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Les options sur actions, l'obligation pour les associés de contribuer aux pertes et les pactes léonins, R.D.C.-T.B.H., 2006/10, p. 1003-1018

Les options sur actions, l'obligation pour les associés de contribuer
aux pertes et les pactes léonins

Olivier Clevenbergh et Aurélie Anciaux [1]

TABLE DES MATIERES

Introduction

I. La position actuelle en Belgique quant à la validité des options sur actions à prix fixe par rapport à la prohibition de la dispense de contribution aux pertes 1. Première étape, la condamnation des options sur actions à prix fixe, moyennant tempéraments

2. La validité des options sur actions à prix fixe qui n'ont pas pour objet déclaré ou véritable de dispenser totalement un associé de la contribution aux pertes

3. Conclusions quant à la jurisprudence belge actuelle

II. La situation en France et la jurisprudence récente de la Cour de cassation française 1. Intérêt de l'examen

2. Les étapes de l'évolution jurisprudentielle de la chambre commerciale de la Cour de cassation française

3. Les nouvelles limites apportées par la chambre commerciale de la Cour de cassation française (a) La reconnaissance de la catégorie du “bailleur de fonds”

(b) La prise en compte du délai d'exercice de l'option

4. Conclusion

III. La portée véritable de l'interdiction d'exonération totale des pertes: l'impact de la personnalité juridique distincte de la société

IV. L'inapplicabilité de l'article 32 alinéa 2 aux opérations sur titres

V. Conclusion

RESUME
L'interdiction de dispenser un associé de toute contribution aux pertes dans une société, telle qu'on la déduit généralement de l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés (anciennement l'art. 1855 al. 2 C. civ.), se combine mal avec certaines opérations dans lesquelles un associé se voit consentir une option de vente de ses titres pour un prix prédéterminé indépendant de l'évolution des affaires de la société.
En Belgique, la jurisprudence a évolué dans le sens d'une acceptation plus large de telles options. Inspirée par les positions prises en France, la Cour de cassation belge, par son arrêt du 5 novembre 1998, a considéré que ces options pouvaient être considérées comme licites si elles n'avaient pas pour objet, déclaré ou véritable, de porter l'atteinte au pacte social visé par l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés. Cette jurisprudence n'a toutefois pas clos le débat en la matière, notamment en raison de l'aspect subjectif qu'elle comporte dans la recherche des mobiles des parties. En outre, elle implique a contrario que les options qui ont pour objet d'exonérer un associé des pertes sont contraires à l'article 32 alinéa 2. En France, la chambre commerciale de la Cour de cassation a franchi des étapes supplémentaires en 2004 et 2005. D'une part, elle a considéré que l'interdiction de la dispense de contribution aux pertes ne s'applique pas aux “associés-bailleurs de fonds”. D'autre part, elle a estimé que l'associé bénéficiaire d'une option reste exposé aux pertes lorsqu'il doit exercer son option au cours d'une période de temps limitée, de sorte que l'option est alors valable.
Une analyse tant des termes de l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés que du contexte dans lequel l'article 1855 du Code civil fut adopté à l'époque, amène à reconnaître à cette disposition une portée plus limitée encore lorsque la société concernée est dotée de la personnalité morale.
Ce sont en effet “les sommes ou effets mis dans le fonds social”, c'est-à-dire les apports, que la disposition légale interdit de soustraire aux pertes. Dans le cas d'une société dotée de la personnalité morale, la propriété des apports lui est transférée et ceux-ci sont par définition soumis aux pertes éventuelles, sauf dans l'hypothèse exceptionnelle où la société s'engagerait à les restituer aux associés. Les “pertes” éventuelles subies par les associés eux-mêmes ne sont par contre pas visées par l'interdiction. Cet impact de la personnalité morale distincte de la société est pourtant négligé dans le débat relatif à l'obligation de contribuer aux pertes. On peut au passage se demander si la contribution aux pertes constitue bien un élément essentiel de la société en droit belge. Il résulte par ailleurs de la personnalité morale distincte de la société que les opérations sur titres, telles que les options sur actions, ne sont pas concernées par l'article 32 alinéa 2. De telles opérations peuvent en effet avoir pour conséquence uniquement une perte ou une absence de perte pour les associés, tandis que les apports faits à la société, seuls concernés par le texte légal, ne se trouvent pas affectés par la cession et restent exposés aux pertes quel que soit le titulaire des titres.
SAMENVATTING
Het verbod om een aandeelhouder vrij te stellen van iedere bijdrage tot de verliezen van een vennootschap, zoals men deze gewoonlijk afleidt uit artikel 32 lid 2 van het Wetboek van Vennootschappen (het vroegere art. 1855 tweede lid B.W.), is moeilijk te verzoenen met sommige verrichtingen waarbij aan een aandeelhouder een verkoopoptie wordt toegekend voor de verkoop van zijn effecten aan een vooraf vastgestelde prijs, onafhankelijk van de verdere evolutie van de activiteiten van de vennootschap.
De rechtspraak in België is geëvolueerd naar een meer algemene aanvaarding van dergelijke opties. Geïnspireerd door de standpunten in Frankrijk, heeft het Belgisch Hof van Cassatie in zijn arrest van 5 november 1998 geoordeeld dat dergelijke opties geoorloofd zijn als ze niet tot doel hebben, ongeacht of dit duidelijk zo is bepaald dan wel in werkelijkheid zo is, om de vennootschapsovereenkomst aan te tasten, zoals bedoeld in artikel 32 tweede lid van het Wetboek van Vennootschappen. Nochtans heeft deze rechtspraak het debat in deze materie niet beslecht, met name omwille van het subjectieve aspect ervan in het onderzoek naar de beweegredenen van de partijen. Daarenboven heeft zij a contrario tot gevolg dat de opties die tot doel hebben een aandeelhouder vrij te stellen van de verliezen, strijdig zijn met artikel 32 tweede lid W.Venn. In Frankrijk is in 2004 en 2005 de handelskamer van het Hof van Cassatie nog verder gegaan. Enerzijds heeft het Hof geoordeeld dat het verbod op een vrijstelling van een bijdrage tot de verliezen niet geldt voor “aandeelhouders-geldschieters”. Anderzijds is het Hof van mening dat een aandeelhouder die tevens de begunstigde is van een optie blootgesteld blijft aan de verliezen - waardoor dergelijke optie geldig is - wanneer hij zijn optie dient uit te oefenen gedurende een beperkte periode.
Een analyse van zowel de bewoordingen van artikel 32 tweede lid W.Venn. als van de context waarbinnen artikel 1855 van het Burgerlijk Wetboek indertijd werd aangenomen, leidt ertoe daaraan een nog meer beperkte betekenis toe te kennen wanneer de betrokken vennootschap rechtspersoonlijkheid heeft.
Het zijn inderdaad de “gelden of goederen in de vennootschap ingebracht”, dus de inbrengen, waarvoor de wetsbepaling het verbod oplegt dat zij worden onttrokken aan de verliezen. Bij een vennootschap met rechtspersoonlijkheid wordt de eigendom van de inbrengen aan haar overgedragen en deze zijn per definitie onderworpen aan de eventuele verliezen, behalve in het uitzonderlijke geval waarin de vennootschap er zich toe zou verbinden om deze terug uit te keren aan de aandeelhouders. De eventuele “verliezen” geleden door de aandeelhouders zelf worden daarentegen niet geviseerd door het verbod. De impact van de aparte rechtspersoonlijkheid van de vennootschap wordt nochtans verwaarloosd in het debat over de verplichting om bij te dragen tot de verliezen. Men kan zich overigens afvragen of naar Belgisch recht de bijdrage tot de verliezen echt een essentieel element is van de vennootschap. De aparte rechts­persoonlijkheid van de vennootschap heeft tot gevolg dat verrichtingen op effecten, zoals opties op aandelen, niet vallen onder de toepassing van artikel 32 tweede lid W.Venn. Dergelijke verrichtingen kunnen inderdaad enkel leiden tot een verlies, of de afwezigheid van een verlies, voor de aandeelhouders, terwijl de inbrengen in de vennootschap, waarvoor de wettekst alleen geldt, niet worden getroffen door de overdracht en blootgesteld blijven aan de verliezen ongeacht wie de titularis van de aandelen is.
Introduction

1.L'on sait qu'en vertu de l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés - contenu dans le livre relatif aux dispositions communes à toutes les sociétés, sous le titre “Des engagements des associés entre eux” - est nulle “La stipulation qui affranchirait de toute contribution aux pertes, les sommes ou effets mis dans le fonds de la société par un ou plusieurs associés”. Cette disposition est une reprise littérale de l'article 1855 alinéa 2 du Code civil et n'a pas été modifiée depuis 1804.

Deux arrêts récents de la Cour de cassation française se prononçant sur la validité de promesses d'achat d'actions au regard de la prohibition des pactes léonins, et en particulier de la dispense à la contribution aux pertes sociales [2], amènent à réexaminer cette question en droit belge. En effet, si ces arrêts confirment la validité des options concernées, c'est au terme d'une motivation originale qui consacre la reconnaissance de la catégorie de l'associé “bailleur de fonds” et qui prend en compte le délai dans lequel l'option doit être exercée. Toute justifiée qu'elle puisse être sur le plan de l'opportunité, cette jurisprudence n'est cependant pas sans rajouter à l'insécurité juridique. Les commentaires doctrinaux dont ces arrêts ont fait l'objet ne sont d'ailleurs pas tous de nature à rassurer les praticiens.

De manière similaire, la solution donnée à cette question dans notre droit est toujours entourée d'incertitudes, ce qui hypothèque des opérations pourtant couramment réalisées et nécessaires au développement des affaires. Il est d'ailleurs intéressant de rapprocher la récente jurisprudence française du tout aussi récent jugement du tribunal de commerce d'Hasselt, rendu le 17 janvier 2005, qui annule quant à lui une option de vente pour contrariété à l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés [3].

2.La pratique actuelle des affaires compte de nombreuses opérations qui présentent la même particularité. Il s'agit de permettre à un associé [4] de se défaire de sa participation dans une société pour un prix prédéterminé indépendant de la valeur de ses titres au jour de la cession et donc, indépendant de la réalisation de gains ou de pertes par la société en question.

L'une des hypothèses fréquemment rencontrées est celle d'une société dont la continuité ou le développement requiert de nouveaux capitaux ne pouvant être apportés par les associés existants. S'inspirant de techniques anglo-saxonnes, ces associés font alors appel à un investisseur extérieur qui met les fonds nécessaires à la disposition de la société en participant à une augmentation de capital. Cet investisseur souhaite toutefois généralement être assuré à la fois de recouvrer sa mise et de réaliser un certain profit dans l'opération. Parallèlement à cette augmentation de capital, il se voit dès lors souvent consentir à charge des associés une option de vente des titres auxquels il a souscrit dans le cadre de ladite augmentation de capital (“put option”, ou encore “promesse d'achat” si l'on se place du côté de la partie qui consent le droit). Cette option de vente lui permet de contraindre les associés à lui acheter les actions souscrites, pour un prix égal au montant de la souscription, augmenté d'un certain montant représentant le gain garanti de l'investisseur dans l'opération [5]. L'option peut être exercée, selon le cas, à des échéances fixes, lors de la survenance d'un événement particulier (par exemple au jour de la cession, par les associés existants, de leur participation à des tiers) ou encore à tout moment. L'investisseur décidera d'exercer ou non son option en fonction de l'évolution de la société et de sa possibilité de réaliser un gain supérieur, que ce soit au travers d'une autre cession pour un prix plus élevé ou par l'encaissement de dividendes [6].

