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La “qualité totale” dans le contrôle des fonds de faillite, R.D.C.-T.B.H., 2005/3, p. 211-219

La “qualité totale” dans le contrôle des fonds de faillite

Jean-Philippe Lebeau [1]

TABLE DES MATIERES

Introduction

1. Pourquoi, plus qu'hier, se préoccuper de l'effectivité du contrôle de faillite?

2. À qui incombe le contrôle de faillite?

3. En quoi peut consister, au sein du tribunal de commerce, un contrôle efficient des fonds de faillite? Dépôt des fonds à la Caisse des dépôts et consignations (art. 51 L.faill.)

Le rapport annuel (art. 34 L.faill.)

Vérification des comptes de faillite lors de la taxation définitive d'honoraires (application de l'art. 40 L.faill.)

Contrôle approfondi de la gestion de faillite (application de l'art. 40 L.faill.)

Utilisation de l'article 31 de la loi sur les faillites

Plafond du nombre de mandats par curateur

Conclusion

RESUME
L'article aborde le sujet délicat du contrôle des fonds de faillites; jusqu'ici, cet aspect de la gestion des mandats de justice n'a guère fait l'objet de développements en doctrine car dans l'esprit de beaucoup, les principes sont clairs: la surveillance des faillites existe, elle est organisée par la loi et concerne essentiellement les juges-commissaires.
Or, la confrontation des expériences au sein des juridictions commerciales enseigne que le contrôle tel qu'il est en général pratiqué ne permet pas de garantir une “qualité totale” dans la préservation des fonds de faillites.
Au contraire, un examen rapide de la situation montre que peu de tribunaux de commerce n'ont pas, à un moment ou l'autre de leur histoire, été confrontés à des problèmes dans la gestion de ces fonds.
Ainsi, à une époque où la plus grande transparence est attendue des pouvoirs de l'État dans leur fonctionnement, et singulièrement du pouvoir judiciaire, l'heure paraît venue de s'intéresser de plus près à cet aspect ingrat de la tâche des autorités judiciaires.
Dans cette optique, il est d'abord indispensable de déterminer à qui incombe le contrôle de faillite; à cet égard l'on rejettera l'idée répandue suivant laquelle le juge-commissaire serait la principale autorité de contrôle et par-là même le principal garant des fonds engrangés par le curateur.
D'une part en effet, il sera le plus souvent impossible au juge-commissaire de garantir, sans autre aide, une fiabilité totale; d'autre part, loin de lui faire porter seul le fardeau, la loi sur les faillites favorise une surveillance croisée émanant de différentes autorités judiciaires: le juge-commissaire bien sûr mais aussi le président du tribunal de commerce, le siège dans le cadre de la procédure de taxation des honoraires ainsi que le parquet.
Il appartient donc à chacun de ces acteurs judiciaires de mettre pleinement en oeuvre les responsabilités que la loi leur confie, sans se défausser sur le corps des juges consulaires.
Cependant il serait trop court de plaider en théorie pour un renforcement de la surveillance de la gestion de faillite, sans concrètement se pencher sur les mesures réalistes susceptibles de concourir à cet objectif.
Le texte collationne donc les instruments légaux de même que les “bonnes pratiques” issues de la loi, qui permettront de garantir aux créanciers la préservation des fonds qui leur reviennent.
SAMENVATTING
Dit artikel heeft betrekking op het delicate onderwerp van de controle van de middelen die uit het faillissement voortkomen; totnogtoe kwam dit aspect van het beheer slechts in beperkte mate aan bod in de rechtsleer omdat de beginselen volgens velen duidelijk zijn. Het toezicht op de faillissementen bestaat, dit is geregeld bij wet en heeft voornamelijk betrekking op de rechters-commissarissen.
Uit de ervaringen in de bevoegde rechtsinstanties blijkt dat de controle, zoals die in het algemeen wordt uitgevoerd, geen garanties biedt op het vlak van het behoud van de faillissementsmiddelen.
Een onderzoek van de situatie toont daarentegen aan dat weinig rechtbanken niet op één of ander moment te maken hebben gehad met problemen bij het beheer van die middelen.
In een tijdperk waarin van de verschillende staatsmachten - en in het bijzonder van de rechterlijke macht - de grootst mogelijke transparantie wordt verwacht, lijkt de tijd gekomen om dit aspect van de taak van de rechterlijke macht van dichterbij te bekijken.
In deze optiek moet eerst bepaald worden wie de controle moet uitoefenen: hier verwerpen we de wijdverbreide idee dat de rechter-commissaris het belangrijkste controleorgaan is en bijgevolg de belangrijkste waarborg vormt voor de middelen die door de curator worden beheerd.
Meestal is het voor de rechter-commissaris onmogelijk om zonder andere hulpmiddelen een sluitende controle te garanderen; anderzijds ligt deze last niet alleen bij hem en heeft men in de Faillissementswet de controle willen verspreiden over verschillende rechtsinstanties: vanzelfsprekend de rechter-commissaris, maar ook de voorzitter van de rechtbank van koophandel, de zetel in het kader van de bepaling van de erelonen en het openbaar ministerie.
Elkeen moet dus zijn (door de wet opgelegde) verantwoordelijkheid nemen zonder deze door te schuiven naar de rechters in handelszaken.
Vooraleer onmiddellijk te pleiten voor een versterking van het toezicht over het beheer van het faillissement, moet men zich echter beraden over de maatregelen waarmee dit doel bereikt zou kunnen worden.
Deze tekst geeft dus een overzicht van de wettelijke instrumenten en praktijken die het behoud van de gelden voor de schuldeisers waarborgen.
Introduction

