Article

Cour d'appel Bruxelles, 12/10/2005, R.D.C.-T.B.H., 2006/2, p. 228-233

Cour d'appel de Bruxelles 12 octobre 2005

PRATIQUES DU COMMERCE
Application et répression - Action en cessation - Action en matière de marques - Article 96 de la LPCC - Suites de l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 9 janvier 2002
Il y a lieu d'écarter l'application de l'article 96 de la LPCC en reconnaissant la compétence du juge des cessations pour connaître d'une demande en cessation d'un acte allégué contraire aux usages honnêtes en matière commerciale au soutien de laquelle le demandeur invoque un droit à la protection d'une marque.
MARQUES
Pouvoir distinctif - Indication géographique - Risque de confusion
Le vocable “Sirop de Liège” est un terme générique qui sert à désigner un type de marmelade. Il existe un intérêt général à préserver la disponibilité de ce terme.
La référence à la ville de Liège n'est pas perçue par le public concerné comme constituant une indication de provenance géographique.
Il existe un risque de confusion entre la marque invoquée, comprenant des motifs, des couleurs et un graphisme arbitraire et les étiquettes incriminées qui reprennent les mêmes éléments. Le risque de confusion est d'autant plus grand que la marque a acquis un pouvoir distinctif très fort grâce à l'usage intensif qui en est fait depuis des décennies.
HANDELSPRAKTIJKEN
Toepassing en handhaving - Vordering tot staking - Vordering inzake merken - Artikel 96 van de WHPC - Gevolgen van het arrest van het Arbitragehof van 9 januari 2002
De stakingsrechter is ook bevoegd om kennis te nemen van een vordering tot staking van een daad die beweerdelijk in strijd is met de eerlijke handelsgebruiken indien de eiser zijn vordering steunt op een recht op bescherming door een merk. Van art. 96 WHPC kan geen toepassing worden gemaakt.
MERKEN
Onderscheidend vermogen - Geografische aanduiding - Risico van verwarring
De naam “Sirop de Liège” is een soortnaam voor een soort van marmelade. Er bestaat een algemeen belang om de term beschikbaar te houden.
De verwijzing naar de stad Luik wordt door de doelgroep niet ervaren als een aanduiding van geografische oorsprong.
Er bestaat een verwarringsgevaar tussen het ingeroepen merk dat patronen, kleuren en een willekeurige grafisme bevat en de betrokken etiketten die dezelfde elementen hernemen. Het verwarringsgevaar is des te groter nu het merk een zeer sterk onderscheidend vermogen heeft verworven door het intensieve gebruik dat er sinds decennia van gemaakt wordt.

SA Siroperie Meurens / SA Établissements A. Lambert et Cie

Siég.: Ch. Schurmans (conseiller ff. président), S. Vanommeslaghe et E. Causin (conseillers suppléants)
Pl.: Mes B. Michaux et V.V. Dehin, D. Bomboire

(...)

Les faits à l'origine du litige

1. L'appelante se dit titulaire des marques Benelux suivantes:

- la marque figurative, enregistrée sous le n° 100332, déposée en 1971 avec revendication de droits acquis en 1947, reproduite ci-après:

- la marque semi figurative, enregistrée sous le n° 100333, qui a fait l'objet d'un dépôt confirmatif en 1971, avec revendication des droits acquis en 1949, reproduite ci-après:

- la marque figurative déposée le 16 juin 2004, en cours de procédure, enregistrée sous le n° 0749561 relative au conditionnement, reproduite ci-après:

Ces marques ont été enregistrées pour les produits qui relèvent des classes 29, 30 et 32 et qui correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante:

- classe 29: fruits confits, congelés, conservés, cristallisés, séchés ou cuits; produits de confiturerie et de siroperie, compris dans cette classe, notamment gelées et jus concentrés de fruits cuits sucrés, sirops de pommes, de poires, de prunes ou de betteraves obtenus par évaporation à consistance d'extrait mou de jus ou décoctés aqueux, respectivement de pommes, de poires, de prunes ou de betteraves, additionnés ou non de sucre;

- classe 30: sirops de mélasse et de fécule, sucreries, sucres, articles de confiserie;

- classe 32: sirops pour boissons.

