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Observations, R.D.C.-T.B.H., 2006/1, p. 133-134

DROIT FINANCIER
Institutions financières et intermédiaires financiers - Gestionnaires de fortune - Objectifs du client non précisés - Nullité du contrat
L'obligation pour le gestionnaire de fortune de conclure une convention écrite prévoyant notamment les objectifs du client en matière de gestion est une obligation de résultat. Cette formalité est prescrite à peine de nullité. La nullité de la convention opère avec effet rétroactif, sous réserve des commissions de gestion perçues par le gestionnaire qui sont considérées comme définitivement acquises.
La sélection dans un contrat de gestion de l'option portefeuille “actions” ne suffit pas à définir les objectifs d'un investisseur qui souhaite un portefeuille exclusivement composé d'actions.
FINANCIEEL RECHT
Financiële instellingen en financiële tussenpersonen - Vermogensbeheerders - Niet verduidelijkte objectieven van de cliënt - Nietigheid van de overeenkomst
De plicht van de vermogensbeheerder om een geschreven overeenkomst te sluiten die onder andere de objectieven van de cliënt met betrekking tot het beheer bepaalt is een resultaatsverbintenis. Deze formaliteit is voorgeschreven op straffe van nietigheid. De nietigheid van de overeenkomst werkt met terugwerkende kracht, onder voorbehoud van de beheercommissies ontvangen door de beheerder die beschouwd worden als zijnde definitief verworven.
De selectie in een overeenkomst van vermogensbeheer van de portefeuilleoptie “aandelen” volstaat niet om de objectieven van de belegger te bepalen wanneer deze een portefeuille wenst die enkel aandelen bevat.

1.Ce jugement, contre lequel un appel a été interjeté, ainsi que le précédent (décision n° 9), abordent la question de l'obligation pour les parties de conclure une convention écrite de gestion de fortune prévoyant expressément les objectifs du client en matière de gestion.

2.L'article 8 § 1 alinéa 1er de l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements prévoit que les sociétés de gestion de fortune ne peuvent commencer à prester des services de gestion de fortune à un client avant d'avoir conclu avec celui-ci une convention écrite prévoyant notamment une dizaine de mentions décrites, tels que les objectifs du client en matière de gestion, conformément à l'article 19 du même arrêté royal.

Cet article 19 dispose qu'avant de conclure une telle convention, les sociétés de gestion de fortune doivent demander à leurs clients les informations utiles sur leur expérience en matière d'investissement et leurs objectifs en ce qui concerne les services demandés.

Il s'agit en réalité d'une application du devoir de vigilance du banquier, dont découlent les obligations de se renseigner, de vérifier et d'investiguer [1].

Dans son jugement du 23 septembre 2004, le tribunal de première instance de Bruxelles estime que la sélection dans un contrat de gestion de l'option portefeuille “actions” ne suffit pas à définir les objectifs d'un investisseur qui souhaite un portefeuille exclusivement composé d'actions.

Ce constat est étonnant alors qu'en l'espèce, le contrat litigieux prévoyait, sous l'intitulé exprès “objectifs de gestion du client”, que le client pouvait choisir entre quatre types de gestion:

    • rendement maximum, axé principalement sur des placements en obligations et actions de rendement;
    • rendement associé à la valorisation du capital, principalement par une répartition équilibrée en actions et obligations;
    • valorisation du capital, principalement au moyen d'actions et d'obligations offrant des possibilités potentielles de plus-value;
    • autres (à préciser).

    Le client avait choisi expressément l'option “autres”, en ajoutant la mention manuscrite “actions”, dans l'espace laissé libre sous cette case. Les parties avaient donc bien défini contractuellement les objectifs du client en matière de gestion, contrairement à ce que dit le jugement commenté. Opter pour une gestion axée autour d'une forte valorisation du capital, comprenant exclusivement des instruments financiers en actions suffit à définir les objectifs du client, au même titre que le choix de l'une des trois autres options (non retenues en l'espèce) eût été suffisant pour déterminer un autre objectif de gestion.

    Rien dans la réglementation n'indique que par “objectifs”, il faudrait nécessairement entendre un horizon de placement ou un rendement recherché, comme l'a considéré le juge bruxellois.

    L'obligation du gestionnaire étant de moyen (cf. supra note observation sous décision n° 9), ceci serait incompatible avec l'obligation de définir, dans la convention, un objectif en termes de résultat à atteindre.

