GERECHTELIJK WETBOEK
Arbitrage en bindende derdenbeslissing - Verdrag van New York van 10 juni 1958 - Exceptie van rechtsmacht - Arbitreerbaarheid - Beoordeling - Concessie
Artikel 2, lid 3, van het Verdrag van New York van 10 juni 1958 houdende erkenning en tenuitvoerlegging van buitenlandse scheidsrechterlijke uitspraken laat toe dat de rechter aan wie de vraag wordt onderworpen of het geschil vatbaar is voor arbitrage, die vraag aan zijn rechtsstelsel toetst en zodoende de grenzen bepaalt waarin private rechtspraak over bepaalde materies bestaanbaar is met de wettelijke orde. Wanneer het arbitragebeding volgens de wil van de partijen onderworpen is aan een vreemde wet, mag de overheidsrechter aan wie een exceptie van rechtsmacht wordt opgeworpen, de arbiteerbaarheid uitsluiten wanneer hierdoor de openbare orde van zijn rechtsstelsel wordt aangetast.
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CODE JUDICIAIRE
Arbitrage et tierce décision obligatoire - Convention de New York du 10 juin 1958 - Exception de juridiction - Arbitrabilité - Appréciation- Concession
L'article 2, alinéa 3, de la convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères autorise le juge, à qui il est demandé si le litige peut être soumis à l'arbitrage, à examiner la question au regard de son système juridique et à déterminer ainsi les limites dans lesquelles la jurisprudence (lire: juridiction) privée sur certaines matières est conciliable avec l'ordre légal. Lorsque la clause d'arbitrage est soumise, suivant la volonté des parties, à une loi étrangère, le juge étatique à qui un déclinatoire de juridiction est opposé, peut exclure la possibilité d'arbitrage lorsque celle-ci porte atteinte à l'ordre public de son système juridique.
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à la loi du 27 juillet 1961: fin de la controverse?
1.L'arrêt que vient de prononcer la Cour de cassation, le 15 octobre 2004, était attendu de longue date par tous les praticiens du droit de la distribution commerciale. Il devait en effet, espérait-on, clarifier une situation confuse qui durait depuis près de 20 ans et qui était un facteur fâcheux d'insécurité juridique.
La récente décision rendue par la Cour de cassation tranche clairement l'épineuse question de la loi au regard de laquelle doit être apprécié un déclinatoire de juridiction soulevé en raison de l'existence d'une clause compromissoire. La Cour de cassation se prononce expressément pour la prise en compte de la lex fori, c'est-à-dire de la loi du juge saisi du déclinatoire (par opposition à la lex contractus, soit la loi applicable au fond du contrat, telle que choisie par les parties). Elle met donc ainsi un terme à une longue controverse.
Cependant, toute insécurité juridique n'a pas disparu. Les termes de l'arrêt commenté, non dénués d'une certaine ambiguïté, amènent en effet à s'interroger sur l'amorce éventuelle d'un revirement de la jurisprudence de la cour quant à l'arbitrabilité des litiges relatifs à des questions entrant dans le champ d'application de la loi du 27 juillet 1961 sur la résiliation des concessions de vente exclusive à durée indéterminée. Une grande prudence reste cependant de mise à ce sujet.
Après avoir brièvement rappelé les termes de la controverse, nous analyserons la décision de la Cour de cassation et tenterons d'esquisser les conséquences pratiques qu'elle devrait avoir dans le domaine des contrats de concession de vente exclusive.
I. | Rappel des termes de la controverse |
2.L'article 4 de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation des concessions de vente exclusive à durée indéterminée prévoit que le concessionnaire lésé à l'occasion de la résiliation d'une concession (soumise à la loi) produisant ses effets dans tout ou partie du territoire belge, peut en tout cas assigner son concédant en Belgique, soit devant le juge de son propre domicile, soit devant le juge du domicile ou du siège du concédant. La même disposition prévoit l'obligation pour le tribunal belge ainsi saisi d'appliquer exclusivement la loi belge [2].
D'autre part, l'article 6 de la loi prévoit que ses dispositions sont applicables nonobstant toutes conventions contraires conclues avant la fin du contrat accordant la concession.
3.Dans les premières années d'application de la loi de 1961, certains concédants étrangers, souhaitant manifestement échapper aux conséquences de l'application de la loi, virent le moyen de la contourner en insérant dans leur contrat une clause d'arbitrage assortie d'une désignation d'un droit étranger régissant le fond du contrat. Des procédures d'arbitrage furent dès lors menées et soumises à d'autres droits que le droit belge.
