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Faillite – Modification de la loi sur les faillites, R.D.C.-T.B.H., 2005/8, p. 888-890

FAILLITE

Modification de la loi sur les faillites

Le nouveau régime en matière de décharge
des personnes qui se sont constituées sûreté personnelle et d'excusabilité
A. Contexte

1.Ces derniers mois, la loi sur les faillites du 8 août 1997 (ci-après dénommée “Loi Faillites”) a été modifiée sur différents points. La loi du 20 juillet 2005 modifiant la Loi Faillites du 8 août 1997 et portant diverses dispositions fiscales (M.B. 28 juillet 2005) est une des lois qui a apporté des changements notables à la Loi Faillites. Cette loi est la conséquence directe de l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 30 juin 2004 (M.B. 22 juillet 2004), qui a annulé les articles 81, 1° et 82, premier alinéa de la Loi Faillites, tout en maintenant ses effets jusqu'au 31 juillet 2005. La loi du 20 juillet 2005 devait donc combler le vide juridique qui se profilait à l'horizon.

La loi du 20 juillet 2005 règle principalement l'(ancienne) problématique des effets de l'excusabilité pour les cautions à titre gratuit. Elle amodie de fond en comble le régime de la loi du 4 septembre 2002 modifiant la loi sur les faillites du 8 août 1997, le Code judiciaire et le Code des sociétés (M.B. 21 septembre 2002) aux termes de laquelle les personnes physiques qui s'étaient constituées caution à titre gratuit pour une dette du failli étaient automatiquement déchargées par l'excusabilité de ce dernier. Les modifications saillantes instaurées par le nouveau régime sont: (1) toute personne qui s'est constituée sûreté personnelle à titre gratuit peut être déchargée et (2) la décharge opère uniquement sur demande et après une appréciation par le tribunal de la proportionnalité entre le patrimoine et l'obligation de la personne concernée.

En outre, le législateur s'est attaché à modifier à nouveau les règles relatives à l'excusabilité du failli.

B. Décharge des personnes physiques qui se sont constituées sûreté personnelle à titre gratuit pour le failli

2.Champ d'application. Le nouveau régime s'applique aux personnes physiques qui se sont constituées sûreté personnelle à titre gratuit. Il y a deux conditions d'application: (1) la constitution d'une sûreté personnelle et (2) le caractère gratuit de celle-ci (nouvel art. 80, 3ème al. Loi Faillites). En ce qui concerne la première condition, il faut relever qu'il n'y a aucune limitation relative à la nature de la sûreté personnelle. Toutes les sûretés personnelles peuvent être prises en compte. Il s'ensuit que le champ d'application de la décharge n'est plus limité aux cautions mais qu'il s'étend également à (certains) codébiteurs (suivant également l'art. 1216 du C.civ.). La question se pose de savoir si ce nouveau régime s'applique aussi aux conjoints, qui bénéficient encore toujours d'une décharge automatique du fait de la déclaration d'excusabilité du failli (art. 82, 2ème al. Loi Faillites). Il semble que cette question doit recevoir une réponse affirmative.

3.Appréciation judiciaire. La décharge n'est possible que si l'engagement de celui qui s'est constitué sûreté personnelle n'est pas proportionné par rapport à ses revenus et à son patrimoine. Le tribunal de commerce appréciera cette circonstance en toute souveraineté. La décharge peut être totale ou partielle et ne peut être accordée si celui qui s'est constitué sûreté personnelle a frauduleusement organisé son insolvabilité (nouvel art. 80, 3ème al. Loi Faillites). Contrairement à ce que prévoyaient les règles antérieures, la décharge de celui qui s'est constitué sûreté personnelle est désormais totalement indépendante de l'éventuelle déclaration d'excusabilité du failli.

