Article

Tribunal de commerce Liège, 23/12/2004, R.D.C.-T.B.H., 2006/1, p. 69-74

Tribunal de commerce de Liège 23 décembre 2004

DROIT BANCAIRE
Opérations bancaires - Comptes en banque - Compte provision - Mandat - Intérêts
L'ouverture d'un compte provision dans le cadre d'une ouverture de crédit utilisable par crédit documentaire ou garantie doit être qualifiée de mandat par lequel le client, moyennant une avance de fonds sollicite de son banquier qu'il exécute des paiements en faveur de tiers en cas de défaillance de sa part.
Dans la mesure où les fonds logés dans un compte provision se voient attribuer par les parties une affectation particulière, le compte demeure séparé du compte de la banque et la banque ne devient pas ipso facto propriétaire des fonds versés.
Aux termes de l'article 1996 du Code civil, le mandataire ne peut tirer aucun avantage personnel de l'exécution du mandat. Cette disposition est supplétive de la volonté des parties et non d'ordre public.
À défaut d'accord entre les parties, c'est l'intérêt au taux légal qui doit être alloué sur les sommes que le mandataire a utilisées à son usage personnel.
BANK EN KREDIETWEZEN
Bankverrichtingen - Bankrekeningen - Provisie­rekeningen - Lastgeving - Intrest
De opening van een provisierekening in het kader van een kredietopening, bruikbaar door uitgifte van documentaire kredieten of bankwaarborgen, moet gekwalificeerd worden als een mandaat, waardoor de cliënt, tegen een voorschot van geld zijn bankier vraagt betalingen uit te voeren ten gunste van derden, indien de cliënt zelf te kort schiet.
In de mate waarin de sommen die op de provisierekening gestort werden, een bijzondere bestemming krijgen door de bedoeling van de partijen, blijft de provisierekening apart van de rekening van de bank en de bank wordt niet ipso facto eigenaar van die sommen.
Volgens artikel 1996 B.W. mag de mandataris geen enkel persoonlijk voordeel halen uit de uitvoering van zijn mandaat. Deze maatregel is niet van openbare orde en de partijen kunnen ervan afwijken.
Bij gebrek aan akkoord tussen partijen, moet de wettelijke rentevoet toegekend worden op de sommen waarvan de mandataris gebruik heeft gemaakt voor eigen rekening.

Me E. Chartier q.q. SA Her-Fic en liquidation / SA Fortis Banque

Siég.: F. Bayard (juge président), J.-P. Pruvot et A. Bruyere (juges consulaires)
Pl.: Mes E. Chartier et A.-P. André-Dumont loco J.-P. Buyle

(...)

1. Les circonstances du litige

La SA Her-Fic, anciennement la SA Fabrique nationale de Herstal (ci-après “F.N.”) était cliente de la Générale de Banque devenue Fortis. Elle bénéficiait à ce titre d'une ligne de crédit de 3.550.000.000 FB “utilisable sous forme d'engagements garanties et d'ouverture de crédits documentaires”.

Suite aux importantes difficultés financières connues par la F.N., cette ligne fut réduite le 11 août 1987 à 2.150.000.000 FB (pièce 1.0 - dossier Fortis).

En 1990, l'essentiel du fonds de commerce de la F.N. est cédé au groupe industriel français Giat Industries, ce qui donne lieu à la création d'une nouvelle société, la SA Fabrique Nationale Nouvelle Herstal (en abrégé “SA F.N.N.H.”).

Dans le cadre de cette reprise, il est prévu de transférer à la SA F.N.N.H. la majeure partie des garanties bancaires émises par la banque d'ordre de la F.N. Herstal et sous sa responsabilité et tous les crédits documentaires dont elle bénéficiait.

Néanmoins, à la demande de la SA F.N. Herstal, certaines garanties bancaires ne sont pas reprises par la SA F.N.N.H. et restent émises par la Générale de Banque d'ordre de la SA F.N. Herstal. Le total de ces garanties non reprises s'élève à environ 233.000.000 FB.