L'appelante commercialise sous ces marques une gelée de fruits, de consistance très épaisse, faite à base de jus concentré de fruits cuits, sous le vocable “du vrai sirop de Liège”, précédé des mots “sur vos tartines...”, suivi des mots “... un délice”.

2. L'intimée qui commercialise également ce type de produit, fait usage depuis le mois de juin 2004, de conditionnements comportant les mots “sirop de Liège”, qui se présentent comme suit:

- pour les produits présents dans les magasins Colruyt:

- pour les produits présents dans les magasins Carrefour:

Les emballages qu'elle utilisait avant juin 2004 se présentaient comme suit:

3. Estimant que l'intimée avait porté atteinte à ses droits par l'usage de signes ressemblants pour des produits identiques et qu'elle commettait ainsi un acte de parasitisme, l'appelante a intenté, le 21 juin 2004, une action en cessation et poursuivi la condamnation de l'intimée:

- à cesser tout usage des signes incriminés et de tout autre signe qui porterait atteinte à ses droits;

- à reprendre tous les exemplaires des emballages litigieux auprès des revendeurs;

- à envoyer une lettre accompagnée d'une copie de la décision, à tous les revendeurs de produits revêtus de l'un ou l'autre des emballages litigieux, en les invitant à retirer immédiatement ceux-ci de la vente;

- à communiquer au conseil de l'appelante copie de la lettre et une liste certifiée conforme par huissier de justice des revendeurs auxquels la lettre aura été adressée.

Elle sollicitait en outre l'autorisation de publier la décision à intervenir ou sa traduction dans quatre quotidiens choisis par elle, aux frais de l'intimée.

Le jugement attaqué dit la demande recevable mais non fondée.

4. Formant appel de cette décision, l'appelante maintient sa demande originaire.

L'intimée forme un appel incident. Elle fait grief au premier juge d'avoir méconnu l'article 96 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, en admettant que l'intimée puisse avoir recours à l'action en cessation pour faire cesser des actes d'usage qu'elle prétend interdits sur le fondement de l'article 13, 1, a) et b) de la loi uniforme Benelux sur les marques (ex-art. 13, A, 1, a) et b)).

Sur l'appel incident

5. Aux termes de l'article 95 alinéa 1 LPCC, le président du tribunal de commerce constate l'existence et ordonne la cessation d'un acte, même pénalement réprimé, constituant une infraction aux dispositions de cette loi. Il s'agit notamment des actes contraires aux usages honnêtes en matière commerciale par lequel un vendeur porte atteinte aux intérêts professionnels d'un autre vendeur ou aux intérêts des consommateurs, visés aux articles 93 et 94 de la loi.

Conformément à l'article 96 alinéa 1 LPCC, l'article 95 LPCC ne s'applique pas aux actes de contrefaçon qui sont sanctionnés par les lois sur les marques de produits ou de services.

L'intimée fait valoir qu'il résulte de cette disposition que le premier juge devait se déclarer incompétent pour connaître de la demande qui vise à entendre ordonner la cessation d'actes qualifiés de contrefaçon par l'appelante.

Elle tire cette conclusion de la prémisse qu'il y aurait lieu d'entendre par “actes de contrefaçon” au sens de cette disposition, toute atteinte portée à un droit conféré par la marque en se conformant au sens qui est reconnu à cette notion par la législation nationale ou communautaire sur les marques et conclut dès lors au rejet de la thèse selon laquelle cette notion inclut exclusivement les atteintes visées à l'article 13, 1, a) et b) de la loi uniforme Benelux.

