Article

Cour d'appel Bruxelles, 23/01/2004, R.D.C.-T.B.H., 2005/9, p. 942-944

Cour d'appel de Bruxelles 23 janvier 2004

PRATIQUES DU COMMERCE
Recours civils spécifiques - Action en cessation - Concurrence parasitaire - Faute contractuelle d'un franchisé - Compétence du juge en cessation
Le fait que les actes contraires aux usages honnêtes en matière commerciale, qui sont reprochés au franchisé, puissent éventuellement constituer aussi des fautes contractuelles, ne prive pas le franchiseur de la possibilité d'agir en cessation.
PRATIQUES DU COMMERCE
Usages honnêtes - Actes contraires aux intérêts de commerçants - Détournement de clientèle par confusion - Concurrence parasitaire - Franchise - Poursuite par le franchisé après la fin du contrat de franchise d'une activité analogue
Un franchiseur ne peut s'opposer à l'exploitation de ses idées et stratégies commerciales par des concurrents, au seul motif que la clientèle pourrait établir un lien entre les établissements franchisés et les établissements concurrents, notamment en en comparant les mérites respectifs.
Le franchiseur peut s'opposer à la copie fidèle et servile de tout ou partie des éléments essentiels, concrets et vérifiables qui font l'originalité de sa stratégie commerciale et des établissements franchisés dans la mesure où une telle pratique est susceptible d'induire le public en erreur sur l'appartenance de l'établissement au système de distribution mis en place et de porter préjudice à l'image et à l'intégrité du réseau.
HANDELSPRAKTIJKEN
Bijzondere burgerlijke rechtsvorderingen - Vordering tot staking - Parasitaire mededinging - Contractuele fout in hoofde van de franchisenemer - Bevoegdheid van de stakingsrechter
De franchisegever kan de stakingsrechter vatten voor daden die in hoofde van de franchisenemer niet alleen in strijd zijn met de eerlijke handelsgebruiken maar ook contractuele tekortkomingen uitmaken.
HANDELSPRAKTIJKEN
Eerlijke handelsgebruiken - Handelingen in strijd met de belangen van de handelaars - Afwending cliënteel door verwarring - Parasitaire mededinging - Franchiseovereenkomst - Uitoefening door de franchisenemer van een analoge activiteit na de beëindiging van de overeenkomst
De franchisegever kan zich niet verzetten tegen de ontwikkeling door een concurrent van zijn ideeën en handelsstrategieën door te stellen dat het cliënteel een band kan leggen tussen zijn vestigingen en deze van de concurrent, door het vergelijken van hun respectievelijke eigenschappen.
De franchisegever kan zich niet verzetten tegen een getrouwe en slaafse weergave, geheel of gedeeltelijk, van de essentiële, concrete en verifieerbare elementen die de originaliteit van de handelsstrategieën en de vestigingen kenmerken. Dergelijke praktijk misleidt het publiek omtrent het al dan niet toebehoren van de vestiging aan het distributie­systeem en berokkent schade zowel aan het imago als de integriteit van het netwerk.

Le Pain Quotidien SA / Pain Loi SA

Siég.: Ch. Schurmans (conseiller unique)
Pl.: Mes J. Deroo, A. Lefebvre et J.-L. Andreux

Vu la décision attaquée rendue le 19 mars 2003 par le président du tribunal de commerce de Bruxelles siégeant comme en référé;

Vu la requête d'appel déposée au greffe de la cour le 18 avril 2003.

Antécédents de la procédure

1. Les parties ont été liées par un contrat de franchise aux termes duquel l'appelante a accordé à l'intimée le droit d'exploiter un point de vente et de restauration sous l'enseigne “Le Pain Quotidien”, rue de Luxembourg, 68 à 1000 Bruxelles, conformément aux instructions de l'appelante et dans le respect du concept qu'elle a développé.

En date du 28 juin 2002, l'intimée a notifié sa décision de mettre fin au contrat à l'expiration de la période de quatre ans pour laquelle il avait été conclu, soit le 4 octobre 2004.

2. Reprochant, en substance, à l'intimée de poursuivre dans son établissement, correspondant à l'image de marque du “Pain Quotidien” et sous l'enseigne “Le Tout Bon Quartier Léopold”, l'exploitation du même commerce suivant le concept développé par l'appelante, en particulier quant à la présentation, la vente et de la distribution des produits et services à la clientèle, l'appelante a fait citer l'intimée devant le juge des cessations aux fins d'entendre dire pour droit que celle-ci se rend coupable d'actes contraires aux usages honnêtes en matière commerciale, et de lui entendre ordonner, sous peine d'une astreinte de 2.500 euros par jour, de cesser “l'exploitation de son établissement 'Le Tout Bon Quartier Léopold' ainsi que de tout autre exploitation qui constituerait une infraction aux usages honnêtes en matière commerciale, et ce conformément à l'article 95 de la loi sur les pratiques de commerce”.

