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Observations, R.D.C.-T.B.H., 2006/1, p. 89-90

DROIT BANCAIRE
Opérations bancaires - Virement - Virement faux ou falsifié - Article 1239 C.civ. - Règlement général des opérations - Responsabilité
L'article 1239 C.civ. signifie, dans son sens large, exécuter une obligation, en l'espèce, celle d'exécuter correctement les ordres de virement du client.
Au-delà des termes exprimés dans une convention, il convient de rechercher la commune intention des parties.
Une clause contractuelle qui tend à convenir des ordres de virement qui seront exécutés par la banque n'a pas comme telle pour objet de limiter sa responsabilité.


BANK EN KREDIETWEZEN
Bankverrichtingen - Overschrijving - Valse of vervalste overschrijving - Artikel 1239 B.W. - Algemeen reglement van de verrichtingen - Aansprakelijkheid
Betalen in de zin van artikel 1239 B.W. betekent - ruim gelezen - een verbintenis uitvoeren. In onderhavig geval gaat het over de correcte uitvoering van de overschrijvingsorders van de cliënt.
Verder dan de bij de overeenkomst uitgedrukte termen, moet men de gemeenschappelijke bedoeling van de partijen opzoeken.
Een contractuele clausule die ertoe strekt overeen te komen welke overschrijvingsorders door de bank uitgevoerd zullen worden, heeft niet op zich als voorwerp de aansprakelijkheid van die laatste te beperken.

Un appel a été interjeté à l'encontre des décisions 2 et 3.

L'encre judiciaire n'a pas fini de couler sous les ponts des virements apocryphes…

Les deux espèces annotées abordent une problématique classique: le titulaire d'un compte conteste être l'auteur d'un ordre de virement et demande à la banque le remboursement du débit en compte occasionné par l'exécution de ce virement sur base de l'article 1239 du Code civil.

Dans l'espèce soumise au tribunal de première instance de Bruxelles (décision n° 2), l'application de l'article 1239 avait été conventionnellement écartée. Il était par ailleurs également précisé conventionnellement que la banque n'était tenue que de sa faute lourde, non constatée en l'espèce par le tribunal.

Dans l'espèce soumise au tribunal de commerce de Bruxelles (décision n° 3), une clause du règlement général des opérations de la banque précisait expressément que “le client déclare ratifier tous les ordres revêtus d'une signature qui ne comporte pas de discordance flagrante avec le spécimen déposé à la Banque et supporter seul toutes les conséquences de leur exécution”.

Le tribunal de commerce, recherchant la commune intention des parties, considère que cette clause a pour objet de convenir quels seront les virements qui devront être exécutés par la banque et non de limiter la responsabilité de cette dernière. Dans la mesure où la banque a exécuté un virement en respectant les termes de son obligation contractuelle, le tribunal de commerce déclare irrecevable la demande du client fondée sur l'article 1239 du Code civil.

Suivant l'article 1239 du Code civil, “Le paiement doit être fait au créancier ou à quelqu'un ayant pouvoir de lui…” “Le paiement fait à celui qui n'aurait pas pouvoir de recevoir pour le créancier, est valable, si celui-ci le ratifie, ou s'il en a profité”.

Comme le relèvent à juste titre Charles-Ghislain Winandy et Murielle Lafontaine [1], l'article 1239 peut donner lieu à deux lectures différentes: la première “consiste à considérer qu'en créditant ou en faisant créditer le compte du bénéficiaire d'un virement, la banque paie sa dette de somme vis-à-vis du titulaire du compte” (par le débit duquel s'effectue le virement). Cette façon de voir les choses est, selon ces auteurs, erronée dans la mesure où elle présuppose que le bénéficiaire du virement est le mandataire du donneur d'ordre alors qu'il en est le plus souvent le créancier en raison d'une opération sous-jacente. Le paiement par virement supposerait, dans cette optique, de recourir à une construction pour le moins artificielle supposant une compensation entre la dette du donneur d'ordre à l'égard du bénéficiaire du virement (basée sur leur relation sous-jacente) et la dette qui incombe au bénéficiaire en tant que mandataire du donneur d'ordre suivant le principe qui impose au mandataire de rendre compte au mandant des sommes reçues dans l'exercice du mandat.

L'autre lecture de l'article 1239 envisage le “paiement” dans un sens technique plus large, à savoir l'exécution d'une obligation qu'elle soit de donner, de faire ou de ne pas faire.

C'est ce sens “technique” qu'a retenu la cour d'appel de Bruxelles dans son arrêt du 18 novembre 1999 [2] en énonçant que “payer c'est effectuer la prestation à laquelle on s'est obligé”. La cour précise, dans ce même arrêt, qu'en “donnant effet à un virement, quel qu'en soit le bénéficiaire, la banque effectue un paiement au sens technique du terme, dès lors qu'elle exécute une de ses obligations essentielles à l'égard de son client, titulaire du compte débité, soit celle qui consiste à donner suite à ses ordres de virement ou du moins ceux qu'elle peut légitimement prendre pour tels (c'est nous qui soulignons).