Il est alors convenu de réduire la ligne de crédit ouverte à la SA F.N. Herstal au fur et à mesure de l'annulation des garanties.

Un courrier est établi en ce sens en date du 28 décembre 1990 (pièce 1.1 - dossier Fortis). Ce courrier est rédigé notamment comme suit:

(...) Votre ligne de crédit sera réduite le 2 janvier 1991 à hauteur du montant des garanties non transférées et continuera à se réduire au fur et à mesure de l'annulation des garanties jusqu'à extinction de la ligne. Pour sûreté des garanties qui resteront logées sur votre compte en nos livres et dans le cadre des gages sur fonds de commerce qui ont été constitués précédemment en notre faveur, il conviendra de réaliser la dépossession des billets à ordre souscrits par F.N.N.H. et avalisés par le Giat Industries, billets à ordre qui seront égaux en valeur, aux garanties non transférées.

Vous trouverez en annexe en deux exemplaires une convention de dépossession desdits billets à ordre que vous voudrez bien nous retourner dûment paraphée et signée.

Toutes les autres clauses, conditions et modalités de ce crédit demeurent inchangées et les données énoncées dans la présente n'entraînent pas novation.

La convention de dépossession des billets à ordre sera signée le 2 janvier 1991. Ceux-ci étaient à échéance au 31 décembre 1991.

Le 19 février 1991, la Générale de Banque confirmera son accord sur le transfert des garanties bancaires et annexera à son courrier un relevé exhaustif de celles-ci (pièce 1.3 - dossier Fortis). La ligne de crédit utilisable sera alors ramenée à 230.000.000 euros, soit le montant équivalent à l'encours du total des garanties bancaires.

Cette liste sera complétée par une autre qui sera adressée à la F.N. le 6 mars 1991 (pièce 1.4 - dossier Fortis).

Le 24 décembre 1991, la Générale de Banque adressera un courrier à la F.N. (pièce 1.5 - dossier Fortis) rédigé notamment comme suit:

À l'échéance des deux billets à ordre dont question ci-dessus, soit le 31 décembre 1991, la contrepartie des billets à ordre échus sera, par le débit du compte du souscripteur, portée dans un compte à notre nom “Provisions pour garanties données” numéro 240-8438043-17 assurant ainsi la continuité du gage constitué précédemment. Toutefois, aux fins d'ajuster le montant du gage à la hauteur de l'encours actuel des garanties bancaires, nous verserons au crédit de votre compte 240-0000064-68 ouvert en nos livres la somme de 36.686.917 francs belges sous valeur 31 décembre 1991.

De plus, nous vous informons que nous sommes disposés à transporter ce même gage dans un compte à terme.

Vous voudrez bien nous le confirmer avant le 30 décembre 1991 de manière à ce que nous puissions établir les correspondances relatives à l'affectation en gage à notre profit dudit compte à terme à concurrence de 210.589.723 francs belges.

Aucune réponse ne sera adressée par la. F.N. à la Générale de Banque.

Dans les semaines qui suivront, la situation financière de la F.N. se dégradera à nouveau de sorte que la Générale de Banque dénoncera, par courrier du 12 juin 1992, l'un des crédits qui lui avaient été octroyés, en précisant qu'elle entendait maintenir tous les autres en l'état (pièce 1.6 - dossier Fortis).

Le 15 juin 1992, la Générale de Banque écrira à la F.N. ce qui suit:

Comme nous vous en avions informé par notre correspondance 117B12 du 24 décembre 91, le produit de l'encaissement des deux billets à ordre a été porté dans nos livres dans un compte provision pour garantie donnée assurant la continuité du gage constitué précédemment par la convention du 2 janvier 1991.

Par la présente, nous vous informons qu'afin d'ajuster le montant logé au compte provision à l'encours arrêté à ce jour, les lettres de garantie bancaire et cautionnement dont question ci-dessus, soit 46.503.494 francs belges, nous verserons au crédit de votre compte courant en nos livres la somme de 150.637.556 francs belges (cent cinquante millions six cent trente-sept mille cinq cent cinquante-six) comme convenu entre nous et de commun accord, nous vous verserons également une indemnité de 1.963.100 francs belges pour restitution tardive de la somme ci-dessus citée.

