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Faillite et contrats en cours: faculté de ne pas poursuivre l'exécution ou droit de résiliation dans le chef du curateur?, R.D.C.-T.B.H., 2005/3, p. 245-253

FAILLISSEMENT
Gevolgen (personen, goederen, verbintenissen) - Lopende overeenkomsten
Het faillissement stelt geen einde aan een bestaande overeenkomst tenzij deze overeenkomst een uitdrukkelijk ontbindend beding inhoudt of intuitu personae met de failliet is gesloten. Een overeenkomst die aan de boedel kan worden tegengeworpen moet aldus in beginsel door de curator worden uitgevoerd.
De bevoegdheid die de curator ontleent aan artikel 46 van de Faillissementswet van 8 augustus 1997 en die op alle door de failliet gesloten tegenwerpelijke overeenkomsten slaat, blijft beperkt tot hetgeen vereist wordt door het goede beheer van de boedel en de vrijwaring van het beginsel van de gelijkheid van de schuldeisers.
Het staat niet aan de curator een einde te stellen aan een tegenwerpelijke overeenkomst door de failliet gesloten wanneer de voortzetting van de overeenkomst de normale vereffening van de boedel niet beperkt. De curator kan wel een einde stellen aan een overeenkomst die de gefailleerde bindt, indien de beëindiging van de overeenkomst noodzakelijk is voor het beheer van de boedel als een goed huisvader, onverminderd de rechten die dan voortvloeien voor de medecontractant van de failliet wegens de niet-uitvoering van de overeenkomst.
De appèlrechters die oordelen dat niets eraan in de weg staat dat de curator een door de failliet in huur gegeven pand zou realiseren ondanks het bestaan van de door de huurder ingeroepen overeenkomst van handelshuur zonder in concreto na te gaan welke de gevolgen waren voor de vereffening van het faillissement verantwoorden hun beslissing niet naar recht.
FAILLITE
Conséquences (personnes, biens, obligations) - Contrats en cours
La faillite ne met pas fin à un contrat en cours à moins que celui-ci ne contienne une clause résolutoire expresse ou ait été conclu intuitu personae. Une convention qui est opposable à la masse doit dès lors en principe être exécutée par le curateur.
La compétence qu'octroie l'article 46 de la loi sur les faillites du 8 août 1997 au curateur et qui concerne toutes les conventions opposables conclues par le failli, reste limitée à ce qui est nécessaire pour la bonne administration de la masse et le respect du principe de l'égalité des créanciers.
Il n'appartient pas au curateur de mettre fin à une convention opposable conclue par le failli lorsque la poursuite de la convention n'entrave pas la liquidation normale de la masse. Le curateur peut toutefois mettre fin à une convention qui lie le failli, si ceci est nécessaire pour l'administration de la masse en bon père de famille, sans préjudice aux droits qui en résultent pour le cocontractant du failli du fait de l'inexécution de la convention.
Le juge d'appel qui décide que rien ne fait obstacle à ce que le curateur réalise un immeuble donné à bail par le failli nonobstant l'existence du bail commercial invoqué par le preneur sans rechercher in concreto quelles seraient les conséquences pour la liquidation de la faillite ne justifie pas légalement sa décision.


Faillite et contrats en cours: faculté de ne pas poursuivre l'exécution ou droit de résiliation
dans le chef du curateur?
Alain Zenner et Cédric Alter
I. Introduction

1.L'arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2004 soulève la question de savoir si, dans quelles conditions et avec quels effets, le curateur peut “mettre fin” aux contrats en cours au moment de la faillite, en l'espèce un contrat de bail commercial consenti par le débiteur failli qui avait fait l'objet d'un acte authentique et d'une transcription au registre des hypothèques.

Il est bien admis qu'en principe la faillite n'entraîne pas la dissolution des contrats en cours au jour du jugement déclaratif, sauf lorsque ceux-ci sont conclus intuitu personae ou contiennent une clause résolutoire expresse [1].

Il n'est par ailleurs pas discuté que le curateur peut choisir d'exécuter ou de ne pas exécuter les contrats en cours, selon l'intérêt de la masse et sans préjudice au droit du cocontractant de déclarer au passif dans la masse les dommages que lui cause l'inexécution [2].

Jusqu'ici les droits du curateur paraissaient s'arrêter à cela: selon la doctrine et la jurisprudence traditionnelles le droit de ne pas exécuter le contrat dans le chef du failli n'implique pas que le curateur dispose également de la faculté de priver le contractant du droit d'exécuter le contrat pour sa part, c'est-à-dire de résilier le contrat en dehors des stipulations conventionnelles ou dispositions légales.

2.Faut-il aujourd'hui reconsidérer cette position?

Il est vrai que la problématique n'est pas toujours clairement perçue, comme en témoignent deux affaires récentes que nous examinerons.

Une première difficulté est d'ordre terminologique. Peuvent ainsi susciter des difficultés d'interprétation les expressions selon lesquelles le curateur peut “mettre fin au contrat” [3], “ne pas continuer le contrat” [4], “renoncer au contrat” [5] ou “délaisser le contrat” [6], ainsi que celle selon laquelle le contrat est “présumé être résilié” [7] par le curateur.

La seconde difficulté est de fond: il s'agit d'arbitrer entre les intérêts de la masse et ceux des cocontractants du failli, l'efficacité de la procédure de liquidation collective et la sécurité juridique des transactions.

Par ailleurs, il convient de confronter la solution traditionnelle à l'article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites.

La première des deux affaires récentes que nous examinerons à cet égard concerne la faillite d'une société Mein, et a donné lieu à une décision inédite du tribunal de commerce de Bruxelles du 28 novembre 2002 et à un arrêt de la Cour d'arbitrage du 10 décembre 2003 [8]. La seconde, relative à la faillite d'une société Boopen, a abouti à une décision de la cour d'appel de Bruxelles du 26 février 2002 [9] et à l'arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2004 publié dans la présente livraison de la revue.

