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Observations, R.D.C.-T.B.H., 2006/1, p. 123-124

DROIT FINANCIER
Intermédiaires financiers - Ordre de bourse verbal - Opérations de report - Couverture - Devoirs d'information et de mise en garde de l'intermédiaire - Devoir de s'informer du client
Le devoir d'information de l'intermédiaire financier est le corollaire de son devoir général de se comporter de bonne foi. L'intensité de ce devoir varie en fonction des circonstances et notamment des qualifications du client.
Le devoir d'information se réalise par l'envoi au client de bordereaux relatifs aux opérations qu'il réalise. Ce document permet au client de comprendre l'opération financière effectuée et d'appréhender, en matière de report, l'évolution des placements spéculatifs réalisés.
Le client doit surveiller l'évolution de ses finances et des opérations qu'il effectue. S'il ne maîtrise pas l'influence des opérations de report réalisées sur le solde général de son compte, le client doit solliciter une information plus régulière et plus complète. La réception sans contestation des bordereaux équivaut à un consentement du client sur la réalisation des opérations qu'ils constatent, particulièrement lorsque les ordres ont été donnés verbalement.
Lorsqu'un client non avisé procède de manière régulière à des opérations de report spéculatives sur le même titre qui s'avèrent déficitaires, l'intermédiaire financier a l'obligation de le mettre en garde. Il doit attirer l'attention du client sur le caractère désastreux de sa stratégie de placement, sur son risque élevé, sur l'existence d'autres produits financiers ainsi que sur le dommage pouvant résulter du fait de concentrer l'ensemble de ses fonds de placement sur un seul titre dans le cadre d'une opération spéculative unique. Cette mise en garde peut se faire en sollicitant du client la constitution d'une couverture.
Le client doit cependant démontrer que si l'intermédiaire l'avait dûment mis en garde, il aurait modifié sa stratégie de placement de fonds et n'aurait pas préféré attendre que la situation s'améliore dans l'espoir de réduire et de récupérer les pertes accumulées.

FINANCIEEL RECHT
Financiële tussenpersoon - Mondeling beursorder - Reportverrichtingen - Dekking - Informatie- en waarschuwingsplichten van de tussenpersoon - Plicht zich te informeren over de cliënt
De informatieplicht van de financiële tussenpersoon hangt samen met zijn algemene plicht te goeder trouw te handelen. De intensiteit van deze plicht varieert in functie van de omstandigheden en in het bijzonder de bekwaamheden van de cliënt.
De informatieplicht wordt vervuld door de verzending aan de cliënt van de borderellen met betrekking tot de uitgevoerde operaties. Dit document laat de cliënt toe de uitgevoerde financiële operatie en, inzake report, de evolutie van de uitgevoerde speculatieve beleggingen te begrijpen.
De cliënt moet toezicht houden op de evolutie van zijn financiën en de operaties die hij verricht. Indien hij de invloed van de uitgevoerde reportoperaties op het algemene saldo van zijn rekening niet kent, moet de cliënt om een meer regelmatige en een meer volledige informatie verzoeken. De ontvangst zonder betwisting van de borderellen komt neer op een toestemming van de cliënt over de uitvoering van de operaties die zij vaststellen, in het bijzonder indien de orders mondeling werden gegeven.
Indien een onwetende cliënt regelmatig speculatieve report­operaties verricht op eenzelfde effect die verlieslatend blijken te zijn, heeft de financiële tussenpersoon de plicht hem te waarschuwen. Hij moet de aandacht van de cliënt trekken op het rampzalige karakter van zijn beleggingsstrategie, het hoge risico, het bestaan van andere financiële producten alsook de schade die kan voortvloeien uit de concentratie van zijn gehele beleggingskapitaal in één effect in het kader van één enkele speculatieve operatie. Deze waarschuwing kan gebeuren door de cliënt te verzoeken om een dekking te verstrekken.
De cliënt moet echter aantonen dat als de tussenpersoon hem behoorlijk had gewaarschuwd, hij dan zijn beleggingsstrategie zou gewijzigd hebben en niet liever zou gewacht hebben tot de situatie verbeterde in de hoop de opgestapelde verliezen te beperken en terug te winnen.

1.Dans cette affaire, un client avait effectué lui-même plusieurs opérations d'achat et de report auprès d'une société de bourse. Aucune convention de gestion de fortune et de conseil en placements n'avait été conclue entre les parties.

Le report est un contrat par lequel une des parties (le reporté) vend à l'autre (le reporteur) des titres au comptant et lui rachète à terme pour un prix plus élevé le même nombre de titres [1]. Il s'inscrit dans le cadre d'une spéculation [2] faite par le reporté qui, ayant parfois acheté à découvert des instruments financiers à terme, désire maintenir sa position sur ces valeurs jusqu'au prochain terme, dans l'espoir de voir le cours monter et réaliser une plus-value, sans, par ailleurs, devoir disposer de l'entièreté des fonds pour en payer le prix.