Le 10 juillet 1992, les parties se seraient rencontrées afin de discuter de l'éventuelle rémunération des sommes affectées au titre de provision. C'est ce qui ressort d'une note interne déposée en copie en annexe à la pièce 1.23 - dossier Fortis. Cette note est rédigée comme suit:

Reste le problème de la rémunération des montants en provision pour couvrir garantie SRIW. P. Meyers demande quelque chose. Il pense que cela est logique puisque la banque aura le réemploi de ces fonds. Je me suis abrité derrière l'aspect juridique. La somme en compte provision, elle m'appartient, je n'ai pas dès lors à vous payer une rémunération sur cette somme qui ne vous appartient pas. Est d'accord sur le raisonnement juridique mais souhaite que cela soit vu d'un point de vue économique et financier. Monsieur Diehl en parlera probablement à Monsieur Vandickt.

Les différentes garanties subsistantes seront libérées à l'arrivée de leurs échéances, et ce au fur et à mesure. La Générale de Banque restituera la part de provision y correspondant.

Entre-temps, la SA F.N. Herstal devenue SA Herstalienne pour la Finance, l'Industrie et le Commerce (Her-Fic) est mise en liquidation par décision de l'assemblée générale du 30 septembre 1999. La même assemblée générale mandate les administrateurs aux fins de solliciter du président du tribunal de commerce de Liège la désignation de deux liquidateurs, ceci en raison de l'importance des tâches de liquidation à effectuer.

Par ordonnance du 4 octobre 1997, le président du tribunal de commerce de Liège désigne Maître Etienne Chartier et Maître Michel Mersch comme liquidateurs, lesquels, pour l'accomplissement de leur mission, se conformeront aux articles 181 et suivants des lois coordonnées sur les sociétés commerciales (pièce 1.8 - dossier Fortis).

Par lettre du 26 septembre 2000, Maître Etienne Chartier, qualitate qua, écrira à Fortis pour revendiquer des intérêts créditeurs sur les montants provisionnés (pièce 12 - dossier des liquidateurs). Il adressera ensuite un second courrier le 15 janvier 2001, reprenant notamment un décompte d'intérêts, en appuyant sa demande sur le fait que le versement de 1.963.100 FB annoncé dans le courrier du 15 juin 1992 constituait bel et bien la preuve de ce que les dépôts destinés à couvrir les garanties données par la banque devaient être rémunérés.

Fortis répondra par courrier du 23 janvier 2001 que cet argument ne peut être retenu puisque, selon elle, cette somme a été versée au titre d'indemnité pour restitution tardive d'une partie de la provision et non au titre d'intérêts sur celle-ci (pièce 1.11 - dossier Fortis).

Le 5 mars 2001, Maître Mersch fera une nouvelle tentative et écrira notamment ce qui suit (pièce 1.12 - dossier Fortis):

Si je comprends bien, assurément, que la Générale de Banque ait exigé au moment de la vente de la Fabrique Nationale au Giat la constitution d'une autre garantie en remplacement du gage sur fonds de commerce, si je comprends également qu'au moment du paiement des traites mises en garanties, le produit de celles-ci ait été conservé par une sorte de subrogation, il m'est difficile de comprendre pourquoi il n'y a pas eu rétribution de ces importants montants laissés à disposition de la banque.

On peut sans doute discuter de la nature du “compte interne” sur lequel la banque a versé les fonds: provisions constituées à l'appui d'une garantie donnée ou sommes gagées par subrogation dans le cadre de la convention du 02.01.1991. Peu importe à mon sens, le caractère fongible de l'argent fait que la banque en dévient propriétaire à charge de rembourser ce qui restera après l'exécution éventuelle des garanties.

La situation me paraît donc tout à fait comparable aux soldes créditeurs des comptes à vue qui peuvent être utilisés librement par la banque bénéficiaire mais qui sont toujours rémunérés.