4.La Cour de cassation fut amenée à se prononcer en 1979 pour la première fois sur le caractère arbitrable d'un litige relatif à la résiliation d'une concession de vente exclusive tombant dans le champ d'application de la loi de 1961 mais que les parties avaient soumise au droit suisse. Dans son célèbre arrêt du 28 juin 1979 dans l'affaire Audi-NSU/S.A. Adelin Petit [3], la Cour de cassation avait décidé qu'“un litige relatif à la résiliation d'une concession de vente exclusive à durée indéterminée qui produit ses effets dans tout ou partie du territoire belge n'est pas susceptible d'être réglé par la voie d'un arbitrage convenu avant la fin du contrat et qui a pour but et pour effet d'entraîner l'application d'une loi étrangère”.
La cour s'était prononcé de cette manière à l'occasion d'un litige concernant une demande de reconnaissance et d'exécution en Belgique d'une sentence arbitrale qui avait été rendue en Suisse.
5.Cette dernière constatation amena certaines juridictions de fond à considérer que la jurisprudence de la Cour de cassation, conditionnant l'arbitrabilité de ce type de litige à l'application par les arbitres de la loi belge (et donc en l'espèce de la loi du 27 juillet 1961), ne valait qu'au stade de la reconnaissance et de l'exécution en Belgique de la sentence arbitrale. Par contre, confrontées à un déclinatoire de juridiction soulevé devant le juge belge qui avait été saisi par le concessionnaire en application de l'article 4 de la loi de 1961 [4], certaines juridictions ont estimé que l'arbitrabilité du litige devait être examinée au regard de loi désignée par les parties comme régissant la convention d'arbitrage [5] (dite loi d'autonomie).
6.Tel était l'enseignement notamment d'un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 4 octobre 1985 [6]. Cette décision se fondait sur le texte de la convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères, approuvée par la loi du 5 juin 1975.
L'article 5.2.a) de cette convention, qui traite de la reconnaissance et de l'exécution de la sentence étrangère, précise que “le juge saisi pourra ne pas reconnaître la convention d'arbitrage si, selon la loi du for, le litige n'est pas susceptible d'arbitrage”. Quant à l'article 2.3 de la même convention, qui traite du déclinatoire de juridiction, il énonce que “le tribunal d'un état contractant saisi d'un litige sur une question au sujet de laquelle les parties ont conclu une convention au sens du présent article, renverra les parties à l'arbitrage, à la demande de l'une d'elles, à moins qu'il ne constate que ladite convention est caduque, inopérante ou non susceptible d'être appliquée”. Contrairement à l'article 5.2, l'article 2.3 de la convention de New York ne précise pas au regard de quel droit l'arbitrabilité du litige doit être appréciée.
Cette différence de texte avait donc amené la cour d'appel de Bruxelles à décider, dans son arrêt précité du 4 octobre 1985, que lorsqu'il était confronté à un déclinatoire de juridiction fondé sur l'existence d'une convention d'arbitrage soumise par la volonté des parties à un droit étranger, le juge belge ne devait pas avoir égard à sa lex fori, mais bien à la loi désignée par les parties.
Cette analyse a été suivie dans plusieurs décisions de fond et avait été approuvée par une partie de la doctrine, tandis que d'autres juridictions et d'autres auteurs estimaient que l'article 2.3 de la convention de New York ne s'opposait pas à la prise en compte de la lex fori pour apprécier l'arbitrabilité d'un litige au stade d'un déclinatoire de juridiction, et qu'au contraire, une interprétation cohérente de cette convention commandait que la lex fori soit prise en compte, quel que soit le stade où l'arbitrabilité du litige était appréciée [7].
7.La Cour de cassation avait rendu en 1988 une autre décision concernant l'arbitrabilité des litiges relatifs à une concession entrant dans le champ d'application de la loi du 27 juillet 1961. Dans son arrêt du 12 décembre 1988 [8], concernant cette fois un déclinatoire de juridiction, la cour avait rejeté le moyen qui critiquait la décision de la cour d'appel de refuser le déclinatoire de juridiction soulevé par le concédant étranger au motif qu'il n'était pas certain que les arbitres éventuellement saisis du litige auraient été tenus d'appliquer le droit belge.