4.Procédure. Celui qui s'est constitué sûreté personnelle doit expressément solliciter la décharge de son obligation. Pour ce faire, il doit déposer un document au greffe dans lequel il déclare que son obligation est disproportionnée par rapport à ses revenus et son patrimoine (nouvel art. 72bis Loi Faillites). Dans cette déclaration, il doit mentionner son identité, sa profession et son domicile. Il doit en outre joindre à la déclaration tous les documents probants (déclaration à l'impôt des personnes physiques, relevés de l'ensemble des éléments actifs ou passifs qui composent son patrimoine, et toute autre pièce utile). Tout cela est rassemblé dans le dossier de la faillite (nouvel art. 72ter Loi Faillites). La loi ne précisant pas dans quel délai la déclaration doit être déposée, il faut en conclure que celle-ci peut intervenir jusqu'à la clôture de la faillite.

Tant le créancier concerné que la personne qui s'est constituée sûreté personnelle peut, à partir de 6 mois après la date du jugement déclaratif de faillite, demander au tribunal de statuer sur la décharge de la personne qui s'est constituée sûreté personnelle (nouvel art. 80, 6ème al. Loi Faillites). Avant de se prononcer sur la décharge, le tribunal entend tant la personne qui s'est constituée sûreté personnelle et le créancier concerné que le failli en chambre du conseil (art. 80, 3ème al. modifié Loi Faillites). Toutes les personnes concernées sont appelées par pli judiciaire et bénéficient de cette manière d'une possibilité d'exprimer leur opinion au tribunal.

Le curateur est investi de la mission d'informer les personnes du fait qu'elles sont susceptibles de pouvoir bénéficier d'une décharge éventuelle (nouvel art. 72bis, 2ème al. Loi Faillites). Le curateur fera ceci sur base des renseignements que le failli (nouvel art. 10, 5° Loi Faillites) et le créancier (art. 63 modifié Loi Faillites) sont obligés de fournir respectivement lors de la déclaration de faillite et lors de la déclaration de créance. Il faut souligner la lourde sanction qui pèse sur le créancier qui néglige de déclarer à temps qu'il jouit d'une sûreté personnelle: à défaut de cette notification dans les 6 mois qui suivent le jugement de faillite, la personne qui s'est constituée sûreté personnelle est déchargée de son obligation.

5.Suspension des voies d'exécution. Pour garantir que les personnes qui peuvent se voir accorder la décharge puissent effectivement bénéficier de cette possibilité, le nouvel article 24bis Loi Faillites dispose que les voies d'exécution à charge de la personne physique qui s'est constituée sûreté personnelle à titre gratuit sont suspendues à partir du jugement déclaratif de faillite jusqu'à la clôture de celle-ci.

La suspension des voies d'exécution jusqu'à la clôture de la faillite introduit donc un privilège absolu de discussion en faveur de celui qui s'est constitué sûreté personnelle. Ceci est illustré de la manière la plus claire dans le cas où la décision sur la décharge a lieu avant la clôture de la faillite (c'est-à-dire éventuellement à partir de 6 mois après le jugement déclaratif de faillite) et que le juge ne décharge pas la personne qui s'est constituée sûreté personnelle. Dans ce cas, les voies d'exécution sont quand même suspendues jusqu'à la clôture de la faillite. Le créancier devra d'abord attendre le montant provenant de la faillite et ce n'est qu'après la clôture de la faillite qu'il pourra s'adresser à la personne qui s'est constituée sûreté personnelle pour la somme résiduaire.

C. Excusabilité du failli

6.La loi du 20 juillet 2005 modifie également un aspect de la déclaration d'excusabilité du failli. Le nouvel article 80, 5ème alinéa Loi Faillites prévoit que le failli peut demander au tribunal, six mois après la date du jugement déclaratif de faillite, de statuer sur l'excusabilité. Le failli ne doit donc pas attendre la clôture de la faillite pour être fixé sur son excusabilité. La déclaration d'excusabilité anticipée ne se fait qu'à la demande expresse du failli. Par ces nouvelles règles, le législateur veut donner les mêmes chances à tous les faillis de pouvoir prendre un “nouveau départ” peu de temps après la faillite, à condition bien sûr qu'ils répondent aux critères d'excusabilité. Cette règle est toutefois source d'incertitude: un conflit surgit en effet entre l'article 16 Loi Faillites qui fait en principe tomber dans la masse tous les biens que le failli acquiert au cours de la procédure de faillite (donc jusqu'à la clôture de celle-ci) et la déclaration d'excusabilité anticipée. Comment le failli peut-il prendre un “nouveau départ” s'il ne dispose d'aucun bien? Se pose en outre la question de savoir si l'excusabilité anticipée qui empêche les créanciers de recouvrer leurs dettes, implique que la faillite doit être clôturée. Ceci ne peut bien entendu pas avoir été l'intention du législateur.

