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Actualité : Cour de justice des Communautés européennes, 08/11/2005, R.D.C.-T.B.H., 2006/3, p. 362-368

Cour de justice des Communautés européennes 8 novembre 2005

SIGNIFICATION ET NOTIFICATION
Significations et notifications transfrontalières - Signification et notification des actes judiciaires et extrajudiciaires - Règlement (CE) n° 1348/2000 - Absence de traduction de l'acte - Possibilité d'y remédier

Götz Leffler / Berlin Chemie AG

Siég.: V. Skouris (président), P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas (rapporteur) et J. Malenovsk (présidents de chambre), S. von Bahr, J. N. Cunha Rodrigues, R. Silva de Lapuerta, K. Lenaerts, E. Juhász, G. Arestis, A. Borg Barthet et M. Ileiè
M.P.: C. Stix-Hackl (avocat général)
Aff. C-443/03

Lorsque le destinataire d'un acte transmis en application du règlement (CE) n° 1348/2000 a refusé celui-ci au motif que cet acte n'est pas rédigé dans une langue officielle de l'État membre requis ou dans une langue de l'État membre d'origine que ce destinataire comprend, l'expéditeur a la possibilité d'y remédier en envoyant la traduction demandée selon les modalités prévues par ce règlement et dans les meilleurs délais. Pour résoudre les problèmes liés à la façon de remédier à l'absence de traduction non prévus par le règlement, le juge national applique son droit procédural national tout en veillant à assurer l'efficacité du règlement dans le respect de sa finalité.

Arrêt

1. La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 8 du règlement (CE) n° 1348/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale (J.O. L. 160, p. 37, ci-après le “règlement”).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant M. Leffler, domicilié aux Pays-Bas, à la société de droit allemand Berlin Chemie AG (ci-après “Berlin Chemie”), afin d'obtenir mainlevée de saisies effectuées par cette société sur les biens de M. Leffler.

Le cadre juridique

(…)

12. L'article 5 du règlement dispose:

“Traduction de l'acte

1. Le requérant est avisé par l'entité d'origine à laquelle il remet l'acte aux fins de transmission que le destinataire peut refuser de l'accepter s'il n'est pas établi dans l'une des langues indiquées à l'article 8.

2. Le requérant prend en charge les frais éventuels de traduction préalables à la transmission de l'acte, sans préjudice d'une éventuelle décision ultérieure de la juridiction ou de l'autorité compétente sur la prise en charge de ces frais.”

13. L'article 7 du règlement est libellé comme suit:

“Signification ou notification des actes

1. L'entité requise procède ou fait procéder à la signification ou à la notification de l'acte soit conformément à la législation de l'État membre requis, soit selon la forme particulière demandée par l'entité d'origine, sauf si cette méthode est incompatible avec la législation de cet État membre.

2. Toutes les formalités nécessaires à la signification ou à la notification sont effectuées dans les meilleurs délais. En tout état de cause, s'il n'a pas été possible de procéder à la signification ou à la notification dans un délai d'un mois à compter de la réception, l'entité requise en informe l'entité d'origine au moyen de l'attestation dont le formulaire type figure en annexe, laquelle est complétée selon les règles prévues à l'article 10 paragraphe 2. Le délai est calculé conformément à la législation de l'État membre requis.”

14. L'article 8 dudit règlement prévoit:

“Refus de réception de l'acte

1. L'entité requise avise le destinataire qu'il peut refuser de recevoir l'acte à signifier ou à notifier s'il est établi dans une langue autre que l'une des langues suivantes:

a) la langue officielle de l'État membre requis ou, s'il existe plusieurs langues officielles dans cet État membre requis, la langue officielle ou l'une des langues officielles du lieu où il doit être procédé à la signification ou à la notification

ou

b) une langue de l'État membre d'origine comprise du destinataire.

2. Si l'entité requise est informée que le destinataire refuse de recevoir l'acte conformément au paragraphe 1, elle en informe immédiatement l'entité d'origine au moyen de l'attestation visée à l'article 10 et lui retourne la demande ainsi que les pièces dont la traduction est demandée.”

(…)

Le litige au principal et les questions préjudicielles

(...)

30. Le Hoge Raad der Nederlanden a (…) décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

“1) Convient-il d'interpréter l'article 8 paragraphe 1 du règlement en ce sens que, en cas de refus, par le destinataire, de recevoir l'acte au motif du non-respect de la règle imposée par cette disposition en matière de langue, l'expéditeur a la possibilité de rectifier ce manquement?