Vu la rédaction du pourvoi, la Cour de cassation ne s'était cependant pas spécifiquement prononcée sur la question de savoir par référence à quelle loi l'examen de l'arbitrabilité d'un litige devait se faire à l'occasion d'un déclinatoire de juridiction, la cour d'appel ayant constaté que la convention de New York n'était pas applicable et cette partie de la décision attaquée n'ayant pas été critiquée dans le pourvoi.
La publication tardive de l'arrêt du 12 décembre 1988 n'avait donc pas mis fin à la controverse qui durait depuis les années 80, et qui avait abouti à une insécurité juridique totale. Confrontés à des demandes similaires, certains tribunaux se déclaraient en effet sans juridiction et renvoyaient les parties à l'arbitrage, alors que d'autres se déclaraient compétents et examinaient les demandes au fond en appliquant évidemment les dispositions de la loi du 27 juillet 1961.
Une nouvelle intervention de la Cour de cassation était donc appelée de leurs voeux par tous les praticiens du droit de la distribution commerciale.
II. | L'arrêt de la Cour de cassation du 15 octobre 2004 |
8.Les faits à la base du litige sont classiques.
Un concessionnaire de vente exclusif voit son contrat résilié unilatéralement par son concédant suisse. Nonobstant une clause d'arbitrage, le concessionnaire assigne le concédant devant le tribunal de son propre siège social et y réclame le bénéfice des indemnités prévues par les articles 2 et 3 de la loi du 27 juillet 1961. Le concédant soulève un déclinatoire de juridiction qui est cependant rejeté par le tribunal de commerce, au motif que le concédant aurait renoncé par courrier à se prévaloir de la convention d'arbitrage. Statuant au fond, le tribunal de commerce condamne le concédant à payer divers montants au titre des indemnités compensatoire de préavis et complémentaire.
La cour d'appel d'Anvers, saisie par le concédant, réforme le premier jugement, en ce qu'il avait rejeté le déclinatoire de juridiction.
La cour d'appel constate d'une part qu'il n'était nullement établi que le concédant avait renoncé à se prévaloir de la convention d'arbitrage.
Elle examine d'autre part si le litige est arbitrable, eu égard au fait que les parties avaient soumis leur contrat au droit suisse. Relevant que la question devait être tranchée en application de la convention de New York (mais pas de la convention européenne de Genève du 21 avril 1961 sur l'arbitrage commercial international [9]), la cour d'appel décide que la validité de la clause d'arbitrage doit en principe être appréciée selon la lex contractus et pas selon la lex fori. Elle constate que la lex contractus, en l'espèce le droit suisse, ne s'oppose pas à ce qu'un tel litige soit tranché par la voie d'un arbitrage.
La cour d'appel poursuit en examinant si le caractère impératif de la loi de 1961, et même de loi d'application immédiate, s'oppose à ce que les parties puissent soumettre leur litige à un tribunal arbitral appliquant un droit étranger. Après avoir relevé que la loi du 27 juillet 1961 n'est pas d'ordre public, la cour d'appel décide qu'il faut en l'espèce respecter la primauté de la norme internationale que constitue la convention de New York par rapport à la réglementation interne que constitue l'article 4 de la loi du 27 juillet 1961.
Pour l'ensemble de ces raisons, elle finit par se déclarer sans juridiction à connaître du litige.
9.Le pourvoi en cassation dirigé contre l'arrêt de la cour d'appel d'Anvers s'articulait autour de deux moyens.
Le premier moyen reprochait à la cour d'appel d'avoir violé les articles 2 et 5 de la convention de New York, en ce qu'elle avait décidé que l'arbitrabilité d'un litige devait être appréciée au stade du déclinatoire de juridiction par référence à la lex contractus.
Le second moyen faisait reproche à la cour d'appel d'avoir méconnu le caractère de loi d'application immédiate de la loi du 27 juillet 1961 et d'avoir ainsi violé l'article 4 de cette loi, lu en conjonction avec son article 6.
La Cour de cassation a accueilli le premier moyen et n'a pas examiné le second, estimant qu'il ne pouvait pas entraîner une cassation plus large de la décision entreprise.
10.La cour commence par relever que l'article 2, alinéa 3 de la convention de New York ne précise pas expressément la loi sur base de laquelle il y a lieu de décider si un litige est susceptible d'être réglé par la voie d'un arbitrage.
Elle décide ensuite que “cette disposition conventionnelle autorise cependant le juge à qui la question est soumise de confronter la question à son système juridique et, ce faisant, de déterminer les limites dans lesquelles, dans certaines matières, la juridiction privée est conciliable avec l'ordre légal” (traduction libre [10]).