Le contrat de report peut avoir, dans ses résultats, la même utilité pratique que le prêt [3]. Juridiquement, il ne s'identifie pas avec lui, le report ne constitue pas un prêt sur gage [4].

D'une part, le reporté donne au reporteur la pleine propriété des titres: ayant acheté au comptant, il en est devenu propriétaire, il peut donc les vendre [5]. Néanmoins, le report de banque est parfois utilisé en vue de désigner un prêt sur titres pour éluder les formalités de la constitution du gage [6] ou les règles d'inopposabilité à la masse en période suspecte [7].

Le créancier gagiste n'a pas les mêmes droits, puisqu'il n'acquiert pas la propriété de l'objet reçu en gage. Il ne peut donc s'approprier le gage. La faillite ne suspend pas les droits du créancier, le gage étant une sûreté spéciale. Le créancier doit respecter les formalités légales de réalisation forcée du gage, qui depuis la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières sont toutefois réduites à “leur plus simple expression”.

D'autre part, le reporté n'a pas réellement l'intention d'emprunter, car il poursuit avec une autre contrepartie, la même opération initiale, c'est-à-dire, un achat à terme suivi d'une revente dans l'objectif de réaliser une plus-value [8]. Pour qu'il y ait contrat de prêt, il faut que la volonté d'emprunter existe chez celui qui reçoit les fonds [9]. Or, le reporté n'a pas toujours cette intention [10]. Par le report, il peut ne chercher qu'à poursuivre, pendant un nouveau délai, la réalisation d'une seule et même opération, l'achat de titres. Tel est le cas, si l'acheteur à terme n'a pas les fonds nécessaires pour liquider la première opération.

En raison de la parenté entre les deux conventions, dans la pratique, on distingue le contrat de report du contrat de prêt, sans égard à l'appellation utilisée par les parties, par application des principes généraux d'interprétation des contrats, en fonction de l'intention réelle des parties et, plus particulièrement, celle du bailleur de titres [11]. Le juge apprécie souverainement [12], dans chaque cas d'espèce, l'étendue effective du droit qu'acquiert le reporteur sur les titres pendant la durée du report [13].

2.La décision commentée est intéressante, en ce qu'elle précise les devoirs d'information et de mise en garde [14] de l'intermédiaire financier à l'égard d'un client profane ou néophyte [15] et l'obligation de s'informer du client.

En matière d'opérations sur instruments financiers, le devoir d'information du teneur de compte est fondé à la fois sur les principes d'exécution de bonne foi et de comportement prudent et raisonnable, comme le rappelle la cour d'appel de Bruxelles, mais aussi sur l'article 30 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques de commerce ou sur l'article 38 de la loi du 6 avril 1995, qui dispose que l'intermédiaire doit établir un bordereau après chaque opération sur instruments financiers, en principe le jour ouvrable suivant, celui de l'exécution de la transaction.

L'article 26, 3° [16] de la loi du 2 août 2002 précise que “les intermédiaires doivent fournir à leurs clients les informations nécessaires, de manière claire et accessible, compte tenu de leurs connaissances, expériences et objectifs (a) pour que ces clients soient en mesure d'évaluer la nature et le coût des services d'investissement qui leur sont proposés”.

Le devoir du professionnel n'implique pas de transmettre une information exhaustive au client quant à ses droits et obligations. Un tel examen incombe au premier chef à l'investisseur qui agit en son nom et sous sa responsabilité. Le banquier n'a pas le devoir d'éclairer le client sur le titre en cause [17] ou sur l'évolution des valeurs achetées et ne garantit pas le succès des opérations spéculatives de son client [18].

Mais le professionnel a le devoir d'informer le client néophyte des risques encourus dans les opérations spéculatives particulièrement lorsque celles-ci s'avèrent déficitaires [19]. Il doit aussi mettre en garde l'investisseur et attirer son attention sur les dangers qui se présentent à lui, par exemple en sollicitant de sa part une couverture adéquate [20].

Comme le sous-entend aussi la décision commentée, le client ne peut pas se borner à invoquer sa propre ignorance, encore faut-il que celle-ci soit légitime ou excusable. Si le client ne comprend pas par exemple les opérations de report auxquelles il procède ou s'il ne maîtrise pas l'influence de ces opérations sur le solde général de son compte, il a le devoir de s'informer auprès de son contractant. En ne s'enquérant pas de l'évolution de ses finances et des opérations qu'il effectue, le client fait preuve d'un désintérêt pour celles-ci et d'une négligence fautive, précise à juste titre la cour d'appel de Bruxelles. Le client ne peut se retrancher derrière une attitude purement passive et attendre que le banquier lui fournisse toutes les informations qui seraient en mesure de l'intéresser. Il doit demander des précisions sur les obligations qu'il assume et si nécessaire approfondir les éléments portés à sa connaissance.