La justification de la bonification d'un intérêt dans l'hypothèse du compte de dépôt gît dans le fait que les fonds sont mis à la disposition de la banque qui est en droit de les utiliser non pas occasionnellement mais par essence et de manière inhérente à l'exercice de la fonction bancaire (Van Ryn et Heenen, III, n° 2051). L'intérêt est servi pour attirer les fonds publics en vue de leur utilisation et représente le prix de l'argent (Vasseur et Marin, I, n° 106).

Il me paraît que cette justification vaut “mutatis mutandis” également pour l'octroi d'un intérêt sur des provisions constituées ou sur un compte gagé.

Il en est d'autant plus ainsi, me semble-t-il, que la banque a imposé la constitution de cette provision ou de ce gage et que par nature tout dépôt en mains d'une banque est rémunéré.

On peut d'ailleurs appliquer par analogie l'article 1996 du Code civil qui prévoit que le mandataire doit l'intérêt des sommes qu'il a employées à son usage. En l'espèce, la banque chargée de garantir des tiers a utilisé l'argent de Her-Fic versé comme contre-garantie à son propre profit.

D'un autre côté, vous connaissez la jurisprudence qui s'étend de plus en plus sur le rôle de conseil du banquier. Il me paraît assumer l'obligation d'avertir un client de ce que le système utilisé - imposé en l'espèce - lui occasionne une perte substantielle d'intérêts. Il n'était pas difficile d'imaginer d'autres systèmes tout aussi sécurisants pour la banque mais qui ne privaient pas la société Her-Fic de légitimes revenus.

Fortis maintiendra sa position mais restera ouverte à une rencontre avec les liquidateurs afin de savoir si, lors de l'ouverture du compte provision litigieux, les dirigeants des deux entités avaient eu des discussions, ou non, à propos d'une éventuelle rémunération de celui-ci.

Un échange de correspondances et diverses rencontres auront encore lieu par la suite mais aucun accord ne pourra être trouvé entre les parties, de sorte que par citation du 14 janvier 2003, Maître Etienne Chartier, qualitate qua, assignera Fortis.

Cette dernière soulèvera d'emblée l'irrecevabilité de la demande au motif que celle-ci n'a été introduite que par un des liquidateurs alors qu'elle aurait dû l'être au nom du collège des liquidateurs ou représentants de la société. Les liquidateurs lanceront une seconde citation le 7 octobre 2003 afin de couvrir l'éventuelle irrecevabilité de la première action.

Ces deux actions portent les numéros de rôle général A/03/00220 et A/03/02797.

2. Objet de l'action et positions des parties

Les liquidateurs réclament à Fortis 1.592.340,84 euros à majorer des intérêts au taux légal depuis la date de la citation et les dépens, au titre d'intérêts sur les provisions constituées.

Ils estiment qu'à tout le moins, la banque a commis une faute dans l'exécution de son devoir d'information concernant les conséquences néfastes de pareils dépôts et est donc redevable de dommages et intérêts.

À titre subsidiaire, ils sollicitent les intérêts au taux légal sur la somme de 16.928,18 euros depuis le 2 août 1990 jusqu'au 2 novembre 2000 au motif que l'exécution de la garantie émise par la Générale de Banque sur ordre de la F.N. au bénéfice de l'État irakien est devenue impossible du fait de la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU du 2 août 1990.

Fortis soutient d'abord que l'action introduite par la citation du 13 janvier 2003 est irrecevable parce qu'elle a été introduite sans qualité pour ce faire par un seul des deux liquidateurs.

Elle conclut en outre au non-fondement de l'action initiée par la citation du 7 octobre 2003. Elle prétend que les fonds au départ desquels Her-Fic entend être rémunérée d'intérêts ont été remis à la Générale de Banque au titre de garantie et que cette remise a opéré transfert de propriété à son profit dès lors qu'ils ont été versés sur un compte ouvert à son nom. Elle estime en conséquence ne pas être redevable d'intérêts créditeurs sur des fonds qui lui appartiennent.