Après avoir constaté que la cour d'appel avait décidé qu'il était selon elle clair qu'au stade du déclinatoire de juridiction, l'article 2.3 de la convention de New York ne renvoyait pas à la lex fori mais à la lex contractus pour décider si le litige est arbitrable, la Cour de cassation conclut que la cour d'appel “exclut a priori que le juge puisse également impliquer la lex fori dans son appréciation et que ce faisant elle viole les dispositions conventionnelles visées au moyen” (traduction libre [11]).
11.La Cour de cassation nous paraît avoir ainsi procédé à une analyse correcte des dispositions de la convention de New York. Nous avions en effet à plusieurs reprises défendu la thèse selon laquelle l'arbitrabilité d'un litige, appréciée au stade du déclinatoire de juridiction, implique nécessairement un double examen, au regard tant de la lex contractus que de la lex fori [12]. L'arbitrabilité recouvre en effet des éléments distincts, qui justifient un tel double examen.
Elle concerne tout d'abord la validité de la convention d'arbitrage. Il est clair que cette validité doit être appréciée au regard de la loi qui s'applique à la convention, que celle-ci ait été désignée par les parties ou qu'elle résulte de l'application de règles de conflit de lois. Dans cette mesure, la référence à la lex contractus est évidemment justifiée.
Mais l'arbitrabilité recouvre aussi la reconnaissance par un État (agissant au travers de ses juridictions) de la convention d'arbitrage, autrement dit du pouvoir des parties de soustraire un litige de la juridiction des tribunaux étatiques normalement appelés à en connaître. Comme l'avait excellemment soutenu M. P.E. Partsch, “Touchant à l'une des prérogatives fondamentales d'un État - son pouvoir de rendre la justice - cette question ne peut que relever de la loi du for. Seule la loi, de laquelle les juges ont reçu leurs attributions, peut les leur enlever” [13].
En décidant que la cour d'appel ne pouvait a priori exclure la lex fori pour apprécier l'arbitrabilité du litige qui lui était soumis, la Cour de cassation nous paraît dès lors avoir interprété correctement les dispositions de la convention de New York.
12.On pourrait donc croire que la cour, en décidant ainsi que la lex fori doit être prise en considération au stade du déclinatoire de juridiction, confirmait sa jurisprudence de 1979 selon laquelle un litige relatif à la résiliation d'une concession tombant dans le champ d'application de la loi du 27 juillet 1961 n'est pas arbitrable lorsque l'arbitrage a pour but et pour effet d'appliquer un droit étranger.
Or, la Cour de cassation ne s'est pas arrêtée là. Bien qu'une grande prudence s'impose, l'arrêt peut, nous semble-t-il, être lu comme amorçant un revirement de sa jurisprudence de 1979. On peut en effet se demander si la cour n'a pas voulu modifier l'état de la lex fori belge sur la question.
13.On rappellera que dans son arrêt du 28 juin 1979, après avoir considéré que la question de l'arbitrabilité d'un litige, examinée au stade de la reconnaissance et de l'exécution en Belgique d'une sentence arbitrale étrangère, devait être appréciée par référence à la lex fori, donc au droit belge, la Cour de cassation avait relevé que les dispositions impératives de la loi du 27 juillet 1961 “ont pour but d'assurer, dans tous les cas, au concessionnaire le droit d'invoquer la protection de la loi belge, sauf s'il y a renoncé par une convention conclue après la fin du contrat accordant la concession” et avait ensuite décidé qu'“un litige relatif à la résiliation d'une concession de vente exclusive à durée indéterminée qui produit ses effets dans tout ou partie du territoire belge n'est pas susceptible d'être réglé par la voie d'un arbitrage convenu avant la fin du contrat et qui a pour but et pour effet d'entraîner l'application d'une loi étrangère”.
Tel était donc l'état de la lex fori belge concernant la question de l'arbitrabilité d'un litige relatif à la résiliation unilatérale d'une concession tombant dans le champ d'application de la loi de 1961: un tel litige est arbitrable à la condition que les arbitres soient tenus d'y appliquer les dispositions impératives de cette loi.
14.Dans son arrêt du 15 octobre 2004, la cour a cependant énoncé que “lorsque la clause d'arbitrage a été soumise par la volonté des parties à une loi étrangère, le juge étatique devant qui une exception de juridiction est soulevée peut exclure l'arbitrabilité lorsque il est par là porté atteinte à l'ordre public de son système juridique” (traduction libre [14] - c'est nous qui soulignons).
