadre ou à l'occasion des conventions des 14 et 25 février 1994 par lesquelles la société Comptigest a vendu à la troisième défenderesse son activité de domiciliation de sociétés étrangères à Luxembourg,

l'arrêt attaqué décide que les (demandeurs) sont responsables en vertu de l'article 1382 du Code civil du dommage qu'ils ont causé aux défendeurs par leur réticence dans les négociations qui ont précédé la conclusion des conventions des 14 et 25 février 1994 précitées.

L'arrêt fonde cette décision sur les motifs suivants:

“(1) Ni (les deux premiers défendeurs) ni (la troisième défenderesse) n'entendent (...) fonder leur demande sur la responsabilité contractuelle de Comptigest ou (des demandeurs) mais bien sur l'article 1382 du Code civil.

(2) (La demanderesse) argue de sa qualité d'organe de Comptigest, pour contester (aux défendeurs) le droit de lui réclamer personnellement la réparation d'un acte fautif sur la base de l'article 1382 du Code civil.

Comme chaque personne, l'administrateur ou le gérant d'une société est tenu à titre personnel, conformément aux articles 1382 et 1383 du Code civil, de réparer tout dommage qu'il a causé par sa faute à autrui.

Ce principe général est confirmé par les règles régissant le mandat, puisque le gérant agit en qualité de mandataire de la société. En vertu des règles du mandat, le mandataire reste personnellement tenu envers les tiers pour les actes fautifs qu'il commettrait à leur égard même si ceux-ci disposent d'un recours contre le mandant (la société).

La responsabilité d'une personne morale du chef d'une faute aquilienne commise par ses organes n'exclut pas, en règle, la responsabilité personnelle de ceux-ci, ces responsabilités coexistant.

En cas de méconnaissance d'une obligation contractuelle constituant également la violation de l'obligation générale de prudence s'imposant à tous (art. 1382 du Code civil), les tiers qui sont préjudiciés par cette violation de l'obligation générale de prudence ne peuvent d'ailleurs invoquer directement la violation de l'obligation contractuelle.

(3) (Le demandeur) prétend qu'à défaut d'être l'organe de Comptigest, sa responsabilité ne peut être engagée.

Il ressort à suffisance des pièces du dossier de procédure des (défendeurs) que (le demandeur) est l'un des gérants de fait de Comptigest (réception de l'acompte de deux millions le 25 février 1994, rencontre du propriétaire de l'immeuble où étaient domiciliées les sociétés étrangères, signature d'une partie de la facturation, entretiens avec les (deux premiers défendeurs) lors de la négociation des contrats, représentation de sa fille à l'occasion des opérations d'expertise).

Ce moyen n'est pas pertinent. Il est d'autant moins fondé que ce n'est pas sur la base d'un manquement contractuel que sa responsabilité est mise en cause mais bien, comme cela a déjà été dit, sur la base quasi délictuelle.

(4) C'est à tort que (les demandeurs) soutiennent qu'en application des règles relatives au concours des responsabilités contractuelle et aquilienne, il appartient aux (défendeurs) de démontrer - ce qu'ils ne feraient pas - l'existence d'une faute et d'un dommage distincts de ce qui ne serait qu'un manquement contractuel et un dommage né de celui-ci.

La question du concours des responsabilités contractuelle et aquilienne ne se pose que lorsque, dans le cadre de relations contractuelles, une partie au contrat soulève la responsabilité aquilienne de son cocontractant, situation non rencontrée en l'espèce, dès lors que la responsabilité de Comptigest n'est pas mise en cause et que celle (des demandeurs l'est) - à titre personnel - sur la base de l'article 1382 du Code civil”.

Griefs

En vertu des articles 1382 et 1383 des Codes civils belge et luxembourgeois, qui sont rédigés en termes identiques, toute personne est responsable du dommage causé par sa faute, sa négligence ou son imprudence.

Une société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois agit à l'intervention de ses gérants qui sont ses mandataires (art. 191 et 191bis de la loi luxembourgeoise du 10 août 1915; comparer art. 129 et 130 des lois coordonnées belges sur les sociétés commerciales).

Les gérants d'une société luxembourgeoise à responsabilité limitée sont responsables envers la société, conformément au droit commun, de l'exécution du mandat qu'ils ont reçu et des fautes commises dans leur gestion. Ils sont solidairement responsables, soit envers la société, soit envers tous tiers, de tous dommages-intérêts résultant d'infractions aux dispositions de la loi sur les sociétés ou des statuts sociaux.

Ils ne sont déchargés de cette responsabilité, quant aux infractions auxquelles ils n'ont pas pris part, que si aucune faute ne leur est imputable et s'ils ont dénoncé ces infractions à l'assemblée générale la plus prochaine après qu'ils en auront eu connaissance (art. 59 et 192 de la loi luxembourgeoise du 10 août 1915; cf. art. 62 et 132 des lois coordonnées belges sur les sociétés commerciales).

Lorsqu'un organe, de droit ou de fait, d'une société (art. 59 et 192 de la loi luxembourgeoise du 10 août 1915) ou un mandataire agissant dans le cadre de son mandat commet une faute ne constituant pas une infraction au cours de négociations donnant lieu à la conclusion d'un contrat, cette faute engage non pas la responsabilité du gérant ou du mandataire mais celle de la société ou du mandant (art. 59 et 192 de la loi luxembourgeoise précitée; art. 1984, 1989, 1991 et 1992 des Codes civils luxembourgeois et belge).