La validité de tels accords est cependant à l'heure actuelle toujours sujette à des discussions liées à la prohibition des pactes léonins. En effet, l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés (ancien art. 1855 al. 2 C. civ.) interdirait, dans l'interprétation généralement retenue, qu'un associé soit totalement exonéré des pertes. Or, tel est l'effet de la possibilité pour l'investisseur de céder, grâce à l'option de vente, sa participation pour un prix garanti indépendant de la situation de la société [7]. Même si la société était déclarée en faillite par exemple, le bénéficiaire de la promesse d'achat récupérera sa mise à charge des autres associés, sous la forme du prix de vente de ses actions [8].

Un auteur éminent, qui plaidait pourtant pour une interprétation restrictive de l'article 1855 alinéa 2 du Code civil, écrivait ainsi “Si un candidat investisseur conditionne sa souscription à une augmentation de capital à la garantie par les futurs associés d'une porte de sortie, l'exonérant du risque social, l'article 1855, alinéa 2, pourra normalement s'appliquer.” [9]. Il ajoutait “De même, certaines options de vente portant sur des titres existants pourraient tomber sous le coup de la prohibition dès lors qu'elles se rattacheraient à une convention de société, conclue entre actionnaires ou seraient liées directement à la société anonyme dont relève les titres concernés, tout en ne s'intégrant pas dans une autre convention comme un contrat de partage ou une opération de cession étalée dans le temps.” [10].

I. La position actuelle en Belgique quant à la validité des options sur actions à prix fixe par rapport à la prohibition de la dispense de contribution aux pertes

3.Notre ambition n'est pas ici d'étudier en détail l'évolution de la doctrine et de la jurisprudence belges. Nous renvoyons à cet égard le lecteur vers les notes savantes qui ont déjà été écrites sur le sujet [11]. Nous nous bornerons à rappeler les principaux éléments de la jurisprudence pour constater ensuite l'état actuel des choses. Il n'est pas sans intérêt de relever que la majorité de cette jurisprudence se rapporte à des sociétés d'investissement d'intérêt public qui étaient intervenues afin d'assister des entreprises privées.

1. Première étappe, la condamnation des options sur actions à prix fixe, moyennant tempéraments

4.La jurisprudence belge s'est, dans un premier temps, montrée hostile aux opérations impliquant pour un associé la possibilité de se faire racheter par d'autres associés sa participation pour un prix prédéterminé, égal au moins au montant investi pour acquérir ladite participation.

En 1986, la cour d'appel de Bruxelles a examiné une opération aux termes de laquelle la Société Nationale d'Investissement (“SNI”) s'était vue consentir par Copeba une promesse d'achat portant sur des actions de la société Carlam [12].

La SNI introduisit à l'encontre de Cobepa une action tendant à la condamnation de celle-ci à lui racheter ses actions Carlam, conformément à ladite promesse d'achat. Tant en première instance qu'en appel, la SNI fut déboutée de son action au motif que les diverses conventions conclues entre les différents intervenants s'inscrivaient toutes dans le cadre d'une opération unique permettant à la SNI de s'affranchir de toute contribution aux pertes de la société Carlam, en violation de l'article 1855 du Code civil [13]. Pour la cour d'appel, il était clair que “La convention de rachat de titres, intervenue apparemment entre Cobepa et la SNI, fut conclue en fait entre cette dernière et CCB, de telle sorte que c'était bien un associé de Carlam qui garantissait de tous risques un autre associé de cette société” et que “Ce genre de pratique est prohibé par l'article [1855 du Code civil]” [14].

Une sentence arbitrale du 24 février 1992 condamne, comme le tribunal de commerce et la cour d'appel dans l'affaire Carlam, une option de vente pour “Un prix égal à la valeur de souscription des actions, augmentée d'un intérêt de 10% l'an” [15].

5.Le tribunal de commerce de Nivelles a eu à connaître d'un engagement de rachat d'une participation de la Société Régionale d'Investissement de Wallonie (“SRIW”) pour un prix qui serait au minimum égal à 90% du prix de souscription de la participation de la SRIW.

Le tribunal relève tout d'abord qu'il est fréquent que des sociétés soucieuses de leur développement fassent appel à des holdings publics disposant des moyens qui font parfois défaut à leur actionnariat privé. Ainsi, “À côté de l'associé de type classique et le simple bailleur de fonds, il existe une catégorie d'actionnaires animés d'un 'animus societatis' provisoire mais néanmoins réel et dont la participation financière est non seulement profitable mais fréquemment indispensable à l'essor voire à la survie de l'entreprise.”. Selon le tribunal, “Il est évident que par essence même dans ce mécanisme, la participation aux pertes du holding public doit forcément être limitée.”.

Ensuite, estimant que l'article 1855 alinéa 2 du Code civil n'interdit que la stipulation qui affranchit un associé de toute contribution aux pertes mais non pas qui prévoit une contribution inégalitaire, le tribunal décide que l'engagement de rachat est en l'espèce valable puisqu'il ne concerne que 90% du prix de souscription [16]. Il n'en reste pas moins que si le prix du rachat avait été d'au moins 100% du prix de souscription et si un “intérêt” avait été prévu, comme c'est fréquemment le cas dans ce type de clause en pratique, le tribunal aurait considéré que la clause était nulle.

Dans son jugement du 13 mai 1996, le tribunal de commerce de Bruxelles a appliqué le même raisonnement de dispense seulement partielle de la contribution aux pertes. Dans cette affaire, la Société Belge d'Investissement (“SBI”) s'était vue consentir par l'autre actionnaire un engagement de rachat portant sur 50% des actions souscrites par la SBI, pour un prix égal au prix de souscription. Le tribunal estime que l'article 1855 alinéa 2 ne peut sanctionner cet engagement dans la mesure où “SBI continue à assumer pleinement les risques sociaux inhérents à la qualité d'actionnaire à concurrence de la moitié de son apport” [17]. Ici également, la solution retenue a pour conséquence a contrario de condamner les options de vente portant sur l'intégralité de la participation [18].

2. La validité des options sur actions à prix fixe qui n'ont pas pour objet déclaré ou véritable de dispenser totalement un associé de la contribution aux pertes

6.L'affaire dite “Cellulose des Ardennes” [19] fut l'occasion d'une évolution de la jurisprudence.

Les faits à l'origine du litige peuvent être résumés comme suit. Ils impliquaient à nouveau la Société Régionale d'Investissement de Wallonie (“SRIW”), qui était l'actionnaire majoritaire de la société Cellulose des Ardennes (“CdA”). En vue d'assurer le développement de cette société, la SRIW a entamé des négociations avec le groupe Torraspapel. Celui-ci a accepté de souscrire à une augmentation de capital de CdA à l'issue de laquelle Torraspapel détiendra 50% plus une action de la société. Torraspapel s'est engagée, dans un second temps, à acheter de manière échelonnée l'intégralité de la participation de la SRIW. Cette acquisition, se concrétisant par des options de vente et d'achat, devait se faire contre un prix égal au prix auquel Torraspapel avait souscrit à l'augmentation de capital, majoré d'un intérêt. Contrairement aux espoirs de Torraspapel, CdA connut une évolution négative dans les années qui suivirent l'entrée du groupe dans le capital de cette dernière et tomba en faillite. C'est dans ce contexte que Torraspapel et les banques ayant garanti le paiement du prix contestèrent la validité des options de vente et d'achat négociées avec la SRIW.

L'on ne pouvait plus ici considérer qu'il y avait seulement une limitation de la contribution aux pertes. C'était bien l'intégralité de la participation de la SRIW qui faisait l'objet de la promesse d'achat et ce pour un prix égal à 100% de la dernière souscription, augmenté d'un intérêt.

Le tribunal de commerce de Namur a néanmoins admis la validité des options. Il constate tout d'abord que “Les usages du droit commercial ont multiplié le recours à des conventions qui, distinctes du contrat initial, ont pour effet d'affranchir une partie de la 'contribution aux pertes'; que ces usages ont été rendus nécessaires par l'évolution propre aux sociétés de capitaux et par les exigences de leur restructuration ou de leur financement.” [20]. Il déclare ensuite qu'il ne ressort ni des termes de la loi, ni des travaux préparatoires, ni des premiers commentaires du Code civil que la contribution aux pertes est un élément essentiel du contrat de société. Il conclut que l'article 1855 ne peut être considéré comme une disposition générale qui frapperait de nullité les engagements réciproques par lesquels les associés règlent les modalités de retrait de l'un d'entre eux.

La solution dégagée par le tribunal fut confirmée, pour des motifs différents, par la cour d'appel de Liège. Celle-ci s'est livrée à un long exposé au cours duquel elle examine l'essence de l'article 1855 du Code civil ainsi que la jurisprudence et la doctrine française [21]. Conformément à la doctrine classique, la cour estime que cette disposition prohibe toute clause susceptible de porter atteinte au jus fraternitatis, l'esprit de collaboration et d'égalité qui doit régner entre les associés. L'idée de contrat de société (ou encore de pacte social) est au centre de ces considérations: ce contrat fait défaut dès lors qu'un associé est affranchi de toute contribution aux pertes. La cour en déduit que des options de vente et d'achat seront licites si la cause de celles-ci, au sens de l'intention véritable des parties, n'est pas de porter atteinte au pacte social, plus particulièrement dans l'organisation des rapports qu'il prévoit entre les associés.

En présence de telles options, il convient donc de rechercher si les parties ont eu l'intention de réaliser une opération juridique portant sur les droits sociaux, notamment une vente, auquel cas cette opération est licite, ou au contraire de permettre à une partie de s'affranchir d'une contribution aux pertes et de porter ainsi atteinte à l'équilibre du pacte social, auquel cas la sanction de l'article 1855 trouve à s'appliquer. Ainsi, les opérations ayant pour unique but d'inciter un tiers à entrer dans le capital d'une société en lui garantissant qu'il ne devra supporter aucune perte portent atteinte au pacte social.

En l'espèce, la cour estime que les dispositions contractuelles concernées visaient le transfert de titres: “Le mécanisme d'options croisées mis en place en 1988 et 1990 s'inscrit ainsi dans le cadre d'une opération de cession étalée de participation moyennant un prix librement débattu; que même si la convention d'actionnaires prévoit un certain nombre de dispositions qui touchent aux rapports entre les associés, le but poursuivi n'a pas été de dispenser l'apport de SRIW et Nofipac de toute participation - contribution - aux pertes; que la transmission des actions organisée n'a donc aucune incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux.”. Elle en conclut que ces options sont licites.

Par son arrêt du 5 novembre 1998, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi dirigé contre cette décision, aux motifs que “Seule est prohibée la clause qui a pour objet de porter l'atteinte au pacte social visée par l'article 1855, alinéa 2, du Code civil, ou qui, ayant apparemment un autre objet, tend en réalité aux mêmes fins” et que “ayant relevé que l'opération envisagée n'avait d'autre objet que d'assurer le transfert progressif des actions à un cessionnaire, moyennant un prix déterminé, qu'elle était étrangère au pacte social et sans incidence sur l'attribution des bénéfices aux actionnaires et sur leur contribution aux pertes, la cour d'appel a décidé légalement que les conventions d'options étaient licites.” [22].