2) En cas de réponse négative à la première question, le refus de recevoir l'acte a-t-il pour conséquence, en droit, de priver la notification de tout effet?

3) En cas de réponse affirmative à la première question:

a) Dans quel délai et de quelle manière la traduction doit-elle être portée à la connaissance du destinataire?

Les exigences énoncées par le règlement quant à la notification et à la signification d'actes valent-elles aussi pour l'envoi de la traduction ou son mode d'envoi est-il libre?

b) Le droit procédural national s'applique-t-il à la possibilité de rectifier le manquement?”

Sur les questions préjudicielles
Sur la première question

31. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si l'article 8 paragraphe 1 du règlement doit être interprété en ce sens que, lorsque le destinataire d'un acte a refusé celui-ci au motif que cet acte n'est pas rédigé dans une langue officielle de l'État membre requis ou dans une langue de l'État membre d'origine que ledit destinataire comprend, l'expéditeur a la possibilité de remédier à l'absence de traduction.

Observations soumises à la Cour (…)

Réponse de la Cour

37. Force est de constater que l'article 8 du règlement ne prévoit pas les conséquences juridiques qui découlent du refus d'un acte par son destinataire, au motif que cet acte n'est pas rédigé dans une langue officielle de l'État membre requis ou dans une langue de l'État membre d'origine que ce destinataire comprend.

38. Toutefois, les autres dispositions du règlement, l'objectif, rappelé aux deuxième et sixième à neuvième considérants de ce règlement, d'assurer la rapidité et l'efficacité de la transmission des actes et l'effet utile qui doit être reconnu à la possibilité, prévue aux articles 5 et 8 dudit règlement, de ne pas faire traduire l'acte dans la langue officielle de l'État requis justifient que soit exclue la nullité de l'acte lorsque ce dernier a été refusé par le destinataire au motif qu'il n'est pas rédigé dans ladite langue ou dans une langue de l'État membre d'origine comprise par le destinataire, mais que, en revanche, soit admise la possibilité de remédier à l'absence de traduction.

39. Tout d'abord, il y a lieu de constater qu'aucune disposition du règlement ne prévoit que le refus de l'acte pour non-respect dudit article 8 entraîne la nullité de cet acte. Au contraire, si le règlement ne précise pas les conséquences exactes du refus de l'acte, à tout le moins plusieurs de ses dispositions laissent penser qu'il peut être porté remède à l'absence de traduction.

40. Ainsi, la mention “pièces dont la traduction est demandée”, figurant à l'article 8 paragraphe 2 du règlement, signifie qu'il est possible, pour le destinataire, de demander une traduction et, dès lors, pour l'expéditeur, de remédier à l'absence de traduction en envoyant la traduction requise. Cette mention est en effet différente des termes “pièces transmises” utilisés à l'article 6 paragraphes 2 et 3 du règlement pour désigner l'ensemble des pièces communiquées par l'entité d'origine à l'entité requise et non pas seulement certaines de ces pièces.

41. De même, le formulaire type attestant de l'accomplissement ou du non-accomplissement de la signification ou de la notification, établi conformément à l'article 10 du règlement, n'inclut pas le refus de l'acte en raison de la langue utilisée comme motif possible de défaut de signification ou de notification, mais prévoit cette mention dans un poste distinct. Ceci permet de conclure que le refus de l'acte ne doit pas être considéré comme un défaut de signification ou de notification.

42. Par ailleurs, à supposer qu'il ne puisse jamais être remédié à ce refus, ceci porterait atteinte aux droits de l'expéditeur de manière telle que celui-ci ne prendrait jamais le risque de signifier un acte non traduit, mettant ainsi en cause l'utilité du règlement et, plus particulièrement, de ses dispositions relatives à la traduction des actes, qui concourent à l'objectif d'assurer la rapidité de la transmission de ceux-ci.

43. À l'encontre de cette interprétation, il ne saurait être soutenu avec succès que les conséquences du refus de l'acte devraient être déterminées par le droit national. Il ne saurait pas être valablement invoqué à cet égard les commentaires figurant dans le rapport explicatif de la convention, la décision de la Cour dans l'arrêt Lancray, précité, ou les travaux préparatoires du règlement.

