Article

Cour d'appel Bruxelles, 08/12/2004, R.D.C.-T.B.H., 2006/1, p. 135-137

Cour d'appel de Bruxelles 8 décembre 2004

DROIT BANCAIRE
Responsabilité du banquier - Renseignements commerciaux - Obligation de moyens - Clause d'exonération et de limitation de responsabilité
Celui qui procure des renseignements commerciaux n'assume qu'une obligation de moyen. L'inexactitude du renseignement fourni n'entraîne pas ipso facto sa responsabilité. Cette responsabilité nécessite un manque de prudence ou de diligence dans la recherche ou dans la communication de l'information. Le client préjudicié doit établir le caractère déterminant de l'influence de l'information ou du conseil reçu sur sa décision. La clause par laquelle le professionnel s'exonère de toute responsabilité est nulle dans la mesure où elle vide son obligation de sa substance, en privant le contractant de tout recours possible. Par contre, est valable une clause par laquelle un professionnel limite sa responsabilité pour avoir manqué de soin ou d'impartialité dans la recherche et la communication des renseignements.
BANK- EN KREDIETWEZEN
Aansprakelijkheid van de bankier - Handelsinformatie - Middelenverbintenis - Exoneratiebeding en beding tot beperking van de aansprakelijkheid
Degene die handelsinformatie levert heeft slechts een middelenverbintenis. De onjuistheid van de geleverde informatie heeft niet ipso facto zijn aansprakelijkheid tot gevolg. Deze aansprakelijkheid vereist een gebrek aan bedachtzaamheid of van ijver in het zoeken of in de communicatie van de informatie. De benadeelde cliënt moet aantonen dat de gegeven inlichtingen of de verkregen raad op zijn beslissing een determinerende invloed uitoefenden. Het beding waarbij de beroepspersoon zich vrijstelt van elke aansprakelijkheid is nietig in de mate dat hij zijn plicht tot niets herleidt, door zijn medecontractant ieder mogelijk verhaal te ontzeggen. Is daarentegen geldig een beding waarbij de beroepspersoon zijn aansprakelijkheid beperkt voor wat betreft een gebrek aan zorg of onpartijdigheid in het zoeken of de communicatie van informatie.

SA Darfeuille Associés / M.B. Blaise q.q. SA Sogasander en liquidation

Siég.: Y. Van der Steen (conseiller ff président), Ph. Erkes et S. Dufrene (conseillers suppléant)
Pl.: Mes M.-A. Bastin et M.-C. Canivet loco I. Goes

(...)

II. Faits et antécédents de la procédure

Offrant un service de renseignements commerciaux et financiers, Sogasander renseigne Darfeuille à propos de son client Despe; le 11 avril 1995, Sogasander dresse un rapport détaillé avec l'analyse des trois derniers bilans concluant à un “rating vert”, après avoir relevé une absence de protêt, des paiements réguliers et le bon respect de ses engagements par Despe.

Le 10 novembre 1995, Sogasander établit, sur demande de Darfeuille, un autre rapport sur la solvabilité de Despe: facturé 6.300 francs, ce rapport signale que “le 9 novembre 1995, la société a procédé à une augmentation de capital à concurrence de 60.000.000 francs”, tout en précisant qu'“étant donné la très récente augmentation de capital, aucune publication officielle n'a encore été faite”; le même rapport dénonce une baisse du chiffre d'affaires de 15% environ, un ratio d'endettement total qui se détériore, un faible ratio de liquidités, une situation de trésorerie serrée et une durée moyenne de paiement aux fournisseurs atteignant 104 jours; encore que suivant ce rapport, aucun incident de paiement n'a été officiellement enregistré.

À cette date, Darfeuille est créancier de Despe pour deux factures, émises respectivement le 30 septembre (pour 16.248 FF) et le 31 octobre 1995 (pour 1.126 FF), dont aucune n'est encore arrivée à son échéance de 60 jours.

Darfeuille accroît ses interventions pour Despe à qui il facture 59.777 FF fin novembre, 58.824 FF fin décembre, 60.173 FF fin janvier et 32.262 FF fin février.

Le 21 février 1996, un courrier de Sogasander avise spontanément Darfeuille du fait que Despe a fait l'objet d'une assignation; l'information est traitée par un rapport dont les références sont reprises au pied du document; ces références contiennent l'expression “L'ONSS”.

Le 26 février 1996, un courrier de Sogasander avise spontanément Darfeuille du dépôt de son bilan par Despe; il y est signalé que l'augmentation de capital de 60.000.000 francs belges (1.487.361,15 euros) ne s'est jamais réalisée.