3. Conclusions quant à la jurisprudence belge actuelle

7.La Cour de cassation a consacré par son arrêt du 5 novembre 1998 le critère dit de “l'indépendance causale”, appliqué par une partie de la jurisprudence française (voy. ci-après n° 10) et prôné par quelques auteurs belges [23]. Il s'agit d'examiner à la fois l'objet de la convention et sa cause, au sens des mobiles déterminants des parties. Pour vérifier si une clause ne contrevient pas à l'article 1855 alinéa 2 du Code civil, il faut tout d'abord vérifier si son objet est d'exonérer totalement un associé des pertes. Ensuite, à supposer que tel ne soit pas l'objet de la convention, il faut rechercher si les parties ne recherchaient pas en réalité ce résultat. C'est donc l'“objet réel” qui est déterminant.

Cette jurisprudence a généralement été accueillie favorablement par la doctrine [24].

Elle n'est toutefois pas de nature à apaiser les esprits et le débat reste ouvert. Certains auteurs ont en effet mis en avant les limites du critère de l'indépendance causale [25]. Ce critère est essentiellement subjectif, relevant de l'appréciation souveraine du juge du fond qui aura, dans de nombreux cas, des difficultés à déterminer de manière précise l'intention qu'avaient les parties au jour de la signature du contrat. Il est donc source d'insécurité juridique.

En outre, la solution consistant à se référer à l'objet de la convention et à l'intention des parties condamne a contrario les opérations dont l'objet - déclaré ou véritable - serait effectivement, le cas échéant pour des raisons parfaitement légitimes, de dispenser un associé de la charge des pertes. Les arrêts récents de la Cour de cassation française donnent quant à eux à tout le moins un début de réponse à cette situation [26].

8.Un exemple de recherche des mobiles des parties pour apprécier la validité de leur option est donné par le jugement du tribunal de commerce d'Hasselt du 17 janvier 2005 [27]. Par convention du 28 mai 2001, Elex vend à Verco 1.160.000 actions de la société Epiq pour un prix de 3,25 EUR par action. Simultanément, Elex consent à Verco une option permettant à celle-ci de revendre à Elex 1.000.000 actions de la société Epiq pour un prix de 6,25 EUR par action, cette option pouvant être levée entre le 25 et le 31 décembre 2003. Le tribunal, après avoir considéré que l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés s'applique non seulement aux actions nouvelles mais également aux actions déjà émises comme en l'espèce, applique le critère de l'indépendance causale consacré par l'arrêt de la Cour de cassation du 5 novembre 1998. Le tribunal examine divers éléments, dont les échanges de l'époque entre les parties, pour en déduire que l'acquisition des actions n'était en tant que telle pas l'élément déterminant de l'opération réalisée par les parties. L'objectif poursuivi semblait être une simple participation à la vie sociale d'Epiq. Le tribunal en déduit que la convention en question doit être déclarée nulle par application de l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés.

Dans cette affaire, le tribunal n'a pas considéré qu'une partie de l'investissement restait soumise aux pertes (160.000 actions sur les 1.1600.000 acquises) [28] (voy. ci-dessus n° 5) ni, contrairement à la jurisprudence récente de la Cour de cassation française, tenu compte du délai dans lequel l'option devait être exercée (voy. ci-dessous n° 13).

II. La situation en France et la jurisprudence récente de la Cour de cassation française
1. Intérêt de l'examen

9.Le Code civil français comportait bien sûr initialement le même article 1855 que celui qui figurait dans le Code civil belge.

Cette disposition est ensuite devenue en France l'article 1844-1 et son texte s'apparente à l'article 32 du Code belge des sociétés. Elle dispose notamment que “Toutefois, la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l'exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité de pertes sont réputées non écrites.”. L'intention du législateur français de 1978, qui a modifié les articles 1832 et suivants du Code civil, semble avoir été d'apporter plus de précisions que dans le texte ancien, en indiquant les quatre types de clauses léonines: “La loi a ainsi voulu cerner - et écarter - les cas extrêmes.” [29].

Une autre nouveauté apportée par le législateur français en 1978 est l'ajout, dans la définition même de la société, que les associés s'engagent à contribuer aux pertes, faisant apparemment de cette contribution un élément essentiel de la société. Nous reviendrons ci-dessous sur ce dernier aspect (n° 20).

Malgré ces nuances entre les textes belges et français, la jurisprudence française est d'un intérêt incontestable pour le praticien belge. Elle est bien plus abondante que la jurisprudence belge, ce qui reflète apparemment non pas une nature plus belliqueuse de nos voisins du sud, mais la réalisation d'un plus grand nombre d'opérations sujettes à la critique des pactes léonins.

La solution retenue par la chambre commerciale de la Cour de cassation de France à une certaine époque a inspiré la jurisprudence la plus récente de notre Cour de cassation en la matière, à savoir celle découlant de l'arrêt du 5 novembre 1998. Cette chambre commerciale a, au cours des dernières années, continué à faire évoluer sa jurisprudence et ses dernières décisions pourraient à nouveau constituer une source d'inspiration pour nos propres tribunaux.

2. Les étapes de l'évolution jurisprudentielle de la chambre commerciale de la Cour de cassation française

10.Dans un premier temps, les cours et tribunaux français ont adopté une position très stricte, estimant contraires à l'article 1844-1 du Code civil français toutes les conventions conclues entre associés par lesquelles l'un de ceux-ci dispose du droit de vendre ses titres pour un prix déterminé indépendant de la valeur de ceux-ci au jour de la cession [30].

Au contraire de la chambre civile, la chambre commerciale de la Cour de cassation a ensuite développé une interprétation plus restrictive de l'article 1844-1 du Code civil. Depuis plus de vingt ans maintenant, cette chambre valide des opérations auparavant considérées comme contraires à cette disposition. Aucun enseignement clair ne peut cependant être tiré de ses arrêts. Divers critères ont en effet été appliqués sans que la Cour ne justifie de manière précise ses choix, et les nombreuses tentatives de la doctrine d'expliquer et de concilier l'application de ces critères semblent avoir toutes échoué.

C'est à l'occasion de l'affaire dite Bowater que la chambre commerciale va pour la première fois déclarer, d'une part, que l'article 1844-1 ne prohibe que les contrats portant atteinte au pacte social et, d'autre part, que ne portent pas atteinte à ce pacte les conventions ayant pour objet d'assurer la transmission de droits sociaux moyennant un prix librement convenu [31]. Il s'agissait en l'espèce d'une opération par laquelle un associé avait cédé les deux tiers de sa participation tout en se réservant, via une option de vente, le droit de céder ultérieurement le solde pour un prix minimum. La chambre commerciale a estimé que la cour d'appel n'avait pas à vérifier si les termes de la convention avaient pour effet de libérer un associé de toute contribution aux pertes sociales dès lors que la cour constatait que cette convention constituait une cession.

Dans une décision du 19 mai 1992 [32], la chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé que la cour d'appel avait à bon droit jugé que n'était pas contraire à l'article 1844-1 une promesse d'achat qui n'avait pas d'autre objet que de permettre, moyennant un prix librement convenu, la rétrocession d'actions à des conditions visant à assurer l'équilibre des conventions conclues par les parties (c'est-à-dire la vente des actions et la promesse de rachat de celles-ci). Certains auteurs ont vu dans cette décision la consécration du critère de la cause également appelé “de l'indépendance causale”.

Ce critère était prôné depuis plusieurs années déjà par M. Randoux, selon lequel la prise en compte de l'objet n'est pas suffisante pour déterminer le champ d'application de l'article 1844-1 [33]. Il donne l'exemple d'une société prenant une participation dans une autre et exigeant des associés existants des conditions de sortie lui permettant de ne pas subir les pertes éventuelles. L'application du seul critère de l'objet aboutirait à valider cette opération car l'accord relatif au retrait porte sur la transmission future des titres. Cette opération doit toutefois être sanctionnée dans la mesure où son but est d'exonérer l'investisseur des pertes.

Ce critère des mobiles des parties est approuvé par d'autres auteurs [34]. Il est par contre rejeté par certains en raison de l'insécurité juridique qu'il génère [35].

11.En 1994, la chambre commerciale a eu à connaître d'une promesse de rachat d'actions à un prix égal au prix auquel ces actions avaient été cédées, augmenté d'un intérêt [36].

La cour d'appel de Poitiers avait déclaré nulle cette promesse car elle avait pour but de garantir un associé contre toute évolution défavorable des actions et de le soustraire de toute contribution aux pertes sociales. Cette décision fut sanctionnée par la chambre commerciale dans les termes suivants: “Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la cession initiale avait été complétée par des promesses croisées de rachat et de vente des mêmes actions libellées en des termes identiques au profit de chacune des parties contractantes, ce dont il résultait que celles-ci avaient organisé, moyennant un prix librement débattu, la rétrocession des actions litigieuses sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux, la cour d'appel a violé le texte susvisé.”.

Cette formulation fut ensuite reprise à plusieurs occasions par la chambre commerciale [37], de même que par les cours d'appel [38].

Elle fut toutefois critiquée, à juste titre selon nous, par certains auteurs [39]. La chambre commerciale accorde, en effet, une importance particulière à l'effet de l'opération puisque, après avoir analysé son objet, elle considère que cette opération “est sans incidence” sur la contribution aux pertes. Or, comment peut-on soutenir que n'a pas d'incidence sur la contribution aux pertes un contrat qui, précisément, permet à un associé de céder ses actions à un prix qui ne sera pas influencé par une éventuelle évolution négative de la société?

Dans tous les cas, il résulte de cette jurisprudence une volonté de la chambre commerciale de la Cour de cassation française de justifier le système des options de vente à prix fixe. Les motifs sur lesquels elle se fonde à cet égard sont cependant loin d'être limpides.

On soulignera en outre que la doctrine continue à s'interroger sur la solution qui serait donnée à ces mêmes questions par la chambre civile de la même cour, chambre dont les derniers arrêts en date étaient toujours empreints de la rigueur classique [40].

3. Les nouvelles limites apportées par la chambre commerciale de la Cour de cassation française
(a) La reconnaissance de la catégorie du “bailleur de fonds”

12.Alors que le débat relatif à l'article 1844-1 du Code civil semblait s'être relâché en raison de la reprise par la chambre commerciale, à plusieurs occasions, de la formulation de son arrêt du 24 mai 1994, il a pris un nouveau tournant suite à un arrêt de la même chambre du 16 novembre 2004.

Un investisseur avait accepté, en 1989, de participer à l'augmentation du capital d'une société à concurrence d'un montant de 705.000 francs français. Cette augmentation de capital a donné lieu à l'émission de 300 actions nouvelles de 100 francs français chacune, le solde de l'apport constituant une prime d'émission. En contrepartie de cet investissement, les fondateurs se sont engagés à racheter ces 300 actions pour un prix minimal de 700.000 francs français augmenté d'un intérêt de 14% par an sur trois ans, si l'investisseur en faisait la demande entre le 1er janvier et le 10 juin 1993. Suite à l'exercice, par l'investisseur, de son droit de vente dans le délai convenu, les fondateurs ont prétendu que le contrat était contraire à l'article 1844-1 du Code civil.