Elle conteste en outre toute responsabilité dans l'information donnée à la F.N. qui, selon elle, dispose d'une connaissance suffisante des techniques bancaires.

À titre plus subsidiaire encore, Fortis conteste le taux d'intérêt réclamé et propose une rémunération sur base du taux pratiqué sur les comptes à vue.

En ce qui concerne la demande relative à la garantie de l'Irak, elle déclare cette demande non fondée au motif que Her-Fic n'établirait ni l'existence ni la portée de la résolution dont elle se prévaut, de sorte qu'elle estime devoir maintenir la garantie en ses livres.

Enfin, Fortis estime que si l'action devait être déclarée fondée, les dépens de la première citation devraient être laissés à charge de Her-Fic.

3. Discussion

(...)

3.3. Le fondement de la demande
3.3.1. La qualification juridique des relations intervenues entre les parties suite à la convention du 24 décembre 1991

Pour rappel, la lettre du 24 décembre 1991 adressée par la Générale de Banque à la F.N. est notamment rédigée comme suit (pièce 5, sous-farde 1, dossier Fortis):

À l'échéance des deux billets à ordre dont question ci-dessus, soit le 31.12.1991, la contrepartie des billets à ordre échus sera, par le débit du compte du souscripteur, portée dans un compte à notre nom “provisions pour garanties données” n° 240-8438043-17, assurant ainsi la continuité du gage constitué précédemment. Toutefois, aux fins d'ajuster le montant du gage à la hauteur de l'encours actuel des garanties bancaires, nous verserons au crédit de votre compte 240-0000064-68 ouvert en nos livres, la somme de 36.686.917 FB sous valeur 31.12.1991.

De plus, nous vous informons que nous sommes disposés à transporter ce même gage dans un compte à terme.

Vous voudrez bien nous le confirmer avant le 30.12.1991 de manière à ce que nous puissions établir les correspondances relatives à l'affectation en gage à notre profit dudit compte à terme à concurrence de 210.589.723 FB.

Il est faux de prétendre, comme le fait Fortis, que les termes de la convention ainsi rappelés démontrent qu'en logeant les fonds sur un compte provision, les parties ont entendu constituer une garantie. Fortis tire cette analyse des termes exprès du courrier du 24 décembre, et plus particulièrement de: “assurant ainsi la continuité du gage constitué précédemment” et “aux fins d'ajuster le montant du gage”.

À cet égard, il y a lieu de rappeler tout d'abord qu'en droit, le juge n'est pas tenu par la qualification expresse que les parties ont donnée à leur contrat et il lui est possible de requalifier celui-ci en tenant compte de leurs volontés réelles.

En l'espèce, d'une part, affirmer l'existence d'un gage, comme le fait Fortis, en même temps que de préciser que la F.N. a par ailleurs transféré la propriété des fonds est incompatible car il n'est pas possible de constituer un gage sur des choses dont on n'est pas ou plus propriétaire.

D'autre part et surtout, cette analyse est inconciliable avec la nature même d'un compte provision ouvert dans le cadre du type d'ouverture de crédit consentie en l'espèce, à savoir sous la forme de garanties ou crédits documentaires.

En réalité, il est généralement admis que la convention de “compte provision” entre la banque et son client, le donneur d'ordre, est qualifiée d'un “crédit signature”, en ce sens que la banque prête à son client sa notoriété, sa solvabilité. Elle ne lui avance en principe pas de fonds. (Ch.-G. Winandy, “La mise en gage de comptes bancaires, de comptes titres”, CUP, Le point sur le droit des sûretés, octobre 2000, vol. 41, p. 168).

Le banquier est subordonné dans l'émission de son engagement envers le bénéficiaire à la constitution entre ses mains d'une “provision”. Il se fait ainsi remettre préalablement les sommes qui lui seront nécessaires pour exécuter ses obligations. Il s'agit là d'une “avance” comparable à celle qui peut être demandée par le mandataire ou le commissionnaire.

