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Actualité : Cour de justice des Communautés européennes, 14/12/2004, R.D.C.-T.B.H., 2005/4, p. 445-452

Cour de justice des Communautés européennes 14 décembre 2004

DROIT ÉCONOMIQUE EUROPÉEN
Libre circulation des marchandises - Dispositions relatives aux impôts

Commission / Allemagne

Siég.: V. Skouris (président), P. Jahn et K. Lenaerts (rapporteur) (présidents de chambre), C. Gulmann, J.-P. Puissochet et R. Schintgen, N. Colmeric, S. von Bahr, J.N. Cunha Rodrigues (juges)
Avocat-général: D. Ruiz-Jarabo Colomer

(Affaire C-463/01)

Les mesures nationales en matière d'emballages à usage unique devant le juge européen

1. Afin de comprimer les coûts de transport, les importateurs (par ex. de boissons) préfèrent traditionnellement les emballages à usage unique aux emballages réutilisables. En pratique, ces importateurs utilisent dès lors une part plus importante d'emballages à usage unique que les producteurs locaux. Qu'en est-il si un Etat membre adopte une législation nationale qui impose des charges additionnelles aux emballages à usage unique et que ces charges touchent donc automatiquement davantage les producteurs étrangers que les producteurs nationaux? De telles mesures sont-elles contraires aux dispositions du traité CE en matière de libre circulation des marchandises? C'est la question qui fut récemment posée à la Cour de justice (dénommée ci-dessous “la Cour”) dans une affaire intentée par la Commission européenne (ci-après: “la Commission”) contre l'Allemagne concernant l'instauration par celle-ci d'une obligation de consigne et de reprise pour les emballages à usage unique. Dans les lignes qui suivent, nous allons faire un exposé succinct des faits, du traitement en droit et de l'arrêt en tant que tel de la Cour de justice.

2. La réglementation allemande applicable - ce qu'on appelle la “Verpackungsverordnung” du 21 août 1998 - consiste essentiellement à imposer aux vendeurs qui font le commerce de boissons en emballages à usage unique, l'obligation de percevoir une consigne et de reprendre gratuitement les emballages vides utilisés par le consommateur final à proximité immédiate du lieu de la livraison de fait (ensuite de quoi le montant de la consigne est remboursé). Les vendeurs sont exonérés de cette obligation s'ils participent à un système général de collecte (par ex. Der Grüne Punkt). La spécificité de la réglementation allemande réside dans la circonstance que cette possibilité de dégrèvement ne s'applique plus au moment où la part des boissons en des emballages réutilisables descend en dessous de 72% de tous les emballages de boissons et ce durant deux années consécutives. Ce fut le cas au cours de la période 1999-2001 en sorte que le gouvernement allemand a annoncé le 2 juillet 2002 qu'une obligation de consigne pour les emballages à usage unique pour boissons serait appliquée au 1er janvier 2003. Une période transitoire d'environ 6 mois était donc prévue.

3. Pour une compréhension complète des faits, il faut encore attirer l'attention du lecteur sur deux points, l'un concernant les faits et l'autre ayant un caractère juridique.

Au niveau des faits, il faut signaler que la Cour a été également saisie d'un certain nombre de questions préjudicielles concernant la réglementation allemande de la part du Verwaltungsgericht de Stuttgart dans le cadre d'un litige né entre des entreprises autrichiennes (Radlberger Getränkegesellschaft mbH & Co. et S. Spitz KG) et le land de Baden-Württemberg (affaire C-309/02). L'arrêt dans cette affaire est commenté dans les lignes qui suivent en même temps que l'affaire C-463/01. Les deux arrêts portent d'ailleurs la même date. Outre l'élément procédural (l'un concerne un recours pour cause de non-respect, l'autre une procédure préjudicielle), il n'y a en effet qu'une différence essentielle entre ces deux arrêts: le recours introduit par la Commission portait spécifiquement sur de “l'eau minérale naturelle” qui suivant la réglementation européenne applicable (en particulier, la Directive (CEE) 80/777 relative au rapprochement des législations des États membres concernant l'exploitation et mise dans le commerce des eaux minérales naturelles) doit être mise en bouteille à la source pour être considérée comme telle. En revanche, les entreprises autrichiennes n'exportaient pas seulement de l'eau minérale mais aussi une gamme étendue de boissons vers l'Allemagne. Essentiellement, tant la Commission que les entreprises autrichiennes prétendaient que la réglementation allemande était contraire à la libre circulation des marchandises.