Dans sa décision du 15 septembre 2000, la cour d'appel de Paris estime qu'elle se trouve en présence d'une promesse d'achat d'actions qui a pour objet, en fixant un prix minimum de cession, d'assurer l'équilibre des conventions conclues entre les parties en assurant au nouvel associé “lequel est avant tout un bailleur de fonds, le remboursement de l'investissement auquel il n'aurait pas consenti sans cette condition déterminante.” [41]. La cour décide ensuite que cette promesse est valable dans la mesure où elle n'a pour objet que d'assurer la transmission de droits sociaux et où elle n'a pas de conséquence sur la contribution aux pertes dans les rapports sociaux.

Le pourvoi à l'encontre de cette décision fut rejeté par la chambre commerciale de la Cour de cassation [42].

Ces décisions furent approuvées par une partie de la doctrine [43]. Elles ont eu pour conséquence d'étayer l'idée selon laquelle l'article 1844-1 ne serait pas applicable aux titulaires de titres qui ne sont que des bailleurs de fonds, dans la mesure où ils n'agissent pas en tant qu'associés. C'est ce qu'un auteur a appelé le “capital-risque sans risque” [44].

Certains auteurs français, dont au premier chef M. Lucas [45], prônent en effet une distinction entre les “véritables associés”, animés de l'affectio societatis, et les “investisseurs” ou “bailleurs de fonds” dont la seule motivation est de financer la société concernée via un apport leur procurant une certaine rentabilité. Ces derniers n'auraient pas une âme d'associé et ne devraient dès lors pas se voir appliquer certaines règles du droit des sociétés qui ne sont fondées que sur l'exigence de l'affectio societatis, laquelle fait défaut en l'espèce [46]. Le principal critère de distinction serait la recherche du pouvoir, présente chez les associés au sens strict, mais absente chez les investisseurs, qui ne s'intéressent qu'à la créance que leur participation représente [47].

Cette distinction est critiquée par d'autres, notamment au motif qu'elle est à ce point subjective qu'elle en devient impraticable en droit [48]. Ainsi, à quelle catégorie appartient un bailleur de fonds qui prend goût à ses attributions et s'investit dans le fonctionnement de la société?

Par son arrêt du 27 septembre 2005, la chambre commerciale de la Cour de cassation a toutefois confirmé l'existence de cette catégorie particulière d'associé. Était en cause une promesse ferme et irrévocable d'achat d'actions consentie à CDR Participations [49] lui permettant de céder sa participation au prix de souscription augmenté d'un intérêt. L'option devait être exercée entre le 1er janvier et le 31 mars 1998. La cour d'appel de Paris a estimé que cette promesse n'était pas contraire à l'article 1844-1 [50]. La chambre commerciale a rejeté le pourvoi à l'encontre de cette décision à la fois en insistant sur le fait qu'il s'agissait d'un bailleur de fonds qui n'aurait pas investi si la faculté de se retirer ne lui avait pas été réservée, et en reprenant sa formule classique examinée ci-dessus [51].

Le critère du “bailleur de fonds” a pour effet de valider l'ensemble des opérations de capital-investissement dans lesquelles l'on se trouve en présence d'un investisseur financier qui se voit garantir la possibilité d'un retrait sans perte. Dans ce cas, la convention peut avoir pour objet de garantir cet investisseur contre les pertes. Si ce critère avait été appliqué dans les litiges mettant en cause la SNI, la SBI et la SRIW, rappelés ci-dessus, ces sociétés auraient le cas échéant pu se voir reconnaître cette qualité et dès lors échapper aux sanctions de l'article 1855 alinéa 2 du Code civil pour cette raison.

Afin de faciliter la tâche du juge éventuellement amené à opérer une distinction entre un “véritable associé” et un “associé-bailleur de fonds”, les parties pourraient être bien inspirées d'intégrer une telle qualification dans leur convention et d'en tirer les conséquences quant aux dispositions relatives au contrôle de la société concernée (pactes de votation, mandat au sein du conseil d'administration, etc.).

Cette thèse du bailleur de fonds nous paraît pouvoir être rapprochée de celle défendue en Belgique par M. Foriers relativement à la fiducie. Selon ce dernier, lorsque l'associé qui acquiert ou souscrit à des actions agit dans le cadre d'une convention de portage, il y a une opération fiduciaire [52]. Cet associé, agissant en réalité pour le compte d'un autre associé, généralement à des fins de financement et/ou de discrétion, ne doit pas être considéré comme un véritable associé de la société: il est un simple “porteur”, agissant pour le compte de son donneur d'ordre. C'est le donneur d'ordre qui doit être considéré, en droits comptable, financier et des sociétés, comme le détenteur des actions qui sont l'objet du portage, de sorte que l'on ne se trouve pas en présence d'une relation entre associés et les parties n'ont à aucun moment entendu partager les bénéfices et les pertes [53].

(b) La prise en compte du délai d'exercice de l'option

13.La chambre commerciale a rendu le 22 février 2005 un arrêt qui pourrait témoigner d'une nouvelle évolution.

Trois associés avaient souscrit à une augmentation de capital. Concomitamment, deux de ces associés avaient consenti au troisième une promesse d'achat des actions qu'il avait souscrites pour un prix minimum égal au prix de souscription augmenté d'un intérêt. Le bénéficiaire de cette promesse ne pouvait exercer son droit qu'entre le 1er février et le 15 février 1993. L'option de vente fut exercée, suite à quoi les deux autres associés ont argué qu'elle était contraire à l'article 1844-1 du Code civil. Le bénéficiaire de la promesse tenta de faire reconnaître en justice la validité de celle-ci.

La décision de la cour d'appel de Versailles, qui n'avait pas fait droit à cette demande en raison du caractère léonin de la promesse d'achat, fut cassée par la chambre commerciale dans les termes suivants: “Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que (…) ne pouvait lever l'option qu'à l'expiration d'un certain délai et pendant un temps limité, ce dont il résulte qu'il restait, en dehors de cette période, soumis au risque de disparition ou de dépréciation des actions, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations.” [54].

La chambre commerciale semble donc décider sur la seule base de la limitation dans le temps de la protection consentie au bénéficiaire de l'option, que cette opération ne doit pas être sanctionnée. Ce bénéficiaire ne pouvant exercer l'option qu'à l'expiration d'un certain délai et pendant un temps limité, il resterait exposé au risque en dehors de cette période.

Cette solution a été approuvée par certains au motif que l'article 1844-1 vise une exonération totale des pertes sociales, alors qu'en l'espèce, l'associé bénéficiaire n'est pas totalement à l'abri d'une dépréciation de la valeur de ses actions [55].

Ce raisonnement est assurément séduisant. Sans doute pourrait-on objecter que s'il est vrai que le bénéficiaire ne peut, avant la période d'exercice de l'option, revendre ses actions au prix de souscription, il ne subit néanmoins pas les pertes encourues avant cette période s'il lève ensuite l'option en temps utile [56]. En tout cas, après la période d'exercice de l'option, si celle-ci n'a pas été levée, l'associé se retrouve à nouveau exposé au risque.

Certains se demandent s'il ne s'agit pas des prémices d'une nouvelle évolution dans la jurisprudence tendant à reconnaître la licéité d'une promesse unilatérale d'achat à la double condition que l'option ne puisse être exercée qu'à l'expiration d'un certain délai et pendant un temps limité [57].

Notons que cette jurisprudence n'est pas limitée au cas de l'associé “bailleur de fonds”. Si sa portée devait être confirmée, elle aurait pour effet de rendre valable quasiment toutes les promesses d'achat puisque la seule condition serait qu'elles soient limitées dans le temps (et que cette période soit plus courte que celle de la durée de la société, si celle-ci a été constituée pour une durée limitée).

4. Conclusion

14.La conclusion de l'examen de cette jurisprudence est qu'il existe bien, en France, une tendance à reconnaître la validité d'options de vente d'actions à un prix prédéterminé. Les motifs invoqués à cette fin sont variés et pas toujours convaincants. Même si le débat est un peu plus avancé chez nos voisins que chez nous, l'insécurité juridique persiste donc aussi là-bas.

Fondamentalement, la jurisprudence française continue à interdire qu'un véritable associé soit totalement exonéré des pertes qu'il pourrait subir en raison de sa participation au capital d'une société. Nous verrons ci-dessous que cette jurisprudence devrait encore franchir un pas, en donnant sa véritable portée à la prohibition de la dispense des pertes en présence d'une société dotée de la personnalité juridique.

III. La portée véritable de l'interdiction d'exonération totale des pertes: l'impact de la personnalité juridique distincte de la société

15.Dans l'ensemble du débat relatif à la portée de l'interdiction de dispense totale des pertes, un élément crucial nous paraît être le plus souvent perdu de vue. Il s'agit de la notion de perte et de la personne qui subit la perte considérée.

Le texte de l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés vise “les sommes ou effets mis dans le fonds de la société par un ou plusieurs associés” et prévoit que ces sommes ou effets ne peuvent être affranchis des pertes.

Ce ne sont donc pas les associés eux-mêmes (les auteurs de l'apport) qui ne peuvent pas être affranchis de toute contribution aux pertes, mais bien les apports faits par les associés dans la société (l'objet de l'apport) [58].

Or, les discussions relatives aux pactes léonins, singulièrement lorsqu'elles concernent les promesses d'achat, se concentrent en réalité sur la perte à laquelle un associé doit rester exposé et omettent complètement la question de la prise en charge de la perte de la société.

16.La perte à laquelle les apports visés par l'article 32 alinéa 2 doivent être sujets est la perte “subie au niveau de la société” (tel que nous préciserons ce dernier terme ci-dessous).

La perte de la société, visée par l'article 32 alinéa 2, existe lorsque le résultat des opérations réalisées par la société entraîne une réduction de l'actif net à un montant inférieur au total des apports [59]. Dans ce cas, l'ensemble des “sommes et effets” mis par les associés dans le fonds de la société (soit, dans les sociétés dotées de la personnalité morale, les “fonds propres”) est inférieur aux engagements à l'égard des tiers.

En principe, une telle perte se constate uniquement au moment de la dissolution de la société, lorsque se pose la question de la restitution éventuelle des apports aux associés. C'est en effet seulement à ce moment là que l'on peut constater le cas échéant que tout ou partie des fonds propres est irrévocablement perdu et que la “société” ne pourra pas restituer aux associés leurs apports, ou seulement une partie de ceux-ci. Comme l'écrivaient M. Tilquin et Mme Simonart, “La perte est le déficit existant, au moment de la dissolution, dans les biens qui composaient originairement le fonds social. Pour déterminer s'il y a bénéfice ou perte, il faut donc comparer le patrimoine social existant à la dissolution avec celui existant au commencement de la société.” [60].

De nos jours, dans certaines sociétés, les comptes annuels permettent certes de dégager l'existence de pertes (provisoires) en cours de vie sociale. Dans le cadre de la conception spécifique de la société du législateur de 1804, il n'y a cependant pas lieu de tenir compte de telles pertes provisoires pour l'application de l'article 1855 du Code civil [61].

17.Concernant la perte de l'associé, deux situations doivent être distinguées: celle dans laquelle la société concernée n'est pas dotée de la personnalité morale et celle dans laquelle la société constitue un être juridique distinct de ses associés.

Lorsque la société n'est pas dotée de la personnalité morale, les “sommes ou effets” apportés à la société sont maintenus dans le patrimoine des associés. Plus précisément, selon la conception prévalant à l'époque de la conception du Code civil, les biens apportés entrent en indivision entre les associés [62]. Il en résulte que lorsque la société subit une perte au sens défini ci-dessus, cette perte se réalise directement dans le patrimoine de ses associés puisqu'elle affecte un bien qui est leur propriété (indivise), ce bien devant être affecté en tout ou en partie à la couverture des pertes.