44. En effet, le fait de laisser le droit national déterminer si le principe même de la possibilité de remédier à l'absence de traduction est admis empêcherait toute application uniforme du règlement, dès lors qu'il n'est pas exclu que les États membres prévoient à cet égard des solutions divergentes.

45. Or, l'objectif du traité d'Amsterdam de créer un espace de liberté, de sécurité et de justice, donnant ainsi à la Communauté une dimension nouvelle, et le transfert, du traité UE vers le traité CE, du régime permettant l'adoption de mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière attestent de la volonté des États membres d'ancrer de telles mesures dans l'ordre juridique communautaire et de consacrer ainsi le principe de leur interprétation autonome.

46. De même, le choix de la forme du règlement, plutôt que celle de la directive initialement proposée par la Commission, montre l'importance que le législateur communautaire attache au caractère directement applicable des dispositions dudit règlement et à l'application uniforme de celles-ci.

47. Il s'ensuit que, bien qu'utiles, les commentaires figurant dans le rapport explicatif de la convention, laquelle a été adoptée avant l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, ne sauraient être invoqués à l'encontre d'une interprétation autonome du règlement commandant une conséquence uniforme au refus de l'acte au motif que cet acte n'est pas rédigé dans une langue officielle de l'État membre requis ou dans une langue de l'État membre d'origine comprise du destinataire de l'acte. De même, il convient de relever que la jurisprudence de la Cour telle qu'elle ressort de l'arrêt Lancray, précité (arrêt du 3 juillet 190, aff. C-305/88, Rec., p. I-2725), se situe dans le contexte de l'interprétation d'un instrument juridique d'une autre nature et qui, à la différence du règlement, ne visait pas à établir un système de signification et de notification intracommunautaire.

48. S'agissant, enfin, des conclusions tirées par le gouvernement allemand des travaux préparatoires décrits par un commentateur, il suffit de relever que la volonté supposée des délégations des États membres ne s'est pas matérialisée dans le texte même du règlement. Il s'ensuit que ces prétendus travaux préparatoires ne sauraient être invoqués à l'encontre d'une interprétation autonome du règlement visant à assurer un effet utile aux dispositions que celui-ci contient, en vue de son application uniforme dans la Communauté, dans le respect de sa finalité.

49. Interpréter le règlement en ce sens qu'il commande la possibilité de remédier à l'absence de traduction en tant que conséquence uniforme au refus de l'acte au motif que cet acte n'est pas rédigé dans une langue officielle de l'État membre requis ou dans une langue de l'État membre d'origine comprise du destinataire de l'acte ne remet pas en cause l'importance du droit national et le rôle du juge national. En effet, ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence constante, en l'absence de dispositions communautaires, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l'effet direct du droit communautaire (voy., notamment, arrêt du 16 décembre 1976, aff. 33/76, Rewe, Rec., p. 1989, point 5).

50. La Cour a toutefois précisé que ces modalités ne peuvent être moins favorables que celles concernant des droits qui trouveraient leur origine dans l'ordre juridique interne (principe de l'équivalence) et qu'elles ne peuvent rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire (principe d'effectivité) (voy. arrêts Rewe, précité, point 5; du 10 juillet 1997, aff. C-261/95, Palmisani, Rec., p. I-4025, point 27, et du 15 septembre 1998, aff. C-231/96, Edis, Rec., p. I-4951, point 34). À cet égard, et ainsi que l'a relevé Mme l'avocat général aux points 38 et 64 de ses conclusions, le principe d'effectivité doit conduire le juge national à n'appliquer les modalités procédurales prévues par son ordre juridique interne que dans la mesure où elles ne mettent pas en cause la raison d'être et la finalité du règlement.

51. Il s'ensuit que, lorsque le règlement ne prévoit pas les conséquences de certains faits, il appartient au juge national d'appliquer, en principe, son droit national tout en veillant à assurer la pleine efficacité du droit communautaire, ce qui peut le conduire à écarter, si besoin est, une règle nationale y faisant obstacle ou à interpréter une règle nationale qui a été élaborée en ayant uniquement en vue une situation purement interne afin de l'appliquer à la situation transfrontalière en cause (voy. notamment, en ce sens, arrêts du 9 mars 1978, aff. 106/77, Simmenthal, Rec., p. 629, point 16, du 19 juin 1990, aff. C-213/89, Factortame e.a., Rec., p. I-2433, point 19, du 20 septembre 2001, aff. C-453/99, Courage et Crehan, Rec., p. I-6297, point 25, et du 17 septembre 2002, aff. C-253/00, Muñoz et Superior Fruiticola, Rec., p. I-7289, point 28).