Partant de cette prémisse, elle observe que la Cour d'arbitrage ne s'est pas encore prononcée sur la question de savoir si l'article 96 LPCC interprété comme elle le suggère, viole le principe de non-discrimination et demande dès lors à titre subsidiaire à la cour de saisir la Cour d'arbitrage de la question suivante:

“L'article 96 LPCC viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'il énonce que l'article 95 LPCC ne s'applique pas aux 'actes de contrefaçon qui sont sanctionnés par les lois sur les (...) marques de produits et services', alors que ces actes de contrefaçon peuvent être en tout état de cause constitués des actes contraires aux usages honnêtes en matière commerciale sanctionnés par l'article 93 LPCC; l'article 96 ayant donc pour conséquence que le vendeur qui serait titulaire d'un droit de marque n'aurait pas la possibilité d'agir en cessation contre certains actes contraires aux usages honnêtes en matière commerciale affectant ses produits ou services revêtus de ladite marque au contraire du vendeur qui ne serait pas titulaire d'une marque sur ses produits ou services?”

6. Contrairement à ce que soutient l'intimée qui méconnaît la genèse de l'article 96 LPCC, la notion “d'actes de contrefaçon sanctionnés par les lois sur les marques”, au sens de cette disposition, ne vise pas tout emploi du signe par autrui mais seulement l'emploi du signe protégé ou d'un signe ressemblant pour les produits et services pour lesquels la marque a été enregistrée ou pour des produits ou services similaires.

La Cour fait sienne la distinction que la Cour de cassation a opéré à cet égard dans son arrêt du 3 novembre 1989 (Pas. 1990, I, p. 272 et R.D.C. 1990, p. 216) entre les atteintes visées alors à l'article 13, A, 1° LBM (nouvel art. 13, 1, a) et b) LBM), et celles alors visées par l'article 13, A, 2° LBM (nouvel art. 13, 1, c) et d) LBM) dont le caractère illicite dépend de circonstances particulières et de la démonstration que l'usage incriminé de la marque porte atteinte aux intérêts du titulaire dans les conditions fixées de manière exhaustive par ces dispositions.

Il peut en effet se déduire des travaux préparatoires de la loi du 14 juillet 1971 sur les pratiques de commerce, qui contenait une disposition similaire à l'article 96 LPCC (art. 56), que l'intention du législateur n'a pas été de priver le titulaire d'une marque déposée du recours à l'action en cessation lorsque celui-ci réclame la protection de la marque au-delà de la règle de la spécialité.

L'objectif de cette disposition était de consacrer la règle suivant laquelle une marque non déposée ne peut bénéficier, par la seule application du droit commun, d'une protection équivalente à celle qui est organisée par la législation spécifique sur les marques (Cass. 16 mars 1939, Pas. 1939, I, 150; I. Verougstraete, “Bevoegdheid van de voorzitter van de rechtbank van koophandel rechtdoende op grond van artikel 55 WHPC”; A. Puttemans, “Action en cessation. Cour d'Arbitrage et droits intellectuels: d'où venons-nous, où en sommes-nous, où allons-nous?”, R.D.C. 2002, p. 813).

Or, cet objectif n'est pas rencontré dans la mesure où la règle énoncée à l'article 96 LPCC vise la possibilité pour le titulaire de la marque protégée d'agir par la voie de l'action en cessation, possibilité que cet article fait dépendre du type d'atteinte à la marque déposée. Cette règle ne concerne en effet pas les conditions de fond devant être réunies pour que le juge de l'action en cessation puisse accorder la protection d'un signe distinctif en ordonnant la cessation d'un acte déterminé, c'est-à-dire dans le respect de la règle précitée et sans sortir des limites de la protection conférée à la marque ou à la marque rénommée fixées dans la législation spécifique sur les marques.

Dès lors et comme l'a indiqué la Cour d'arbitrage, en privant ainsi le titulaire de la marque du recours à l'action en cessation lorsque l'atteinte dont il se plaint est visée à l'article 13, A, 1° LBM, devenu l'article 13, 1, a) et b) LBM, l'article 96 LPCC établit une différence de traitement étrangère à l'objectif poursuivi (C.A. 9 janvier 2002, M.B.19 mars 2002).