Dans cette hypothèse, l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés interdit que l'un des associés s'engage à tenir indemne le patrimoine d'un autre associé contre cette perte. Dans le cas d'une société sans personnalité juridique, s'engager à ce que le patrimoine d'un associé ne subisse pas de perte est en effet alors équivalent à s'engager à ce que les apports (qui continuent à faire partie de ce patrimoine) ne subissent pas de perte [63]. La perte de l'associé et la perte de la société se recouvrent donc dans ce cas.

Lorsque la société est dotée de la personnalité juridique, l'apport en société opère par contre un transfert de propriété au profit de la société. Celle-ci émet des parts en contrepartie de l'apport. Une restitution de l'apport n'est envisageable que dans le cadre d'une dissolution de la société ou d'une réduction de capital, étant entendu que la société ne pourra restituer à ses associés que ce qui restera des apports, après imputation des pertes éventuelles. La perte subie par la société ne deviendra dès lors une perte subie par l'associé lui-même qu'au moment de la dissolution de la société (ou de la réduction de capital) et uniquement pour ceux qui sont associés au moment où cet événement se produit.

Un apport dans une telle société a dès lors pour conséquence automatique que ce qui est apporté est soumis aux pertes subies par la société. De par la nature même de l'apport à une société dotée de la personnalité morale, l'article 32 alinéa 2 est respecté [64]. Il n'en irait autrement que dans les cas exceptionnels où les associés conviendraient à charge de la société elle-même, propriétaire des biens apportés, une restitution de ceux-ci à l'associé quoi qu'il advienne [65].

Dans le cas d'une société dotée de la personnalité juridique, il n'y aucun lien nécessaire entre d'une part, la perte subie par la société, affectant les apports et donc son patrimoine, et d'autre part, la perte subie par un associé, affectant le patrimoine de celui-ci. Ainsi, si un associé cède sa participation pour un prix inférieur au montant qu'il avait investi pour l'acquérir (donc le montant de l'apport ou le prix d'acquisition), il subit une perte dans son patrimoine: il a en effet retiré de sa participation moins de fonds qu'il n'y a investi [66]. Existe-t-il pour autant également une perte pour la société? En principe, non, puisqu'une telle perte n'existe que lors de la dissolution. Mais même si l'on tient compte de la perte provisoire, il n'y en a pas nécessairement. La moins-value réalisée sur la participation peut être justifiée par des motifs totalement étrangers à la situation de la société (conjoncture en général, revente dans la précipitation, etc.). Inversement, si à l'issue de l'un de ses exercices sociaux, la société constate, sur le plan comptable, une perte (provisoire), cela n'a pas nécessairement d'impact sur la situation de l'associé. Dans le même temps, l'associé va en effet peut-être de son côté, s'il réalise sa participation, réaliser un gain, ou maintenir la valeur, ou encore subir lui-même une perte sans lien avec celle de la société [67].

18.Une interprétation stricte - mais correcte à nos yeux - de l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés dans le cadre des sociétés dotées de la personnalité morale, devrait dès lors conduire à interdire, dans ces sociétés, uniquement les clauses par lesquelles les associés conviennent que les apports effectués par l'un ou plusieurs d'entre eux seraient exonérés des pertes au moyen d'une garantie de restitution desdits apports par la société [68], [69].

Par contre, toutes les fois qu'un associé bénéficie de la garantie, donnée par un associé ou un tiers, d'être indemnisé si son apport ne pouvait lui être restitué par la société, cette situation ne devrait pas entrer dans le champ d'application de l'article 32 du Code des sociétés. Une telle garantie, qui impliquerait uniquement le patrimoine de l'associé ou du tiers qui la consent, porterait par nature sur autre chose que “les sommes ou effets mis dans le fonds de la société”, p­uisque ceux-ci n'appartiennent qu'à la société, personne morale distincte. Malgré la garantie, les actifs apportés dans la société peuvent être perdus, comme l'exige le Code des sociétés, mais l'apporteur aurait reçu une indemnisation [70], [71].

La thèse que nous défendons est également soutenue en France par M. Massart, qui distingue quant à lui entre les sociétés “à risque illimité” et les sociétés “à risque limité”, pour conclure concernant ces dernières “Les associés sont des créanciers de dernier rang et la société ne peut s'engager à leur rembourser leurs apports avant le désintéressement complet des créanciers sociaux. Pour les sociétés à risque limité, la notion de contribution aux pertes sociales est ainsi consubstantielle à la notion d'apport.” [72].

19.L'on pourrait objecter qu'accorder une portée aussi limitée à l'article 32 alinéa 2 reviendrait à le priver de quasiment tout effet en pratique malgré l'intention - apparente [73] - du législateur de belge de 1999 de maintenir cette disposition et de confirmer son application à toutes les sociétés en l'insérant dans le Code des sociétés. D'une part en effet, la plupart des sociétés dans lesquelles on peut rencontrer des clauses contrevenant à la prohibition de l'exonération des apports aux pertes sont aujourd'hui des sociétés dotées de la personnalité juridique, comme le montre la jurisprudence en la matière. D'autre part, il serait exceptionnel que, dans de telles sociétés, les associés aillent jusqu'à garantir à l'un d'eux la restitution, par la société, de son apport nonobstant les pertes.

Cela est peut-être vrai mais l'interprétation que nous proposons nous paraît néanmoins correspondre à la fois au texte de l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés et à l'intention du législateur de 1804.

Il faut en effet se rappeler que la “société” que les rédacteurs du Code civil avaient en vue diffère sensiblement des sociétés que nous connaissons deux siècles plus tard.

Il s'agissait en effet à l'époque de réglementer la société civile sans personnalité juridique distincte de celle de ses associés: “… la loi ne reconnaissait à la société ainsi conçue aucune individualité juridique. C'étaient les associés ut singuli, comme individus, qui, seuls, agissaient et acquéraient des droits, ou s'obligeaient.” [74]. Baudry-Lacantinerie nous rappelle “Il est vraisemblable que, lorsque la loi parle de société, elle n'emploie cette expression, à la suite de Pothier, que comme une formule abrégée pour désigner les associés envisagés exclusivement au point de vue de leur intérêts collectifs, par opposition à ces mêmes associés envisagés au point de vue de leurs intérêts individuels, de sorte que le législateur aurait ainsi personnifié la société pour la commodité du langage (...), sans avoir pour cela l'intention de la personnifier au point de vue juridique” [75].

Dans le contexte de l'époque, l'article 1855 alinéa 2 du Code civil avait donc, ainsi que nous l'avons indiqué ci-dessus, une portée pratique plus large que celle que l'évolution des sociétés lui réserve aujourd'hui. La perte de la société et celle de l'associé se confondaient en effet (n° 17 ci-dessus)

20.Il faut noter au passage que, contrairement à ce qui est généralement enseigné, la participation aux pertes n'est pas, de manière évidente, comme la participation aux bénéfices, un élément essentiel de la société.

Il ne fait pas de doute que l'interdiction de réserver tous les bénéfices à l'un des associés - qui remonte au droit romain - se justifie bien par le fait que le partage des bénéfices constitue un élément essentiel de la société [76], [77]. La définition même de la société, actuellement contenue à l'article 1er du Code des sociétés, implique en effet que celle-ci soit constituée en vue de procurer un bénéfice aux associés, sous réserve du cas spécifique de la société à finalité sociale.

L'interdiction qui concerne la répartition des pertes, n'est pas aussi simple à expliquer.

Tout d'abord, elle s'écarte a priori des solutions retenues avant le Code civil [78]. Le droit romain et l'ancien droit admettaient en effet que l'un des associés puisse valablement être exonéré des pertes, à tout le moins dans certaines circonstances [79]. Ainsi, Pothier expliquait que lorsque l'un des associés apportait “quelque avantage” à la société, il pouvait, à titre de récompense, être déchargé pour tout ou partie de la perte que ferait la société [80], [81].

Dès l'origine, l'intention du législateur dans le cadre de l'article 1855 alinéa 2 du Code civil donna lieu à des discussions, lesquelles ne sont pas closes à ce jour. Une première explication fut qu'il s'agissait d'éviter les manoeuvres destinées à contourner l'interdiction de l'usure [82]. La majorité des auteurs estime que la nouvelle règle se justifie par le fait que la dispense de contribution aux pertes serait, tout comme la privation des bénéfices, contraire à l'essence de la société. L'obligation de partager les pertes ne serait que le pendant du droit de partager les bénéfices [83], [84].

Le parallélisme entre la répartition des bénéfices et celle des pertes comme éléments essentiels du contrat de société n'est pourtant pas aussi évident qu'il paraît à première vue.

Contrairement au partage des bénéfices, le partage des pertes n'est, en droit belge, pas expressément mentionné comme élément constitutif de la société. L'article 1er du Code des sociétés, définissant la société, n'y fait pas référence [85].

Il existe en outre une différence fondamentale entre les bénéfices et les pertes. Lorsque des associés décident de créer une société, ils le font dans le but de générer des bénéfices [86]. Les bénéfices sont l'un des objectifs et la raison d'être de la société. Par contre, les associés ne constituent pas une société dans le but de partager des pertes. Le fait de subir des pertes ne relève pas de l'objectif des associés mais est simplement une conséquence possible de leur échec.

La nécessité pour tous les associés de contribuer aux pertes ne relève donc pas, selon nous, de l'essence de la société [87]. Lors de l'élaboration du Code civil, il semble d'ailleurs que ce soit à dessein que le législateur n'ait pas mentionné la participation aux pertes dans la définition de la société, précisément parce que cette participation était considérée “Comme une simple condition du contrat, et non pas comme son but” [88].

Le fait que la contribution aux pertes ne relève pas de l'essence de la société est confirmé par la reconnaissance par le législateur, à plusieurs reprises, de la validité des mécanismes d'exonération de pertes [89], [90]. L'on notera en outre que le droit de certains pays voisins admet expressément qu'un associé soit totalement exonéré des pertes [91]. À l'heure de la société européenne, il est curieux de considérer comme essentiel chez nous un élément qui, dans des pays voisins, peut être exclu de la société en vertu d'une disposition légale expresse.

IV. L'inapplicabilité de l'article 32 alinéa 2 aux opérations sur titres

21.Il existe une controverse quant à la question de savoir si les conventions exonérant un associé de toute participation aux pertes sont nulles lorsqu'elles portent sur des actions déjà émises et acquises par voie d'achat [92], par opposition aux conventions conclues à l'occasion de la constitution de la société ou d'une augmentation de son capital [93].

Nous avons indiqué ci-dessus que lorsque l'apport est réalisé au profit d'une société dotée de la personnalité morale, la perte subie par la société sur les apports qui lui ont été faits et celle de l'associé sur les titres, notamment lorsqu'il cède ceux-ci, doivent être disingués (n° 17).

Les “sommes et effets” apportés à la société restent soumis aux éventuelles pertes, quels que soient les titulaires des titres et quel que soit le prix que les cédants aient pu retirer de la cession. Ces pertes seront subies par la société et par les associés en place lors de la dissolution de la société [94].

Dès lors, considérer que les opérations relatives aux titres de la société pourraient être visées par l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés revient à nouveau à confondre le patrimoine de la société (composé des apports) et le patrimoine de l'associé (composé des actions et du prix de celles-ci après leur cession). Le fait de dispenser un associé de subir une perte par rapport au prix d'acquisition (par souscription ou achat) de ses titres, au moyen d'un engagement de lui racheter lesdits titres pour un prix déterminé, n'affecte pas l'exposition de la société et des apports au risque de pertes [95].