Admise au passif chirographaire de la faillite de Despe pour 225.410 FF et à son passif privilégié pour 1.509 FF, Darfeuille n'obtient aucun dividende.

Les 225.410 FF se ventilent comme suit:

Facturation de septembre 1995 16.248 FRF
Facturation d'octobre 1995 1.126 FRF
Facturation de novembre 1995 56.777 FRF
Facturation de décembre 1995 58.824 FRF
Facturation de janvier 1996 60.173 FRF
Facturation de février 1996 32.262 FRF
Total 225.410 FRF

Après un stérile échange de correspondances, Darfeuille saisit le premier juge pour lui demander de condamner Sogasander à l'indemniser des montants laissés impayés par Despe; reconventionnellement, Sogasander réclame le paiement des factures émises pour les renseignements fournis sur Despe. Le premier juge rejette la demande principale et accueille la demande reconventionnelle.

L'appel principal est formé par requête au greffe de la cour, le 8 décembre 1999.

L'intimée a formé en degré d'appel une demande nouvelle sollicitant la libération de la consignation amiable des montants que le premier juge lui avait accordés.

III. Discussion
1. Demande principale
Quant à la faute

Répondant au reproche d'avoir induit en erreur Darfeuille sur la matérialité de l'augmentation de capital, Sogasander soutient n'avoir commis aucune faute aux motifs:

- que son rapport du 10 novembre 1995 évoquait de façon peu engageante la situation de Despe;

- qu'il fallait déduire de l'absence de publication de l'augmentation de capital que la décision n'avait pas encore été exécutée;

- et qu'il fallait comprendre du bilan et des renseignements fournis qu'une augmentation de capital même importante “pouvait n'avoir aucun effet réellement bénéfique sur la situation financière difficile de Despe et son attitude vis-à-vis de ses (créanciers).”

Certes, comme celui qui procure des renseignements commerciaux n'assume qu'une obligation de moyen, l'inexactitude du renseignement fourni n'entraîne pas ipso facto sa responsabilité; cette responsabilité nécessite un manque de prudence ou de diligence dans la recherche ou dans la communication de l'information (voy. Comm. Bruxelles 27 avril 1995, R.D.C. 1996, 1107, note J.-P. Buyle et X. Thunis).

Toutefois, plutôt que d'annoncer l'augmentation de capital comme accomplie mais non encore publiée, Sogasander, qui reconnaît avoir recueilli ces renseignements dans la presse, aurait dû prendre la précaution de souligner que cette augmentation de capital n'était, à ce stade, que simplement annoncée par la presse sans être, pour autant, déjà réalisée; Sogasander aurait également dû se faire l'interprète du scepticisme exprimé par la presse au sujet de cette augmentation de capital:

“cette aide publique (...) ne garantit pas à coup sûr (...) sa survie (...). Son redressement reste donc, selon les experts, 'aléatoire, constituant un grand défi nécessitant des efforts de l'ensemble du personnel'.” En l'absence de telles précisions, le rapport du 10 novembre 1995 laisse entendre à la fois que l'augmentation de capital est acquise (chacun, dans les affaires, sachant que la publication des actes des organes des sociétés a pour objet d'informer les tiers et non de permettre à ces actes de développer leurs effets) et que la situation difficile de Despe allait se résoudre à la faveur de l'augmentation de capital obtenue.

Quant aux conditions générales

Sogasander invoque ses conditions générales suivant lesquelles “les renseignements commerciaux fournis par la SA Sogasander sont rédigés consciencieusement et impartialement, cependant sans responsabilité quelconque de la part de la SA Sogasander et excluent toute assurance”; Sogasander invoque également les mentions “sous réserves d'usage” et “zonder enige verantwoordelijkheid” figurant sur certains rapports.

Darfeuille voudrait écarter ces conditions générales dont elle affirme qu'elles ne lui ont jamais été communiquées, encore qu'elle admet que le premier rapport établi par Sogasander le 11 avril 1995 comportait un renvoi à ces conditions générales.