52. C'est également au juge national qu'il appartient de veiller à ce que soient préservés les droits des parties en cause, notamment la possibilité, pour une partie destinataire d'un acte, de disposer de suffisamment de temps pour préparer sa défense ou le droit, pour une partie expéditrice d'un acte, de ne pas subir, par exemple dans une procédure urgente où le défendeur ferait défaut, les conséquences négatives d'un refus purement dilatoire et manifestement abusif de recevoir un acte non traduit, alors qu'il peut être prouvé que le destinataire de cet acte comprend la langue de l'État membre d'origine dans laquelle ledit acte est rédigé.

53. Il convient dès lors de répondre à la première question que l'article 8 paragraphe 1 du règlement doit être interprété en ce sens que, lorsque le destinataire d'un acte a refusé celui-ci au motif que cet acte n'est pas rédigé dans une langue officielle de l'État membre requis ou dans une langue de l'État membre d'origine que ce destinataire comprend, l'expéditeur a la possibilité d'y remédier en envoyant la traduction demandée.

Sur la deuxième question

54. La deuxième question, posée pour le cas où l'article 8 du règlement est interprété en ce sens qu'il n'est pas possible de remédier à l'absence de traduction, vise à savoir si le refus de l'acte a pour conséquence de priver la notification de tout effet.

55. Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n'y a pas lieu de répondre à la deuxième.

Sur la troisième question

56. Par la troisième question, posée pour le cas où la réponse à la première question est positive, la juridiction de renvoi demande en substance dans quel délai et de quelle manière la traduction doit être portée à la connaissance du destinataire de l'acte et si le droit procédural national s'applique à la possibilité de remédier à l'absence de traduction.

Observations soumises à la Cour (…)

Réponse de la Cour

62. Bien que l'article 8 du règlement ne contienne pas de disposition précise relative aux règles qu'il convient de suivre lorsqu'il y a lieu de remédier à un acte refusé au motif que celui-ci n'est pas rédigé dans une langue officielle de l'État membre requis ou dans une langue de l'État membre d'origine comprise du destinataire de cet acte, il importe cependant de constater que les principes généraux du droit communautaire et les autres dispositions du règlement permettent de fournir un certain nombre d'indications à la juridiction nationale, afin de donner au règlement un effet utile.

63. Pour des raisons de sécurité juridique, le règlement doit être interprété en ce sens qu'il doit être remédié à l'absence de traduction selon les modalités prévues par ce règlement.

64. Lorsque l'entité d'origine est informée que le destinataire a refusé de recevoir l'acte pour défaut de traduction, après avoir, le cas échéant, entendu le requérant, il lui appartient, ainsi qu'il peut être déduit de l'article 4 paragraphe 1 du règlement, d'y remédier par l'envoi d'une traduction dans les meilleurs délais. À cet égard, ainsi que suggéré par les gouvernements néerlandais et portugais, un délai d'un mois à dater de la réception, par l'entité d'origine, de l'information relative au refus peut être considéré comme approprié mais ce délai pourra être apprécié selon les circonstances par le juge national. Il convient en effet de tenir compte, notamment, du fait que certains textes peuvent être d'une longueur inhabituelle ou qu'ils doivent être traduits dans une langue pour laquelle il existe peu de traducteurs disponibles.

65. S'agissant de l'effet de l'envoi d'une traduction sur la date de la signification ou de la notification, il y a lieu de le déterminer par analogie avec le système de la double date élaboré à l'article 9 paragraphes 1 et 2 du règlement. Afin de préserver l'effet utile du règlement, il importe en effet de veiller à ce que les droits des différentes parties en cause soient protégés au mieux et de manière équilibrée.

66. La date d'une signification ou d'une notification peut être importante pour un requérant, par exemple, lorsque l'acte signifié constitue l'exercice d'un recours qui doit être formé dans un délai impératif ou vise à interrompre une prescription. Par ailleurs, ainsi qu'il a été indiqué au point 38 du présent arrêt, le non-respect de l'article 8 paragraphe 1 du règlement n'a pas pour effet la nullité de la signification ou de la notification. Eu égard à ces éléments, il y a lieu de considérer que le requérant doit pouvoir bénéficier, quant à la date, de l'effet de la signification ou de la notification initiale pour autant qu'il ait fait diligence afin de remédier à l'acte par l'envoi d'une traduction dans les meilleurs délais.