En outre, appliquer l'article 32 alinéa 2 aux transferts de titres aurait pour effet de dénaturer complètement la notion de pertes selon cette disposition. Nous avons exposé ci-dessus le sens à donner à ce terme, à savoir la perte subie par la “société” (avec ou sans personnalité juridique). Cette perte n'a, le plus souvent, pas de lien avec la perte subie par l'associé, que ce soit dans son principe, dans ses raisons ou dans son ampleur.

Un signe de cette confusion quant à la notion de pertes se retrouve chez ceux qui estiment que le fait pour le bénéficiaire d'une promesse d'achat à prix fixe d'avoir lui-même consenti une promesse de vente, également à prix fixe, le soumet quand même à un risque de perte. En effet expliquent ces auteurs, à cause de la promesse de vente, il perd la chance de retirer de ses actions un prix supérieur au prix fixe de la promesse. Pour cette raison, les options d'achat et de vente croisées ne seraient pas léonines [96]. L'on voit pourtant bien que l'aléa spécifique auquel est soumis l'associé dans cette hypothèse est sans lien nécessaire avec les pertes qui pourraient affecter les apports.

22.La position consistant à considérer comme n'entrant pas dans le champ d'application de l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés les opérations sur titres ne fait pas l'unanimité.

Selon certains, l'acquéreur d'actions existantes “remplacerait” le vendeur, souscripteur initial, dans les droits qu'il avait à raison de son apport et subit les pertes de la société à concurrence de l'apport représenté par ses actions [97].

Nous avons cependant de la peine à voir en quoi ce “remplacement” aurait pour effet de faire du prix payé par l'acheteur au vendeur des “sommes ou effets mis dans le fonds de la société”.

M. Coipel ajoute que le moment auquel un associé acquiert cette qualité d'associé importe peu dès lors que l'on considère que l'article 32 est fondé sur l'idée d'affectio societatis dont tout associé doit à tout moment être pourvu, quel que soit le mode d'acquisition de ses actions. Le rattachement de l'article 32 alinéa 2 à la notion d'affectio societatis est toutefois des plus incertain et les contours et la portée exacte de cette notion sont bien difficiles à cerner [98]. Il nous semble dès lors difficile de préconiser une interprétation extensive de la prohibition des pactes léonins, allant au-delà des termes du texte légal, sur la base de cette notion.

La prise en compte de la “perte” au niveau de l'associé pose en outre des problèmes pratiques. Ainsi, il est possible que, dans la chaîne des vendeurs, l'un d'eux ait déjà perdu tout ou partie de sa mise initiale (c'est-à-dire, dans la conception ici examinée, que ce vendeur a vendu les actions pour un prix inférieur au montant de la souscription ou du prix d'acquisition qu'il avait lui-même payé). Faut-il alors considérer qu'une perte pourrait, par rapport aux mêmes actions, représentant le même apport, être subie plusieurs fois? En outre, quel est le critère pour déterminer s'il y a perte? Comme on l'a vu, le prix payé pour acquérir les actions ne présentera souvent qu'un lien ténu, voire aucun lien, avec le montant de l'apport initial relatif à ces actions. Faudra-t-il alors, si le prix d'acquisition était supérieur au montant de l'apport, limiter l'application de l'article 32 alinéa 2 au montant de l'apport initial? Ainsi, l'acquéreur pourrait se voir consentir par un autre associé une garantie de recouvrement du prix payé pour l'acquisition d'actions à condition que la garantie ne couvre pas le montant de l'apport représenté par les actions cédées [99].

V. Conclusion

En France et en Belgique, la doctrine et la jurisprudence s'efforcent de limiter le champ d'application de la prohibition de dispenser un associé des pertes, prohibition déduite en Belgique de l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés. Cette disposition - dont les raisons d'être sont obscures - est en effet généralement ressentie comme une entrave à la réalisation d'opérations pourtant économiquement justifiées, notamment dans le domaine du capital-investissement. La motivation des décisions rendues en la matière, en ce qu'elle implique notamment que le juge sonde les intentions des parties, n'apporte toutefois pas la sécurité juridique souhaitable. Elle implique par ailleurs toujours que l'on interdise qu'un véritable associé soit dispensé de subir des pertes.

Dans cette mesure, on constate une confusion entre les pertes visées par l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés - qui sont les pertes de la société - et les pertes de l'associé lui-même. Dans le cas des sociétés dotées de la personnalité juridique, les deux types de pertes ne correspondent toutefois pas, sauf dans un nombre limité de cas. Une interprétation correcte de l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés devrait dès lors conduire à limiter son application à des circonstances exceptionnelles sans qu'il soit nécessaire de rechercher une quelconque intention des parties.

Plus fondamentalement, on peut se demander si, même dans le rôle limité qui lui est ainsi reconnu, l'article 32 alinéa 2 du Code des sociétés, se justifie dans les sociétés du XXIème siècle.

