Article

Tribunal de première instance Bruxelles, 29/03/2004, R.D.C.-T.B.H., 2006/1, p. 79-80

Tribunal de première instance de Bruxelles 29 mars 2004

DROIT BANCAIRE
Opérations bancaires - Virement - Virement faux ou falsifié - Article 1239 C.civ. - Faute lourde de la banque
Dans la mesure où le règlement général des opérations de la banque exclut expressément l'application de l'article 1239 du Code civil entre parties, le client de la banque à qui ce règlement a été rendu opposable ne peut se fonder sur cet article pour exiger le remboursement d'un débit de son compte causé par un virement apocryphe.
Tenant compte d'une part de ce qu'une signature peut évoluer et d'autre part de la similitude existant en l'espèce entre la signature falsifiée et les spécimens de signature déposés par le client auprès de la banque, aucune faute lourde ne peut être reprochée au banquier dont on ne peut exiger qu'il fasse procéder à une analyse graphologique à chaque dépôt d'un ordre de virement.


BANK EN KREDIETWEZEN
Bankverrichtingen - Overschrijving - Valse of vervalste overschrijving - Artikel 1239 B.W. - Zware fout van de bank
In de mate waarin het algemeen reglement van de verrichtingen van de bank de toepassing van artikel 1239 B.W. tussen partijen uitdrukkelijk uitsluit, mag de cliënt tegen wie dit reglement tegenstelbaar werd gemaakt, zich op dit artikel niet beroepen om de terugbetaling van het debetsaldo van zijn rekening te eisen die veroorzaakt werd door een verdachte overschrijving.
Rekening houdend enerzijds met het feit dat een handtekening mag evolueren en anderzijds met de gelijkvormigheid die in het onderhavige geval tussen de vervalste handtekening en de door de rekeninghouder bij de bank gedeponeerde exemplaren bestaat, mag geen fout verweten worden aan de bank, waarvan men niet kan eisen dat zij tot een grafologische analyse overgaat bij elk overschrijvingsorder dat zij ontvangt.

SPRL Jean Mil Coiffure / SA Crédit professionnel

Siég.: Staes-Polet (juge unique)
Pl.: Mes V. Rodriguez et J.-P. Buyle

(...)

L'action tend à obtenir condamnation de la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 170.636 FB (4.229,96 euros) majorée des intérêts moratoires, compensatoires et ou judiciaires depuis le 19 avril 2000.

Rétroactes

Le 12 octobre 1998, la SPRL Jean Mil Coiffure (ci-après “JMC”) a fait une demande d'ouverture de compte auprès de la SA Crédit professionnel.

Le 18 avril 2000, un bulletin de virement daté du 14 avril 2000 est déposé au guichet de la SA Crédit professionnel. Il s'agissait d'un ordre de virer un montant de 183.680 FB (4.553,31 euros) du compte de la SPRL JMC au bénéfice d'un compte ouvert auprès de la Citibank et appartenant à un certain Samuel Dessutter. Le compte de la SPRL JMC est ainsi débité de ce montant le 19 avril 2000.

Le 12 mai 2000, le gérant de la SPRL JMC, Monsieur Jean-Claude Mil, a déposé plainte du chef de faux et escroquerie contre le bénéficiaire de l'ordre de virement. La copie de la plainte est adressée aussi à la SA Crédit professionnel.

Par courrier recommandé du 3 juin 2000, la SPRL JMC relance la SA Crédit professionnel sur la manière dont cette dernière entend restituer la somme payée indûment.

Par courrier du 5 juin 2000, la SA Crédit professionnel accuse réception de ladite copie et informe la SPRL JMC de ce qu'elle attend le réquisitoire du Parquet.

Le 15 juin 2000, la Citibank transmet à la police d'Ixelles les éléments d'identification qu'elle possède sur Monsieur Dessutter et récupère sur le compte de celui-ci un montant de 13.044 FB (323,35 euros) qu'elle remet à la SA Crédit professionnel.

Le 20 juillet 2000, la SA Crédit professionnel verse sur le compte de la SPRL JMC le montant de 13.044 FB ainsi récupéré, et ce avec la communication “ordre frauduleux 00D18VIOVABU 9179”.

