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Observations, R.D.C.-T.B.H., 2006/1, p. 108-111

OBLIGATIONS
Effets des conventions - Effets des conventions à l'égard des tiers - Tierce complicité - Contrat de prêt - Clause pari passu
La responsabilité d'un tiers pour le préjudice qu'une partie à un contrat subit du fait de l'inexécution fautive du contrat par le débiteur, peut être engagée lorsque le tiers, même sans avoir l'intention de nuire, prête son concours en connaissance de cause à la violation du contrat.
Le principe de la relativité des contrats s'oppose toutefois, à toute mesure qui ferait des tiers les garants de l'exécution des contrats.
Pour qu'il y ait tierce complicité fautive, il faut qu'au moment où il conclut la convention avec le débiteur, le tiers soit conscient qu'il prête son concours à l'inexécution fautive par son cocontractant d'une obligation contractuelle.

VERBINTENISSEN
Gevolgen van de overeenkomsten - Gevolgen van de overeenkomsten ten aanzien van derden - Derden­medeplichtigheid - Lening - Pari passu clausule
De aansprakelijkheid van een derde voor de schade die een partij bij een overeenkomst ondergaat als gevolg van de door schuldenaar begane foutieve niet-uitvoering van het contract, kan in het gedrang gebracht worden als de derde, met kennis van zaken - zelfs zonder de bedoeling om te schaden - aan de schending van het contract zijn medewerking verleent.
Toch verzet het beginsel van de relativiteit van contracten zich tegen alle maatregelen die van derden de garanten van de uitvoering van een contract zouden maken.
De foutieve derdenmedeplichtigheid impliceert dat de derde, op het ogenblik dat hij de overeenkomst met de schuldenaar opmaakt, bewust was van het feit dat hij aan de foutieve schending van het contract door zijn medecontractant zijn medewerking verleent.

La Belgique, petite terre d'accueil du siège social d'Euroclear Bank, s'est trouvée mêlée à plusieurs reprises dans un passé récent à une saga judiciaire née de divergences d'interprétation à propos de clauses pari passu figurant dans des contrats de crédit internationaux et en particulier de prêts consentis à des États étrangers qui connaissaient des difficultés de paiement ayant conduit à une restructuration de leurs dettes.

Dans le cadre de cette restructuration, les États débiteurs se trouvant engagés vis-à-vis des créanciers ayant participé à la restructuration entendaient honorer leurs engagements, en payant notamment des intérêts via le système de paiement Euroclear.

Des créanciers n'ayant pas participé à cette restructuration s'opposaient à ce paiement fait selon eux en violation de leurs droits. Ils se fondaient sur une interprétation large de la clause pari passu figurant dans le contrat de prêt dont ils étaient créanciers et qui, selon eux, interdisait à l'État débiteur de payer un de ses créanciers, à défaut pour lui de payer, au même moment, tous ses autres créanciers au marc le franc.

Dans une affaire Elliot Associate contre Euroclear, la cour d'appel de Bruxelles avait déjà eu à se prononcer sur l'interprétation d'une telle clause pari passu soumise au droit de New York. Se basant sur un avis de droit new-yorkais rendu par le professeur Andreas Lowenfeld, la cour considéra qu'il ressortait de la clause en question que les créanciers jouissaient - comme le soutenait Elliot Associate - d'un droit de paiement proportionnel et ne pouvaient en être privé. Elle enjoignit donc à Euroclear de s'abstenir de toute intervention dans la distribution de sommes en faveur de certains créanciers, au mépris de ce droit au paiement proportionnel existant au profit des créanciers bénéficiant de la clause pari passu et d'instruire ses correspondants de refuser tout crédit de sommes destinées à cet effet et de bloquer, le cas échéant, les sommes déjà reçues à cette fin [1].

Dans l'espèce annotée, un fond du Delaware LNC Investments, bénéficiaire de titres de la dette publique de l'État du Nicaragua - liés à un prêt contenant une clause pari passu - s'opposait au paiement, en capital et/ou intérêts, via le système Euroclear, d'autres créanciers de la dette extérieure nicaraguayenne.

Appel fut introduit par la République du Nicaragua contre une décision du président du tribunal de commerce de Bruxelles, confirmant après tierce-opposition une ordonnance rendue sur requête unilatérale de LNC, laquelle enjoignait Euroclear de refuser tout transfert qui aurait pour but de payer la dette extérieure nicaraguayenne ou les intérêts afférents à cette dette, de bloquer les fonds déjà transmis à cette fin, de s'abstenir de toute mesure généralement quelconque ayant pour effet de permettre ce paiement et d'instruire ses correspondants d'adopter un comportement identique.

Sans se prononcer sur l'interprétation de la clause pari passu incriminée, la cour d'appel réforme l'ordonnance, considérant qu'il n'existe aucun fondement juridique - légal, contractuel ou quasi délictuel - justifiant que des obligations soient mises à charge d'Euroclear, en vue de donner effet à la clause pari passu, le principe de relativité des contrats s'opposant à toute mesure qui ferait des tiers les garants de l'exécution d'une obligation contractuelle à laquelle ils sont et demeurent étrangers.

Cette décision ne peut qu'être approuvée, sur le plan des principes.

Euroclear n'était évidemment pas partie au contrat de prêt contenant la clause pari passu et ne pouvait avoir à subir la charge de mesures visant à assurer le respect par l'État du Nicaragua de ses obligations - quelles qu'elles soient.