En décidant que les demandeurs sont personnellement responsables d'une faute aquilienne commise en leur qualité d'organes de droit ou de fait ou à tout le moins de mandataires de la société Comptigest, l'arrêt viole l'ensemble des dispositions précitées.

(...)

IV. La décision de la Cour
Sur le premier moyen

Attendu que l'arrêt décide que la responsabilité extra­contractuelle des demandeurs est engagée en raison de la faute qu'ils ont, en qualité d'organes de la société de droit luxembourgeois Comptigest, commise lors des négociations qui ont précédé la cession par cette société aux défendeurs d'une branche d'activité;

Attendu que, d'une part, il n'apparaît d'aucune de ces considérations que l'arrêt appliquerait les dispositions de la loi luxembourgeoise dont le moyen invoque la violation;

Que, d'autre part, l'arrêt ne constate pas que les demandeurs auraient agi en une autre qualité que celle d'organe de la société Comptigest;

Que, dans la mesure où il invoque la violation des dispositions qu'il précise de la loi luxembourgeoise et où il soutient que les demandeurs auraient “à tout le moins” agi en tant que mandataires de ladite société, le moyen manque en fait;

Attendu que, pour le surplus, si la faute commise par l'organe d'une société au cours de négociations préalables à la conclusion d'un contrat engage la responsabilité directe de cette personne morale, cette responsabilité n'exclut pas, en règle, la responsabilité personnelle de l'organe mais coexiste avec celle-ci;

Que, dans cette mesure, le moyen, qui soutient le contraire, manque en droit.

(...)

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi;

Condamne les demandeurs aux dépens.

(...)

Extrait du “Rapport de la Cour de cassation” 2005

Le Rapport 2005 de la Cour de cassation commente comme suit l'arrêt mentionné ci-dessus (p. 21).

B. Responsabilité personnelle de l'organe d'une société ou du mandataire en cas de culpa in contrahendo: arrêt du 20 juin 2005 (C.03.0105.F), avec les conclusions de M. le premier avocat général J.-F. Leclercq

Une société commerciale négocie par l'intermédiaire de son gérant officiel et d'un gérant de fait la cession d'une branche d'activité. Peu de temps après la conclusion de la convention de cession, les cessionnaires dénoncent un manque de consistance de la clientèle et le refus, connu de la société cédante dès avant la cession, du propriétaire du siège d'exploitation que l'activité se poursuive dans les lieux loués.

Personnellement assignés sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil, les organes de la société cédante soutiennent que leur responsabilité personnelle ne peut être mise en cause. La cour d'appel écarte cette défense au motif que la responsabilité d'une personne morale du chef d'une faute aquilienne commise par ses organes n'exclut pas la responsabilité personnelle de ceux-ci.

L'arrêt du 20 juin 2005 confirme ce point de vue: si la faute commise par l'organe d'une société au cours de négociations préalables à la conclusion d'un contrat engage la responsabilité directe de la société, cette responsabilité n'exclut pas, en règle, la responsabilité personnelle de l'organe mais coexiste avec celle-ci.

La Cour revient ainsi sur l'enseignement d'un arrêt du 16 février 2001 (Pas. 2001, I, n° 94) auquel le Ministère public se référait dans ses conclusions contraires.

Uittreksel uit het “Verslag van het Hof van Cassatie” 2005

In het jaarverslag van het Hof van Cassatie 2005 wordt bovenvermeld arrest als volgt besproken (p. 24).

B. Persoonlijke aansprakelijkheid van een orgaan van een vennootschap of lasthebber in geval van culpa in contrahendo: arrest van 20 juni 2005 (C.03.0105.F), met conclusie van eerste advocaat-generaal J.-F. Leclercq

Een handelsvennootschap onderhandelt door tussenkomst van zijn officiële zaakvoerder en van zijn feitelijke zaakvoerder de overdracht van een activiteit. De overeenkomst wordt gesloten. Kort daarna klagen de overnemers over een gebrek aan consistentie in de cliëntèle en over de weigering, waarvan de overdragende vennootschap nog vóór de overdracht kennis had, van de eigenaar van de exploitatiezetel om de activiteit verder in de gehuurde lokalen te laten doorgaan.

De organen van de overdragende vennootschap worden persoonlijk gedagvaard op grond van de artikelen 1382 en 1383 van het Burgerlijk Wetboek, maar betogen dat zij niet persoonlijk aansprakelijk kunnen worden gesteld. Het hof van beroep wijst dat verweer af, op grond dat de aansprakelijkheid van een rechtspersoon voor een aquiliaanse fout die door één van zijn organen is begaan, de persoonlijke aansprakelijkheid van die organen niet uitsluit.

Het arrest van 20 juni 2005 bevestigt dat standpunt: hoewel de fout die een orgaan van een vennootschap begaat bij de besprekingen die tot een overeenkomst hebben geleid, de aansprakelijkheid van die rechtspersoon rechtstreeks in het gedrang brengt, sluit die aansprakelijkheid, in de regel, de persoonlijke aansprakelijkheid van dat orgaan niet uit maar bestaat zij gelijktijdig met laatstgenoemde aansprakelijkheid.

Het Hof komt aldus terug op de rechtspraak van het arrest van 16 februari 2001 (Arr. Cass. 2001, I, n° 94), waarnaar het Openbaar Ministerie in zijn tegenstrijdige conclusie verwees.