II. La solution traditionnelle

3.La solution traditionnellement admise - et non discutée antérieurement à la loi du 8 août 1997 sur les faillites - est que lorsqu'un contrat n'est pas dissout par la faillite, le curateur dispose d'une option, à exercer selon l'intérêt de la masse, entre une exécution en nature du contrat ou un refus d'exécution. Lorsque le curateur décide de réclamer l'exécution du contrat, le cocontractant devient créancier de la masse. Dans l'hypothèse où le curateur n'exécute pas intégralement les obligations du failli, l'autre partie peut, suivant les règles du droit commun, solliciter le cas échéant la résolution pour inexécution et l'octroi de dommages-intérêts, qui constitueront toutefois une créance dans la masse, suivant donc la loi du concours [10].

4.Dans cette solution, il n'est pas question de conférer au curateur plus de droits que ceux dont disposait le débiteur avant la faillite par rapport aux contrats en cours. En particulier, le curateur ne se voit pas reconnaître une sorte de droit de résiliation sui generis qui n'appartenait pas au débiteur. Il ne s'agit en effet ni plus ni moins que du droit de ne pas exécuter.

Ainsi M. Van Ommeslaghe écrivait-il de manière convaincante: “le droit pour le curateur de se refuser à exécuter la convention implique que celui-ci doive prêter la main à cette exécution, auquel cas il peut s'y opposer si l'intérêt de la masse le commande, sous réserve de dommages-intérêts dus au cocontractant du failli. Mais, lorsque les clauses du contrat peuvent sortir leurs effets indépendamment de toute intervention ou de toute prestation du curateur, il nous paraît que ce dernier ne pourrait (…) prétendre s'opposer à l'efficacité de la clause pour remplacer celle-ci par une inscription au passif de la masse d'une créance de dommages-intérêts” [11]. M. Van Ommeslaghe illustrait essentiellement son propos en référence, d'une part, aux clauses résolutoires contenues dans des conventions pour le cas de la faillite et, d'autre part, aux sûretés nouvelles, lesquelles devaient selon lui recevoir pleine et entière application, pour autant bien entendu que les parties aient pris leurs précautions pour que l'exécution proprement dite soit toujours possible sans le concours actif du curateur [12].

Un exemple remarquable quant à la problématique que nous examinons est également à trouver dans le cas de la faillite d'un bailleur d'immeuble. Il était en effet bien admis, avant la loi du 8 août 1997, que la faillite du bailleur (comme celle du preneur) n'est pas une cause de cessation de bail et ne modifie pas les droits et obligations nés du contrat. En conséquence, et dès lors que les conditions d'opposabilité du bail sont réunies, le curateur du bailleur failli doit respecter le bail et - tout en demeurant éventuellement passif - il ne peut résilier le contrat et expulser le locataire en dehors des stipulations légales et conventionnelles [13].

Nous reviendrons ultérieurement sur le cas de la faillite du bailleur.

III. L'article 46 L.faill. et la doctrine postérieure à cet article

5.L'article 46, alinéa 1, L.faill. dispose que dès leur entrée en fonction, les curateurs décident sans délai “s'ils poursuivent l'exécution” des contrats en cours. L'alinéa 2 précise que le cocontractant du failli peut mettre les curateurs en demeure de prendre cette décision dans les quinze jours, faute de quoi le contrat est “présumé être résilié” dès l'expiration de ce délai (sauf accord sur une prorogation éventuelle) par le curateur. Quant à la créance de dommages et intérêts éventuellement dus au cocontractant “du fait de l'inexécution”, elle entre dans la masse. L'alinéa 3 prévoit enfin que lorsque les curateurs décident d'exécuter le contrat, le cocontractant a droit, à charge de la masse, à l'exécution de cet engagement dans la mesure où celui-ci a trait à des prestations effectuées après la faillite.

6.L'exposé des motifs du projet de loi ayant abouti à la loi du 8 août 1997 sur les faillites rappelait les principes antérieurs, selon lesquels:

    • sauf caractère intuitu personae ou clause résolutoire expresse en ce sens, la faillite ne met pas fin aux contrats; et
    • lorsque le contrat ne se termine pas par le fait de la faillite, le curateur doit pouvoir décider “s'il exécute ou non le contrat”, “faute de quoi certains créanciers pourraient obtenir plus de la faillite que d'autres, ce qui violerait le principe de l'égalité” [14].

    À ce sujet, l'article 46 n'avait d'autre objectif que de consacrer la doctrine et la jurisprudence traditionnelles quant aux droits du curateur.

    Au cours de l'examen des projets 631 et 330 les dispositions proposées furent modifiées dans le but (i) de couvrir par une seule disposition tous les contrats en cours, y compris les contrats de travail, (ii) de préciser les modalités d'exercice de l'option du curateur - un mécanisme de mise en demeure étant instauré “afin de supprimer toute incertitude quant à la décision du curateur” [15] - et (iii) d'éviter toute équivoque sur l'étendue des droits du cocontractant (dans la masse ou à charge de la masse) en ce qui concerne les indemnités de rupture des contrats à prestations successives [16].

    Quant à la rédaction de l'article 46 - dont l'un des soussignés à déjà eu l'occasion de souligner qu'elle n'est pas des plus heureuses [17] - elle a été directement influencée par la problématique des contrats de travail. Au fil des différentes versions de l'article 46 il fut en effet stipulé qu'à défaut de décision du curateur sur la poursuite ou non du contrat, ledit contrat est: “résolu”, “présumé” être résolu par le curateur, puis “présumé être résilié” par le curateur [18]. La justification était que la loi sur les contrats de travail exige que l'initiative du congé repose sur l'employeur (ou le curateur) afin que le travailleur puisse prétendre à une indemnité de licenciement.

    7.La question de savoir comment interpréter l'article 46 L.faill. au regard de la jurisprudence et de la doctrine traditionnelles pour ce qui concerne les droits que le cocontractant tire du contrat inexécuté par le curateur lorsque ceux-ci n'impliquent aucune prestation ou obligation pécuniaire dans le chef du curateur, tel le contrat de bail, fut notamment examinée par M. Dirix dans une étude récente sur la faillite et les contrats en cours.

    M. Dirix s'est notamment penché sur la signification et la portée du terme “résilié” (“verbroken” en néerlandais) tel que repris à l'article 46 L.faill. [19]. L'auteur en conclut que ce terme “résilié” (“verbroken”) utilisé dans ce contexte signifie simplement que le législateur considère que le débiteur failli est définitivement en défaut [20]. La balle est alors dans le camp du cocontractant qui peut éventuellement solliciter la résolution, fut-ce implicitement, et déclarer sa créance en dommages-intérêts au passif.