Par ailleurs, la cour a estimé qu'aucune tierce-complicité au regard d'une telle violation ne pouvait en l'espèce être reprochée à Euroclear: le seul fait que le Nicaragua transfère via le système Euroclear des sommes destinées au paiement de certains de ses créanciers ne permettait pas à Euroclear de savoir de façon certaine que le Nicaragua était par ailleurs en défaut de respecter ses engagements vis-à-vis d'autres créanciers.

La cour ne prend pas position sur l'interprétation qu'il convient de donner à la clause pari passu litigieuse.

Traditionnellement, une clause pari passu est introduite dans les crédits syndiqués et les émissions obligataires pour empêcher l'emprunteur de prendre une mesure quelconque qui aurait pour effet de rompre l'égalité de rang entre ses créanciers chirographaires.

Une telle clause apparaît comme l'expression contractuelle du principe d'égalité des créanciers chirographaires stipulé à l'article 8 de la loi hypothécaire: “Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers, et le prix s'en distribue par contribution, à moins qu'il n'y ait, entre les créanciers des causes légitimes de préférence”.

La stipulation expresse d'une telle clause se justifie dans le contexte des crédits internationaux, en vue d'écarter toute possibilité pour le débiteur de recourir à une éventuelle disposition de droit étranger [2] qui aurait pour effet, direct ou indirect, de modifier l'égalité des créanciers en dehors de leur consentement.

L'interprétation proposée par Elliot Associate dans l'espèce du 26 septembre 2000 et par LNC dans l'espèce annotée va plus loin que cette interprétation classique dans la mesure où elle superpose à une égalité de rang une égalité de paiement. Si on adopte cette interprétation et en dehors de toute situation de concours, il serait impossible pour un débiteur ayant accepté de se soumettre à une clause pari passu de rembourser un de ses créanciers sans être de ce fait tenu d'opérer un remboursement immédiat de tous les autres créanciers de rang égal.

Georges Affaki et Jean Stoufflet, dans leur chronique précitée [3], soulignent à juste titre, qu'il existe d'autres clauses classiquement utilisées lorsque les créanciers entendent bénéficier effectivement d'une égalité de traitement au niveau non seulement de leur rang mais également au niveau des paiements à intervenir: les “sharing clauses” par exemple, qui obligent le créancier ayant reçu un paiement à partager ce paiement à due proportion avec les autres créanciers impayés bénéficiaires de la clause de partage en question. La clause pari passu dans son interprétation élargie ferait donc dans une large mesure double emploi avec une éventuelle “sharing clause” [4].

Ces mêmes auteurs mettent du reste en évidence les excès auxquels peut mener une interprétation élargie des clauses pari passu: un état débiteur tenu par une telle clause ne pourrait plus effectuer aucun paiement en faveur d'aucun créancier - fonctionnaires ou fournisseurs de l'état en question pour les besoins essentiels à l'accomplissement du service public par exemple - sans devoir rembourser à due concurrence les créanciers bénéficiaires de la clause en question… [5].

La cour d'appel ne fait pas référence, dans l'arrêt annoté à la loi du 28 avril 1999 [6], laquelle avait transposé en droit belge la directive européenne du 19 mai 1998 [7] concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres.

En vertu de l'article 9 de ladite loi, “Tout compte de règlement sur espèces auprès d'un organisme gestionnaire ou d'un agent de règlement d'un système, ne peut être saisi, mis sous séquestre ou bloqué d'une manière quelconque par un participant (autre que l'organisme gestionnaire ou l'agent de règlement), une contrepartie ou un tiers”.

Il semble que, dans la mesure où elle sollicitait le blocage des sommes déjà reçues par Euroclear ou un de ses correspondants, la demande de LNC se heurtait à l'interdiction de toute forme de blocage formulée par cet article.

N'étaient pas expressément citées, par ailleurs les mesures visant à empêcher tout transfert vers un système de règlement ou à partir de ce système de règlement ou d'un de ses agents en vue d'exécuter des instructions de paiement.

La loi du 28 décembre 2004 [8], entrée en vigueur le 8 janvier 2005, est venue remédier à cette lacune en étendant l'interdiction de saisie, séquestre ou blocage à tout transfert de sommes, via un établissement de crédit de droit belge ou étranger, à porter à un compte de règlement sur espèces.

Dans le futur, cette disposition devrait mettre un terme à toute tentative d'entraver, pour un motif tiré de transactions commerciales sous-jacentes, l'exécution de paiements par le système Euroclear.

[1] Bruxelles 26 septembre 2000, n° 2000/QR/92 inédit, cité et commenté par Affaki et Stoufflet, “Chronique de droit bancaire”, Banque & Droit 2005, p. 86, nos 22 et s.
[2] Voire, en cas de prêt consenti à un état, la possibilité pour ce dernier d'édicter une loi favorisant certains créanciers par rapport aux autres.
[3] Affaki et Stoufflet, “Chronique de droit bancaire”, o.c., pp. 81 et s. En particulier n° 14.
[4] À noter toutefois, que si les clauses pari passu voient généralement leur violation sanctionnée par la déchéance du terme consenti au débiteur, la “sharing clause” met une obligation de partage directement à charge du créancier favorisé sans qu'une tierce complicité de sa part ne doive être démontrée.
[5] Affaki et Stoufflet, “Chronique de droit bancaire”, o.c., n° 17.
[6] M.B. 1er juin 1999.
[7] Directive 98/26/CE, 19 mai 1998, J.O.C.E. n° L. 166/45 du 11 juin 1998.
[8] Art. 15 de la loi du 28 décembre 2004, M.B. 28 décembre 2004.