1.On le sait peu: L'organisation des tribunaux de commerce en Belgique est atypique par rapport à la norme européenne; dans notre environnement en effet, il n'est pas d'autre pays qui ait structuré ses juridictions commerciales en entités indépendantes et amalgamé en leur sein juges de carrière et juges consulaires.

Système original donc, mais qui a régulièrement été attaqué à l'intérieur de nos frontières, comme en témoigne Paul Troisfontaines, dans son article de référence: “Le tribunal de commerce en Belgique: Une juridiction exemplaire?” [2].

Ainsi, en 1964, le professeur Van Reephingen, commissaire royal à la réforme du Code judiciaire, se montrait peu favorable au maintien des tribunaux de commerce dont, exposait-il, “la justification (…) s'est heurtée à des critiques plus pertinentes que les défenses que l'on en a présentées” [3].

Il s'agit pourtant d'une institution dont beaucoup de praticiens reconnaissent les mérites: dynamisme [4], absence d'arriéré judiciaire, qualité des décisions sur le plan juridique et sur le plan pratique, participation des citoyens à la justice, les tribunaux de commerce semblent disposer de tous les atouts, à une époque où les juridictions sont priées de s'adapter à un mode de fonctionnement à la fois plus efficace et plus humain.

Au point qu'en Belgique, colloques et doctrine se penchent sur une extension du modèle de l'échevinage à d'autres matières que celles dévolues au tribunal du travail et au tribunal de commerce [5].

À l'actif des juridictions commerciales, l'on ne mésestimera pas non plus le fait qu'avec l'apport de 769 juges consulaires présents à tous les niveaux de compétence, celles-ci sont notoirement économes des deniers publics puisqu'elles ne comptent que 105 magistrats de carrière sur un total de 1.110 pour l'ensemble des tribunaux de premier degré [6].

2.Alors? Malgré ces points d'excellence, pourquoi cette réticence toujours perceptible à l'égard des juridictions commerciales?

Bien sûr, l'on mettra en exergue certains réflexes de méfiance, traditionnels chez les professionnels du droit, à l'égard des juges dits “non-professionnels”; il faut le constater, aujourd'hui encore d'aucuns portent un regard sourcilleux sur cette présence exogène au sein de la magistrature [7].

Mais plus fondamentalement, n'y aurait-il pas dans l'esprit d'observateurs lucides le sentiment que depuis l'explosion du phénomène de l'insolvabilité, les tribunaux de commerce sont restés en défaut de démontrer une totale capacité à garantir la transparence en matière de gestion de faillite?

Le sujet est délicat et rarement traité en pleine lumière; il vient pourtant de l'être par Mme Christine Matray, conseiller à la Cour de cassation, auparavant présidente d'une juridiction consulaire, dans une contribution au “Liber Amicorum Michel Coipel” [8].

Traitant du problème avec la plus grande franchise, Mme Matray dépeint: “… les embûches d'un contrôle judiciaire (le contrôle des faillites) parmi les plus ingrats qui soient, parmi les plus rébarbatifs, un contrôle souvent vain et, plus encore, mal vécu par tous ceux qu'il concerne.”; avant de poursuivre: “On ne s'étonnera pas du peu de zèle de certains contrôleurs et du peu d'empressement de certains contrôlés à satisfaire aux demandes qui leur sont adressées” [9].

Et l'auteur d'en arriver au fond des choses: “L'expérience le révèle. Les curateurs sont dans leur immense majorité, d'une irréprochable intégrité et d'une parfaite diligence. Reste cette part infime de dérapages plus ou moins graves auxquels il convient de porter la plus extrême attention… Il est peu de tribunaux de commerce qui n'aient été, un jour ou l'autre confrontés à une situation de ce type” [10].

Des phrases fortes, qui interpellent…

Les préoccupations de Mme Matray rejoignent l'idée qui prévaut chez certains magistrats de commerce suivant laquelle, dans les années à venir, les juridictions commerciales joueront leur légitimité sur leur aptitude à garantir la qualité totale du contrôle en matière de mandats de justice.

