Cour d'appel de Liège 30 novembre 2004
CONCESSION DE VENTE EXCLUSIVE
Résiliation de la concession à durée indéterminée - Indemnité compensatoire de préavis - Concession déficitaire représentant 15% du chiffre d'affaires du concédant et ayant duré 62 ans - Indemnité de clientèle - Frais de licenciement du personnel
Dès lors que les difficultés rencontrées par le concessionnaire semblent trouver leur cause dans une réduction tardive des frais fixes eu égard à la baisse du chiffre d'affaires de l'entreprise, il n'est pas établi que la concession litigieuse, représentant 15% du chiffre d'affaires de l'entreprise, était intrinsèquement déficitaire.
En toute hypothèse, le préavis de 30 mois auquel le concessionnaire pouvait prétendre lui aurait permis de faire face à une partie de ces frais fixes.
Ce n'est pas parce que l'activité exercée par un concessionnaire est déficitaire que la clientèle développée par celui-ci ne présente pas une valeur intrinsèque pour le concédant.
Le fait que la fin de la concession litigieuse ait contribué à la dégradation progressive des résultats de l'entreprise sans en être toutefois le seul facteur déterminant ne suffit pas à établir un lien de causalité certain entre la résiliation de la concession et le licenciement du personnel qui interviendra dans le cadre de la liquidation de l'entreprise du concessionnaire.
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ALLEENVERKOOP
Concessie voor onbepaalde tijd - Beëindiging - Opzeggingsvergoeding - Deficitaire concessie 15% van het zakencijfer van concessiegever - Termijn 62 jaar - Vergoeding cliënteel - Kosten ontslag personeel
Het is niet bewezen dat de concessie die 15% vertegenwoordigt van het zakencijfer van de onderneming intrinsiek verlieslatend is. De moeilijkheden van de concessiehouder vinden hun oorsprong in het laattijdig verminderen van de vaste kosten.
In ieder geval, de opzeg van 30 maanden waarop de concessiehouder aanspraak kon maken, zou hem de mogelijheid hebben geboden om het hoofd te bieden aan een deel van die vaste kosten.
Het verlieslatende karakter van de activiteit van de concessiehouder betekent niet dat het cliënteel geen intrinsieke waarde heeft voor de concessiegever.
Het bewijs van het oorzakelijke verband tussen enerzijds de beëindiging van de concessie en anderzijds het ontslag van het personeel van de onderneming is niet geleverd nu beëindiging enkel bijdroeg tot een progressieve vermindering van de ondernemingsresultaten zonder er echter de enige oorzaak van te zijn.
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Leica Mikrosysteme GmbH / SA Importation Bodson
Siég.: R. de Francquen (président), M. Ligot et A. Jacquemin (conseillers) |
Pl.: Mes Fesler, A. Gutermann et J.-L. Brandenberg, P. Crahay |
1. | Indemnité compensatoire de préavis |
Attendu que l'appelante soutient que la “prétendue concession était déficitaire (et) qu'au vu des faits de la cause, la concession serait restée déficitaire pendant la période de préavis à laquelle le concessionnaire aurait pu prétendre”; qu'elle en tire la conclusion qu'aucune indemnité n'est due “en ce que, dans l'hypothèse où un préavis aurait été presté par Bodson, cette dernière n'aurait enregistré que des pertes quant à l'exploitation de la concession alléguée” (conclusions après expertise, p. 7);
(...)