    Selon la lecture de M. Dirix, l'article 46 L.faill. devrait être compris comme suit:

      • comme par le passé, le curateur peut opter pour la poursuite du contrat, les obligations qui en découlent étant des dettes de la masse, ou décider de ne pas poursuivre le contrat, la créance en dommages-intérêts découlant de cette inexécution constituant alors une créance dans la masse;
      • si le curateur ne prend pas position dans le délai qui lui est imparti, le contrat est “présumé être résilié” par le curateur, ce qui signifie que le contrat subsiste (en théorie) mais que l'inexécution du failli est constatée de plein droit, de telle sorte que le cocontractant ne reste pas dans l'expectative et peut faire valoir ses prétentions en tant que créancier du failli [21].

      8.S'agissant de la question plus spécifique de la faillite du bailleur d'immeuble, la doctrine postérieure à la loi du 8 août 1997 sur les faillites continua à défendre la solution selon laquelle le curateur est tenu de respecter un bail qui lui est opposable.

      Ainsi, notamment, M. I. Verougstraete écrivait-il en 2003, dans la dernière édition de son Manuel, que le droit d'option du curateur du bailleur failli “ne lui permettrait pas d'expulser le locataire pour ensuite vendre le bien libre d'occupation” [22]. En d'autres termes, si le locataire ne peut contraindre directement le curateur de son bailleur failli à garantir sa jouissance, rien ne l'empêche de rester dans les lieux après la faillite de ce bailleur, sans que le curateur ne puisse l'en expulser.

      M. Dirix [23] ainsi que l'un des soussignés [24] ont également opiné dans le même sens [25].

      Plusieurs justifications spécifiques au contrat de bail peuvent être invoquées à l'appui de ce point de vue.

      En premier lieu, lorsque le curateur décide de ne pas exécuter un bail, son exécution par le preneur n'est pas, à elle seule, de nature à accroître le passif de la masse. Aucune obligation pécuniaire ou prestation active n'est en effet attendue du curateur, qui doit simplement permettre la jouissance du locataire [26].

      Ensuite, il serait illogique, ou à tout le moins non justifié, d'octroyer au curateur plus de droits que ceux dont dispose un créancier qui pratique saisie sur le bien, lequel doit respecter les baux opposables aux tiers [27].

      Dans le même ordre d'idées, il ne serait pas davantage justifié de permettre au curateur d'ainsi “purger” les biens immobiliers du failli de tous les baux existants au détriment des cocontractants pour ensuite le revendre à des meilleures conditions à des tiers. Selon les règles du droit commun, en cas de vente les tiers sont également tenus de respecter les baux ayant date certaine [28].

      Enfin, il est permis de considérer qu'en disposant, pour le motif précité, que le contrat est “présumé être résilié”, l'alinéa 2 de l'article 46 consacre implicitement la thèse que le curateur ne peut résilier le contrat: s'il y a présomption de résiliation, c'est qu'il n'y a pas à proprement parler résiliation. L'on peut également observer à cet égard que le texte de l'article 46, alinéa 2, L.faill. traite des dommages-intérêts découlant de l'“inexécution”, et non de la résiliation, réelle ou présumée, du contrat par le curateur.

      Certes, la position du locataire demeure précaire dans la mesure où il ne peut contraindre le curateur et la masse à l'exécution en nature des obligations découlant du bail. Néanmoins, celui-ci est fondé à rester dans les lieux et peut, le cas échéant, invoquer l'exception d'inexécution ou procéder à la compensation s'agissant de ses propres obligations de payer le loyer [29].

      IV. Comm. Bruxelles 28 novembre 2002 et C.A. 10 décembre 2003

      9.La question que nous examinons a été abordée dans le cadre d'un litige ayant donné lieu à un jugement avant dire droit prononcé par le tribunal de commerce de Bruxelles le 28 novembre 2002 [30] et à une décision de la Cour d'arbitrage du 10 décembre 2003 [31].

      Les faits peuvent être résumés de la manière suivante. La SA Mein (venant aux droits et obligation d'une SA Unisystems) avait consenti un bail commercial à la SA Interbrew Belgium (venant aux droits et obligations d'une SA Brasserie Artois) pour une période de neuf années prenant cours le 1er janvier 1984, lequel bail commercial fut renouvelé pour une période de neuf années à partir du 1er janvier 1993. À la suite de la déclaration de faillite de la SA Mein par jugement du 20 décembre 1999, les curateurs écrivèrent à Interbrew qu'en application de l'article 46 L.faill. ils avaient décidé “de ne pas poursuivre l'exécution” du bail commercial liant la société faillie à Interbrew, tout en proposant par ailleurs à cette dernière de rester momentanément dans les lieux dans le cadre d'une convention d'occupation précaire pour une durée indéterminée pendant la période précédant la procédure de résiliation de l'immeuble, et dans la mesure où il serait difficile pour Interbrew de quitter immédiatement les lieux. Interbrew répondit “qu'elle était en désaccord avec la signification de la fin du contrat, estimant que l'article 46 de la loi sur les faillites ne trouvait pas à s'appliquer et qu'elle bénéficiait, par ailleurs, de la protection de la loi sur les baux commerciaux”. La curatelle porta le différend devant le tribunal de commerce de Bruxelles, afin d'entendre valider sa décision “de ne pas poursuivre le contrat de bail commercial litigieux”.

      À titre reconventionnel, Interbrew sollicitait une indemnité d'éviction et prétendait se maintenir dans les lieux jusqu'à complet payement, qui devait, selon Interbrew, intervenir hors masse.

      10.Le tribunal a d'abord refusé, à bon droit, de suivre le raisonnement d'Interbrew selon lequel elle pourrait prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction à charge de la masse en cas d'inexécution du bail par application de l'article 46 L.faill. Rien ne justifie en effet qu'un tel paiement ne suive pas la loi du concours, la créance d'Interbrew étant respectée par son inscription au passif.

      Il a par ailleurs considéré que les curateurs sont les seuls juges de l'opportunité de poursuivre ou non l'exécution du bail et, partant, qu'il n'y a pas lieu de refuser à ceux-ci le bénéfice de l'application de l'article 46.