S'agissant des conditions d'accès au juge de l'action en cessation, cette disposition place le titulaire d'une marque protégée qui se dit victime d'un emploi de sa marque ou d'un signe ressemblant pour des produits identiques ou similaires, non seulement dans une situation moins favorable que celui qui revendique par la voie de l'action en cessation la protection de sa marque au-delà de sa spécialité, mais également dans une situation moins favorable que celui qui revendiquerait par l'action en cessation, la protection d'un signe non protégé.

En outre, dès lors qu'il appartient au juge saisi de la demande de trancher le litige conformément à la règle de droit qui lui est applicable, la possibilité pour le titulaire d'une marque enregistrée, ou pour celui qui se prétend titulaire d'un droit exclusif sur un signe distinctif indicateur de provenance, d'avoir recours à l'action en cessation ne saurait dépendre de la constatation préalable par le juge saisi, de l'existence du droit de propriété allégué ni d'un examen préalable par lui, de la règle de droit applicable aux faits spécialement invoqués à l'appui de la demande, comme constitutifs d'un acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale.

Il y a donc lieu d'écarter l'application de l'article 96 alinéa 1 LPCC en reconnaissant la compétence du juge de l'action en cessation de connaître d'une demande en cessation d'un acte allégué contraire aux usages honnêtes en matière commerciale au soutien de laquelle le demandeur invoque un droit à la protection d'une marque enregistrée ou même un quelconque droit exclusif sur l'emploi par lui d'un signe apte à distinguer aux yeux du public les produits ou les services visés de ceux d'une autre provenance.

L'appel incident n'est donc pas fondé.

Sur l'appel principal
a) Sur la qualité de titulaire des marques revendiquées dans le chef de l'appelante

7. L'appelante produit aux débats les copies de certificats d'enregistrement Benelux des marques invoquées mentionnant son nom en qualité de titulaire. Ces documents sont les seuls à prendre en considération pour établir cette qualité à l'égard des tiers sans que l'appelante ne doive justifier l'origine de ses droits.

L'intimée qui ne revendique pas elle-même un droit exclusif sur lesdites marques est dès lors sans qualité pour contester cette qualité à l'appelante au motif que celle-ci ne ferait pas à suffisance de droit la démonstration qu'elle a acquis les droits sur les marques litigieuses.

b) Sur l'atteinte à la marque consistant dans l'emploi par l'appelante des mots “Sirop de Liège”

8. Comme l'indique l'intimée, il ressort des pièces du dossier que le vocable “sirop de Liège” est un terme générique qui sert à désigner un type de marmelade et est perçu comme tel par le consommateur moyen, du moins en Belgique, et non comme marque.

Le “sirop de Liège” est vanté dans les brochures de tourisme de la province de Liège comme un des produits du terroir dont la méthode de fabrication remonterait au XVIIème siècle et il est repris dans l'ouvrage “museobus de la Communauté française” sous le titre “histoire des pratiques alimentaires” comme un produit typiquement liégeois. Le terme est repris dans le dictionnaire des belgicismes de G. Le Bouc comme désignant “une sorte de confiture faite à base de poires ou de pommes”, et dans des ouvrages consacrés aux pratiques culinaires ou aux recettes de cuisine, tels que “Coutumes culinaires au pays de Liège” par Luc Ullus. Il est utilisé également dans la presse quotidienne comme terme générique.

Le terme “sirop” dans “sirop de Liège” n'a pas le sens qui lui est attribué dans la langue française dès lors qu'il correspond habituellement à une solution liquide à base de fruits. Associé aux mots “de Liège”, il porte sur une marmelade de consistance épaisse qui ne se dissout pas dans l'eau pour servir de boisson.

La référence à la ville de Liège n'est quant à elle pas perçue par le public concerné comme constituant une indication de provenance géographique, quand bien même le pays de Herve serait connu pour la production des produits du type de ceux que commercialisent les parties. Elle ne peut être dissociée du mot “sirop” pour les produits en cause.