4. Sur le plan juridique, il faut encore mettre en exergue la Directive (CE) n° 94/62 relative aux emballages et aux déchets d'emballage. La Directive (CE) n° 94/62 concerne la réutilisation des emballages réutilisables et la valorisation (par ex. le recyclage) des emballages à usage unique. Concernant la réutilisation, la Directive stipule (en son article 5) que: “les États membres peuvent favoriser conformément au Traité, des systèmes de réutilisation des emballages qui sont susceptibles d'être réutilisés sans nuire à l'environnement”. La Cour a répondu négativement à la question de savoir si cette disposition harmonise complètement la réutilisation des emballages. Par conséquent, conformément à une jurisprudence établie, la compétence des États membres en matière de réutilisation des emballages est visée de manière permanente par l'interdiction reprise à l'article 28 CE.

5. Concernant l'analyse de l'article 28 CE, l'Allemagne faisait valoir en premier lieu qu'il n'était pas question d'une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 28 CE dans la mesure où la “Verpackungsverordnung” avait pour seul but d'exécuter les obligations de la Directive (CE) n° 94/62. Renvoyant à une jurisprudence constante, la Cour rejette ce moyen: une disposition nationale par laquelle un État membre s'acquitte des obligations découlant pour lui d'une Directive, ne peut être qualifiée d'entrave aux échanges, mais la Directive (CE) 94/62, comme mentionné ci-dessus, ne fait qu'autoriser les États membres à agir “conformément au Traité” et n'impose aux États membres, pour le surplus, aucune obligation.

6. L'Allemagne affirmait par ailleurs que sa réglementation est applicable sans aucune distinction à tous les producteurs de boissons. Par conséquent, selon le gouvernement allemand, il ne pouvait être question d'une discrimination des producteurs établis dans les autres États membres. La Cour n'a pas suivi ce raisonnement. Suivant la Cour, la réglementation allemande ne touchait pas de facto de manière équivalente le commerce des boissons produites en Allemagne et celui des boissons provenant des autres États membres. Nous avons déjà évoqué plus haut les raisons de cet état de fait, à savoir que les producteurs établis à l'étranger utilisent sensiblement plus d'emballages à usage unique que les producteurs allemands. Le passage d'un système général de collecte (de type Der Grüne Punkt) à un système de consigne et de reprise individuelle entrave donc également le commerce par ces producteurs étrangers des emballages à usage unique sur le marché allemand.

7. Comme ultime joker pour échapper au champ d'application de l'article 28, l'Allemagne a tiré la carte Keck et Mithouard: suivant l'Allemagne, la “Verpackungsverordnung” ne réglait pas le mode d'emballage de l'eau minérale naturelle, mais exclusivement ses modalités de vente. Suivant la jurisprudence de la Cour dans l'affaire Keck et Mithouard, de telles modalités de vente ne tombent pas sous l'interdiction de l'article 28 CE. La Cour a également écarté ce moyen: la “Verpackungsverordnung” a en effet pour conséquence que l'emballage et certaines mentions sur l'étiquetage des produits importés doivent être modifiés, et cela ne peut donc pas être considéré comme une simple modalité de vente.

8. La Cour en conclut donc que le régime allemand constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative au sens de l'article 28 CE.

9. Dans un second temps, la Cour examine, conformément à la jurisprudence établie, si les exigences impératives de la protection de l'environnement peuvent justifier la réglementation allemande. Parallèlement aux motifs qui sont énumérés à l'article 30 CE (par ex. la protection des bonnes moeurs, de l'ordre public, de la sécurité publique), une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 28 CE peut en effet également être justifiée si (i) on respecte certaines conditions impératives agréées par la Cour dans sa jurisprudence (par ex. en matière de protection de l'environnement) et (ii) que ces conditions sont conformes au principe de la proportionnalité.