      Toutefois, à aucun moment ne fût, semble-t-il, clairement posée la question des effets concrets de l'application de l'article 46. Comme dit ci-dessus, plutôt que de plaider que l'article 46 L.faill. n'autorise pas le curateur à résilier et que, partant, la demande de validation du renom devait être déclarée mal fondée en tant qu'elle n'était pas conforme à la loi sur les baux commerciaux, il semble qu'Interbrew ait principalement soutenu que l'intérêt de la masse ne justifiait pas en l'espèce le recours à l'article 46 L.faill. Or, l'article 46 L.faill., qui confère une option au curateur, “s'applique” à tous les contrats. Quant à l'intérêt de la masse, il doit être apprécié par le curateur. D'où une certaine confusion.

      Tout en réservant à statuer sur le fond, le tribunal:

        • s'est néanmoins demandé si la masse ne serait pas exagérément pénalisée, ou Interbrew indûment favorisée, en l'absence de droit de résiliation dans le chef du curateur; et
        • a considéré qu'un droit de résiliation pourrait être reconnu aux curateurs indépendamment du respect de la loi sur les baux commerciaux, et ce au motif que la loi sur les faillites serait d'ordre public alors que celle sur les baux commerciaux ne serait qu'impérative, de telle sorte que “de par l'intérêt supérieur qu'elle sert, la loi sur les faillites prime la loi sur les baux commerciaux”.

        11.Concernant le préjudice prétendument causé à la masse, relevons qu'il suffit que le curateur décide de ne pas exécuter le bail pour que les éventuelles obligations futures découlant de l'existence du contrat de bail tombent dans la masse. Autrement dit, il n'est pas nécessaire que le contrat soit résilié pour éviter d'engendrer des dettes de masse [32].

        Quant au point de vue selon lequel la loi sur les faillites primerait celle sur les baux commerciaux, il nous paraît critiquable. Comment, en effet, si l'on adopte cette thèse, faire le tri entre les dispositions de la loi sur les baux commerciaux qui devraient être respectées par les curateurs, et celles que ces derniers pourraient ignorer?

        Au demeurant la Cour de cassation semble se départir progressivement de la considération que l'organisation de la faillite serait d'ordre public [33].

        Il est en outre généralement considéré que les dérogations au droit commun des contrats qui sont apportées par le droit de la faillite doivent être interprétées de manière restrictive [34]. Or, nous ne voyons pas ce qui dans la rédaction de l'article 46 L.faill. justifierait, au-delà du droit qu'il confère au curateur de ne pas exécuter les conventions du failli, une dérogation aux principes gouvernant la résiliation unilatérale des contrats selon le droit commun ou selon la loi sur les baux commerciaux.

        12.C'est dans le contexte du débat ainsi porté devant lui, et empreint d'une certaine confusion, que, faisant droit à une demande formulée par Interbrew, le tribunal a par ailleurs posé la question préjudicielle suivante à la Cour d'arbitrage: “l'article 46 de la loi du 8 août 1997, interprété comme autorisant un curateur à déroger à la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux en ne respectant pas les conditions fixées par cette loi pour pouvoir mettre fin au bail qui lie le failli au preneur, viole-t-il ou non les articles 10 et 11 de la Constitution” [35]?

        Statuant sur l'interprétation proposée par le tribunal de commerce, la Cour d'arbitrage a jugé, par un arrêt du 10 décembre 2003 [36], que l'article 46 L.faill. ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, et ce dans les termes suivants: “En visant tous les contrats, y compris ceux qui sont régis par la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux, le législateur prend une mesure pertinente au regard de l'objectif poursuivi, qui est d'assurer l'égalité des créanciers, donc de ne pas favoriser certains créanciers par rapport à d'autres.

        Si les curateurs étaient obligés en toutes circonstances de poursuivre les contrats de bail commercial, les autres créanciers de la faillite pourraient être préjudiciés en ce que la réalisation d'un bien immobilier grevé d'un bail commercial en cours peut être préjudiciable pour la masse. La spécificité d'une faillite qui doit assurer le traitement égal des créances justifie raisonnablement la différence de traitement entre deux catégories de preneurs d'un bail commercial, selon que le bailleur avec lequel ils ont contracté est commerçant ou non”.

        Quant à la portée de cette décision, il est important d'observer que la Cour d'arbitrage n'avait pas à se prononcer sur l'interprétation de l'article 46 L.faill. qui était proposée par le tribunal de commerce de Bruxelles et qui servait de postulat à la question qui lui était posée. En effet, conformément à la jurisprudence constante de la Cour d'arbitrage, “il appartient au juge qui pose la question d'interpréter la disposition qui en fait l'objet. La Cour appréciera si la disposition légale, telle qu'elle est interprétée par ce juge, viole ou non l'une des dispositions constitutionnelles que l'article 107ter (142 nouveau) de la Constitution désigne comme critères de contrôle” [37].

        V. Bruxelles 26 février 2002 et Cass. 24 juin 2004

        13.Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 26 février 2002 [38] puis à l'arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2004 publié dans la présente livraison de la revue il était encore question de la faillite d'un bailleur d'immeuble.

        Les faits, très particuliers, de la cause étaient les suivants. Par contrat du 17 août 1988, les époux P.-L. avaient concédé un bail commercial à la Alken-Maes, (venant aux droits et obligations d'une précédente société) pour une durée de 27 ans prenant cours le 1er septembre 1988 pour se terminer de plein droit le 31 août 2015. Cette convention de bail commercial avait fait l'objet d'un acte authentique passé le 30 novembre 1988. Par acte authentique du 23 octobre 1989, la SPRL Boopen, qui était déjà sous-locataire, avait acquis la propriété du bien loué des époux P.-L [39]. Le dernier contrat de sous-location entre la SA Alken-Maes et la SPRL Boopen datait du 22 juin 1995 et était conclu pour une durée de neuf ans prenant cours le 1er juillet 1995, pour se terminer de plein droit le 30 juin 2004. Ce contrat comportait, comme le précédent, des obligations de brasserie à charge de la SPRL Boopen. Les loyers dus en raison du bail principal entre la SPRL Boopen (bailleur) et la SA Alken-Maes (locataire principal) et du contrat de sous-location entre la SA Alken-Maes (locataire principal) et la SPRL Boopen (sous-locataire) avaient été compensés.