Dans cette hypothèse, la banque ne consent pas réellement un crédit et la provision ne peut être analysée comme une sûreté, à défaut de dette principale à garantir (M. Regout et M. Delierneux, Sûretés issues de la pratique, acte du colloque organisé à l'ULB, 20 et 21 octobre 1983, vol. 1, III, A.3.6).

En agissant comme elle le fait et en se faisant provisionner, il est admis également que la banque ne fait qu'exécuter la convention d'ouverture de crédit qui la lie à son client (Ch.-G. Winandy, o.c., p. 168).

Tel est bien le cas en l'espèce puisque, de manière très claire, la banque a souhaité, par le versement des fonds sur un compte, pouvoir disposer de ceux-ci afin de la couvrir des éventuels décaissements à venir. Si cette notion de “couverture” est évidemment proche dans le langage courant d'une garantie ou d'une sûreté, cette proximité n'engendre toutefois pas que le mécanisme constitue une sûreté au sens juridique du terme puisque, pour rappel et comme énoncé ci-avant, il n'existe pas réellement de dette principale à garantir.

Il doit être conclu que le contrat intervenu entre les parties ne peut valoir constitution d'une sûreté. Il doit plutôt être qualifié de mandat par lequel la F.N. a, moyennant l'avance de fonds, sollicité de son banquier qu'il exécute des paiements en faveur de tiers en cas de défaillance de sa part.

3.3.2. Les conséquences tenant à la qualification de mandat

En principe, le mandataire ne devient pas propriétaire des choses qui lui sont remises pour l'exécution de sa mission. Il en est détenteur à titre précaire (P. Wéry, Droit des contrats, Le mandat, Rép. not., Larcier, 2000, p. 167).

Cette affirmation vaut pour autant que la chose remise soit une chose “species” ou une chose de genre suffisamment individualisée.

Certes, le caractère fongible d'une somme d'argent entraîne la plupart du temps la perte de l'individualité de la chose, ce qui entraîne, en principe, que le mandataire en devienne propriétaire, à charge pour lui d'en restituer les choses semblables, et ce à moins que cette individualité ne soit préservée.

À ce sujet, Fortis prétend, certes en dehors des discussions relatives à la thèse du mandat, que le fait que les fonds aient été versés sur un compte ouvert à son nom, établit à lui seul qu'elle en soit devenue propriétaire.

Ce raisonnement ne peut être tenu à propos d'un compte provision en raison de sa spécificité. En effet, en réalité, les fonds qui y sont logés se sont vu attribuer par les parties une affectation particulière en ce sens que son titulaire le détient dans une qualité déterminée qui fait qu'un tel compte demeure séparé du patrimoine dudit titulaire. Ce type de compte est appelé “compte qualitatif” (voy. à cet égard E. Dirickx, “La propriété fiduciaire, outil de gestion. Les comptes rubriqués et qualitatifs”, Le trust et la fiducie, implications pratiques, Bruylant, 1997, pp. 175 et s. et les références citées, notamment Anvers 3 mai 1988, R.D.C. 1991, 141 et note Lechien, ainsi que Cass. fr. 19 février 1985, Bul. civ. 1985, I, 1968).

Il est donc erroné de prétendre que le seul fait des versements des fonds sur un compte ouvert au nom de la banque entraîne ipso facto que ceux-ci rejoignent son patrimoine.

De la même manière, au contraire de ce qu'avance Her-Fic, il est tout aussi faux d'avancer que le simple versement sur un compte interne est une opération purement comptable (voy. ses conclusions, p. 7.)

Seuls les principes énoncés ci-avant relatifs au compte qualitatif doivent trouver à s'appliquer.

De plus, contrairement à ce que soutient Fortis, ce n'est pas la circonstance que Her-Fic n'a pas reçu d'extrait de compte qui peut justifier qu'elle ne soit plus propriétaire des fonds.

Cette pratique est à nouveau justifiée par la spécificité du compte interne.

Le fait qu'à l'époque Her-Fic n'ait pas, comme pour d'autres versements qu'elle avait effectués, cette fois au titre de garantie, négocié un taux d'intérêt rémunérateur ne peut permettre de conclure qu'elle y ait renoncé parce qu'elle ne s'estimait plus propriétaire des fonds.