Or, il n'est pas discuté que la loi du 27 juillet 1961 n'est pas d'ordre public, mais uniquement impérative (et également d'application immédiate). Ceci a été confirmé à diverses reprises en jurisprudence [15] et est également admis en doctrine [16].
Dès lors, il ne semble pas discutable qu'en décidant de soumettre leur litige à un arbitrage régi par un droit étranger, les parties à un contrat de concession de vente exclusive ne violent pas l'ordre public belge.
Dans un tel cas, à suivre l'enseignement qui semble se dégager du récent arrêt de la Cour de cassation, le juge étatique - saisi d'un déclinatoire de juridiction - ne pourrait pas déclarer le litige inarbitrable.
15.Il convient cependant de rester très prudent. En effet, l'attendu précité de la décision de la Cour de cassation est manifestement un obiter dictum, c'est-à-dire un motif sans effet sur le dispositif de la décision [17].
La lecture de l'arrêt atteste en effet que la décision de cassation ne repose par sur ce motif, mais sur celui de la non prise en compte de la lex fori par le juge du fond.
Est-ce à dire que ce motif est dénué de tout intérêt? Assurément non. La technique de l'obiter dictum permet en effet pour la Cour de cassation de faire passer un message, tant à la juridiction de renvoi qu'aux juridictions de fond pour qui une décision de la Cour suprême peut servir de référence jurisprudentielle.
En énonçant que la soumission d'un litige à un droit étranger peut rendre celui inarbitrable si, ce faisant, il est porté atteinte à l'ordre public de la lex fori, la Cour de cassation semble donc vouloir se prononcer en faveur de l'arbitrabilité des litiges relatifs à la loi du 27 juillet 1961, puisque, comme il vient d'être dit, celle-ci n'est pas d'ordre public.
Reste que la décision qui vient d'être rendue ne s'est pas prononcée explicitement sur cette question, et qu'une certaine prudence reste donc de mise.
16.Cette prudence est d'autant plus indiquée que l'on peut se demander si l'intention de la Cour de cassation était bien de modifier l'état de la lex fori et de déclarer désormais arbitrables les litiges relatifs à des questions tombant dans le champ d'application de la loi du 27 juillet 1961, mais que les parties ont contractuellement soumis à un droit étranger.
Un constat, en particulier, nous fait nous interroger quant aux intentions de la cour. L'arrêt de la cour d'appel d'Anvers qui était déféré à sa censure contenait en effet de longs développements consacrés à la question de savoir si la loi de 1961 est une loi d'ordre public ou si elle n'est qu'une loi impérative, disposant en droit international privé du statut de loi d'application immédiate. La cour d'appel s'est prononcée, à juste titre selon nous, en faveur de la seconde solution qui est, au demeurant, aujourd'hui communément admise. [18]
Or, à suivre l'attendu précité de l'arrêt de la Cour de cassation du 15 octobre 2004, la cour de renvoi, constatant elle aussi l'absence de caractère d'ordre public de la loi du 27 juillet 1961, devrait alors se déclarer sans juridiction et aboutir ainsi exactement au même résultat que celui auquel était arrivée la cour d'appel d'Anvers.
On peut alors se demander pourquoi la Cour de cassation a prononcé la cassation de la décision attaquée, alors que la technique de la substitution de motifs aurait, dans un tel cas, permis de valider l'arrêt attaqué, en substituant le motif de droit déficient (référence à la lex contractus) par un motif de droit valable (référence à la lex fori).
Il est en effet admis que “la Cour de cassation a le devoir de procéder à une substitution de motifs lorsqu'elle constate que le dispositif de la décision attaquée est conforme à la loi mais que la justification donnée par le juge du fond à l'appui de ce dispositif est erronée en droit. Ce devoir est intimement lié à la fonction de cassation: on ne doit casser que les décisions dont le dispositif contrevient à la loi, non celles dont seuls les motifs de droit - critiqués par le pourvoi - sont insuffisants, non pertinents ou erronés pour soutenir un dispositif légal” [19].
Le fait que la Cour de cassation n'ait pas, en l'espèce, procédé à une substitution de motifs, alors que son obiter dictum précité pourrait laisser entendre que le dispositif de l'arrêt attaqué était légal, laisse donc perplexe.