Car “ce sera bien souvent à… (la) suite de cette part infime de dérapages… que l'image des tribunaux de commerce et des curateurs se détériorera dans l'esprit du public” [11].

L'heure est donc venue de poser sans fioriture le problème de l'effectivité du contrôle de faillite et plus particulièrement du contrôle des fonds de faillite car c'est bien à ce niveau que se situent les enjeux les plus sensibles.

1. Pourquoi, plus qu'hier, se préoccuper de l'effectivité du contrôle de faillite?

3.Depuis toujours, le contrôle en matière de faillite est prévu dans les textes; depuis toujours, il est mis en oeuvre au sein des arrondissements, avec plus ou moins d'efficacité; pourquoi aujourd'hui s'en inquiéter plus qu'hier?

Le praticien qui accepte de prendre un peu de recul avec le système de contrôle actuellement en vigueur, admettra que pour la plupart, les tribunaux de commerce font a priori confiance aux curateurs; loin d'être dictée par des considérations médiocres, cette attitude dans le chef de la magistrature commerciale peut être regardée comme naturelle si l'on considère différents facteurs.

Tout d'abord entre en compte la qualité de ceux à qui le législateur réserve le monopole de la fonction: le curateur est un avocat, il a prêté serment d'obéir à la Constitution et aux lois du peuple belge, il est tenu par une déontologie et encadré par les autorités de l'ordre.

Une seconde fois, en tant que curateur, l'avocat a prêté le même serment, complété par l'engagement d'accomplir ses missions en honneur et conscience, avec exactitude et probité (art. 30 de la loi sur les faillites).

Il est ainsi compréhensible que soit ancré chez les magistrats des juridictions consulaires le respect pour une profession dont le fil conducteur se trouve dans la loi.

Ce sentiment est au surplus renforcé chez les juges de carrière par une donnée sociologique: dans leur grande majorité, ceux-ci proviennent du barreau et font naturellement crédit au milieu dont ils sont issus car globalement ils ont pu en vérifier la fiabilité.

Ces facteurs expliquent que pour beaucoup de magistrats de commerce, les dérapages détectés jusqu'ici aient été considérés comme à ce point hors normes qu'ils ne justifiaient pas une remise en question fondamentale du système de contrôle des fonds de faillites; bien plus nombreux, irritants et requérants de leur part une attention soutenue, apparaissaient les cas de négligence dans la clôture des mandats.

La confiance accordée aux curateurs était donc essentiellement “subjective”, fondée sur la qualité des hommes appelés à cette fonction; l'heure est venue, semble-t-il, de doubler celle-ci d'une confiance “objective”, fondée sur la certitude de l'efficience des contrôles.

4.Cette conclusion paraîtra injuste aux nombreux curateurs qui font montre d'une scrupuleuse honnêteté, encore que de plus en plus fréquemment ils interviennent à fonds perdus.

L'on regrettera à leur égard d'avoir à la formuler autant que l'on a conscience de la dégradation de leurs conditions de rémunération liée à la multiplication des faillites sans actifs.

Cependant, notre opinion est justifiée par une mise en perspective de la situation dans différents arrondissements judiciaires.

En effet, la confrontation des expériences entre juridictions commerciales montre que pour exceptionnels qu'ils soient, les comportements répréhensibles dans l'administration des faillites ne peuvent être tenus pour négligeables.

Plus concrètement encore, un examen rapide permet de confirmer la conclusion de Mme Matray suivant laquelle peu de tribunaux de commerce n'ont pas, à un moment ou l'autre de leur histoire, été confrontés à des problèmes dans la gestion des fonds de faillites [12].

Par ailleurs, lorsque le tamis du contrôle de faillite se fait plus serré, l'expérience dévoile que la confiance a priori accordée aux curateurs favorise chez une petite minorité d'entre eux ce que l'on qualifiera, suivant une notion popularisée récemment, d'“estompement de la norme”.

À travers cette terminologie néojuridique, il s'agit de rendre compte de situations où, en dehors de détournements proprement dits, l'on constate que le curateur s'octroie des avantages non prévus par la loi, dont le caractère indu est difficilement décelable sauf contrôle approfondi, en raison de la complexité des règles qui gouvernent la gestion des faillites.

Dans l'opinion commune, de tels comportements ne présentent pas le même caractère de gravité que des détournements; ils n'en sont pas moins constitutifs de ce que l'on désigne sous le mot pudique d'“indélicatesse” et doivent également être combattus par des contrôles détaillés.

5.Pourquoi dès lors, aujourd'hui plus qu'hier, se préoccuper de l'effectivité des contrôles?