10. L'examen par la Cour du premier alinéa de ce double test montre que l'interprétation large de l'article 28 CE est complétée par une interprétation tout aussi large de l'espace politique que les États membres réservent aux exigences impératives de la protection de l'environnement. La Cour se rallie à la philosophie de la réglementation allemande: celle-ci augmente le pourcentage des emballages vides retournés et favorise la collecte sélective du déchet d'emballage, ce qui contribue à une meilleure valorisation de celui-ci. Pareillement, la perception de la consigne pousse l'utilisateur à retourner les emballages vides vers les points de vente, ce qui contribue à son tour à la limitation des déchets dans la nature. En outre, les producteurs concernés sont encouragés à utiliser les emballages réutilisables vu qu'ils sont conscients que toute augmentation de vente de boissons dans des emballages à usage unique accélère l'entrée en vigueur de l'obligation de consigne. Cela entraîne de manière générale une limitation des déchets à éliminer. Enfin, la Cour rejette le moyen selon lequel il existerait une sorte de droit acquis dans le chef des producteurs concernés à continuer à satisfaire à leurs obligations légales via la participation à un système général de collecte, et ce faisant de pouvoir échapper au passage à un système de consigne et de reprise individuelle.

11. Les États membres peuvent, en d'autres mots, sur base de la directive (CE) n° 94/62, légitimement exiger des producteurs concernés qu'ils passent d'un système général de collecte à un système de consigne et de reprises individuelles à condition de respecter le principe de la proportionnalité.

12. C'est ici, suivant la Cour, que le bât blesse. Sur base d'un contrôle de la proportionnalité, la Cour a en effet conclu à une violation de l'article 28 CE (et, en ce qui concerne les questions préjudicielles, à une violation éventuelle de l'article 28 CE, vu qu'il revient au juge de renvoi d'appliquer concrètement les critères posés par la Cour). En bref, les États membres doivent, d'après la Cour, vérifier que les producteurs et les vendeurs concernés bénéficient d'un délai transitoire suffisamment long pour s'adapter au système de la consigne et de la reprise individuelle et pour participer à un système disponible au moment où le nouveau régime devient applicable. Pour les producteurs d'eaux minérales naturelles, la Cour considère que la période transitoire de six mois est bien trop courte.

13. Deux considérations en guise de conclusion à la lecture de l'arrêt de la Cour. Tout d'abord, l'arrêt commenté, qui a été qualifié comme étant “un arrêt de principe” par la Commission (IOP/04/1468, 14 décembre 2004), fixe les règles du jeu les plus récentes entre la CE et les États membres sur le plan des emballages réutilisables, ou le recyclage des emballages à usage unique. Suivant ces règles du jeu, les États membres bénéficient d'une compétence large pour préférer un système plutôt que l'autre, et même passer d'un système à un autre. Lorsqu'ils le font, ils doivent en premier lieu veiller à ce que les conséquences de fait de leur choix politique n'entraînent pas de charges disproportionnées pour les producteurs étrangers. Une discrimination à rebours, c.-à-d. l'imposition de normes plus sévères aux producteurs nationaux est autorisée, suivant une autre jurisprudence établie de la Cour. Deuxièmement, la jurisprudence de la Cour en matière de mesures nationales sur les emballages à usage unique se focalise aujourd'hui, vu la nature des mesures nationales, sur l'article 28 CE. On n'a, par exemple, pas encore demandé à la Cour de se prononcer sur la mesure dans laquelle les mesures nationales sur les emballages à usage unique peuvent ou non violer l'article 90 CE. Cette dernière disposition s'oppose à toute entrave de nature fiscale qui serait un frein à la libre circulation des marchandises et les rapports de concurrence normaux entre les États membres. De ce point de vue, la Cour d'arbitrage a fait oeuvre de précurseur. Dans un récent arrêt du 1er décembre 2004 (arrêt n° 195/2004), elle a jugé que, sur base des faits de l'affaire, la législation belge sur les écotaxes qui instaure une “cotisation d'emballage” pour les emballages à usage unique, n'était pas contraire à l'article 90 CE.