Il nous paraît dès lors souhaitable que la cour clarifie très prochainement sa position. On notera qu'un second pourvoi en cassation est actuellement soumis à l'examen de la cour, sur la même problématique. L'arrêt qui devrait être prochainement prononcé permettra peut-être d'apporter la clarification espérée sur ce point.
III. | La protection légale des concessionnaires belges incertaine à l'avenir? |
17.S'il se confirme - ce qui reste donc à voir - que l'arrêt du 15 octobre 2004 amorce bien un revirement de jurisprudence sur la question de l'arbitrabilité des litiges relatifs à des questions tombant dans le champ d'application de la loi du 27 juillet 1961 mais que les parties ont soumises à un droit étranger, faudra-t-il en conclure que les concessionnaires belges risquent désormais de se retrouver très souvent privés de la protection que le législateur de 1961 avait entendu leur accorder, en raison de la présence répandue de clauses d'arbitrage dans les contrats internationaux de distribution. Nous ne le pensons pas.
18.Tout d'abord, le concessionnaire belge disposera évidemment de la possibilité de ne pas accepter d'inclure dans le contrat une clause d'arbitrage assortie d'une clause d'élection d'un droit étranger. Certes, cette possibilité dépendra du poids respectif des deux parties lors de la négociation de leur contrat, et on peut affirmer que le concessionnaire belge n'est généralement pas en position de force. La pratique démontre cependant que de très nombreux contrats de concession de vente se concluent verbalement, sans écrit, ce qui exclut toute possibilité d'arbitrage, puisque tant l'article 1677 du Code judiciaire que l'article 2 de la convention de New York exigent que la convention d'arbitrage ait été conclue par écrit [20].
19.Il n'est par ailleurs pas exceptionnel qu'un contrat de concession contenant une clause d'arbitrage ne contienne pas de clause d'élection de loi applicable. Dans un tel cas, un tribunal arbitral sera très généralement amené à appliquer la loi belge, en tant que loi du pays présentant les liens les plus étroits avec la situation en cause. Il est en effet très largement admis que, dans un contrat de distribution, c'est le distributeur qui fournit la prestation caractéristique [21]. En application de l'article 4.2 de la convention de Rome du 19 juin 1980, il est présumé que le contrat a les liens les plus étroits avec le pays dans lequel la partie qui fournit la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une société, son administration centrale. S'agissant d'un contrat de concession de vente couvrant le territoire belge, le droit belge sera donc désigné, lorsque le concessionnaire est établi en Belgique.
Certes, les tribunaux arbitraux ne sont pas tenus d'appliquer la convention de Rome, mais celle-ci est généralement considérée comme contenant des règles de conflit de lois habituellement suivies. Au demeurant, une étude récente consacrée aux contrats de distribution dans la jurisprudence arbitrale de la Chambre de Commerce Internationale démontre que, lorsque le contrat de distribution est muet sur la loi applicable, les arbitres appliquent le plus souvent la loi du pays du distributeur. Selon son auteur, Mme Truong, qui a analysé plus de 150 sentences arbitrales rendues par la CCI pendant la période s'étendant de 1984 à 2000, “les arbitres se réfèrent de manière quasi systématique au lieu de l'exécution du contrat ('place of performance'), plus précisément au lieu de la prestation caractéristique, soit celui de la distribution des produits faite par le distributeur. L'importance du lieu d'exécution du contrat en tant qu'indice de la volonté localisatrice des parties est donc bien établie dans la pratique. Elle prend toutefois une importance particulière dans le cadre des contrats de distribution en raison de leur spécificité” [22].
20.Plus fondamentalement, il nous semble que le concessionnaire pourra revendiquer devant un tribunal arbitral l'application des dispositions de la loi de 1961, nonobstant le choix d'un droit étranger par les parties, en raison de son statut de loi d'application immédiate, ou de loi de police au sens de l'article 7 de la convention de Rome.
L'article 7.1 de cette convention donne en effet au juge étranger la faculté d'appliquer les règles impératives d'une loi autre que celle désignée par les parties, lorsque cette loi présente des liens étroits avec le contrat litigieux. Certes, il ne s'agit ici que d'une faculté, mais celle-ci est canalisée, puisque le juge est censé motiver sa décision de ne pas appliquer cette loi.