    • parce que les acteurs du contrôle de faillite savent ou devraient savoir que les comportements indélicats ne se limitent pas à des situations singulières;
    • parce qu'ainsi qu'on le verra, ils disposent des instruments matériels et légaux pour décourager les tentatives de fraude;
    • parce que dans un proche avenir, il pourrait bien leur être fait reproche de n'avoir pas suffisamment mis en oeuvre ces instruments de contrôle.
    2. À qui incombe le contrôle de faillite?

    6.Dans l'esprit de la plupart, le contrôle de faillite au sein de l'appareil judiciaire est le fait du juge-commissaire, c'est-à-dire avant tout des juges consulaires; et beaucoup de se tourner vers eux, avec une hâte quelque peu suspecte, lorsque apparaît un dysfonctionnement.

    L'opinion est cependant des plus contestable, suivant laquelle le juge-commissaire serait le principal garant des fonds de faillite; quelle que soit en effet sa bonne volonté et la compétence qui sera la sienne, il lui sera le plus souvent impossible de garantir, seul, une fiabilité totale du contrôle.

    À cela, plusieurs raisons:

      • fréquemment, le juge-commissaire exerce à l'extérieur du tribunal une activité professionnelle à temps plein; quant au concours qu'il prête à l'oeuvre de justice, il est essentiellement bénévole. Dans ces conditions, l'on ne peut exiger de sa part la même disponibilité que le juge de carrière;
      • le juge-commissaire est dépourvu de supports bureautique et humain alors qu'il contrôle des dizaines de faillites; il fait donc face, seul - notamment sans l'aide d'employés du tribunal ou d'un greffier -, aux multiples tâches, administratives et juridictionnelles, que comporte le suivi d'une faillite;
      • il n'a qu'une vue parcellaire sur la façon dont un curateur traite ses mandats et dès lors, ne pourra facilement détecter, à travers une répétition de manquements, l'apparition de situations de dangerosité;
      • la proximité humaine avec le curateur peut, pour certains, rendre psychologiquement difficile la mise en oeuvre d'une surveillance approfondie;
      • d'autres, confrontés à la complexité de la matière, se sentent parfois démunis devant ces professionnels de la liquidation que sont les curateurs;
      • souvent, le juge-commissaire a repris le mandat d'un collègue à la retraite et perd de ce fait l'avantage de la connaissance de terrain.

      En un mot comme en cent, l'idée selon laquelle le juge-commissaire pourrait, sans autre aide, faire face à un contrôle détaillé ressort en général de la fiction la plus pure.

      7.Ce type d'opinion n'est pas isolé: les travaux préparatoires de la loi du 8 août 1997 reflétaient déjà les interrogations des parlementaires sur l'effectivité du contrôle des juges-commissaires; en témoigne le fait que lors de la discussion, divers membres de la commission ont “déploré le caractère effacé du juge-commissaire dans la pratique” [13].

      C'est dans ce sens également que le représentant du ministre s'est exprimé lors de la discussion de la loi du 4 septembre 2002, dite “de réparation” [14]: “On surestime la mission de contrôle exercée par le juge-commissaire à l'égard des curateurs” [15].

      Il n'est donc pas étonnant de constater que le législateur de 1997 ait évité de faire supporter par le juge-commissaire tout le fardeau de la surveillance; en réalité, un examen attentif de la loi du 8 août 1997 enseigne que, loin de se focaliser sur le juge-commissaire, celle-ci favorise le contrôle croisé de différentes autorités judiciaires.

      8.Un premier contrôle est le fait évidemment du juge-commissaire, qui, selon l'article 35 L.faill., “est chargé spécialement d'accélérer et de surveiller les opérations, la gestion et la liquidation de la faillite”; ce texte n'est pas neuf: il provient en droite ligne de la loi du 18 avril 1851, dont il reproduit l'article 463.

      La doctrine ancienne ou moderne ne s'est pas attachée à définir le caractère “spécial” de la mission de surveillance confiée au juge-commissaire, sans doute parce que dans l'esprit de la plupart, il allait de soi que le contrôle des opérations était son fait, pratiquement sans partage.

      Pourtant, l'on relèvera que le législateur emploie l'adverbe “spécialement” et non “principalement”; ou encore que si le juge-commissaire avait été considéré comme l'unique responsable du contrôle, l'article 35 L.faill. aurait pu faire abstraction du terme “spécialement”; le fait que celui-ci ait été ajouté, indique bien qu'il existe d'autres autorités responsables.

      Dans cette optique, concluons que si le juge-commissaire est en charge spécialement de la surveillance des opérations, c'est qu'en raison de sa présence sur le terrain de la faillite, il pourra mieux que d'autres veiller à certains aspects de son déroulement, tel la réalisation des actifs.

      Mais cette mission est tout sauf exclusive de responsabilité pour les autres acteurs concernés.

      9.Le président du tribunal de commerce est au premier chef intéressé par la surveillance des faillites; il exerce en effet une mission générale de contrôle sur l'ensemble des mandats ouverts dans son arrondissement [16].