L'arrêt rappelle aussi un principe bien établi en droit financier en matière d'ordre verbal: la réception sans contestation des bordereaux constatant les opérations initiées par le client équivaut à un consentement de sa part sur la réalisation des opérations qu'ils constatent [21].

3.Une fois établi le manquement à l'obligation d'information ou de mise en garde dans le chef de l'intermédiaire, encore faut-il que le client établisse un dommage en lien causal avec cette faute.

Lorsque l'intermédiaire a manqué à son obligation, celui-ci a seulement privé son client d'une chance d'échapper, par une décision peut-être plus judicieuse, au risque qui s'est finalement réalisé, perte qui constitue un préjudice distinct de celui qui résulte des opérations qu'il a effectivement réalisées ou fait réaliser.

Il s'agit de la perte d'une chance, bien connue du droit de la responsabilité. Si un donneur d'ordre non avisé a spéculé sans avoir été préalablement informé des risques encourus, il peut reprocher à son intermédiaire de l'avoir privé d'une chance d'échapper au risque qui s'est finalement réalisé, mais il n'est pas évident pour autant que, préalablement informé ou mis en garde de ces risques, il se serait abstenu d'effectuer ou de reporter les opérations qui ont provoqué le débit de son compte [22].

Le client doit donc démontrer que s'il avait été mieux informé, il n'aurait pas conclu ou reporté l'opération litigieuse. Cette preuve n'est pas évidente à rapporter, et il ne peut être présumé que la carence de l'intermédiaire a exercé une influence déterminante sur la décision du client. La cour d'appel indique fort judicieusement qu'en l'espèce, même si le client avait été dûment averti des risques qu'il encourait en poursuivant son opération spéculative, il n'est nullement évident qu'il ait modifié sa stratégie de placement de fonds. “Il est, en effet - poursuit-elle - fréquent dans le domaine des opérations boursières d'attendre qu'une situation s'améliore pour mettre un terme à un placement et procéder à une réorientation d'investissement, ceci dans l'espoir, régulièrement réalisé, de réduire et même de récupérer les pertes accumulées.”.

Le dommage ne doit donc pas nécessairement correspondre au débit du compte du donneur d'ordre [23], et il revient à l'investisseur d'établir cette preuve.