Attendu qu'il n'est pas établi que la concession litigieuse qui ne constituait qu'une faible partie des activités de l'intimée (15,5% des ventes; rapport, pt. 4.1, p. 5) était déficitaire; qu'en effet, l'expert s'est trouvé dans l'impossibilité de réaliser une analyse suffisamment fine lui permettant de vérifier si la concession Reichert, était ou non déficitaire:
“En l'absence de comptabilité analytique d'une part, eu égard au fait que le personnel participait à l'exploitation de l'ensemble des produits vendus par Bodson d'autre part, nous avons estimé raisonnable, de considérer les charges de personnel et autres charges indirectes comme se rapportant à l'activité Reichert au prorata des chiffres respectifs” (rapport, pt. 4.2., al. 2, p. 5);
Que rien ne permet de considérer que la concession Reichert était intrinsèquement déficitaire et qu'il semble bien que la cause des difficultés que la société a connues à partir de l'année 1991 est la conséquence d'une réduction tardive des frais fixes eu égard à la baisse du chiffre d'affaires de l'entreprise;
Qu'en toute hypothèse, le préavis de trente mois à laquelle l'intimée avait droit lui aurait permis de faire face à une partie de ces frais fixes; que l'intimée est donc fondée à réclamer le paiement d'une indemnité compensatoire de préavis;
Attendu que le reproche fait à l'expert d'avoir refusé de prendre pour base de calcul des frais compressibles et/ou incompressibles les rémunérations de l'année 1995 n'est pas fondé dans la mesure où “le droit à indemnisation pouvant résulter de la rupture unilatérale d'une convention naît et se détermine dès la notification de la volonté de rupture par l'une des parties” (Cass. 25 mars 1976, Pas. 1976, I, 824; T.P.D.C., tome 2, n° 947); qu'il n'y a dès lors pas lieu de tenir compte d'un élément qui est postérieur à la notification de la résiliation;
Attendu que l'appelante considère encore que “doivent être retranchées des frais incompressibles et versées dans les frais variables les commissions sur vente versées à certains membres du personnel” (conclusions après expertise, pt. 3°, p. 6); que cette remarque ne saurait être suivie; qu'il est constant en effet que ces commissions étaient payées avant la résiliation du contrat; qu'elles auraient également dû l'être durant la période de préavis qui aurait dû être accordée à l'intimée pour lui permettre de retrouver une concession de nature équivalente;
(...).
2. | Indemnité de clientèle |
Attendu qu'il a déjà été rappelé que la preuve n'était pas faite que la concession était déficitaire;
Qu'il faut ajouter que “Ce n'est pas parce que l'activité exercée par un concessionnaire est déficitaire que la clientèle développée par celui-ci ne présente pas une valeur intrinsèque pour le concédant” (Kileste et Hollander, “Examen de jurisprudence”, R.D.C. 2003, n° 110, p. 443);
Attendu que l'appelante soutient que la preuve ne serait pas faite de l'apport d'une clientèle développée par l'intimée qui lui serait demeurée acquise; qu'elle souligne que “les objets faisant l'objet de la prétendue concession n'ont aucun caractère récurrent” (conclusions après expertise, p. 8);
Que la preuve de l'apport de la clientèle et de son acquisition par le concédant après la rupture peut être rapportée par toutes voies de droit et par présomptions;
Qu'il y a apport notable de clientèle lorsque celle-ci a été, comme c'est le cas en l'espèce, intégralement constituée par le concessionnaire ou lorsqu'il a été le premier à avoir distribué les produits concédés dans un territoire concédé (Kileste et Hollander, “Examen de jurisprudence”, R.D.C. 1993, n° 73, p. 72);
Que parmi les indices d'acquisition de la clientèle par le concédant, il est permis de retenir l'arrêt de toute activité par le concessionnaire après la fin de la concession (Kileste et Hollander, “Examen de jurisprudence”, R.D.C. 1998, n° 92, p. 34); qu'en l'espèce, “l'analyse du chiffre d'affaires de 1995 (par l'expert) montre que les ventes ne se sont pas poursuivies avec les clients Reichert en substituant d'autres marques aux produits Reichert: aucun ultramicrotome n'a été vendu et les ventes en microscopes Euromex et Meiji n'ont représenté respectivement que 121.125 et 378.390 FB alors que les ventes de microscopes Meiji se chiffraient déjà à 378.514 FB en 1993” (rapport d'expertise, pt. 4.6, p. 7);
Que s'il est exact que les produits distribués par Leica ne sont pas fréquemment remplacés, il reste que c'est pendant 62 ans que Bodson a créé et développé en Belgique un marché qui n'a pas disparu avec la fin de la concession et qui est nécessairement resté acquis à Leica;
Qu'il y a donc bien une plus-value notable de clientèle apportée par le concessionnaire et restant acquise au concédant;
Que la clientèle étant un actif dont la valeur est fonction de son aptitude à produire des bénéfices, il convient de tenir compte du bénéfice brut que cette clientèle a engendré;
Que compte tenu de l'importance de cette clientèle fidélisée durant 62 années, la plus-value de clientèle peut être estimée à 1,5 fois le bénéfice brut tel que calculé par l'expert sur la période 1991 à 1993 soit (1,5 x 4.912.000 FB =) 182.647,95 euros.