67. Cependant, la date d'une signification ou d'une notification peut également être importante pour le destinataire, notamment parce qu'elle constitue le point de départ du délai pour exercer un droit de recours ou pour préparer une défense. Une protection effective du destinataire de l'acte conduit à prendre en considération, à son égard, uniquement la date à laquelle il a pu non seulement prendre connaissance, mais également comprendre l'acte signifié ou notifié, c'est-à-dire la date à laquelle il en a reçu la traduction.

68. Il appartient au juge national de prendre en compte et de protéger les intérêts des parties en cause. Ainsi, par analogie avec l'article 19 paragraphe 1 sous a) et b) du règlement, si un acte a été refusé au motif que cet acte n'est pas rédigé dans une langue officielle de l'État membre requis ou dans une langue de l'État membre d'origine comprise du destinataire dudit acte et que le défendeur ne comparaît pas, le juge doit surseoir à statuer aussi longtemps qu'il n'est pas établi qu'il a été remédié à l'acte en question par l'envoi d'une traduction et que celui-ci a eu lieu en temps utile pour que le défendeur ait pu se défendre. Une telle obligation résulte également du principe énoncé à l'article 26 paragraphe 2 du règlement n° 44/2001 et le contrôle de son respect est préalable à la reconnaissance d'une décision, conformément à l'article 34 point 2 du même règlement.

69. Pour résoudre les problèmes liés à la façon dont il convient de remédier à l'absence de traduction, non prévus par le règlement tel qu'interprété par la Cour, il appartient au juge national, ainsi qu'indiqué aux points 50 et 51 du présent arrêt, d'appliquer son droit procédural national tout en veillant à assurer la pleine efficacité du règlement, dans le respect de sa finalité.

70. Il importe, par ailleurs, de rappeler que, lorsqu'une question relative à l'interprétation du règlement se pose devant lui, le juge national peut, dans les conditions de l'article 68 paragraphe 1 CE, interroger la Cour à cet égard.

71. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de répondre à la troisième question que:

- l'article 8 du règlement doit être interprété en ce sens que, lorsque le destinataire d'un acte a refusé celui-ci au motif que cet acte n'est pas rédigé dans une langue officielle de l'État membre requis ou dans une langue de l'État membre d'origine que ce destinataire comprend, il peut être remédié à cette situation en envoyant la traduction de l'acte selon les modalités prévues par le règlement et dans les meilleurs délais;

- pour résoudre les problèmes liés à la façon dont il convient de remédier à l'absence de traduction, non prévus par le règlement tel qu'interprété par la Cour, il appartient au juge national d'appliquer son droit procédural national tout en veillant à assurer la pleine efficacité dudit règlement, dans le respect de sa finalité.

Sur les dépens (…)

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit (… dispositif conforme aux points 53 et 71 des motifs)

Observations

1.L'arrêt Leffler rendu par la Cour de justice le 8 novembre 2005 est le premier arrêt d'interprétation du règlement sur la signification et la notification des actes judiciaires et extrajudiciaires (règlement (CE) n° 1348/2000 du Conseil, J.O.C.E., L 160, p. 37, ci-après le “règlement). Ce règlement est entré en vigueur le 31 mai 2001. Il a pour objet d'améliorer la rapidité et la sécurité des significations et notifications en instaurant des modes de transmission directs de ces actes [1]. Il s'applique dans tous les États membres à l'exception du Danemark [2].

Un deuxième arrêt a été rendu sur une demande d'interprétation posée par la Cour de cassation de Belgique en ce qui concerne l'éventuelle hiérarchie à reconnaître entre les différentes formes de transmission prévues par le règlement [3].