[1] J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, t. IV, Bruylant, 1988, p. 203.
[2] M. Spilleboudt-Deterck, “La technique du report en banque”, Rev. banque 1979, p. 729.
[3] H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. V, Bruylant, 1975, p. 119.
[4] J. Van Ryn et J. Heenen, o.c., p. 206.
[5] L. Frédéricq, Traité de droit commercial, t. II, Gand, Fecheyr, p. 353.
[6] J. Van Ryn et J. Heenen, o.c., p. 205.
[7] I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat, Kluwer, 1998, p. 476.
[8] M. Regout, “Le report à la bourse des valeurs”, in Les sûretés issues de la pratique, t. I., ULB, Feduci, 1983, pp. A et s.
[9] Y. Merchiers, M. Van Dermersch, S. Michaux, I. Durant, S. Heremans et B. De Conninck, Contrats spéciaux. Chronique de jurisprudence, 1996-2000, Larcier, 2002, p. 99.
[10] L. Frédéricq, o.c., p. 354.
[11] P. Van Ommeslaghe, “Examen de jurisprudence, Obligations”.
[12] Cass. 5 juin 1986, Pas. 1986, I, p. 1221; Cass. 11 septembre 1986, Pas. 1987, I, p. 40; Cass. 9 novembre 1990, R.W. 1991-92, p. 535 et note E. Dirix.
[13] H. De Page, o.c., t. V., p. 119.
[14] La décision fait allusion - à tort, selon nous - au devoir de conseil de l'intermédiaire. Or, le banquier ou l'entreprise d'investissement n'a ni en droit, ni en vertu de sa déontologie, de devoir général de conseil envers son client (cons. not. J.-P. Buyle et D. Goffaux, “Les devoirs du banquier à l'égard de l'entreprise”, in La banque dans la vie de l'entreprise, Bruxelles, Éd. du Jeune Barreau, 2005, p. 16, n° 7 et réf. notes 34 et s). En l'espèce, les parties n'avaient en outre pas conclu de convention de conseil en placements. Le client investisseur passait des ordres seul, sous sa responsabilité. Tout au plus, peut-on rattacher la mise en garde au devoir de conseil, dans la mesure où pour pouvoir mettre quelqu'un en garde, il faut examiner la situation dans laquelle se trouve le client et l'analyser afin de découvrir le danger. Il s'agit là d'une prestation de nature intellectuelle qui requiert une appréciation subjective qui dépasse la simple transmission d'une information dont le contenu est déterminé de manière objective.
[15] Ce devoir d'information cesse d'être applicable lorsque le client est averti (J.-P. Buyle et A. Willems, “La responsabilité professionnelle des banquiers dans l'établissement et l'utilisation de documents”, Rev. dr. U.L.B. 1992, p. 145; J.-J. Daigre, “L'information de l'investisseur sur les marchés spéculatifs”, Dr. banc. fin. 2002, p. 352; H. De Vauplane (obs. sous Cass. comm. fr. 7 avril 1998), Banque & Droit 1998, n° 60, p. 37; H. De Vauplane, “Responsabilité de l'intermédiaire financier - swaps, manquement à l'obligation d'information et de conseil (non)” (obs. sous Comm. Paris 20 septembre 2000), Banque & Droit 2000, p. 37). Il en est de même du devoir de mise en garde (Cass. comm. fr. 8 juillet 2003, D.S., Cah. dr. aff. 2003, n° 30, Jur., p. 2095 et obs. V. Avena-Robardot; Cass. comm. fr. 9 mai 2001, Dr. banc. fin. juillet-août 2001, p. 240).
[16] Cet article n'est pas encore entré en vigueur. Pour un commentaire, cons. not. B. Feron, “Les règles de conduite applicables aux intermédiaires financiers”, Dr. banc. fin. 2003/II-III, pp. 85 et s.
[17] Paris 4 janvier 2000, Dr. banc. fin. mai-juin 2000, n° 3, p. 182.
[18] Gand 10 février 1999, R.D.C. 2000, p. 739 et obs. J.-P. Buyle et M. Delierneux.
[19] Cons. not. Cass. comm. fr. 5 novembre 1991, Banque & Droit 1992, p. 106, Liège 16 janvier 1997, R.D.C. 1999, p. 22 et obs. J.-P. Buyle et M. Delierneux.
[20] La couverture est destinée non seulement à protéger le professionnel d'éventuelles défaillances de son client mais encore à mettre en garde ce dernier (Cass. comm. fr. 10 décembre 1996, Bull. Joly Bourse 1997, p. 205, § 22, note H. De Vauplane; Bruxelles 21 mars 2002, R.D.C. 2004, p. 193 et obs. J.-P. Buyle et M. Delierneux; J.-P. Buyle et O. Creplet, “Les conditions générales de banque, les opérations sur instruments financiers”, in Les conditions générales bancaires, Cahier de l'AEDBF -Belgium, n° 17, Bruylant, 2005, p. 372).
[21] Cons. not. Gand 6 décembre 1903, J.T. 1904, p. 490; Comm. Bruxelles 17 juin 1927, J.C.B. 1928, p. 212; Liège 13 février 1942; Comm. Bruxelles 27 avril 1992 et Civ. Anvers, 29 avril 1992, R.D.C. 1993, 1059 et obs. J.-P. Buyle et X. Thunis; Comm. Louvain 26 octobre 1993, R.D.C. 1994, p. 1137 et obs. J.P. Buyle et X. Thunis; Anvers 11 avril 1994, R.D.C. 1995, p. 1063 et obs. J.-P. Buyle et X. Thunis; Liège 16 janvier 1997, R.D.C. 1999, p. 22 et obs. J.-P. Buyle et M. Delierneux; Cass. comm. fr. 24 février 1998, Banque & Droit mars-avril 1998, p. 30; Comm. Mons 22 février 2001, R.D.C. 2003, p. 63 et obs. J.-P. Buyle et M. Delierneux; Trib. arrondissement Luxembourg 9 novembre 2004, Dr. banc. fin. 2005/IV, p. 271; A. Bruyneel et E. Van Den Haute, “Chronique de droit bancaire privé. Les opérations de banque (2002-2003)”, Dr. banc. fin. 2005/IV, p. 233, n° 21.
[22] H. De Vauplane, “Une société de bourse a l'obligation d'exécuter les ordres donnés par le client averti ou non et ne peut être tenue pour responsable des positions prises”, Bull. Joly 1997, p. 209.
[23] Sur le lien de causalité et la preuve requise de l'influence déterminante du manquement constaté sur les investissements litigieux, cons. Comm. Bruxelles 27 avril 1995 et 3 mai 1996, R.D.C. 1996, p. 1107 et obs. J.-P. Buyle et X. Thunis.