3. | Indemnités pour rupture de personnel |
Attendu qu'il a été rappelé dans l'arrêt du 18 février 2000 (p. 6) que “seuls les travailleurs dont le licenciement est la conséquence nécessaire de la perte de la concession entrent en ligne de compte”;
Que l'intimée fait valoir que “la loi ne fixe aucune limite dans le temps entre la perte de la concession et le licenciement du personnel”;
Attendu qu'à la question de dire s'il existe un lien de causalité certain entre la fin de la concession Reichert (au 31 décembre 1994) et la mise en liquidation de l'intimée le 27 février 1996 (dossier B., pièce 19), l'expert a répondu que “la perte de (cette) concession a participé à la dégradation progressive des résultats de l'entreprise sans en être toutefois le seul facteur déterminant” (pt. 11.5, p. 23);
Que cela ne suffit pas pour qu'il puisse être soutenu qu'il existe un lien de causalité certain entre la résiliation de la concession et le licenciement du personnel qui interviendra dans le cadre de la liquidation de la société intimée;
Qu'en effet, s'il peut être admis qu'un concessionnaire qui désire retrouver une ou plusieurs concessions équivalentes et espère pouvoir poursuivre l'exploitation de son entreprise, ne licencie pas le personnel nécessaire à la poursuite de cette exploitation avant de devoir constater l'impossibilité d'une telle reconversion, il reste que l'intimée reconnaît elle-même qu'“il était extrêmement difficile, et même pratiquement impossible, pour Bodson d'introduire de nouveaux instruments concurrents des instruments qu'elle avait représentés pendant près de 63 ans auprès de sa clientèle” (conclusions additionnelles après expertise, p. 14);
Que l'intimée ne rapporte pas la preuve de l'existence de circonstances objectives l'ayant conduite à retarder la notification du congé à une partie de son personnel;
Qu'elle avait pourtant en tant que gestionnaire normalement prudente l'obligation de limiter son dommage et de réduire son personnel pour tenir compte de la perte irrémédiable du marché lié à la concession litigieuse; qu'elle n'en a rien fait;
Que la décision de l'intimée de ne procéder à aucun licenciement après la fin de la concession Reichert correspond à un choix économique que l'intimée a fait en connaissance de cause; que ce choix s'explique par le fait que “le personnel participait à l'exploitation de l'ensemble des produits vendus par Bodson” (rapport pt. 4.2., p. 5) tandis qu'il faut souligner également la diminution constante depuis l'année 1991 de la part des ventes des produits Reichert dans le total des ventes réalisées par l'entreprise (rapport, pt. 4.1., p. 5);
Qu'il n'y a pas de lien de causalité entre le licenciement de l'ensemble du personnel de l'entreprise effectué dans le cadre de la liquidation et la résiliation de la concession Reichert; que l'intimée aurait dû procéder, sans attendre fin 1994 et au plus tard au début de l'année 1995, au licenciement d'un ou deux membres de son personnel pour tenir compte de la perte de cette concession, ce qu'elle n'a pas fait et ce qui la prive du droit de réclamer une partie des coûts engendrés par les licenciements intervenus postérieurement correspondant à la quote-part des produits Reichert dans son chiffre d'affaires;
Qu'il ne lui sera alloué aucune indemnité à titre de dédits dus au personnel licencié;
(…)
Dispositifs conforme aux motifs.