      C'est parce qu'il doit rester au-dessus de la mêlée pour remplir en toute sérénité cette mission, que l'article 11 L.faill. prohibe sa nomination comme juge-commissaire.

      Le rôle du président est d'autant plus important que des moyens informatiques non négligeables sont aujourd'hui mis à sa disposition dans l'optique du contrôle de faillite.

      Ainsi, le programme “greffe” du tribunal permet-il d'imprimer, pour chaque curateur, un listing de l'ensemble des faillites en cours, incluant diverses mentions au rang desquelles la date de dépôt du dernier rapport annuel.

      De la même façon, la Caisse des dépôts et consignations lui délivre à première demande la liste de tous les fonds déposés, par curateur et par faillite [17].

      Le président du tribunal a dès lors en main les instruments de contrôle global qui jusqu'il y a peu faisaient défaut, lui qui pour tenter d'exercer une surveillance minimum ne pouvait avoir recours qu'à la consultation longue et fastidieuse des milliers de dossiers de faillite ouverts au greffe.

      10.Le tribunal de commerce, siégeant en audience publique, trouvera également dans la loi du 8 août 1997 le droit de s'intéresser à la gestion des fonds de faillite.

      Il utilisera pour ce faire, l'article 40 L.faill. selon lequel les curateurs gèrent la faillite en bon père de famille; sur base de cette disposition générale, rien n'empêche le tribunal de vérifier que tel a bien été le cas, et ce avant taxation des honoraires puisque ceux-ci sont la contre-partie de prestations effectuées dans le respect des règles légales.

      11.Enfin, il faut insister sur les pouvoirs les plus larges dont dispose le procureur du Roi pour contrôler à sa guise tous les aspects de la gestion de faillite; l'article 36 L.faill. prévoit en effet qu'il peut “assister à toutes les opérations de la faillite, consulter à tous moments le dossier, prendre connaissance des livres et papiers du failli, vérifier sa situation et se faire donner par les curateurs tous les renseignements qu'il juge utiles”.

      Malgré l'étendue de ces pouvoirs, l'on est accoutumé à considérer comme normal le désinvestissement du parquet dans le contrôle des fonds de faillite, celui-ci se limitant à intervenir dans les cas de suspicion d'“indélicatesse”.

      En guise de justification, l'on allègue rituellement le manque de personnel ou la technicité plus grande du tribunal pour l'exercice d'un contrôle préventif.

      Pourtant, au regard de la loi, il n'existe aucune raison de soutenir que le ministère public ne serait pas, au même titre que les magistrats du tribunal de commerce, concerné par le contrôle de faillite [18].

      À l'heure où les parquets bénéficient enfin de collaborateurs spécialisés - juristes et assistants comptables - et où des sections financières structurées développent un savoir-faire économique au sein du ministère public, il est naturel d'attendre de leur part une plus grande implication dans le processus de contrôle des fonds issus de la réalisation des actifs.

      12.On le voit: nous voici bien éloignés du schéma simpliste d'un contrôle uniquement dévolu au juge-commissaire; répétons le sans ambages, la complexité du contrôle, son caractère ingrat sur le plan humain de même que son influence sur la légitimité de la justice commerciale, imposent comme devoir aux acteurs judiciaires concernés de mettre pleinement en oeuvre les responsabilités que la loi leur confie, sans se défausser sur le corps des juges consulaires.

      3. En quoi peut consister, au sein du tribunal de commerce, un contrôle efficient des fonds de faillite?

      13.Il serait trop court de plaider en théorie pour un renforcement de la surveillance, sans concrètement se pencher sur les mesures réalistes susceptibles de concourir à cet objectif.

      Examinons donc les instruments de contrôle dont disposent les tribunaux, soit qu'ils aient été expressément prévus par la loi, soit qu'ils découlent des possibilités offertes par le texte légal.

      Dépôt des fonds à la Caisse des dépôts et consignations (art. 51 L.faill.)

      14.L'article 51 L.faill., alinéa 2 prévoit que: “Les deniers provenant des ventes et recouvrements faits par les curateurs sont versés à la Caisse des dépôts et consignations dans le mois de leur réception. Afin de financer les opérations courantes, le curateur peut conserver un montant limité sur un compte bancaire individualisé par faillite, sous la surveillance du juge-commissaire, qui fixe le montant maximum”.

      Ce texte est clair et ne souffre pas d'interprétation; il faut le reconnaître pourtant, un certain laxisme a longtemps prévalu dans l'obligation de dépôt des fonds à la Caisse des dépôts et consignations (CDC); à cela, il y avait des raisons plus ou moins bonnes, qui en tout état de cause n'existent plus aujourd'hui.