    Dans la décision n° 9, le tribunal de commerce de Bruxelles a indiqué à bon droit qu'en sélectionnant l'option portefeuille “actions”, les parties avaient clairement défini l'orientation de base de la gestion souhaitée et partant les objectifs poursuivis.

    Dans une décision plus récente rendue en matière de conseil en placements, une autre chambre du même tribunal s'est prononcée dans le même sens: “en sélectionnant l'option portefeuille 'action', le client a ainsi clairement défini l'orientation de base de la gestion souhaitée et partant les objectifs poursuivis” [2].

    3.On peut d'ailleurs se poser la question de la légalité de l'arrêté royal du 5 août 1991, appliqué en l'espèce.

    En effet, l'arrêté royal du 5 août 1991 a été pris sur base de l'article 170 de la loi du 4 décembre 1990 relative aux opérations financières et aux marchés financiers.

    Cette disposition n'a pas confié au Roi le soin de définir des mentions obligatoires à inscrire dans les conventions de gestion de fortune.

    Le texte de l'habilitation lui-même [3] ne fait aucune allusion à la convention de gestion de fortune mais uniquement à l'information des épargnants. Le législateur entendait privilégier la protection de l'épargnant, en imposant des devoirs d'information et d'investigation au gestionnaire de fortune.

    Ni la loi, ni les travaux préparatoires de cette loi ne portent la trace d'une quelconque volonté du législateur d'autoriser le Roi à régler directement le contenu de la convention de gestion de fortune. Tout au plus, est-il question implicitement, dans le texte de la loi (art. 167) du principe d'une convention écrite. Par cette disposition, le législateur s'est borné à investir la CBFA de la mission d'opérer un contrôle marginal sur le contenu des conventions, dans le cadre de la demande d'agrément de la société de gestion de fortune.

    Force est dès lors de constater que la loi ne pouvait régir le contenu de la convention de gestion de fortune et que l'arrêté royal ayant excédé le cadre de l'habilitation légale dont il procède est illégal.

    4.Une autre question posée par le jugement commenté est relative à la sanction de l'obligation litigieuse, le tribunal de première instance estimant que dans ce cas, la convention doit être annulée rétroactivement.

    Ceci ne nous convainc pas.

    En effet, l'article 8 de l'arrêté royal du 5 août 1991 institue une obligation de ne pas faire à charge des gestionnaires de fortune (en l'occurrence ne pas prester des services de gestion de fortune) tant qu'une convention écrite répondant au prescrit de la réglementation n'est pas signée avec le client.

    La violation d'une telle obligation ne peut dès lors recevoir pour seule sanction, en l'absence d'autre indication dans le texte légal selon laquelle il s'agirait d'une condition touchant à la validité de la convention, que la mise en oeuvre de la responsabilité extra contractuelle du gestionnaire de fortune.

    Il n'existe par ailleurs aucun principe général selon lequel l'omission, dans une convention, d'une mention stipulée à titre obligatoire entraînerait, indépendamment de toute spécification expresse du législateur à cet effet, la nullité de la convention, même si l'on admet que ces mentions ont pour objet d'éclairer le consentement du client. Il convient donc de s'en référer au droit commun de la responsabilité, en examinant notamment le lien causal avec le dommage subi.

    En France, une certaine jurisprudence reconnaît que la formalité de l'écrit est exigée ad probationem [4]. Au Luxembourg, la loi n'exige pas la signature d'un écrit [5].

    [1] J.-P. Buyle et D. Goffaux, “Les devoirs du banquier à l'égard de l'entreprise”, in La banque et la vie de l'entreprise, Éd. du Jeune Barreau, 2005, p. 29, n° 13.
    [2] Comm. Bruxelles (9e ch.) 17 octobre 2005, , D./Fortis Banque, inédit, R.G./2858/2004.
    [3] Contrairement à la loi du 6 avril 1995 dont l'art. 79 § 3 contient une habilitation au Roi l'autorisant expressément à déterminer les règles relatives à la gestion de fortune.
    [4] M. Germain, “La responsabilité en matière de gestion individuelle sous mandat”, Banque & Droit 2000, n° 70, p. 14.
    [5] A. Schmitt et E. Oms, La responsabilité du banquier en droit bancaire privé luxembourgeois, Larcier, n° 374 (à paraître).