Le terme “sirop de Liège” a donc un caractère descriptif et désigne l'espèce du produit en cause au sens de l'article 7, b) LBM. Cette conclusion est confortée par le fait que le vocable “sirop de Liège” fait l'objet de traduction, puisque le type de produits est connu du public ciblé néerlandophone sous la dénomination “Luikse siroop”, d'ailleurs utilisée par l'appelante elle-même sur les produits qu'elle commercialise.

Enfin, il y a lieu de constater que l'appelante n'est pas titulaire de la marque verbale “sirop de Liège” et qu'en déposant la marque complexe “du vrai sirop de Liège”, elle a implicitement reconnu le caractère descriptif du terme “sirop de Liège”.

Il résulte de ce qui précède que l'appelante n'a pas de droit exclusif sur ce terme générique, quand bien même elle aurait été longtemps la seule entreprise à produire du “sirop de Liège” de façon industrielle et à les distribuer dans les chaînes de magasins et grandes surfaces et qu'il existe un intérêt général à préserver la disponibilité de ce terme en raison de sa capacité certaine à révéler la nature du produit à l'ensemble des consommateurs. C'est donc à tort que l'appelante fait grief à l'intimée de commercialiser des produits similaires sous le signe “sirop de Liège”.

c) Sur les autres atteintes alléguées

9. C'est à bon droit que l'appelante soutient que l'intimée fait usage dans la vie des affaires d'un signe similaire avec sa marque, pour des produits identiques ou similaires, dont l'emploi engendre un risque de confusion.

Il ne peut être sérieusement contesté que les représentations graphiques formant l'étiquette apposée sur l'emballage des produits de l'appelante, ont un caractère arbitraire par le choix des motifs (arbres en fleurs), des couleurs (bleu, vert et blanc) et du graphisme.

La couleur bleue répartie de manière uniforme et laissant l'image d'un ciel serein domine largement puisqu'elle prend les deux tiers de la superficie. L'étiquette représente des arbres en fleurs par le procédé de juxtaposition de petits points de couleur blanche contrastant avec le bleu du ciel et le vert de l'herbe. L'ensemble évoque l'art des enfants par la liberté d'interprétation, le choix des couleurs brutes, et la grande simplicité des motifs. Les lettres blanches sont utilisées sur un fond noir.

Les étiquettes incriminées reprennent chacune de ses caractéristiques, en les modifiant légèrement, sans toutefois s'écarter d'elles de manière suffisante pour exclure le risque de confusion: la couleur bleue, également répartie de manière uniforme, domine. L'étiquette représente des arbres en fleurs et la représentation des fleurs est obtenue par des petits points de couleur blanche. L'ensemble rappelle également les dessins d'enfants.

C'est en vain que l'intimée souligne les différences entre les signes, notamment quant aux tonalités choisies. Si ces différences peuvent être perçues par le consommateur normalement informé et raisonnablement attentif lorsqu'il est confronté aux deux signes au même moment et fait preuve d'une attention particulière, elles lui échappent ou sont perçues par lui comme insignifiantes lorsqu'il n'a pas la possibilité d'opérer une comparaison.

Les ressemblances sont à ce point frappantes que le public confronté aux emballages de l'intimée qui véhiculent les mêmes impressions et messages peut être enclin à croire à l'origine commune des produits et au simple lancement d'un nouveau conditionnement pour les produits revêtus de la marque de l'appelante.

Les seuls éléments nouveaux sont à ce point discrets qu'ils ne sont pas de nature à modifier l'impression de grande similitude entre les signes. Il s'agit de l'ajout d'un point jaune dans le ciel, et de la présence de fruits au bas de l'étiquette dont la perception est rendue difficile par le caractère dominant, à la même place, de l'ovale contenant le vocable “LAMBERT” en lettres blanches sur fond noir.

Par ailleurs, il ne résulte pas du dossier que les éléments composant la marque de l'appelante relativement à l'étiquette de ses produits et décrits plus haut, soient liés à la nature même du produit ou soient propres au type de produits concernés.