      Dorénavant, le fonctionnement de la Caisse est correct [19]; les intérêts qu'elle sert sont du même ordre, voire plus élevés, que l'intérêt bancaire; outre que l'obligation de dépôt est légale et renforcée depuis la loi “de réparation” du 4 septembre 2002 - puisqu'en cas de retard les curateurs sont redevables des intérêts, calculés au taux légal, sur les fonds non déposés - il n'existe plus de justifications d'opportunité à ce que les fonds de faillites, hors le minimum autorisé par le juge-commissaire, soient maintenus en banque.

      Le dépôt des fonds à la CDC constitue un moyen de contrôle primordial: Les fonds sont ou ne sont pas à la Caisse; s'ils n'y sont pas, l'attention des organes de contrôle doit être en éveil.

      Le rapport annuel (art. 34 L.faill.)

      15.Il s'agit également d'un instrument de contrôle important; la loi n'exige plus qu'un “état détaillé” par an; le rapport comprend “l'indication des recettes, des dépenses, des répartitions, ainsi que de ce qu'il reste à liquider… L'état des contestations des créances est également précisé”.

      Concrètement, pour répondre aux voeux de la loi, le rapport annuel doit inclure:

        • un rapport de gestion détaillé qui permet à toute personne intéressée de vérifier l'évolution du mandat sur un an;
        • un rapport sur la situation comptable du mandat, sous forme d'un état comptable “recettes-dépenses”;
        • la preuve du dépôt des fonds à la CDC ainsi que la copie du dernier extrait de compte bancaire.

        En vue d'optimiser le contrôle par le biais des rapports annuels, le tribunal est susceptible de mettre en oeuvre des mesures d'accompagnement.

        Ainsi, il peut être prévu que tout rapport auquel fera défaut l'un des éléments mentionnés ci-dessus sera renvoyé à son auteur et considéré comme non-déposé; de la sorte, le rapport déficient n'apparaît pas dans le listing informatique tenu à jour par le greffe et ne vient pas polluer le circuit de contrôle.

        Ainsi encore, une fois l'an, sur base de listings informatiques reflétant la situation réelle, l'état de dépôt des rapports peut faire l'objet d'une vérification systématique pour chaque curateur.

        Si le président ou le juge qu'il délègue constate une carence dans le dépôt des rapports, il laisse au curateur un délai de (par exemple) 1 mois pour régulariser; à défaut, une mesure de suspension des désignations est appliquée d'office jusqu'au dépôt du dernier rapport manquant, sans préjudice d'autres mesures éventuelles (application de l'art. 31 L.faill., voy. infra).

        Vérification des comptes de faillite lors de la taxation définitive d'honoraires (application de l'art. 40 L.faill.)

        16.Quinze jours avant l'audience de taxation des honoraires définitifs, soit en principe peu avant clôture, il est demandé au curateur de déposer au greffe, à l'attention de la chambre du tribunal concernée par la taxation, l'ensemble des extraits de compte de la faillite de même que la fiche comptable, manuelle ou informatique, tenue par le curateur.

        Ces documents sont examinés par la chambre compétente, avant l'audience de taxation; si aucun problème n'est soulevé par le tribunal, celui-ci procède à la taxation.

        Par contre si certaines précisions s'avèrent nécessaires sur tel ou tel aspect de la comptabilité, il en est fait demande à l'audience; la cause peut éventuellement être mise en continuation.

        La vérification opérée à ce stade peut encore être affinée si le tribunal prévoit qu'à sa requête en taxation définitive d'honoraires, le curateur joint le projet de requête en clôture incluant la reddition des comptes (cas de l'insuffisance d'actif - art. 73 L.faill.) ou le projet de compte simplifié [20] incluant l'état de répartition aux créanciers ainsi que le projet de requête en clôture (hypothèse de la clôture par liquidation - art. 80 L.faill.).

        Du point de vue du curateur, cette mesure ne prête guère à conséquence puisque le travail demandé doit de toute façon être accompli.

        Du point de vue du tribunal par contre, l'avantage est double:

          • transparence accrue: le siège à qui la demande en taxation est soumise, dispose d'une perspective d'ensemble sur la gestion comptable et financière du mandat;
          • diligence dans la clôture du mandat: la mesure préconisée impose au curateur de préparer la clôture de la faillite dès qu'il entend faire taxer son état d'honoraires définitifs; sont ainsi évitées certaines situations, révélées par la pratique, où l'on constate qu'après paiement de ses honoraires, le mandataire de justice manque de motivation pour s'attaquer aux tâches arides de la clôture - détermination des dividendes et reddition des comptes -.

          Grâce aux dispositions préconisées ci-dessus, toute faillite donnant lieu à des honoraires fait l'objet d'une vérification exhaustive des comptes avant clôture.

          Contrôle approfondi de la gestion de faillite (application de l'art. 40 L.faill.)