2.Le règlement prévoit en son article 8 que le destinataire peut refuser de recevoir l'acte à signifier ou à notifier lorsque celui-ci n'est pas traduit soit dans la langue officielle du lieu de la signification ou notification soit dans une langue de l'État membre d'origine comprise par le destinataire. En l'occurrence, M. Leffler qui est domicilié au Pays-Bas avait assigné en référé la société de droit allemand Berlin Chemie devant les juridictions néerlandaises en vue d'obtenir la mainlevée de saisies pratiquées par la société allemande. Sa demande ayant été rejetée, M. Leffler interjeta appel mais la société allemande ne comparut pas devant la juridiction d'appel et celle-ci refusa de statuer par défaut au motif que la citation adressée à la société Berlin Chemie avait été refusée par celle-ci pour n'avoir pas été rédigée en langue allemande. M. Leffler a formé un pourvoi en cassation contre cette décision et le Hoge Raad a posé à la Cour de justice des questions d'interprétation de l'article 8 portant spécifiquement sur les conséquences du refus de l'acte sur la validité de la signification.

3.Il n'est pas surprenant que cette première affaire d'interprétation du règlement soumise à la Cour concerne le refus de l'acte par le destinataire pour cause de défaut de traduction. C'est une difficulté similaire qui avait abouti à l'arrêt Lancray sur l'interprétation de la Convention de Bruxelles [4] et on mesurera le chemin parcouru dans l'élaboration d'un droit judiciaire européen par la solution donnée par la Cour dans les deux affaires. Dans l'arrêt Leffler, la Cour souligne que, sur la base du règlement, le refus par le destinataire d'un acte non traduit n'entraîne pas la nullité de cet acte qui peut faire l'objet d'une deuxième transmission avec la traduction requise. Dans l'arrêt Lancray la Cour a considéré (point 29), sur la base de la Convention de Bruxelles, qu'il ne peut être remédié aux vices affectant la régularité de la signification que si la loi nationale le permet. Cette solution a été rappelée récemment dans l'arrêt Scania par lequel la Cour a précisé que lorsque les deux États membres concernés sont liés par une convention internationale, il y a lieu d'appliquer celle-ci pour apprécier la régularité d'une signification au sens de l'article 27 paragraphe 2 de la Convention de Bruxelles [5].

4.En décidant que le refus de l'acte n'entraîne pas la nullité de la signification ou de la notification, la Cour a apporté une solution à vrai dire prévisible car elle découle implicitement du texte du règlement.

Comme le précise la Cour (points 37 et 38), l'article 8 ne précise pas expressément les conséquences juridiques du refus de l'acte par le défendeur mais la possibilité pour l'expéditeur de remédier au problème de traduction est implicitement prévue par le texte qui reconnaît à l'expéditeur la possibilité de remédier à l'absence de traduction en envoyant une nouvelle demande de signification ou de notification avec la traduction requise [6].

La solution est maintenant explicite avec l'arrêt de la Cour et du reste la Commission avait déjà proposé de modifier l'article 8 en ce sens [7].

On notera qu'à cette occasion la Cour a appliqué le principe “pas de nullité sans texte” en relevant qu'aucune disposition du règlement ne prévoit que le refus de l'acte pour non-respect de l'article 8 n'entraîne la nullité de cet acte (point 39) [8].

5.La Cour doit faire preuve de davantage de créativité en ce qui concerne la réponse à l'autre question posée par le Hoge Raad, à savoir la manière dont il peut être remédié à l'absence de traduction. Sur ce point, l'arrêt est important non seulement pour la solution concrète apportée mais également parce que, au-delà de cette solution, la Cour confirme les principes d'interprétation du règlement et précise les rôles respectifs du droit communautaire et du droit national.

6.La solution concrète donnée par la Cour est appropriée et est confortée par les termes du règlement. D'une part, la Cour confirme qu'il est possible de remédier à l'absence de traduction par l'envoi d'une traduction selon les modalités prévues par le règlement (point 64). Elle ajoute que, conformément à l'article 4 paragraphe 1 du règlement cette traduction doit être envoyée “dans les meilleurs délais”. Elle précise, dans ses motifs (point 64) mais non dans sa réponse, qu'un délai d'un mois à dater de la réception par l'entité d'origine du refus de l'acte est en principe un délai approprié sous réserve de la longueur du document à traduire et de la disponibilité effective des traducteurs. D'autre part, la Cour précise (point 65) que l'effet de l'envoi de la traduction sur la date de la signification ou de la notification doit se régler sur la base de l'article 9 paragraphes 1 et 2 du règlement appliqué par analogie [9]. Par conséquent, la date de la signification ou de la notification varie: pour le requérant il s'agira de la date de la transmission initiale alors que pour le destinataire de l'acte il s'agit de la date de la transmission rectifiée.