Nous avons déjà exprimé notre totale adhésion à cette position [3].

Dès lors, une clause excluant expressément l'application de l'article 1239 aux relations qui existent entre le titulaire d'un compte courant et son banquier (comme dans le cas soumis au tribunal de première instance de Bruxelles dans une des espèces annotées), si “elle a le mérite d'être claire” n'a en réalité pas de sens: la banque a bien en tout état de cause vis-à-vis de son client une obligation “de faire” qu'il lui incombe de “payer” au sens technique du terme.

Encore convient-il de déterminer, par référence à la convention intervenue entre les parties, le contour que celles-ci ont entendu donner à cette obligation qu'a le banquier, teneur d'un compte courant, d'exécuter les ordres de virement qu'il reçoit [4].

Il ne s'agit pas ici d'écarter l'article 1239 mais bien de rechercher quelle est la portée et quelles sont les limites de l'obligation contractée par la banque.

Par ailleurs, qu'on ne s'y trompe pas: cette “définition” contractuelle de l'obligation du banquier ne relève pas davantage du domaine de la responsabilité: avant d'aborder la question d'une faute éventuellement commise par la banque dans l'exécution de ses obligations, il s'agit tout bonnement, d'en définir le contenu contractuel.

En limitant, dans le cadre de la convention qui les lie, les vérifications à opérer, par le banquier - en renonçant, le cas échéant à certaines précautions de nature à exclure le risque de fraude mais qui auraient pour effet de ralentir considérablement l'exécution des virements - les parties procèdent à une répartition des risques qui, en l'absence de tout comportement fautif sont mis à charge du titulaire du compte [5] - lequel a intérêt à une exécution rapide de ses ordres de virement et accepte de privilégier, dans une mesure définie contractuellement, la recherche d'une efficacité maximale même au détriment d'une exigence de sécurité “absolue”.

Ce faisant, il n'est pas question de dénaturer le contrat en vidant de son contenu une des obligations essentielles du banquier: celui-ci reste tenu de vérifier avec un soin raisonnable que l'ordre qu'il reçoit émane bien de son client mais les parties ont contractuellement circonscrit les vérifications qui lui incombent.

Dans l'espèce soumise au tribunal de première instance de Bruxelles (décision n° 2), le règlement général des opérations applicable entre les parties stipulait que la banque n'aurait à connaître que du spécimen de signature déposé par le client au moment de l'ouverture du compte et ne serait tenue qu'à la simple comparaison de ce spécimen (avec la signature apparaissant sur un ordre).

Même si on peut regretter que le tribunal de première instance n'ait pas plus clairement centré le débat sur la question du contenu même de l'obligation relative à l'exécution des ordres de virement tel que précisée par les parties et semble s'être placé sous l'angle de la recherche d'une faute éventuelle de la banque, nous ne pouvons qu'adhérer à la conclusion retenue: tenant compte de la similitude plus que certaine entre la signature falsifiée et les spécimens déposés, le tribunal considère que la banque a pu légitimement reconnaître la fausse signature figurant sur l'ordre de virement comme étant celle de son client titulaire du compte. Dès lors, en donnant suite à cet ordre, la banque a exécuté son obligation contractuelle en parfaite concordance avec l'article 1239 du Code civil dans son “acception technique” [6].

Le tribunal de commerce de Bruxelles a pour sa part - avec raison, selon nous - interprété correctement l'engagement souscrit par le client de ratifier tout ordre revêtu d'une signature ne comportant pas de discordance flagrante avec le spécimen déposé et de supporter seul les conséquences de son exécution, comme visant à convenir des ordres qui pouvaient (devaient) être exécutés par la banque. Dès lors que la banque est restée dans les strictes limites de ses obligations contractuelles, elle s'est valablement libérée vis-à-vis de son client et une demande de ce dernier, basée sur l'article 1239 du Code civil, n'est pas valablement fondée.

[1] C.-G. Winandy et M. Lafontaine, “Les conditions générales bancaires. Le fonctionnement du compte”, in Cahiers AEDBF/EVBFR-Belgium, n° 17, Algemene Bankvoorwaarden - Les Conditions Générales Bancaires, pp. 212 et s.
[2] Bruxelles 18 novembre 1999, R.D.C. 2000, p. 680, avec nos observations, pp. 685 et s.
[3] Voy. R.D.C. 2005/2, p. 156 et les réf. cit.
[4] Dans le même sens, C.-G. Winandy et M. Lafontaine, o.c., p. 214, n° 19; voy. également nos développements après Bruxelles 18 mars 2003, R.D.C. 2005/2, p. 155 et s. ainsi que les réf. cit.
[5] Consulter notamment, dans le même sens, F. Grua, Contrats bancaires, Tome I, Contrats de services, Paris, Economica, 1990, p. 108, n° 108 et p. 167, n° 169.
[6] Dans le même sens, C.-G. Winandy et M. Lafontaine, o.c., p. 214, n° 19: “C'est dans la recherche même de la portée exacte de l'obligation souscrite par la banque que l'on pourra décider si elle a ou non 'payé' son créancier”.