        Le 9 août 2000 la SPRL Boopen fut déclarée en faillite par le tribunal de commerce de Bruxelles. Par courrier du 23 août 2000, le curateur fit savoir à la SA Alken-Maes que par application de l'article 46 L.faill. il mettait fin aux contrats de bail. La SA Alken-Maes répondit qu'elle acceptait de mettre fin anticipativement au contrat de sous-location du 22 juin 1995 mais non au contrat de bail principal du 17 août 1988, qui avait fait l'objet d'un acte notarié le 30 novembre 1988.

        14.Le curateur à la faillite de la SPRL Boopen, qui avait introduit une action tendant à entendre dire pour droit que le bail principal avait été valablement résilié par application de l'article 46 L.faill., fut débouté en première instance et porta le litige devant la cour d'appel de Bruxelles. Par son arrêt du 26 février 2002 [40], celle-ci se rallia à la solution traditionnelle et dit pour droit que la résiliation anticipée donnée par courrier du 23 août 2000 était nulle et sans effet, le bail conservant son efficacité juridique jusqu'au terme contractuel du 31 août 2015 [41].

        La cour d'appel relevait à titre principal que le contrat de bail commercial dont se prévalait la SA Alken-Maes avait fait l'objet d'un acte authentique qui avait été transcrit au registre des hypothèques. Par cette transcription - précisait la cour - non seulement l'existence mais également la durée du bail (27 ans) avait été rendue opposable aux tiers, et donc également au curateur du bailleur failli [42]. La cour en déduisit donc que, encore que l'article 46 L.faill. ne comprenne pas d'exceptions ou de tempéraments et ne fasse pas de différence selon que le failli a conclu le contrat de bail en tant que locataire ou en tant que bailleur, le texte de cette disposition ne permet pas au curateur de méconnaître l'existence et la durée de cette convention authentique de bail commercial en mettant fin à celle-ci de manière anticipée.

        Le raisonnement de la cour nous paraissait pouvoir être approuvé sur ce point, en ce qu'il est conforme à la solution traditionnelle et à la lecture que nous faisons de l'article 46 L.faill.

        15.Le curateur invoquait par ailleurs devant la cour d'appel l'argument selon lequel la poursuite du contrat porterait un préjudice à la masse des créanciers dans la mesure où celle-ci ne pourrait réaliser le fonds de commerce et l'immeuble et où elle devrait même supporter des coûts dans le cadre de l'exécution des obligations du bailleur.

        La cour d'appel exposa qu'en premier lieu cet argument n'est pas pertinent.

        En outre - poursuivit la cour d'appel - rien n'empêche le curateur de vendre le bien malgré l'existence du contrat de bail invoqué par le locataire. La cour en conclut que c'est donc à bon droit que, concernant ce bail principal, le premier juge avait décidé que l'article 46 L.faill. “ne pouvait être appliqué” en l'espèce par le curateur.

        16.Si la solution dégagée par la cour d'appel nous paraît exacte, il est en revanche permis d'en discuter la motivation, spécialement quant à la réponse apportée à l'argument selon lequel la poursuite du contrat de bail porterait préjudice à la masse (supra n° 15).

        Il était, en particulier, trop peu nuancé, voire inexact, d'affirmer, comme le fit la cour d'appel, que la question du préjudice causé à la masse n'est pas pertinente et que l'article 46 L.faill. ne pouvait être appliqué par le curateur en l'espèce.

        En réalité, le curateur pouvait - et même devait - prendre en compte l'intérêt de la masse et appliquer l'article 46 L.faill.

        Le point déterminant était toutefois que l'application de la disposition en cause devait amener le curateur à décider s'il poursuivait ou non l'exécution du contrat de bail, selon l'intérêt de la masse, mais ne lui donnait pas le droit de résilier ce bail en dehors des stipulations du contrat et de la loi sur les baux commerciaux.

        17.La SPRL Boopen introduisit contre l'arrêt un pourvoi en cassation comportant un moyen unique, divisé en deux branches, et faisant valoir la violation des articles 40, alinéa 2 (selon lequel le curateur gère la faillite en bon père de famille sous la surveillance du juge-commissaire) et 46 L.faill.

        18.La première branche du moyen faisait essentiellement valoir qu'il ne peut être déduit du libellé de l'article 46 que l'option du curateur de poursuivre ou non l'exécution des contrats en cours ne serait pas applicable aux conventions opposables aux tiers et au curateur et/ou qui aurait fait l'objet d'un acte notarié et/ou d'une transcription au registre des hypothèques, de telle sorte qu'en décidant que l'article 46 ne conférait pas au curateur le droit de méconnaître l'existence et la durée du bail litigieux et de résilier celui-ci l'arrêt attaqué aurait introduit à l'article 46 une limitation qui n'y figure pas.

        Relevons à cet égard que la première partie du raisonnement est exacte: l'article 46 L.faill. s'applique en effet à toutes les conventions opposables à la masse. La difficulté réside toutefois dans la manière dont s'applique l'article 46 et l'option du curateur.

        19.La deuxième branche du moyen - la seule dont se saisit la Cour de cassation - était principalement fondée sur le principe selon lequel le choix de poursuivre ou non les contrats en cours selon l'intérêt de la masse revient exclusivement au curateur. Il était reproché à la décision attaquée d'avoir jugé que “l'argument du curateur selon lequel la poursuite du bail causerait un préjudice à la masse n'était pas pertinent et que rien n'empêchait celui-ci de vendre l'immeuble malgré l'existence du bail commercial”. Ce faisant, énonce le pourvoi, la cour d'appel portait en effet atteinte de manière illégale au pouvoir de décision qui est accordé au curateur par l'article 46 de la loi sur les faillites.

        La Cour de cassation a suivi cette argumentation: à ses yeux, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision en décidant que l'argument selon lequel la poursuite du contrat de bail causerait un préjudice sérieux à la masse n'était pas pertinent et en poursuivant, sans rechercher in concreto quelles seraient les conséquences pour la liquidation de la faillite, que rien ne faisait obstacle à ce que le curateur réalise le bien nonobstant l'existence du bail commercial invoqué par le preneur.