[1] Avocats.
[2] Cass. comm. 22 février 2005, Rec. Dalloz 2005, p. 973, J.C.P. - La semaine juridique Entreprise et Affaires 2005, p. 459 et Cass. comm. 27 septembre 2005, Rec. Dalloz 2005, p. 2681.
[3] Comm. Hasselt 17 janvier 2005, T.R.V. 2006, p. 60 et note M. Wyckaert.
[4] Le terme “associé” est utilisé dans cet article dans son acception générique et recouvre donc également celui d'actionnaire.
[5] L'on prévoit le plus souvent que doivent être déduites du prix à payer à l'investisseur les sommes reçues par lui de la société à titre de dividendes ou de remboursement de capital.
[6] Les parties prévoient parfois également une option d'achat (“call option” ou encore “promesse de vente” du point de vue de la partie qui consent le droit) au profit des associés existants. Cette option de vente permet aux associés existants de contraindre l'investisseur à sortir du capital de la société dans certaines circonstances et pour un certain prix. Elle a pour effet de limiter le gain que l'investisseur va retirer de l'opération.
[7] Un problème d'exclusion des bénéfices pourrait également se poser, par exemple en cas d'option d'achat pour un prix fixe égal ou inférieur à la mise initiale. De telles hypothèses se rencontrent toutefois plus rarement dans la pratique. Par ailleurs, la notion de “bénéfice” doit être entendue de manière large et l'investisseur concerné cherche bien chaque fois à retirer un bénéfice de l'opération concernée. Nous n'examinerons pas cet aspect ici.
[8] Sur le fait que la faillite de la société ne constitue pas un obstacle à l'exercice de l'option portant sur ces actions, voy. l'affaire Cellulose des Ardennes ci-dessous et en particulier l'arrêt de la cour d'appel de Liège du 15 septembre 1995, Rev. prat. soc. 1995, p. 416. Dans le même sens en France, Cass. Com. 7 décembre 1993, Dr. Soc. 1994, n° 117.
[9] P.A. Foriers, “Portage et clause léonine (observations sur le champ d'application de l'article 1855 du Code civil)”, in Hommage à Jacques Heenen, Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 163.
[10] Ibid.
[11] M. Coipel, “Réflexions sur le 'portage' d'actions au regard de l'article 1855 du Code civil - Le porteur et le lion”, R.C.J.B. 1989, pp. 580 et s.; M. Coipel, “Encore l'article 1855, alinéa 2, du Code civil: réflexions additionnelles en faveur d'une interprétation renouvelée d'un texte controversé”, R.D.C. 1995, p. 146, nos 24 et s.; P.A. Foriers, o.c., pp. 149 et s.; M. Fajtmann, “La promesse unilatérale d'achat d'actions d'une société anonyme belge au regard des articles 1855 du Code civil et 13ter de la loi sur les sociétés”, Rev. prat. soc. 1993, pp. 69 et s.; C. Bertsch, “De la licéité des options de vente au regard de la prohibition des clauses léonines; un fil conducteur dans l'application de l'article 1855 du Code civil”, Rev. prat. soc. 1995, pp. 439 et s.; M. Duplat, note d'observations sous Cass. 5 novembre 1998, Rev. prat. soc. 1999, pp. 107 et s.; J. Lievens et N. Bonny, “Het verbod van leonijns beding: op zoek naar een houvast”, V.L.F. 1998, pp. 244 et s.; Th. Tilquin et V. Simonart, Traité des sociétés, Diegem, Kluwer, 1996, pp. 419 et s.; M. Wyckaert, “Het leeuwenbeding en de bedoeling van partijen”, Rec. Cass. 1999, pp. 162 et s.; I. Corbisier, “Poursuite des controverses à propos de la notion de clause léonine et les malheurs de l'article 46 L.C.S.C.”, Rev. prat. soc. 1994, pp. 457 et s.; J. Lievens et N. Bonny, “Het verbod van leonijns beding: eindelijk een houvast”, V.L.F. 1999, pp. 43 et s.; D. Van Gerven, “Des conventions de portage de titres - Une analyse adaptée au droit belge”, Rev. prat. soc. 2000, pp. 205 et s.; Ch. Jassogne, “Sociétés léonines, options et partage d'actions”, R.D.C. 1994, pp. 979 et s.
[12] Cette option avait été consentie dans le cadre d'une augmentation de capital de Carlam à souscrire à concurrence de 70% par Hainaut-Sambre et de 30% par CCB. Dans un premier temps, cette dernière n'était toutefois en mesure de souscrire qu'à seulement 20% de cette augmentation. Elle fit alors appel à la SNI qui accepta de souscrire aux 10% restants moyennant la certitude de pouvoir sortir de la société sans subir de perte. Elle se fit dès lors consentir par Cobepa une option de vente des actions ainsi souscrites pour un prix égal au prix de souscription augmenté d'un intérêt. Cobepa n'était pas actionnaire de Carlam mais l'intention était bien que ce soit CCB qui, en définitive, devienne propriétaire des actions objet de l'option de vente. C'est la raison pour laquelle d'une part, Cobepa disposait, vis-à-vis de CCB, d'une option de vente de ces actions au même prix que celui auquel elle les avait acquises, et d'autre part, CCB disposait d'une option d'achat vis-à-vis de Cobepa.
[13] Il fut notamment considéré que Cobepa n'était que le prête-nom de CCB.
[14] Bruxelles 3 décembre 1986 et note Coipel; Rev. prat. soc. 1987, p. 45 et note D. Van Gerven. Cette décision confirme Comm. Bruxelles 6 janvier 1982, Rev. prat. soc. 1982, p. 58.
[15] Sent. arb. 24 février 1992, T.R.V. 1993, p. 259.
[16] Comm. Nivelles 16 avril 1992, T.R.V. 1993, p. 253. Outre le fait qu'à concurrence de 10% du prix de souscription, la SRIW ne bénéficiait pas d'une garantie, le tribunal a également tenu compte du fait que l'apport n'était pas rémunéré par des intérêts, de sorte qu'une perte potentielle était la privation des revenus normaux des fonds.
[17] Comm. Bruxelles 13 mai 1996, T.R.V. 1997, p. 177.
[18] À noter également le jugement du tribunal de première instance de Gand du 6 février 1998, qui estime contraires à l'art. 1855 du Code civil des options de vente et d'achat entre associés. Ces options ont toutefois été convenues dans un contexte très différent de celui d'un investissement et il semble que ce soit surtout la constatation de ce que l'un des associés était privé de tous les bénéfices qui a justifié l'annulation (Civ. Gand 6 février 1998, R.W. 1998-99, p. 1047).
[19] Encore appelée “affaire Torraspapel”.
[20] Comm. Namur 14 septembre 1994, J.L.M.B. 1995, p. 801.
[21] Liège 15 septembre 1995, Rev. prat. soc. 1995, p. 416.
[22] Cass. 5 novembre 1998, Rev. prat. soc. 1999, p. 79, avec l'avis conforme du ministère public et les observations de M. Duplat.
[23] I. Corbisier, o.c., pp. 461 et s.
[24] M. Duplat, o.c., pp. 107 et s.; C. Bertsch, o.c., p. 439.
[25] C. Bertsch, o.c., p. 450.
[26] Cf. infra n° 12 et 13.
[27] Comm. Hasselt 17 janvier 2005, T.R.V. 2006, p. 60 et note M. Wyckaert. D'après la note, un appel a été interjeté à l'encontre de cette décision.
[28] Nous ne savons pas si cet argument a été invoqué et si les circonstances s'y prêtaient véritablement. Le prix garanti étant tellement plus élevé que le prix initial, il permettait de recouvrer la totalité de ce prix initial bien qu'il ne portât que sur une partie des actions acquises.
[29] Y. Chartier, “La société dans le Code civil après la loi du 4 janvier 1978”, La semaine Juridique 1978, Doctrine, 2917, n° 152.
[30] P. Soumrani, Le portage d'actions, Paris, L.G.D.J., 1996, pp. 450 et s.; D. Vidal et S. Antipolis, note sous CA Paris 15 septembre 2000, Droit des sociétés - Éditions du Juris-Classeur décembre 2000, p. 19.
[31] Cass. comm. 20 mai 1986, Rev. soc. 1986, p. 587.
[32] Cass. comm. 19 mai 1992, Dr. soc. 1992, n° 209.
[33] D. Randoux, note sous Cass. comm. 20 mai 1986, Rev. soc. 1986, pp. 592-593.
[34] F. Kendérian, “La contribution aux pertes sociales”, Rev. soc. 2002, p. 634; Soumrani, o.c., p. 462.
[35] N. Mathey, “Promesse d'achat d'actions, prix plancher et clause léonine” (note sous Cass. comm. 16 novembre 2004), Bull. Joly Soc., p. 278.
[36] Cass. comm. 24 mai 1994, Rev. soc. 1994, p. 708.
[37] Cass. comm. 19 octobre 1999, J.C.P. 1999, p. 2067; Cass. comm. 12 mars 1996, Droit des sociétés - Éditions du Juris-Classeur 1996, n° 94.
[38] Voy. notamment CA Paris 17 avril 1996, Rev. Soc. 1996, p. 774; CA Paris 21 décembre 2001, Bull. Joly 2002, p. 500; CA Paris 15 septembre 2000, Droit des sociétés - Éditions du Juris-Classeur 2000, p. 18.
[39] F.-X. Lucas, note sous CA Paris 15 septembre 2000, Droit des sociétés - Éditions du Juris-Classeur 2001, p. 19; G. Kessler, note sous Cass. comm. 22 février 2005, Rec. Dalloz 2005, p. 974.
[40] A. Couret, “Panorama de l'actualité jurisprudentielle en droit des sociétés”, in Le droit des sociétés pour 2005, Dalloz, 2005, p. 519.
[41] CA Paris 15 septembre 2000, Droit des sociétés - Éditions du Juris-Classeur 2000, p. 18.
[42] Cass. comm. 16 novembre 2004, Bull. 2004, IV, n° 197, p. 224.
[43] J.-J. Caussain, F. Deboissy et G. Wicker, “Chronique - Sociétés (en général) - Droit des sociétés”, J.C.P. 2005, p. 123; D. Vidal, note sous CA Paris 15 septembre 2000, Droit des sociétés - Éditions du Juris-Classeur 2000, p. 19; A. Couret, o.c., p. 519.
[44] M. Massart, “Vive le capital-risque sans risque”, Bull. Joly Soc. 2002, p. 501.
[45] F.-X. Lucas, Les transferts temporaires de valeurs mobilières. Pour une fiducie des valeurs mobilières, Paris, L.J.D.G., 1997, nos 283 et s.
[46] I.R., note sous Cass. comm. 27 septembre 2005, Banque & droit 2006, p. 59; F.-X. Lucas, note sous CA Paris 15 septembre 2000, Droit des sociétés - Éditions du Juris-Classeur 2001, p. 19.
[47] F.-X. Lucas, Les transferts temporaires de valeurs mobilières. Pour une fiducie des valeurs mobilières, o.c., nos 309 et s.
[48] N. Mathey, o.c., p. 274; T. Massart, “Vive le capital-risque sans risque” (note sous CA Paris, 21 décembre 2001), Bull. Joly Soc. 2002, p. 505.
[49] Le CRD (Consortium De Réalisation) est un organisme public chargé de la gestion et de la réalisation des participations détenues par l'État français.
[50] CA Paris 21 décembre 2001, Bull. Joly Soc. 2002, p. 500.
[51] Cass. comm. 27 septembre 2005, Rec. Dalloz 2005, p. 2681.
[52] P.-A. Foriers, o.c., pp. 159 et s. Voyez également le jugement du tribunal de commerce de Nivelles du 16 avril 1992 (note 16 di-dessus), qui identifie, à côté de l'actionnaire de type classique et du simple bailleur de fonds, l'actionnaire animé d'un 'animus societatis'”provisoire mais néanmoins réel”.
[53] M. Foriers estime cependant que devraient être sanctionnées sur la base de l'art. 32 al. 2 du Code des sociétés les conventions par lesquelles un investisseur accepte de réaliser un apport au profit d'une société tout en se réservant une porte de sortie en cas de perte. Contrairement à la première hypothèse, cet investisseur aurait la volonté de devenir un réel actionnaire de la société, sans toutefois courir les risques y attachés. Cette volonté pourrait notamment être établie par la circonstance que les autres actionnaires ne bénéficient pas d'une option d'achat, seule une option de vente étant prévue dans le contrat.
[54] Cass. comm. 22 février 2005, Rec. Dalloz 2005, p. 973, J.C.P. - La semaine juridique Entreprise et Affaires 2005, p. 459.
[55] H. Hovasse, note sous Cass. comm. 22 février 2005, J.C.P. - La semaine juridique Entreprise et Affaires 2005, p. 1029; G. Kessler, note sous Cass. comm. 22 février 2005, Rec. Dalloz 2005, p. 975.
[56] Sauf à considérer que, dans le cas où la société serait dissoute avant le début de la période d'exercice de l'option, le débiteur de l'engagement d'achat peut faire valoir que la promesse d'achat est caduque à défaut d'objet. Dans cette hypothèse spécifique, le bénéficiaire de l'option court donc un risque lié aux affaires de la société. Comp., pour le cas de la faillite, note 8 supra.
[57] H. Le Nabasque, note sous Cass. comm. 22 février 2005, Rev. Soc. 2005, p. 593.
[58] Un auteur, ayant constaté que l'art. 1855 al. 2 se préoccupait du sort des “sommes et effets mis dans le fonds social” et non du sort des associés a fait valoir, au motif principal que ce texte concerne les relations entre associés, qu'il faudrait le comprendre comme visant en réalité “la contribution aux pertes pesant sur les associés à raison de leur apport” (M. Coipel, “Réflexions…”, o.c., p. 563). Cette reformulation de cette disposition - que rien ne nous paraît justifier - ne modifie pas notre analyse: les associés ne sont jamais tenus qu'à raison de leur apport.
[59] Th. Tilquin et V. Simonart, o.c., n° 542; M. Coipel, “Réflexions…”, o.c., p. 561, n° 10.
[60] V. Thiry, Cours de droit civil, T. IV, 1893, n° 130. Laurent a une conception plus restrictive des pertes, qui suppose que l'intégralité des apports soit absorbée par les pertes, ce qui ne nous paraît pas correct: “Il n'y a de perte dans le sens légal que lorsqu'il y a déficit, le fonds social ne suffisant pas pour payer les dettes.” (Laurent, o.c., n° 292, p. 302).
[61] Th. Tilquin et V. Simonart, o.c., n° 545, qui confirment que l'intention des rédacteurs du Code civil était bien de voir se dégager la perte ou le bénéfice à la dissolution de la société. Il n'était d'ailleurs pas à l'époque question de comptabilité pour les sociétés civiles qui aurait permis de constater périodiquement une telle perte. Sur la “société” considérée par le législateur de 1804, voy. ci-dessous, n° 19.
[62] M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, T. 2, Paris, 1923, n° 1958.
[63] Th. Tilquin et V. Simonart, o.c., n° 578.
[64] Comp. Th. Tilquin et V. Simonart, o.c., n° 578 in fine.