          17.Tous les ans, le président du tribunal mandate des magistrats pour procéder à l'examen approfondi de certaines faillites, choisies en fonction de critères prédéterminés - ancienneté, importance… -, en sorte que tous les curateurs fassent l'objet d'un contrôle en boucle.

          Ce type de contrôle est idéalement mené par deux magistrats, le juge-commissaire accompagné d'un juge consulaire ou de carrière, et s'effectue sur production de tous les dossiers de la faillite; il donne lieu à un rapport écrit à l'attention du président du tribunal.

          Utilisation de l'article 31 de la loi sur les faillites

          18.Pour remédier à la négligence ou à l'opacité dans le traitement d'un mandat, il peut être fait usage de l'article 31 L.faill., selon lequel: “Le tribunal de commerce peut, à tout moment, remplacer les curateurs ou l'un d'eux, en augmenter ou en diminuer le nombre”.

          À la différence de l'omission de la liste des curateurs visée à l'article 29 L.faill., le remplacement ou la nomination d'un nouveau curateur ne constitue pas une sanction mais une simple décision de type administratif, ayant trait à la “bonne gouvernance” de la faillite [21]; elle part de l'idée que le curateur n'est pas propriétaire de son mandat.

          Ainsi, sur convocation du curateur motivée succinctement et sans que sa décision soit appelable (art. 37, al. 2, 1°, L.F) [22], le tribunal est susceptible d'adjoindre d'office un curateur au mandataire déjà désigné ou même de le remplacer [23].

          Une mesure facultative complètera l'efficacité du système: lorsque le jugement pris en application de l'article 31 L.faill. a pour effet de créer un collège de curatelle, le nouveau curateur sera désigné comme président du collège, ainsi qu'il pourrait en être à l'ouverture de la faillite dans l'hypothèse d'une pluralité de curateurs [24].

          En pratique, le choix de flanquer le premier curateur d'un second mandataire qui présidera le collège, sera souvent préférable à une mesure de remplacement, si l'on entend favoriser une certaine continuité dans la gestion.

          Soulignons combien, à travers ce nouveau texte, le législateur de 1997 a rendu plus aisée la tâche du tribunal dans le contrôle et la dynamisation des faillites.

          Mais insistons aussi pour que les magistrats compétents usent de cette disposition sans arbitraire, dans l'unique souci de remédier à des dysfonctionnements patents et non de s'immiscer par ce moyen de pression trop aisé, dans la gestion des mandats.

          Plafond du nombre de mandats par curateur

          19.Cette règle a été pour la première fois appliquée dans les années septante par Mr J.L. Duplat, président du tribunal de commerce de Bruxelles; celui-ci avait limité à 60 faillites le plafond pour chaque curateur, estimant qu'il était problématique de traiter valablement un plus grand nombre de mandats.

          Au-delà de la limite fixée, les désignations sont suspendues jusqu'à retour au plafond; des exceptions peuvent être prévues pour les curateurs qui ont accepté de reprendre des faillites en déshérence (par exemple suite à l'application de l'art. 31 L.faill.).

          Cette mesure doit tenir compte de l'organisation interne de chaque tribunal, et l'on sait que le nombre de curateurs désignés est variable suivant les arrondissements, ce qui influera nécessairement sur la hauteur du plafond.

          Pourtant, adaptée en fonction des spécificités, une telle limitation apparaît parfaitement salubre dès lors qu'il est attendu des curateurs une gestion régulière et fouillée de chaque mandat de justice.

          Conclusion

          20.Plusieurs des mesures de contrôle envisagées ici ne ressortent pas expressément du texte légal: elles procèdent plutôt d'une utilisation bien comprise de toutes les possibilités offertes par la loi sur les faillites.

          Soulignons qu'elles n'ont pas été imaginées ex abrupto, dans une aspiration soudaine à la rigueur, mais ne sont que le collationnement de “bonnes pratiques” en cours au sein des juridictions commerciales, qui, appliquées méthodiquement, permettront d'assurer un standard élevé de contrôle dans les faillites.

          Quant aux réflexions qui ont justifié cette recherche d'efficience, elles ne trouvent pas leur origine dans quelque tentation autoritaire à l'égard des curateurs; ceux-ci contribuent au jour le jour à l'activité de la justice commerciale, par un travail difficile, qui mérite le respect et dont profite toute la collectivité; de cet apport indispensable, il est peu de magistrats de commerce qui ne soient pas conscients.

          Mais aujourd'hui, chacun doit réaliser que la plus grande transparence est attendue des pouvoirs de l'État dans leur fonctionnement, et singulièrement du pouvoir judiciaire.

          Or, le secteur des faillites a toujours été sensible parce qu'il est le siège de drames humains ou que les intérêts financiers y sont importants; sentiments et suspicions ont ainsi tendance à s'exacerber.