La décision attaquée dit la demande recevable mais non fondée.

L'appelante réitère devant la cour les fins de sa demande originaire.

3. En date du 28 octobre 2002, l'appelante avait fait citer l'intimée devant le juge des référés aux fins d'entendre condamner l'intimée au respect de la clause de non-concurrence prévue dans le contrat de franchise, et libellée comme suit:

“Le franchisé s'engage à ne pas produire, vendre ou présenter à la vente, promouvoir ou faire de la publicité pour d'autres produits et de ne pas proposer, promouvoir ou faire de la publicité pour d'autres services commerciaux de quelque façon que ce soit, qui seraient concurrents avec les produits énumérés en annexe 1 de la présente convention ou avec les services commerciaux concernant ces produits.

Cette clause de non-concurrence n'est pas seulement d'application pendant la durée de la convention mais également un an après la date où elle aura pris fin.”.

Par décision du 29 novembre 2002, frappée également d'appel, le président du tribunal de commerce de Bruxelles dit la demande non fondée aux motifs qu'elle aurait tardé à saisir le juge des référés et qu'elle ne rapporte pas à suffisance de droit, la preuve des droits invoqués.

Discussion
Sur la recevabilité de la demande originaire

4. L'intimée conteste la recevabilité de la demande originaire en faisant valoir qu'un manquement contractuel ne peut fonder une action en cessation fondée sur l'article 93 de la loi du 14 juillet 1991 que si ce manquement constitue simultanément et en dehors du contrat une violation de l'interdiction de poser un acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale.

L'application de cette règle est étrangère à la recevabilité de la demande en cessation et concerne les conditions que doit réunir un acte pour pouvoir être qualifié d'acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale au sens de l'article 93 de la loi du 14 juillet 1991.

Le moyen sera dès lors examiné dans le cadre de l'examen du bien-fondé de la demande.

Sur le bien-fondé de la demande originaire

5. À l'appui de sa demande, l'appelante soutient que l'intimée se rend coupable de concurrence parasitaire en exploitant un commerce de boulangerie-pâtisserie avec possibilité de petite restauration selon le concept qui caractérise les différents établissements franchisés exploités sous la dénomination “Le Pain Quotidien”, c'est-à-dire des établissements avec vente au comptoir d'une part et petite restauration avec tables d'hôtes d'autre part, dans un établissement dont le mobilier et la décoration répondent au concept du “Pain Quotidien”, en mettant à la disposition de la clientèle une carte qui contient les mêmes plats.

Elle fait valoir que ce faisant, l'intimée sème la confusion dans le chef de la clientèle fidèle à son réseau, tente manifestement de se faire passer pour un “Pain Quotidien”, tout en portant atteinte aux intérêts de ce réseau en proposant des produits et des services de qualité inférieure.

Elle prétend qu'à l'expiration du contrat de franchise entre les parties, l'intimée s'est contentée de remplacer la dénomination et le logo “Le Pain Quotidien” en “Tout Bon Quartier Léopold”.

L'appelante n'invoque donc pas à l'appui de sa demande la violation d'une obligation contractuelle. Elle prétend au contraire que les actes qu'elle impute à l'intimée constituent, en eux-mêmes, en dehors de toute obligation contractuelle, des actes contraires aux usages honnêtes en matière contractuelle.

Elle n'invoque en effet l'existence du contrat entre les parties que pour tenter de démontrer qu'au moment des faits, l'établissement de l'intimée répondait en tous points au concept et à l'image du “Pain Quotidien” et que l'intimée ne pouvait l'ignorer.

Le fait que les actes reprochés pourraient éventuellement constituer des fautes contractuelles ne prive pas l'appelante de la possibilité d'agir en cessation.

6. Il n'est pas contesté que l'appelante a la qualité de franchiseur ce qui l'habilite à agir en cessation d'actes contraires aux usages honnêtes qui porteraient atteinte aux intérêts de son réseau de distribution.

Suivant les documents produits par l'appelante, il est incontestable que celle-ci a développé un concept d'établissements spécialisés dans le secteur de la boulangerie-pâtisserie avec petite restauration, dont l'objectif est d'attirer une clientèle exigeante sur la qualité des produits et désireuse de trouver une atmosphère “authentique et conviviale”, dans un décor naturel et dépouillé, fait de matériaux nobles, qui créerait un climat de bien-être et rappellerait la boulangerie d'antan.

Trois types de produits y sont mis en vente, fournis pour la plupart par la centrale du Pain Quotidien:

- en ordre principal: boulangerie, viennoiserie, pâtisserie;

- des produits tels que du chocolat, des confitures, sirops et miel, de la crème glacée, de l'huile d'olive et autres produits de la Méditerranée, du café et du thé, du vin et du jus de pomme;

- de la vaisselle, des couteaux, des tabliers.