[65] Seule la société elle-même serait en effet en mesure d'affranchir certains de ses actifs des pertes, au profit d'un associé, par exemple en affectant prioritairement ses autres actifs à l'apurement des pertes. Une telle garantie impliquerait en pratique que les autres associés soient tenus de combler les pertes de la société afin de lui permettre d'effectuer la restitution de l'actif exempté des pertes.
[66] Étant entendu qu'il doit être tenu compte non seulement du prix de cession mais également des dividendes ou remboursements éventuellement reçus par l'associé lorsqu'il détenait la participation. En outre, diverses circonstances pourraient faire que malgré une perte purement financière, l'opération ne constitue en réalité pas une perte (p. ex., possibilité grâce à la participation, de créer des alliances, de réaliser des économies, etc.).
[67] La dichotomie entre les pertes de l'associé et celles de la société est la plus flagrante dans le cas des sociétés cotées en bourse, où la hausse ou la baisse du cours (et donc le gain ou la perte de l'associé qui cède sa participation) repose notamment sur de multiples facteurs externes (tels que par exemple l'orientation des taux d'intérêts).
[68] C'est cette situation que visaient d'ailleurs spécifiquement certains des commentateurs plus anciens du Code civil: “(L'article 1855) signifie que l'on ne peut convenir que la mise d'un associé lui sera restituée à la fin de la société sans qu'elle doive contribuer aux dettes existantes alors; il signifie que l'associé doit toujours y contribuer sur sa mise, sur son apport; car si cet apport devait lui être restitué dans tous les cas, il n'aurait que les chances de gain, sans aucune chance de perte” (Thiry, o.c., n° 132, in fine). Voy. également Malepeyre et Jourdain, Traité des sociétés commerciales, Bruxelles, 1836, p. 67.
[69] Pour cette raison, nous pensons que c'est à juste titre que la Cour de cassation française et certains auteurs ont considéré que la société elle-même ne constitue pas un tiers et est également visée par la prohibition de pactes léonins, malgré le titre sous lequel l'art. 32 (et avant lui l'art. 1855) se trouve (Cass. (civ.) 22 juillet 1986, Bull. 1986, I, 1°, 224, p. 213; L. Assaya, “Validité des opérations. L'equity-swap au regard de la prohibition des pactes léonins”, Banque et Droit mars-avril 2002, p. 26).
[70] Concrètement, si un associé apporte un immeuble à une société revêtue de la personnalité morale, cela signifie que les associés ne pourraient convenir que l'associé en question pourra recouvrer son immeuble, quelles que soient les pertes de la société, ce qui pourrait aller jusqu'à imposer aux autres associés de combler les pertes de la société pour permettre à celle-ci de restituer l'immeuble. Par contre, il ne serait pas interdit que les associés puisent dans leur propre patrimoine pour verser à l'associé bénéficiant de la garantie une somme équivalente à l'immeuble englouti par les pertes. L'immeuble aurait bien été exposé aux pertes, mais l'associé qui l'avait apporté aura été indemnisé. La question paraît plus délicate lorsque l'apport consiste en espèces (ou autres choses de genre). Les espèces sont en effet interchangeables, de sorte qu'obtenir de ses associés qu'ils paient eux-mêmes une indemnité d'un montant équivalent à l'apport en société serait fort semblable à un remboursement par la société elle-même. Nous pensons cependant qu'il n'y a pas de raison de distinguer dans le cas de l'apport en espèces: s'il s'agit d'une indemnisation, par un associé ou par un tiers, les actifs apportés ont bien subi les pertes et l'art. 32 al. 2 n'est pas méconnu.
[71] Lorsque l'indemnisation émane non pas d'un associé mais d'un tiers, elle est unanimement admise, au motif que l'art. 32 al. 2 figure dans le titre des engagements des associés entre eux. Ce tiers peut être un proche des associés (p. ex. une société liée à celui-ci), ou de la société, la seule condition étant qu'il n'y ait pas simulation (M. Fajtmann, o.c., p. 81; D. Van Gerven, o.c., p. 221; P. Van Ommeslaghe et X. Dieux, “Les sociétés commerciales. Examen de jurisprudence (1979-1990)”; I. Lebbe, o.c., p. 20). L'on aperçoit mal la logique qu'il y a à permettre à un tiers de faire ce qui serait interdit à un associé. Pour l'associé qui bénéficie d'une garantie contre les pertes qu'il subirait, le fait que la garantie émane d'un autre associé ou d'un tiers est indifférent.
[72] T. Massart, “Vive le capital-risque sans risque”, Bull. Joly Soc. 2002, pp. 507-508. Nous pensons cependant que le critère exact est l'absence ou non de personnalité juridique et donc le transfert ou non de la propriété de l'apport. Si la société est à risque illimité mais a une personnalité juridique distincte, l'apport à cette société est soumis aux pertes, même si l'associé reste responsable au-delà de son apport.
[73] Malgré les nombreuses controverses auxquelles cette disposition a donné lieu, les rédacteurs du Code des sociétés se sont limités à mentionner qu'il s'agissait d'une reprise de l'art. 1855 du Code civil, sans autre forme de justification. On peut douter qu'il y ait là une véritable intention.
[74] De Page, Traité, T. v., 2ème éd., n° 1, p. 10.
[75] Baudry-Lacantinerie, Traité théorique et pratique de droit civil, 3e éd., 1907, t. XXIII, p.10.
[76] Il s'agit de la prohibition de la clause léonine au sens strict, de la “societas leonina”, par allusion à la fable du lion qui, ayant fait une société avec d'autres animaux pour aller à la chasse, s'empara seul de toute la proie (Laurent, Principes de droit civil, 1878, T. 26, p. 297, n° 285).
[77] “Il est de l'essence du contrat de société que les parties se proposent, par le contrat, de faire un gain ou un profit dans lequel chacun des associés puisse espérer avoir une part à raison de ce qu'il apporte à la société. C'est pourquoi si, par le contrat d'une prétendue société, il était convenu que le profit appartiendrait en entier à l'une des parties contractantes, sans que l'autre y pût prétendre de part en aucun cas, une telle convention ne serait pas un contrat de société, et elle serait nulle comme manifestement injuste.” (Pothier, De la société, n° 12).
[78] Laurent, o.c., pp. 300-301; comp. Th. Tilquin et V. Simonart, o.c., n° 566.
[79] Pour le droit romain, voy. notamment J. -E. Spruit, Cunabula iuris, Elementen van het Romeinse privaatrecht, Kluwer, 2003, 2e éd., pp. 335-336.
[80] Pothier, De la société, n° 12. Dans sa première version, le projet de Code civil ne consacrait d'ailleurs pas l'interdiction de la dispense de contribution aux pertes. Ce n'est que dans une version ultérieure du projet du Code civil que la dispense de la contribution aux pertes fut apparemment mise sur le même pied que la privation des bénéfices. Cette addition par rapport au projet de texte initial ne fut pas expliquée par les rédacteurs du Code civil.
[81] Les examinateurs attentifs de la genèse de l'art. 1855 al. 2 du Code civil, concluent d'ailleurs qu'en fin de compte, rien ne permet de considérer que les auteurs du Code civil ont entendu rompre radicalement avec la tradition rapportée notamment par Pothier et condamner toute clause du contrat de société exonérant un des associés des pertes. (P.-A. Foriers, o.c., pp. 153-154; Th. Tilquin et V. Simonart, o.c., p. 426; voy. aussi M. Coipel, “Réflexions…”, o.c., p. 559). Dans ce contexte, l'on rappellera que l'interprétation donnée par certains au Code civil dans son ensemble est que les dispositions de l'ancien droit ne doivent être considérées comme abrogées par le Code civil que lorsqu'elles se révèlent totalement inconciliables (M.-F. Renoux-Zagamé, “Additionnel ou innovatif? Débats et solutions des premières décennies de mise en oeuvre du Code civil”, in Droits, Revue française de théorie, de philosophie et de culture juridiques, n° 41, Esprit du Code civil 2005, p. 30).
[82] Voy. les auteurs cités par Laurent, o.c., p. 301, ainsi que Arntz, Cours de droit civil français, Bruxelles-Paris, 1880, pp. 80-81; Malepeyre et Jourdain, Traité des sociétés commerciales, Bruxelles, 1836, p. 67; P.A. Foriers, o.c., pp. 153 et 154.
[83] Laurent, o.c., pp. 300-301. Dans ce sens également, De Page, Traité, T. V, 2ème éd., n° 69; L. Simont, “L'égalité entre les actionnaires de la société anonyme”, Rev. prat. soc. 1997, p. 240; P. Van Ommeslaghe et X. Dieux, o.c., p. 605, n° 13; Fredericq, Traité de droit commercial belge, T. IV, 1950, p. 117.
[84] Certains ont précisé à cet égard que la prohibition de la dispense des pertes serait liée aux concepts de jus fraternitatis et d'affectio societatis, qui constitueraient également des éléments essentiels du contrat de société (Van Ryn et Heenen, Principes, T. I, Bruxelles, Bruylant, 1ère éd., 1954, n° 337; D. Van Gerven, o.c., p. 220; J. Van Ryn et P. Van Ommeslaghe, “Les sociétés commerciales. Examen de jurisprudence (1961-1965)”). La référence à ces concepts - qui sont une construction plus récente de la doctrine - nous paraît toutefois ne rien ajouter (voy. Th. Tilquin et V. Simonart, o.c., pp. 427 et s.).
[85] Cette disposition reprend l'ancien art. 1832 du Code civil qui ne faisait pas non plus référence aux pertes. Il en va autrement en droit français où la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 a modifié l'art. 1832 du Code civil français définissant la société, lequel stipule désormais que Les associés s'engagent à contribuer aux pertes. Selon certains auteurs français, cet ajout n'était pas une innovation mais la confirmation d'une règle implicite préexistante. La volonté de contribuer aux pertes éventuelles serait, comme celle de partager les bénéfices éventuels, un élément essentiel de la société (F. Kendérian, “La contribution aux pertes sociales”, Rev. soc. 2002, pp. 618 et 619).
[86] L'on sait que le terme “bénéfice” doit ici être entendu dans le sens large d'un avantage quelconque retiré par les associés.
[87] Dans ce sens, Malepeyre et Jourdain, o.c., p. 67; P.-A. Foriers, o.c., p. 154; I. Lebbe, “Commentaire de l'art. 32 C. soc.”, in Commentaire systématique du Code des sociétés, …, p. 18, note (1); Comm. Namur 14 septembre 1994, o.c., p. 801. Voy. Th. Tilquin et V. Simonart, o.c., n° 553, pp. 410-412.
[88] Laurent, o.c., n° 155, p. 155, citant Gillet.
[89] L'on citera notamment l'art. 46 al. 1er, 3° de la loi du 26 mars 1999 relative au plan d'action belge pour l'emploi 1998 et portant des dispositions diverses, l'art. 55 de la loi du 31 juillet 1984 de redressement et l'art. 615 du Code des sociétés.
[90] Un autre élément est le fait que le régime des bénéfices et celui des pertes, prévus par l'art. 32 du Code des sociétés, sont différents. En effet, l'attribution à un associé de la totalité des bénéfices est toujours prohibée quelle que soit la nature des apports. Au contraire, l'exonération des pertes n'est interdite qu'en ce qui concerne “les sommes ou effets mis dans le fonds de la société”, c'est-à-dire les apports en espèces ou en nature, à l'exclusion des apports en industrie. Il résulte donc de l'art. 32 lui-même qu'une société peut valablement exister bien que l'associé qui n'a fait qu'un apport en industrie (et qui n'en est pas moins un associé) soit totalement dispensé des pertes.
[91] La définition de la société en droit néerlandais ne mentionne pas les pertes. Les articles 7:815-4 (pour la vennootschap) et 7:1672-2 (pour la maatschap) du Code civil néerlandais permettent expressément d'exonérer un associé de toutes les pertes.
[92] Ou, de manière générale, par un autre mode d'acquisition que la souscription, tel que la donation, la succession, la prescription acquisitive, etc.
[93] P. Van Ommeslaghe et X. Dieux, o.c., 1992, p. 609.
[94] En ce sens également, J. Lievens et N. Bonny, o.c., p. 46.
[95] À ce titre, de telles opérations sur titres nous paraissent en outre constituer en principe des contrats étrangers au contrat de société. Or, même si l'art. 32 al. 2 s'applique non seulement aux clauses contenues dans le contrat de société lui-même mais également à celles insérées dans un “pacte adjoint”, un lien doit exister entre cette convention et la société pour que la clause soit visée par l'art. 32. Comme Monsieur Tilquin et Madame Simonart, ainsi qu'une partie de la doctrine française, l'indiquent: “Il faut dès lors distinguer les rapports entre associés qui découlent du contrat de société, éventuellement complété par des conventions extérieures, et les rapports personnels qu'ils peuvent entretenir en vertu d'une autre convention” (o.c., p. 442).
[96] I. Corbisier, o.c., p. 460; D. Schmidt, note sous Paris 30 octobre 1976, I. 1977, p. 705. Voy. Liège 15 septembre 1995, Rev. prat. soc. 1995, p. 428.
[97] M. Coipel, “Encore l'article 1855, alinéa 2, du Code civil”, o.c., p. 143, n° 19; voy. également I. Corbisier, o.c., p. 459; Ch. Jassogne, o.c., p. 982.
[98] Outre que ce concept d'affectio societatis est bien étranger à de nombreuses situations au sein des sociétés modernes. Où est l'affectio societatis de l'investisseur qui acquient des actions d'une société cotée et qui attend avec impatience que le cours monte afin de les revendre?
[99] Par exemple, si le prix d'achat des actions est de € 100 et que ces actions représentent 50% d'un capital de € 20, soit € 10, l'acquéreur pourrait se voir garantir uniquement le remboursement de € 90, ce montant ne représentant en tous cas aucun apport dans la société. Si le prix avait été de € 10 ou inférieur à € 10, l'acquéreur n'aurait pu obtenir aucune garantie.