          Toute opacité, toute complaisance seront d'autant reprochées aux tribunaux de commerce, influant négativement sur leur image et par-là même sur l'image de la justice.

          Ajoutons que si juridictions consulaires et parquets ne prenaient pas à bras le corps le contrôle des faillites, celui-ci pourrait bientôt leur devenir en partie extérieur, générant des coûts et des procédures supplémentaires.

          Et en fin de compte, il ne s'agit que d'accomplir correctement l'une des tâches principales que la loi confie aux autorités judiciaires en la matière, à savoir la protection des droits des créanciers.

          Ces derniers, à la différence d'autres systèmes judiciaires, ne se voient pas reconnaître en droit belge une représentation spécifique dans le cadre de l'ouverture de la faillite; à titre individuel, la complexité des règles, la durée des procédures, le souci de ne pas exposer en pure perte des frais nouveaux, les dissuadent souvent de mettre en oeuvre les mécanismes de contrôle légaux.

          En conséquence, ils ont le droit d'attendre de l'action des tribunaux de commerce et des parquets, la préservation de leurs intérêts; et il est du devoir de ceux-ci de leur fournir cette garantie.

          [1] Président du tribunal de commerce de Charleroi.
          [2] R.D.C. 2000, pp. 23 et s., partic. 24 à 26.
          [3] Rapport sur la réforme judiciaire, ministère de la justice, 1964, p. 77.
          [4] Dans ce sens, l'on rappellera le processus de création des chambres d'enquêtes au sein des tribunaux de commerce.
          [5] Voy. l'état actuel des réflexions dans ”Les dialogues Justice”, rapport de synthèse rédigé par F. Erdman et G. de Leval à la demande de la ministre de la justice, juillet 2004, pp. 52 à 58, texte néerlandais pp. 53 à 60.
          [6] Sources: “Justice en chiffres 2003”, publication du SPF justice, p. 7.
          [7] Voy. P. Troisfontaines, mêmes réf., p. 27.
          [8] Éditions Kluwer, 2004, pp. 669 à 677.
          [9] Ch. Matray, mêmes réf., pp. 669 et 670.
          [10] Ch. Matray, mêmes réf., p. 674.
          [11] Ch. Matray, mêmes réf.; dans le même sens voir le Rapport de la Commission nationale USA sur la révision de la faillite: “Because of the nature of a bankruptcy case, there must always be vigilance to ensure that the public has confidence in the bankruptcy system's fairness and that it is operating to the public benefit…”, 20 octobre 1997, p. 875.
          [12] Ch. Matray, mêmes réf., p. 674.
          [13] A. Zenner, Dépistage, faillites, concordats, Larcier, 1998, n° 473; voy. également l'opinion de Mr Zenner, dans le même sens, n° 481.
          [14] Loi du 4 septembre 2002 modifiant la loi du 8 août 1997 sur les faillites, le Code judiciaire et le Code des sociétés, M.B. du 21 septembre 2002, p. 49928.
          [15] Projet 1132, Doc. parl. Ch., n° 1132/013, session 2000-01, p. 70.
          [16] I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat, édition 2003, n° 416; A. Zenner, mêmes réf., n° 494.
          [17] Voy. l'audition du fonctionnaire responsable à la Caisse des dépôts et consignations, dans le cadre du projet de loi “de réparation”, Doc. 1132/013, p. 71, § 1er, session 2000-01.
          [18] I. Verougstraete souligne que: “Le Ministère public joue un rôle important dans la surveillance des faillites”, mêmes réf., p. 282.
          [19] Voy. l'audition du fonctionnaire responsable à la Caisse des dépôts et consignations, Doc. 1132/013, session 2000-01, pp. 72 et 73.
          [20] Conforme à l'art. 79 L.F.
          [21] Doc. parl. 631/1, p. 17; I. Verougstraete, mêmes réf., n° 400; A. Zenner, “Faillites et concordats 2002”, Les dossiers du J.T., p. 148, n° 125.
          [22] Cependant, le pourvoi en cassation reste ouvert; I. Verougstraete, mêmes réf., n° 400.
          [23] Saisi d'une question préjudicielle visant à vérifier la compatibilité de l'art. 37 L.F. aux artt. 10 et 11 de la Constitution et au principe d'égalité, la Cour d'arbitrage, dans un arrêt du 17 mars 2004 (n°s de rôle 2692 et 2693), a jugé que: “la question préjudicielle n'appelle pas de réponse”, soulignant dans ses motifs que “le remplacement du curateur ne peut être considéré comme une sanction disciplinaire”.
          [24] A. Zenner écrit que “le tribunal peut…préciser le champs d'activité de chaque curateur…” et cite le jugement “des Forges de Clabecq” qui a procédé à la désignation du président du collège de curatelle (Dépistage, faillites, concordats, Larcier, 1998, n° 421).