S'il était autrefois enseigné qu'un tel renvoi, de même que celui à des conditions générales pouvant être obtenues sur demande, n'est en principe pas suffisant pour rendre les conditions générales applicables, car incompatibles avec la rapidité inhérente aux opérations commerciales (voy. Van Ryn et Heenen, Principes, t. III, n° 16), il en va autrement depuis que les moyens de communication modernes, tel que le télécopieur, auquel les parties admettent avoir recouru pour les besoins de leurs communications, permettent la communication instantanée de la demande du texte des conditions générales, du contenu de celles-ci et de leur contestation éventuelle. En l'absence de toute protestation de Darfeuille à l'encontre des mentions exonératoires de responsabilité reprises plus haut et des conditions générales de Sogasander, celles-ci n'ont donc pas à être écartées.

Darfeuille reproche à ces conditions générales ainsi qu'à la mention “zonder enige verantwoordelijkheid” de vider les obligations de Sogasander de leur substance et d'être en conséquence nulles. S'il en va ainsi de la mention “zonder enige verantwoordelijkheid” dont la portée est de priver les cocontractants de Sogasander de tout recours possible, il n'en va pas de même des conditions générales dont le texte n'exonère cette dernière qu'à la condition qu'il ne soit pas établi qu'elle a manqué de soin ou d'impartialité dans la recherche et la communication des informations; or, ainsi que déjà observé, Sogasander a manqué de précaution et donc de soin dans la communication des renseignements en présentant l'augmentation de capital comme un fait acquis alors qu'il n'avait pas ce caractère.

Quant au lien de causalité

“Le client préjudicié doit établir le caractère déterminant de l'influence de l'information ou du conseil reçu sur sa décision” (Comm. Bruxelles 27 avril 1995, R.D.C. 1996, 1107, note J.-P. Buyle et X. Thunis). Lorsque cette influence présente ce caractère, encore faut-il s'assurer qu'il n'a pas été accordé une confiance excessive au renseignement communiqué, lequel ne doit être considéré que comme un élément d'appréciation parmi d'autres.

À cet égard, l'élément d'appréciation le plus important dont Darfeuille disposait consistait dans la manière dont Despe s'acquittait de ses obligations à son propre égard; sur ce point, Darfeuille affirme, sans être contredite par Sogasander, qu'à la date du rapport du 10 novembre 1995, Despe ne lui était redevable que de deux factures, émises respectivement le 30 septembre (pour 16.248 FF) et le 31 octobre 1995 (pour 1.126 FF), dont aucune n'était encore arrivée à son échéance de 60 jours.

Durant la période comprise entre le rapport du 10 novembre 1995 et la faillite de Despe survenue le 23 février 1996:

- Darfeuille a environ triplé son volume d'affaires avec Despe (cf. le tableau ventilant les 225.410 FF inscrits au passif chirographaire de Despe);

- Darfeuille a poursuivi ses prestations en dépit de l'absence de paiement de sa facturation de septembre échue fin novembre, en dépit de l'absence de paiement de sa facturation d'octobre échue fin décembre et en dépit de l'absence de paiement de sa facturation de novembre échue fin janvier;

- Darfeuille n'a exigé aucune sûreté de la part de Despe.

Au surplus, il n'apparaît pas que durant cette période, Darfeuille se soit inquiétée de la matérialisation effective de l'augmentation de capital de Despe; il n'apparaît pas davantage que Darfeuille ait entrepris la moindre démarche pour le recouvrement des montants échus.

Darfeuille a donc pris la décision (éclairée par les éléments négatifs du rapport du 10 novembre 1995, par les retards de paiement que Despe lui infligeait, par l'absence de toute sûreté, etc.) de poursuivre et d'augmenter ses relations d'affaires avec Despe; Darfeuille a ainsi choisi de s'exposer au risque qui s'est malheureusement réalisé par la faillite de Despe; il appartient à Darfeuille d'assumer toutes les conséquences de ce choix dont il n'apparaît pas qu'il aurait été différent même si Sogasander avait pris la précaution de souligner que l'augmentation de capital n'était que simplement annoncée par la presse et même si Sogasander s'était fait l'interprète du scepticisme exprimé par la presse au sujet de l'effet à espérer de cette augmentation de capital.

2. Demandes reconventionnelle et nouvelle

La décision a quo n'est pas critiquée en tant qu'elle accorde à Sogasander le montant de ses factures.

La demande de libération de la consignation amiable du montant accordé par le premier juge sur la demande reconventionnelle, apparaît sans objet en l'absence de production de toute convention des parties subordonnant sa libération à une décision judiciaire spécifique à cet égard.

IV. Conclusion

Par ces motifs,

la cour, statuant contradictoirement,

(...)

1. reçoit l'appel, le dit non fondé et en déboute l'appelante;

2. déclare non fondée la demande nouvelle et en déboute Sogasander;

(...)