La renonciation à un droit ne se présume en effet pas, puisque comme l'a soutenu son conseil à l'audience, cette attitude peut parfaitement s'expliquer d'une part, par la rapidité - voire précipitation - avec laquelle cette opération a été menée en raison de la proche échéance des billets à ordre et, d'autre part, en raison de la désorganisation interne de la F.N. à cette époque où l'activité industrielle en tant que telle avait complètement cessé, de sorte que ses dirigeants ne portaient plus grand intérêt à la gestion de cette entité.

Par ailleurs, la circonstance que Her-Fic ait mentionné la provision ainsi constituée à l'actif de son bilan à la rubrique “Autres créances” ne plaide pas nécessairement en faveur de la thèse de Fortis. En effet, le fait d'avoir indiqué ces montants en “créances”, à l'actif, témoigne au contraire de ce qu'elle s'estimait bien propriétaire de ceux-ci, au même titre que d'autres postes de l'actif. Elle a d'ailleurs mentionné, de manière juridiquement inexacte, - puisqu'il n'est en effet pas possible de constituer une garantie au moyen d'un bien dont on n'est pas propriétaire - que ces fonds étaient destinés à un cautionnement, ce qui signifie que dans son esprit elle s'en considérait toujours comme propriétaire. Le fait de n'avoir pas d'emblée indiqué à son actif la créance d'intérêts est certes une imprudence comptable mais ne peut s'interpréter comme une reconnaissance d'une quelconque renonciation dans son chef à les percevoir un jour.

Enfin, il ne peut être accordé aucune portée à la note interne rédigée par un des représentants de Fortis et contenant un prétendu accord de Her-Fic sur l'analyse juridique tendant à ne pas faire droit à la demande d'intérêts (voy. l'annexe à la pièce 1.23 de son dossier).

En effet, d'une part, cette note est parfaitement unilatérale et ne peut impliquer comme telle la reconnaissance de la thèse de Fortis, d'autant que celle-ci serait alors bien en peine de justifier la raison pour laquelle, dans la convention litigieuse du 24 décembre 1991, elle a proposé sans réserve à Her-Fic l'alternative d'un compte à terme bloqué qui, lui, est nécessairement productif d'intérêts.

Cette proposition démontre à elle seule implicitement mais certainement qu'il n'est jamais rentré dans l'intention des parties de ne pas rémunérer les fonds issus de Her-Fic et mis à la disposition de la banque pour assumer ses obligations éventuelles à l'égard des tiers dans le cadre de l'ouverture de crédit consentie. Cette pratique aurait d'ailleurs été parfaitement contraire et à la loi (voy. les développements qui suivent) et aux usages en matière bancaire qui veulent qu'une banque qui dispose de fonds lui confiés par un client en rémunère l'utilisation.

Cette volonté implicite des parties rejoint d'ailleurs le prescrit de l'article 1996 du Code civil invoqué par Her-Fic.

Aux termes de cette disposition, le mandant a droit aux intérêts sur les sommes employées par le mandataire à son usage personnel. Les intérêts sont de nature compensatoire dès lors qu'ils sanctionnent la violation d'une obligation de ne pas faire, à savoir de ne tirer aucun avantage personnel de l'exécution du mandat.

Il en résulte que ces intérêts sont dus de plein droit sans mise en demeure à partir du jour de l'emploi et la prescription de cinq ans ne leur est pas applicable (voy. en ce sens De Page, Traité de droit civil belge, t. 5, éd. 1975, pp. 420 et 421).

Certes, cette disposition est supplétive de la volonté des parties et non point d'ordre public; les parties peuvent donc y déroger (Cass. 18 novembre 1946, Pas., p. 418). Le principe est donc bien celui de la production d'intérêts sauf accord des parties en sens contraire, et non, comme tente de le soutenir Fortis, qu'à défaut d'accord, aucun intérêt n'est dû.