C'est en vain que l'intimée indique que le concept de l'arbre en fleurs, ou du verger, est présent, depuis de nombreuses années, et sous des formes variées, sur les emballages de nombre de producteurs concurrents. L'appelante ne revendique pas l'exclusivité desdits concepts, mais bien la protection de sa marque en s'opposant à l'emploi de signes similaires avec deux.

Comme l'indique l'appelante, les produits concernés sont identiques puisqu'il s'agit dans tous les cas de sirop de fruits à tartiner. L'ajout de dattes dans la préparation de certains des produits commercialisés n'en fait pas des produits non similaires.

Le risque de confusion est en l'espèce d'autant plus grand que la marque de l'appelante a acquis un pouvoir distinctif très fort grâce à l'usage intensif qu'il en est fait depuis des décennies.

Contrairement à ce que soutient l'intimée, pour apprécier le risque de confusion qui trouve son origine dans la similitude des signes étudiés, il n'y a pas lieu de tenir compte des seuls signes distinctifs communs à tous les produits commercialisés par l'appelante. La circonstance que l'appelante vend des sirops de fruits à tartiner sous différents emballages distincts est sans pertinence pour apprécier l'étendue de la protection que lui confèrent les marques qu'elle invoque dans la présente affaire.

d) Sur l'atteinte alléguée à la marque tridimensionnelle de l'appelante

10. Il résulte des conclusions de l'appelante que celle-ci ne revendique pas des droits exclusifs sur la forme de ses emballages, à savoir un pot conique, mais qu'elle reproche à l'intimée l'emploi d'un emballage caractérisé par l'étiquette bleue et par un couvercle dans la même couleur que la couleur dominante de cette étiquette.

Une atteinte n'est cependant pas démontrée. L'appelante ne dispose en effet pas d'un droit exclusif à utiliser des emballages qui se caractérisent par l'usage d'une même couleur dominante pour l'étiquette et le couvercle.

e) Sur les mesures sollicitées

11. Il y a lieu d'ordonner les mesures reprises dans le dispositif du présent arrêt.

La publication de la présente décision, demandée par l'appelante, est sans intérêt dès lors que les revendeurs seront invités à retirer le produit de la vente.

Par ces motifs,

La cour,

Statuant contradictoirement,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;

Dit l'appel principal recevable et fondé dans la mesure ci-après:

- met le premier jugement à néant sauf en ce qu'il reçoit la demande originaire et liquide les dépens;

- constate que l'intimée porte atteinte à la marque Benelux enregistrée sous le n° 100332 de l'appelante en utilisant pour des produits similaires à ceux pour lesquels ces marques ont été enregistrées, à savoir des produits connus sous la dénomination générique “sirop de Liège”, une étiquette composée d'un ensemble d'éléments qui, pris globalement, rend celle-ci similaire à la marque protégée et crée un risque de confusion;

- ordonne la cessation de cette pratique sous peine d'une astreinte de 500 € par fait d'usage de l'étiquette incriminée, constaté à l'expiration d'un délai de cinq jours à compter de la signification du présent arrêt;

- condamne l'intimée à envoyer une lettre accompagnée du dispositif du présent arrêt dans les 48 heures de la signification du présent arrêt, à tous les revendeurs de produits revêtus du signe incriminé en les invitant à retirer immédiatement ceux-ci de la vente, sous peine d'une astreinte de € 500 par revendeur auquel l'intimée n'aurait pas envoyé cette lettre dans le délai imparti.

Le dit non fondé pour le surplus.

Dit l'appel incident recevable mais non fondé.

Condamne l'intimée aux frais de première instance et à la moitié des frais de la procédure d'appel; délaisse l'autre moitié à l'appelante; dépens d'appel liquidés en ce qui concerne l'appelante à 186 + 57,02 + 475,96 € et en ce qui concerne l'intimée, à 475,96 €.

(...)