La Cour ajoute que le juge national doit, conformément à l'article 19 § 1 appliqué par analogie, surseoir à statuer aussi longtemps qu'il n'a pas été établi qu'il a été remédié au défaut de traduction par l'envoi d'une traduction et que l'envoi de la traduction a eu lieu en temps utile pour que le défendeur ait pu se défendre (point 68). En pratique, il serait judicieux de la part de l'entité requise de préciser au destinataire les conséquences de la rectification de la traduction sur les délais [10].

7.S'agissant des règles d'interprétation, la Cour confirme largement les méthodes d'interprétation du droit communautaire avec la spécificité que le règlement, faisant suite à une Convention qui n'est jamais entrée en vigueur [11] mais avait donné lieu à un rapport explicatif [12], peut être interprété à la lumière de ce rapport. Sur les conséquences d'un refus de l'acte non traduit, le rapport suggérait de s'en remettre à la juridiction nationale en attirant l'attention “sur les risques de l'absence de traduction au regard des délais, de l'effectivité ou de la régularité de la procédure” (sous l'art. 5 de la Convention). La Cour reconnaît que le rapport explicatif sur la Convention ayant précédé le règlement est “utile” pour l'interprétation de celui-ci (point 47) mais il ne peut pas aller à l'encontre d'une interprétation autonome du règlement qui prévoit lui-même la possibilité de remédier au défaut de traduction.

La Cour confirme également que les travaux préparatoires ont un rôle très réduit pour éclairer la volonté du législateur à moins qu'ils ne se reflètent dans les considérants du texte à interpréter [13]. En l'occurrence, certains États membres avaient estimé que les conséquences du refus de l'acte de­vaient être régies par la lex fori [14]. La Cour relève classiquement que ces positions ne peuvent être prises en considération lorsqu'elles ne sont pas reprises dans le texte (point 48).

8.La Cour définit avec soin le rôle du droit national dans le cadre de sa réponse à la première question alors que le droit national n'intervient que dans la réponse à l'autre question. Selon la Cour, lorsque le règlement ne prescrit pas les conséquences de certains points, il appartient au juge national d'appliquer en principe son droit national tout en veillant à assurer la pleine efficacité du droit communautaire (point 51). Ce principe est d'une application délicate lorsque, comme en l'espèce, les conséquences des manquements ne sont prévues que de manière implicite par le règlement. Il convient en outre de rappeler que le règlement comporte lui-même plusieurs renvois au droit national [15]. C'est sans doute ce qui a motivé la Cour a rappelé dans un motif surabondant qu'elle peut être interrogée par le juge national pour l'interprétation du règlement (point 70).