En outre, la loi du 20 juillet 2005 confirme deux anciens principes: (1) l'article 81 Loi Faillites prévoit à nouveau que la personne morale ne peut être déclarée excusable et (2) l'article 82, 1er alinéa Loi Faillites est rétabli dans son pristin état (1997): “si le failli est déclaré excusable, il ne peut plus être poursuivi par ses créanciers”.

D. Régime transitoire

7.Vu l'impact important du régime en matière de décharge des personnes qui se sont constituées sûreté personnelle, l'article 10 de la loi du 20 juillet 2005 prévoit un régime transitoire pour les faillites qui ne sont pas encore clôturées au moment de l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Cette disposition transitoire vise trois catégories de personnes: les créanciers qui bénéficient de la constitution d'une sûreté personnelle, les curateurs et les personnes qui peuvent éventuellement être déchargées.

Les créanciers qui bénéficient d'une sûreté personnelle doivent introduire dans les trois mois après l'entrée en vigueur de la loi, auprès du greffe du tribunal de commerce, une déclaration complémentaire reprenant le nom, le prénom et l'adresse de la personne qui s'est constituée sûreté personnelle. S'ils ne le font pas, ils encourent une lourde sanction: la personne qui s'est constituée sûreté personnelle est automatiquement déchargée. On remarquera à cet égard que le texte de cette obligation a été assez mal rédigé. Si on s'en tient strictement au texte, les créanciers devraient donc déclarer TOUTES les constitutions de sûreté personnelle (le texte stipule en effet “le créancier qui jouit d'une sûreté personnelle” sans préciser qu'il doit s'agir d'une sûreté personnelle à titre gratuit constituée par une personne physique).

Le curateur doit informer par lettre recommandée avec accusé de réception les personnes qui peuvent bénéficier des nouvelles règles régissant la possibilité de décharge et ce dans les 4 mois qui suivent l'entrée en vigueur de la loi.

Pour être déchargées conformément au nouveau régime, les personnes physiques qui se sont constituées sûreté personnelle doivent déposer une déclaration dans les 5 mois de l'entrée en vigueur de la loi, assortie des documents probants nécessaires au greffe du tribunal de commerce.

L'article 10 règle également le cas particulier dans lequel le jugement de clôture de la faillite interviendrait avant l'expiration du délai de 5 mois dans lequel la déclaration doit être déposée par la personne qui s'est constituée sûreté personnelle. Dans ce cas, le tribunal doit statuer quand même après la clôture de la faillite sur la décharge des personnes qui ont déposé la déclaration. La décision à propos de la décharge ne peut intervenir qu'après l'expiration du délai de 5 mois (le délai prévu pour la déclaration) et elle doit avoir lieu dans le mois après l'expiration de ce délai (ou comme le formule l'art. 10 dans les 6 mois à compter de l'entrée en vigueur de la loi).

E. Conclusion

8.La loi du 20 juillet 2005 introduit un nouveau régime pour les personnes qui se sont constituées sûreté personnelle à titre gratuit pour une dette du failli. En outre, elle adapte une fois de plus les règles relatives à l'excusabilité. Ces nouvelles règles ont manifestement été inspirées par la tendance dominante de l'humanisation du droit de la faillite. Un certain nombre de questions restent toutefois non résolues (pour un commentaire critique de cette loi et un aperçu d'un certain nombre de nouveaux points qui posent problème, voir l'article qui paraîtra dans cette revue en décembre 2005).

En tout cas, il est clair que les fournisseurs de crédit tourneront le dos aux sûretés personnelles et il va de soi qu'ils privilégieront les sûretés réelles. La récente loi du 15 décembre 2004 concernant les sûretés financières (M.B. 1er février 2005) avec toutes ses possibilités d'éviction ne va faire que renforcer cette tendance.