Des journaux sont mis à la disposition des clients qui peuvent les consulter sur place.

La “charte” du Pain Quotidien, destinée aux seuls franchisés, décrit en détail la philosophie générale du concept et contient une série de prescriptions précises relatives à la situation géographique du point de vente, la disposition des locaux, les couleurs devant dominer (tons ocres de terre ou de paille), l'ambiance qui doit y régner, l'éclairage, le mobilier composé principalement d'une table d'hôte, d'un comptoir, d'une armoire dite “confiturier”, d'une grille à pain, d'un billiot, d'une vitrine réfrigérée. Elle contient également des normes relatives au matériel et aux accessoires, aux produits et à la manière dont ils doivent être disposés et aux services offerts.

Il ne peut être sérieusement contesté que c'est la réunion de ces divers éléments qui confère aux établissements “Le Pain Quotidien” leur caractère distinctif et original.

7. L'appelante ne peut cependant revendiquer une quelconque protection du concept qu'elle a développé, en ce que celui-ci associe une activité de pâtissier-boulanger, une activité de restauration servie à table et une activité de vente de produits divers, ni même une quelconque exclusivité sur l'atmosphère qu'elle entend promouvoir dans les établissements franchisés, notamment sur l'esprit de convivialité qu'incarne la présence d'une grande table d'hôte au centre du point de vente ou que traduit la façon dont les produits sont présentés sur les tables (présence de beurriers, de pots à lait, de corbeilles à pain pour plusieurs convives).

Elle ne peut s'opposer à l'exploitation de ses idées et stratégies commerciales par des concurrents au seul motif que la clientèle qui fréquenterait un établissement concurrent risque de faire un lien entre celui-ci et les établissements “Le Pain Quotidien”, notamment en comparant les mérites respectifs des établissements.

Elle peut cependant s'opposer à la copie fidèle et servile de tous ou de partie des éléments essentiels, concrets et vérifiables qui font l'originalité de sa stratégie commerciale et des établissements franchisés dans la mesure où une telle pratique est susceptible d'induire le public en erreur sur l'appartenance de l'établissement au système de distribution mis en place et de porter préjudice à l'image et à l'intégrité du réseau.

8. Il ressort des pièces du dossier que:

- l'intimée n'utilise pas la dénomination “Le Pain Quotidien”, ni une dénomination ressemblante;

- la carte “menu” qu'elle utilise, composée d'éléments de couleurs rouge vif et grise sur fond blanc, présente un aspect très différent de celle du “Pain Quotidien”, ce qui exclut tout risque d'association;

- la vaisselle utilisée par l'intimée est fort différente puisque, notamment, il n'est pas fait usage de bols petits ou grands pour servir les boissons chaudes, mais de tasses et que la vaisselle est blanche alors que celle du Pain Quotidien est blanc-cassé;

- la décoration de l'établissement de l'intimée ne présente pas l'ensemble des caractéristiques distinctives de celle préconisée pour les établissements “Le Pain Quotidien”. Des toiles ou des posters de couleurs agressives décorent les murs;

- si la grande table d'hôte est en bois naturel, tel n'est pas le cas des petites tables dont la tablette est en ardoise.

Ces différences, bien que peu nombreuses, suffisent à donner au point de vente de l'intimée un caractère propre qui permet d'éviter que celui-ci soit perçu comme un point de vente faisant partie du réseau des franchisés de l'appelante.

En particulier l'usage de couleurs agressives, telles que le rouge, l'orange, le vert pomme dans la décoration volontairement plus contemporaine et moins sereine, qui ne rappelle nullement la boulangerie d'antan, empêche qu'un tel risque se produise.

Si comme le prouve l'appelante, certains clients fidèles se sont mépris sur l'appartenance de l'intimée au réseau après les transformations qu'elle a faites à l'expiration de la convention entre les parties et malgré l'usage d'une nouvelle dénomination, c'est très probablement en raison du fait que l'intimée a poursuivi ses activités dans les mêmes locaux.

Or, le fait de mener, de manière totalement autonome, une activité concurrente à celle exercée auparavant dans le cadre d'un contrat de franchise, et ce dans le même point de vente, ne constitue pas un acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale.

C'est donc à tort que l'appelante demande qu'il soit fait interdiction à l'intimée de poursuivre ses activités.

Vu ce qui précède, il ne peut être fait reproche à l'intimée de proposer à sa clientèle des boissons, mets et produits qui sont pour la plupart similaires à ceux que la clientèle peut trouver dans les établissements “Le Pain Quotidien”.

Par ces motifs,

La Cour,

statuant contradictoirement

(...)

dit l'appel recevable mais non fondé.

(...)