Il vient d'être dit sur ce point qu'il doit être déduit des termes du courrier du 24 décembre 1991 que tel n'a pas été le cas, mais que, bien au contraire, la banque était parfaitement disposée à payer des intérêts à la F.N. sur les fonds servant de provisions.

3.4. Le taux applicable

Her-Fic sollicite l'application du taux interbancaire qui serait, selon elle, inférieur “à celui du terme et de celui octroyé (à la concluante) pour ses propres placements” tout en précisant que des intérêts supérieurs au taux légal pourraient être réclamés, et ce en vertu de l'article 1996 précité.

Fortis fait valoir dans sa thèse subsidiaire que tout au plus c'est l'intérêt des comptes à vue qui doit trouver à s'appliquer, soit 0,5% l'an.

En droit, il est généralement admis que, à défaut d'accord des parties, c'est l'intérêt au taux légal qui doit être alloué à défaut d'accord des parties, sur les sommes que le mandataire a utilisées à son usage personnel (art. 1996 du Code civil; P. Wéry, o.c., p. 169.)

Il est incontestable en l'espèce que les parties n'ont pas prévu expressément quel serait le taux applicable spécifiquement aux avances consenties par Her-Fic à Fortis. Cependant, pareil accord quant au taux applicable pourrait être déduit implicitement mais certainement d'autres éléments du dossier.

Ainsi, lorsque, par courrier du 24 décembre 1991 précité, la banque propose le versement des fonds sur son compte interne, elle propose en même temps, et sans réserve particulière (si ce ne sont les formalités d'opposabilité du gage à constituer), que les avances puissent se faire sous forme d'un compte à terme ouvert au nom de la F.N. Comme déjà énoncé ci-avant, il doit en résulter, implicitement mais certainement, qu'en agissant de la sorte, la banque a manifesté une disposition certaine à la rémunération des sommes ainsi versées, à tout le moins au taux des comptes à terme.

Habituellement ce taux se négocie entre la banque et son client au départ d'un taux de base.

Toutefois, il résulte des éléments du dossier que cela n'a vraisemblablement pas été le cas en l'espèce concernant les sommes en litige mais que tel avait été le cas par le passé concernant d'autres nantissements de comptes à terme, similaires à celui proposé dans le courrier précité.

À ce sujet, le courrier déposé par Her-Fic et daté du 2 janvier 1991 attestant de l'application d'un taux d'intérêt de 10% ne peut servir de base à l'établissement du taux applicable puisque, comme le relève à bon droit Fortis, ce courrier évoque non pas la rémunération de Her-Fic mais bien celle de Fortis pour le crédit d'escompte octroyé.

Par contre, les pièces 3.1 et 3.2 du dossier de Fortis, elles-mêmes, démontrent que pour deux dépôts à terme - certes, pour des montants nettement inférieurs - constitués à un an d'intervalle, soit en décembre 1991 et décembre 1992, la banque et la F.N. avaient convenu d'appliquer “le taux d'intervention inférieur numéro 1 de la Banque Nationale de Belgique en vigueur deux jours ouvrables avant la constitution ou le renouvellement du dépôt à terme”.

Il peut être déduit de ces deux courriers, et en l'absence de tout autre élément apporté par les parties, malgré la demande faite en ce sens par le tribunal, que ce même taux aurait plus que vraisemblablement été appliqué aux sommes faisant l'objet du présent débat. Il sera donc retenu en l'espèce.

(...)

Par ces motifs,

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Dit la demande recevable et très largement fondée;

Dit pour droit que les sommes versées à la SA Fortis Banque par convention du 24 décembre 1991 par la SA Société Herstalienne pour la Finance, l'Industrie et le Commerce, en abrégé Her-Fic, seront productives d'intérêts au taux d'intervention inférieur numéro 1 de la Banque Nationale de Belgique (ou son équivalent en euros), en vigueur deux jours avant la libération de chacune des garanties, et ce sur le solde créditeur du compte;

Dit pour droit que ces intérêts, échus à la date du 14 janvier 2003, porteront à leur tour intérêt au même taux;

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