        Sur ce point, l'arrêt de la Cour de cassation nous paraît pouvoir être suivi, puisque, comme nous l'avons exposé, le juge d'appel ne pouvait légalement énoncer sans autres nuances que l'intérêt de la masse ne devait pas être pris en considération dans la décision du curateur de poursuivre ou non l'exécution du contrat de bail.

        20.Toutefois, la cour expose au préalable quelques principes qui semblent avoir une portée générale et substitue à l'expression de “refus d'exécution” contenue à l'article 46 L.faill. celle générale de “mettre fin” au contrat, ce qui laisse l'interprète perplexe.

        La cour rappelle en premier lieu que la faillite ne met pas fin au contrat en cours à moins que ce contrat contienne une clause résolutoire expresse ou soit conclu intuitu personae avec le failli.

        D'autre part - rappelle également la cour - en vertu de l'article 46 L.faill. du 8 août 1997 les curateurs décident sans délai dès leur entrée en fonction s'ils poursuivent ou non l'exécution des contrats en cours.

        Viennent ensuite les attendus principaux.

        La cour juge d'abord que la compétence qu'octroie l'article 46 au curateur et qui, souligne-t-elle, concerne toutes les conventions opposables conclues par le failli, reste limitée à ce qui est nécessaire pour la bonne administration de la masse et le respect du principe d'égalité des créanciers.

        Elle juge ensuite que s'il n'appartient pas au curateur de mettre fin à une convention opposable conclue par le failli lorsque la poursuite de la convention n'entrave pas la liquidation normale de la masse, le curateur peut toutefois mettre fin (“een einde stellen”) à une convention qui lie le failli, si ceci est nécessaire pour l'administration de la masse en bon père de famille, sans préjudice aux droits qui en résultent pour le cocontractant de la faillite du fait de l'inexécution (“niet-uitvoering”) du contrat.

        21.Que faut-il en conclure?

        La cour a-t-elle entendu paraphraser le texte de l'article 46 de la loi sur les faillites, tout en précisant, d'une part, que l'option consistant à ne pas poursuivre l'exécution du contrat ne peut être exercée par le curateur que si le refus d'exécution est nécessaire à l'administration de la masse - selon une appréciation à effectuer par le curateur et, en cas de litige, sous le contrôle in concreto du juge du fond - et, d'autre part, que cette disposition légale s'applique à toutes les conventions opposables aux tiers?

        Faut-il y voir davantage, à savoir la reconnaissance par la cour d'un principe selon lequel le curateur pourrait résilier un contrat en dehors de stipulations légales ou conventionnelles lorsqu'une telle résiliation est rendue nécessaire en vue d'une bonne administration de la masse?

        L'on peut, à nouveau, regretter à cet égard que le débat n'ait pas été posé en de meilleurs termes devant la cour d'appel puis devant la Cour de cassation. Il nous paraît en effet que le débat a été quelque peu faussé par la prémisse, selon nous inexacte, que l'alternative qui s'offrait au curateur en l'espèce était soit de poursuivre l'exécution du contrat de bail en cours, soit de le résilier. À aucun moment, nous semble-t-il, n'a été posée la question de savoir si l'intérêt de la masse ne pouvait être suffisamment préservé par la possibilité offerte par l'article 46 L.faill. au curateur de se contenter de ne pas poursuivre l'exécution du contrat de bail. Certes, l'immeuble fût resté grevé en pareille hypothèse, mais aucune dette de masse n'eût été créée à charge de la masse, si ce n'est celle - qui n'en est pas réellement une selon nous - de ne pas entraver la jouissance du locataire.

        La généralité des termes utilisés par la cour pourrait conduire à l'interprétation qu'elle a jugé que le curateur est fondé à résilier un contrat valablement conclu par le failli si une telle résiliation est rendue nécessaire en vue d'une bonne administration de la masse.

        Toutefois, l'expression “mettre fin” (“een einde stellen”) à un contrat utilisée par la Cour de cassation a une portée générale, et n'est pas nécessairement synonyme de “résilier” un contrat.

        En outre, et comme dit ci-dessus, l'alternative de la simple “non-exécution” n'a pas été débattue devant la Cour de cassation.

        Enfin, la motivation de l'arrêt attaqué était sujette à critique, notamment dans la mesure où l'intérêt de la masse n'a pas été examiné in concreto par la cour d'appel lors du contrôle de l'exercice de son option par le curateur (et ce d'ailleurs quels que soit les effets que l'on reconnaisse à cette option).

        Il résulte de ce qui précède que l'enseignement suivant peut être retiré de l'arrêt rendu par la Cour de cassation:

          • l'article 46 de la loi sur les faillites concerne tous les contrats qui ont été rendus opposables aux tiers, qu'ils soient conclus sous seing privé, coulés dans un acte authentique ou transcrits au registre des hypothèques;
          • le curateur peut - ou plutôt doit - avoir égard à l'intérêt de la masse lorsqu'il exerce l'option prévue à l'article 46 de la loi sur les faillites de poursuivre ou non l'exécution des contrats en cours;
          • le refus de poursuivre l'exécution du contrat doit être rendu nécessaire par la bonne administration de la masse;
          • en cas de contestation, les cours et tribunaux doivent examiner in concreto si le choix du curateur dans l'exercice de l'option était ou non judicieux.

          Quant à la question que nous avons examinée de savoir si le droit dont dispose le curateur de ne pas poursuivre l'exécution du contrat implique également celui de le résilier en dehors de stipulations légales ou conventionnelles, il nous paraît permis de douter qu'elle ait fait l'objet d'une prise de position de principe par la Cour de cassation.

          22.La lecture que nous proposons ainsi de l'arrêt du 24 juin 2004, et qui reste fidèle à l'enseignement de la doctrine et de la jurisprudence traditionnelles, nous parait d'autant plus justifiée que, non seulement elle n'a jamais été contestée jusqu'à présent, mais, en outre, elle est fidèle aux enseignements récents de la doctrine la plus autorisée [43].

          VI. Conclusion

          23.Faculté de ne pas poursuivre l'exécution ou droit de résiliation dans le chef du curateur?

          Voila que les décisions commentées posent de nouvelles questions aux praticiens du droit de la faillite.