Comme on l'a dit plus haut, la convention de Rome ne s'impose pas, en tant que telle, aux arbitres internationaux. Il reste que ceux-ci s'en inspirent souvent. On ne voit dès lors pas ce qui empêcherait un concessionnaire belge d'invoquer, devant un tribunal arbitral, le caractère de loi de police de la loi de 1961, avec la conséquence que ce tribunal pourrait décider de l'appliquer nonobstant la désignation d'un autre droit par les parties. Dès lors que cette possibilité existe devant un juge étranger (certainement dans un pays signataire ou ayant ratifié la convention de Rome), il n'y a pas de raison objective de considérer qu'elle n'existerait pas devant des arbitres internationaux [23].
Certes, une faculté n'est pas une obligation. Et l'examen des quelques sentences arbitrales internationales publiées, concernant un litige entre un concessionnaire de vente belge et un concédant étranger au sujet d'un contrat qui avait été soumis par la volonté des parties à un droit étranger, montre que les arbitres internationaux ne sont pas nécessairement favorables à l'application de la loi de 1961, à l'encontre du droit désigné par les parties [24].
Il reste que la faculté pour des arbitres d'appliquer les dispositions de la loi impérative que constitue la loi de 1961 ne peut être déniée. Ce sera dès lors tout l'art du plaideur de convaincre les arbitres de la nécessité de faire usage de cette faculté.
[1] | Avocat, Hanotiau & van den Berg, Bruxelles. Les vues exposées sont celles de l'auteur. |
[2] | Cette obligation ne vaut évidemment que pour ce qui est impérativement réglé dans la loi du 27 juillet 1961. Pour toutes les questions sortant du champ d'application de la loi, le tribunal belge appliquera le droit qu'il estimera approprié en application des règles belges de conflit de lois, lesquelles sont actuellement contenues d'une part dans la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles et d'autre part dans le nouveau Code de droit international privé entré en vigueur le 1er octobre 2004. |
[3] | Pas. 1979, I, 1260. |
[4] | À l'égard de parties ressortissantes des États contractants, la compétence du juge belge est déterminée sur base, non de l'art. 4 de la loi du 27 juillet 1961, mais de l'art. 5.1 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, devenue aujourd'hui le règlement (CE) n° 44/2001 relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. |
[5] | La clause d'arbitrage contenue dans un contrat plus vaste est considérée comme en étant séparable. Elle est donc en principe soumise à un droit propre qui n'est pas nécessairement celui que les parties ont désigné pour régir leur contrat de fond. Il est cependant très rare, pour ne pas dire exceptionnel, que les parties désignent un droit régissant spécifiquement leur convention d'arbitrage. Il est alors généralement enseigné que, lorsque les parties ont fait une élection générale du droit applicable à leur contrat, celui-ci s'applique également à la convention d'arbitrage. |
[6] | J.T. 1986, p. 93 et note Kohl. |
[7] | Pour un relevé complet des décisions et contributions doctrinales dans les deux sens, voy. P. Hollander, “Aspects de droit international privé et d'arbitrage de la distribution commerciale”, in La distribution commerciale dans tous ses états, Bruxelles, Éd. du Jeune Barreau, 1997, pp. 219 à 277; P. Kileste et P. Hollander, “Examen de jurisprudence. La loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation des concessions de vente exclusive à durée indéterminée (1992 à 1997)”, R.D.C. 1998, p. 3, spéc. n°s 118 à 126; id. (1997 à 2002), R.D.C. 2003, p. 411, spéc. n°s 142 à 146. |
[8] | Publié dans Droit de la distribution 1987-1992, Kluwer 1993, p. 145. |
[9] | À la différence de la convention de New York, la convention de Genève prévoit expressément, en son art. 6.2. in fine, que “le juge saisi pourra ne pas reconnaître la convention d'arbitrage si, selon la loi du for, le litige n'est pas susceptible d'arbitrage”. |
[10] | Texte original: “Dat die verdragsbepaling evenwel toelaat dat de rechter aan wie de vraag wordt onderworpen, de vraag aan zijn rechtstelsel toetst en zodoende de grenzen bepaalt waarin private rechtspraak over bepaalde materies bestaanbaar is met de wettelijke orde”. |