[1] Pour la présentation de ce règlement, voy. G. de Leval et M. Lebois, “Betekenen in de Europese Unie op grond van verordening 1348/2000 van 29 mei 2000”, in H. van Houtte et M. Pertegas Sender (éds.), Het nieuwe Europese IPR: van verdrag naar verordening, p. 161; M. Ekelmans, “Le règlement n° 1348/2000 relatif à la signification et à la notification des actes judiciaires et extrajudiciaires”, J.T. 2001, p. 481 ; Ch. Vanheukelen, “Le règlement n° 1348/2000-analyse et évaluation par un praticien du droit”, in G. de Leval et M. Storme (éds.), Droit processuel et judiciaire européen - Het Europees gerechtelijk recht en procesrecht, p. 208.
[2] Voy . le considérant 18 du règlement. Un accord parallèle a été négocié entre la Communauté et le Danemark pour rendre applicables, par la voie d'une convention internationale, les dispositions du règlement. La proposition de conclusion de cet accord a été présentée par la Commission le 18 avril 2005: Com. (2005) 0146 final, J.O.U.E. 2005, C. 125, p. 14.
[3] C.J.C.E. 9 février 2006, Aff. C-473/04, Plumex/Young sports N.V. La question préjudicielle visait, d'une part, à savoir s'il existe un rapport hiérarchique entre la signification effectuée par l'entremise des entités désignées par l'État membre (artt. 4 à 11 du règlement) et la signification effectuée par la poste (art. 14 du règlement) et, d'autre part, quelle est la date de la signification en cas de recours cumulatif aux deux modes de signification. Conformément aux conclusions présentées le 17 novembre 2005 par son avocat général Tizzano, la Cour de justice s'est prononcée en faveur de l'égalité des modes de transmission prévus par le règlement et a considéré que la date de la signification correspond au moment de la première signification valablement effectuée selon le règlement.
[4] C.J.C.E. 3 juillet 1990, aff. C-305/88, Lancray/Peters und Sickert K.G., Rec., p. I-2725.
[5] C.J.C.E. 13 octobre 2005, aff. C-522/03, Scania/Rockinger, non encore publié.
[6] En effet, l'art. 8 § 2 dispose que “si l'entité requise est informée que le destinataire refuse de recevoir l'acte (…) elle en informe immédiatement l'entité d'origine (…) et lui retourne (…) les pièces dont la traduction est demandée”. Ces derniers mots impliquent qu'il est possible de procéder, à ce moment encore, à la traduction des pièces. En outre l'attestation d'accomplissement ou de non-accomplissement des formalités de signification ou de notification doit être établie sur un formulaire dont le modèle est joint au règlement en application de son art. 10. Ce formulaire distingue “le refus de l'acte en raison de la langue utilisée” (point 14) des motifs de défaut de signification ou de notification, par exemple pour erreur d'adresse du destinataire (point 15). Enfin, l'art. 5 § 1 selon lequel le requérant doit être avisé par l'entité d'origine que le demandeur peur refuser l'acte s'il n'est pas établi dans une des langues indiquées à l'art. 8 n'a de sens, d'effet utile, que si le requérant peut légitimement dans un premier temps risquer de ne pas traduire l'acte.
[7] Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement CE n° 1348/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif à la signification et à la notification dans les états membres des actes judicaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, Com. (2005) 305 final/2, J.O.U.E. 2005, C. 236, p. 14 visant à ajouter un par. 3 à l'art. 8 ainsi rédigé: “si le destinataire a refusé de recevoir l'acte conformément au paragraphe 1, il est possible de remédier à une telle situation en signifiant ou en notifiant au destinataire conformément aux dispositions du présent règlement une traduction de l'acte dans une des langues visées au paragraphe 1. Dans ce cas la date de signification ou de notification de l'acte est celle à laquelle la traduction a été signifiée ou notifiée conformément à la législation de l'État membre requis. Toutefois, lorsque, conformément à la législation d'un État membre, un acte doit être signifié ou notifié dans un délai déterminé afin de protéger les droits du requérant, la date à prendre en considération à l'égard du requérant est celle de la signification ou de la notification de l'acte original”. Cette proposition avait été évoquée dans le rapport établi par la Commission en application de l'art. 24 du règlement: rapport de la Commission au Conseil, Parlement européen et au Comité économique et social européen sur l'application du règlement (CE) n° 1348/2000 du Conseil relatif à la signification et à la notification des actes judicaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, Com. (2004) 603 final du 1er octobre 2004, point 2.2, J.O.U.E. 2005 du 4 mars 2005, n° C. 55, p. 4.
[8] Sur la pertinence de ce principe en droit judiciaire européen, H. Boularbah, “La notion de décision exécutoire dans l'État d'origine et l'exigence de la signification - Les sanctions des règles de procédures prévues par la Convention de Bruxelles et leur réparation”, L'espace judiciaire européen en matière civile et commerciale, p. 291, spéc. n° 37. Voy. également sur ce point les conclusions de l'avocat général Stix-Hackl présentées le 28 juin 2005 dans la présente affaire C-443/03, Leffler, point 72.
[9] Cette précision paraît superflue dès lors que l'art. 9 réserve précisément les cas d'application de l'art. 8 qui prévoit lui-même la possibilité de remédier à la traduction défectueuse.
[10] M. Ekelmans, o.c., J.T. 2001, p. 486 , n° 18.
[11] Convention conclue sur la base de l'ancien art. K3 du traité sur l'Union européenne, J.O.C.E., C. 261 du 27 août 1997, p. 1.
[12] J.O.C.E., C. 261 du 27 août 1997, p. 26.
[13] J. Boulouis,Interprétation, Enc. Dalloz, Droit communautaire, n° 37.
[14] Le rapport précité sur l'application du règlement, Com. (2005) 603 final mentionne à ce propos que l'Allemagne et l'Autriche ont précisé dans leur législation nationale des délais de refus de l'acte.
[15] Voy. en particulier les règles de signification et de notification (art. 7), la date de la signification ou de la notification (art. 9), la situation du défendeur non comparant (art. 19).