          Ce ne sont pas, selon nous, les dispositions de l'article 46 L.faill. qui permettent de conclure à un véritable droit de résiliation dans le chef du curateur.

          Au-delà des discussions terminologiques - qui ont certes également leur importance - il y a un arbitrage à effectuer entre des impératifs contradictoires.

          À cet égard, le cas de la faillite du bailleur d'immeuble cristallise parfaitement l'enjeu du débat.

          Il est évident, en effet, que la liquidation de la masse s'en trouvera grandement facilitée si le curateur peut vendre un immeuble débarrassé des baux dont cet immeuble faisait l'objet.

          Toutefois, c'est la position des cocontractants du commerçant failli - déjà peu enviable - qui s'en trouve alors fragilisée, et avec elle la difficile recherche de la sécurité des trans­actions.

          Nous avons tenté de défendre l'idée qu'une conciliation - certes imparfaite - est possible entre ces intérêts divergents: le curateur peut décider de ne pas poursuivre l'exécution des contrats en cours - droit qui ne lui a jamais été contesté - et prévenir ainsi la naissance de nouvelles dettes de masse à charge de la faillite; mais il ne dispose pas pour autant de la prérogative extraordinaire qui lui permettrait de résilier le contrat lorsque ni les règles du droit commun ni le contrat ne lui reconnaissent un tel droit.

          P.S.

          La lecture qu'il nous a été donné de faire de la contribution de M. Christian Van Buggenhout et de Mme Ilse Van de Mierop, laquelle surprend par son titre et procède davantage par affirmation que par argumentation, n'est pas de nature à modifier notre point de vue.

          Indépendamment de la prescription constitutionnelle qui prohibe tout traitement discriminatoire entre citoyens par le législateur, la règle de l'égalité des créanciers n'a d'autre portée normative que celle déposée à l'article 8 de la loi hypothécaire, qui impose de distribuer le prix de la réalisation des actifs entre les créanciers au marc le franc, à moins qu'il n'y ait entre eux des causes légitimes de préférence [44]. Quant à la théorie qui voudrait que les intérêts des créanciers soient systématiquement sacrifiés sur l'autel de la survie espérée de l'entreprise défaillante, elle ne se vérifie pas dans la pratique: pourquoi mettre en péril la continuité de l'entreprise du preneur qui se trouverait privé du bénéfice du bail commercial qui en constitue l'élément fondateur, pour faciliter la réorganisation aléatoire de celle du bailleur?

          Au demeurant le législateur semble se départir progressivement de cette idée: en consacrant en 1997 l'efficacité de la réserve de propriété, et plus récemment, dans la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières [45], celle de la cession fiduciaire et de la compensation conventionnelle, malgré la faillite, il a opté pour une vision dans laquelle l'objectif ne doit plus être le partage égal entre créanciers des pertes de leur débiteur, mais l'octroi de chances égales aux entreprises pour se prémunir elles-mêmes, ainsi que leurs travailleurs et leurs créanciers, des conséquences préjudiciables de la défaillance de leurs débiteurs.