[11] | Texte original: “Dat het a priori uitsluit dat de rechter ook de lex fori in zijn beoordeling zou betrekken en zodoende de in het middel aangevoerde verdragsbepalingen schendt”. |
[12] | Voir les références citées à la note 44 ci-dessus. |
[13] | P.E. Partsch, “L'arbitrabilité des litiges dans la Convention de New York”, Act. dr. 1992-4, pp. 1259 et s.; voy. également, dans le même sens N. Coipel-Cordonnier, Les conventions d'arbitrage et d'élection de for en droit international privé, Parijs, L.G.D.J., 1999, n° 237. |
[14] | Texte original: “Dat wanneer het arbitragebeding volgens de wil van de partijen onderworpen is aan een vreemde wet, de overheidsrechter aan wie een exceptie van rechtsmacht wordt opgeworpen, de arbitreerbaarheid mag uitsluiten wanneer hierdoor de openbare orde van zijn rechtsstelsel wordt aangetast”. |
[15] | Voy. notamment Cass. 9 juin 1977, Pas. 1977, I, 1033 (solution implicite); Comm. Bruxelles 29 octobre 1991, R.D.C. 1993, p. 1118. |
[16] | P. Hollander, o.c., p. 269; B. Hanotiau, “L'arbitrabilité des litiges en matière de concession de vente: la poursuite d'une controverse”, observations sous Comm. Gand 21 décembre 2000, DAOR 2001, p. 326. |
[17] | En ce sens F. Rigaux, La nature du contrôle de la Cour de cassation, Bruylant, 1966, n° 98 e. On notera que, selon cet auteur, un pourvoi en cassation dirigé contre un motif relevant de l'obiter dictum dans la décision attaquée n'est pas recevable, à défaut d'intérêt. |
[18] | La cour d'appel renvoie à l'arrêt du 9 juin 1977 de la Cour de cassation (Pas. 1977, I, 1033) qui s'était prononcé, certes implicitement, sur le fait que la loi de 1961 n'était pas d'ordre public. |
[19] | P. Gérard et M. Grégoire, “Introduction à la méthode de la Cour de cassation”, Rev. dr. U.L.B. 20, 1999, pp. 101 et s., spéc. p. 109. |
[20] | L'écrit n'est certes qu'une condition ad probationem. Il reste qu'en son absence, il sera généralement très difficile voire impossible de démontrer l'existence d'un consentement spécifique sur une clause compromissoire. |
[21] | P. Hollander, o.c., p. 241. Dans le même sens, Cl. Verbraeken, “La loi applicable aux contrats de concession de vente exclusive comportant un ou plusieurs éléments d'extranéité”, in Hommage à Jacques Heenen, Bruylant, 1994, p. 559; P. Lagarde, “Introduction”, in Les contrats internationaux et la Convention de Rome du 19 juin 1980, Rev. dr. U.L.B. 1994, vol. 10/2, Bruylant, p. 13; R. Vander Elst et M. Weser, Droit International Privé belge et Droit Conventionnel International, T. I, Conflit de Lois, Bruylant, 1983, p. 196. |
[22] | C. Q. C. Truong, Les différends liés à la rupture des contrats internationaux de distribution dans les sentences arbitrales CCI, Parijs, Litec, 2002, n° 176, p. 168. |
[23] | On rappellera que l'un des principaux arguments des partisans de l'application de la lex contractus à la question de l'arbitrabilité tenait à ce qu'ils percevaient comme une discrimination injustifiée entre, d'une part, les clauses donnant compétence à des juges étrangers (du moins ceux des pays parties à la convention de Bruxelles, aujourd'hui règlement de Bruxelles I), devant qui les parties peuvent revendiquer l'application du droit contractuellement désigné comme étant applicable, en vertu de la convention de Rome, et, d'autre part, les clauses d'arbitrage assorties d'un droit étranger applicable au fond. La validité des premières n'est pas contestée, alors que celle des secondes l'était. En ce sens, voy. notamment B. Hanotiau, “L'arbitrabilité des litiges en matière de concession de vente: la poursuite d'une controverse”, DAOR 2001, p. 326; H. Van Houtte, “L'arbitrabilité de de la résiliation des concessions de vente exclusive”, in Mélanges Vander Elst, II, Nemesis 1986, p. 821, spéc. p. 831. Dès lors qu'il serait désormais admis que les litiges relatifs à des questions entrant dans le champ d'application de la loi de 1961 mais soumises à un droit étranger sont arbitrables, il n'y a pas de raison de rejeter, devant des arbitres, l'analogie avec la convention de Rome, également en ce qu'elle permet au juge étranger de tenir compte des dispositions impératives de la loi du pays avec lequel la situation présente les liens les plus étroits. |
[24] | Voy. par ex., sentence arbitrale CCI n° 6379, R.D.C. 1993, p. 1146. |