Le 27 juillet 2000, la police informe le Parquet de ce qu'à la suite de leurs recherches, il est apparu d'une part que le sieur Dessutter ne résidait pas et n'était pas inscrit à la commune d'Etterbeek et d'autre part, que le numéro de sa carte d'identité était un faux numéro. À la suite de ces constatations, Monsieur le procureur du Roi a fait part, le 19 septembre 2000, au gérant de la SPRL JMC de ce que la plainte déposée avait fait l'objet d'un classement sans suite.

Le 15 octobre 2000, le gérant de la SPRL JMC réitère sa demande de voir son compte crédité de la somme dont il a été délesté. La SA Crédit professionnel répond ne pas pouvoir accéder à cette demande au motif d'une part qu'elle n'a commis aucune faute et ne peut, partant, être tenu responsable de cette somme, et d'autre part que grâce à son intervention auprès de la Citibank, un montant de 13.044 FB a pu être récupéré.

La SPRL JMC assigne dès lors la SA Crédit professionnel en paiement du solde de la somme détournée, soit 4.229,96 euros.

Discussion

La demanderesse fonde son action sur l'article 1239 du Code civil ainsi que sur la responsabilité contractuelle de la SA Crédit professionnel.

La défenderesse entend écarter, quant à elle, les fondements juridiques de la demande en se basant sur son règlement général des opérations de dépôt de sommes et de titres.

La demanderesse soulève l'inopposabilité du règlement général des opérations en invoquant d'une part sa communication tardive en cours d'instance, et d'autre part l'absence de signature et de date sur le document communiqué.

Quant au premier argument, la pièce I.18 de la défenderesse a été communiquée à la demanderesse en date du 10 octobre 2002.

La pièce I.17 de la défenderesse, dont le contenu est quasi-identique à celui de la pièce I.18, a été communiquée à la demanderesse en date du 24 octobre 2002. L'ordonnance prononcée le 6 mai 2002 par le tribunal de céans autorisait la défenderesse à prendre d'ultimes répliques (conclusions de synthèse) pour le 2 décembre 2002 au plus tard. Il n'y a pas lieu dès lors d'écarter la pièce I.17 des débats comme le sollicitait la demanderesse.

Quant au second argument, la demande d'ouverture de compte signée par la demanderesse le 12 octobre 1998 mentionne expressément que “le soussigné reconnaît que les relations d'affaires actuelles et à venir entre la SA Crédit professionnel et lui, sont soumises au règlement général des opérations de dépôts de sommes et de titres. Le client déclare avoir pris connaissance dudit règlement et en avoir reçu un exemplaire, et avoir accepté intégralement ses dispositions” (p. 1 dos. déf.).

Dans ce contexte, la demanderesse ne peut prétendre ignorer tant l'existence que le contenu de ce règlement (voy. notamment Gand 23 mai 1997, R.D.C. 1998, 248; Anvers 7 septembre 1998, A.J.T. 1999-2000, 395).

Le règlement général des opérations est dès lors opposable à la demanderesse.

Par conséquent, l'article 13.(3) du règlement général exclut expressément l'application de l'article 1239 du Code civil entre parties. La demande ne peut dès lors être fondée sur cet article du Code civil.

L'article 24.(1) du règlement général dispose que “les comptes sont ouverts directement aux guichets du Crédit professionnel au moyen du document intitulé 'demande d'ouverture de compte'. Le client y apposera la signature déposée. Le Crédit professionnel ne connaîtra que ce spécimen. Il n'est tenu qu'à la simple comparaison avec ce spécimen et n'encourt de responsabilité qu'en cas de faute lourde” (pièce 17 du dossier de la défenderesse).

En l'espèce, la signature apposée sur le virement falsifié n'est pas radicalement différente de la signature de référence. Et il ne peut pas être exigé de la banque qu'il soit procédé à une expertise graphologique à chaque dépôt d'ordre de virement.

Tenant compte d'une part de ce qu'une signature peut évoluer, voire légèrement se modifier, et d'autre part de la similitude plus que certaine entre la signature falsifiée et les spécimens de signature déposés par la demanderesse elle-même (pièce 12 de son dossier), la défenderesse a pu légitimement reconnaître la fausse signature comme étant celle de Monsieur Jean-Claude Mil, gérant de la demanderesse.

Aucune faute lourde ne peut dès lors être retenue contre la défenderesse.

Il résulte de ce qui précède que l'action dirigée à l'encontre de la défenderesse doit dès lors être déclarée non fondée.

Par ces motifs,

Le tribunal,

(...)

Reçoit l'action principale mais la déclare non fondée.

(...)