          [1] Van Ryn et Heenen, Principes de droit commercial belges, t. IV, p. 323, n° 2780; A. Zenner et I. Verougstraete, “Poursuite des contrats en cours par les curateurs, indemnités de rupture et dettes de masse, R.D.C. 2004, p. 524 qui précisent que le principe de continuité des contrats est largement répandu dans tous les systèmes juridiques européens et s'applique à toutes les procédures collectives.
          [2] Van Ryn et Heenen, o.c., p. 325, n° 2783; voy. infra, n° 3.
          [3] Expression fréquemment utilisée dans le langage courant, mais dépourvue de signification juridique précise; voy. not. De Page, Traité, t. II, p. 724, n° 754 qui relève à cet égard que tant la dissolution que l'exécution des contrats, “mettent fin” au contrat, alors pourtant qu'il s'agit de deux notions distinctes.
          [4] Voy. l'art. 6.3. in fine des Principles of European Insolvency Law, Kluwer Legal Publishers, 2003, 642.
          [5] A. Cloquet, Les concordats et la faillite, in Les Novelles, Droit commercial, IV, 1985, p. 437, n° 1487 et J.P. Anvers 27 juillet 1994, R.W. 1996-97, p. 509 qui, en référence à Cloquet, relève cinq traductions en néerlandais du verbe “renoncer”.
          [6] M. Grégoire, Théorie générale du concours des créanciers en droit belge, Bruxelles, Bruylant, 1992, p. 235, n° 341.
          [7] Art. 46 L.faill.; voy. infra n°s 5 et 6.
          [8] Arrêt n° 161/2003 du 10 décembre 2003.
          [9] R.W. 2003-04, p. 388.
          [10] Voy. pour une telle solution: Van Ryn et Heenen, o.c., n°s 2786 et s., Cloquet, o.c., n°s 1445 et s., P. Van Ommeslaghe, “Sûretés issues de la pratique et autonomies de la volonté” in Les sûretés, colloque Feduci des 20 et 21 octobre 1983, p. 365.
          [11] P. Van Ommeslaghe, o.c., p. 366.
          [12] P. Van Ommeslaghe, o.c., pp. 366 à 370. La question de l'opposabilité et de l'efficacité de ces garanties nouvelles, appelées “sûretés nouvelles, ou issues de la pratique”, soulève d'autres discussions qui ne seront pas abordées dans le cadre de la présente note; pour un aperçu récent, voy. A. Zenner et I. Peeters, “L'opposabilité des garanties conventionnelles permettant d'échapper au concours”, J.T. 2004, pp. 865 à 872 et pp. 881 à 890 et “Tegenwerpelijkheid van samenloopvermijdende contractuele waarborgmechanismen”, R.W. 2004, pp. 481 à 505.
          [13] Voy. Cloquet, o.c., p. 437, n° 1487 et p. 505, n° 1698; De Page, Traité, t. IV, p. 753; J.P. Anvers 27 juillet 1994, R.W. 1996-97, p. 508.
          [14] Doc. parl. Ch. 1991-92, n° 631/1, p. 23.
          [15] Ibid.
          [16] Voy. A. Zenner, Dépistage, faillites et concordats, Larcier, 1998, n°s 604 et s; L. Herve, “Aperçu général du sort des contrats en cours dans le cadre des nouvelles lois sur les faillites et sur le concordat judiciaire”, in La faillite et le concordat en droit positif belge après la réforme de 1997, Rapports du 47 Séminaire organisé par la C.D.V.A. de l'Université de Liège les 6 et 7 novembre 1997, Doc. dact., pp. 397 et s.
          [17] A. Zenner et I. Verougstraete, o.c., p. 524, n° 2.
          [18] Voy. amendement n° 121/330 du Gouvernement, Doc. parl. Ch., n° 330/12, p. 5 et Doc. parl. Ch., n° 329/17, p. 140.
          [19] E. Dirix, “Faillissement en lopende overeenkomsten”, R.W. 2003-04, pp. 201 et s.
          [20] O.c., p. 204, n° 10.
          [21] Ibid.
          [22] I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat, éd. 2003, Kluwer, p. 467, n° 773 et p. 468, n° 776 où, à propos de l'hypothèse de la faillite du locataire, l'auteur précise également que si le curateur décide de renoncer à la convention de bail, les règles relatives à la rupture contenues dans les différentes législations sur les baux doivent être suivies.
          [23] E. Dirix, o.c., p. 209, n° 23.
          [24] A. Zenner, Dépistage, faillites et concordats, p. 479, n° 679.
          [25] Également: M. Lahaye et J. Van Kerckhove, Le louage de choses, in Les Novelles, Droit civil, t. VI, 2000, p. 315, n° 478; Y. Merchiers, “Les baux - le bail en général”, in Rép. not., t. VIII, livre I, n° 486.
          [26] Dirix, o.c., p. 209, n° 23 qui relève également qu'une solution similaire prévaut en droit néerlandais et en droit allemand.
          [27] Dirix, ibid.; voy. art. 1575 du Code judiciaire.
          [28] A. Verbeke et I. Peeters, “Vijf jaar voorrechten, hypotheken en andere zekerheden 1991-1995”, Gent, Mys & Breesch, 1997, p. 260, n° 348; Dirix, o.c., p. 210, n° 23.
          [29] Dirix, ibid.
          [30] Comm. Bruxelles 28 novembre 2002, inédit.
          [31] Arrêt n° 161/2003.
          [32] Dirix, o.c., p. 209, n° 23.
          [33] Statuant sur une fin de non-recevoir, la Cour de cassation a décidé dans son arrêt du 9 mars 2000 (R.W. 2000-01, p. 480) que l'égalité des créanciers est un principe de droit impératif qui peut être invoqué pour la première fois devant la cour. Comme le relève M. I. Verougstraete (Manuel de la faillite et du concordat, Kluwer, éd. 2003, p. 448, n° 741), la cour s'est ainsi écartée de sa formulation ancienne qui impliquait que le principe de l'égalité des créanciers touchait à l'ordre public.
          [34] Voy. Dirix, o.c., p. 203, n° 7 qui cite en exemple l'art. 23 de la loi sur les faillites concernant la suspension du cours des intérêts, l'art. 22 de la même loi concernant la déchéance du terme, l'art. 20, 5°, de la loi hypothécaire qui prévoit que le vendeur ne peut plus solliciter la résolution du contrat en cas de faillite de l'acheteur, l'art. 1385sexies du Code judiciaire qui dispose que l'astreinte ne peut être encourue pendant la faillite du débiteur ou l'art. 82 de la loi sur les faillites qui prévoit que l'excusabilité éteint les dettes du failli.
          [35] Une seconde question préjudicielle était également posée à la cour, à savoir “l'article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, interprété en ce qu'il interdirait au preneur évincé de réclamer paiement au curateur qualitate qua d'une indemnité d'éviction telle que prévue par l'article 25 de la loi du 30 avril 1951, viole-t-il ou non les articles 10 et 11 de la Constitution?”. Cette question appelait une réponse négative dans la mesure où l'art. 46 L.faill. n'interdit pas au cocontractant évincé de prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction mais impose simplement à celui-ci de suivre la loi au concours. Voy. C.A., arrêt n° 161/2003 du 10 décembre 2003, B. 7.
          [36] N° 161/2003.
          [37] Arrêts n°s 73/92, 43/93, 65/93, 86/93 et 7/94 cités par J. Sarot, P. Vandernoot et E. Peremans, Dix ans de jurisprudence de la Cour d'arbitrage (5 avril 1985-31 août 1995), Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 253.
          [38] R.W. 2003-04, p. 388.
          [39] Il est bien admis à cet égard qu'il n'y a pas confusion des qualités provoquant l'extinction du bail si le preneur d'une chose la donne en tout ou en partie en sous-location, et si le sous-locataire acquiert la chose, voy. M. La Haye et J. Vankerckhove, o.c., p. 232, n° 384 et les références.
          [40] R.W. 2003-04, p. 388.
          [41] Le dispositif complet de l'arrêt de la cour d'appel est reproduit dans le texte de l'arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2004.
          [42] En ce sens, voy. not. Y. Merchiers, “Les baux en général”, Rép. not., C. VIII, livre I, n° 486.
          [43] Voy. E. Dirix, o.c., p. 209, n° 23 ainsi que les références aux droits néerlandais et allemand; I. Verougstraete, o.c., p. 467, n° 773 et p. 468, n° 776; adde: A. Zenner et I. Peeters, o.c., J.T. 2004, p. 884 et la référence aux déclarations récentes des hauts magistrats de la Cour de cassation au Sénat dont il ressort notamment: que la cour entend renoncer “à deux idées reçues que l'on retrouve dans la doctrine depuis plusieurs années. La première est que la faillite est d'ordre public, et la seconde est qu'il n'y a 'pas de sûreté sans texte'”, que la règle de l'égalité des créanciers est “une notion qui a été vue de façon trop stricte dans le passé” et que, s'agissant de l'art. 46 L.faill., “cette disposition, dont l'importance n'a pas encore été totalement perçue, permet également d'affirmer et de protéger la continuation des contrats malgré la faillite, en toutes leurs clauses”; voy. également supra, n° 8.
          [44] A. Zenner et I. Peeters, “L'opposabilité des garanties conventionnelles permettant d'échapper au concours”, J.T. 2004, p. 870 , n° 14.
          [45] Loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financiers, Mon. B., 1er février 2005, éd. 2, p. 2961.