Article

Observations, R.D.C.-T.B.H., 2005/2, p. 175

KREDIET
Investeringskrediet - Vervroegde terugbetaling - Wederbeleggingsvergoeding - “Funding loss”-vergoeding
Artikel 1907bis B.W. is van toepassing op wederbeleggingsvergoedingen bedongen in leningen op interest in geval van contractueel toegestane vervroegde terugbetaling.
In de mate waarin de kredietovereenkomst vervroegde terugbetaling uitsluit, mag de bank de door kredietnemer gevraagde vervroegde terugbetaling ofwel weigeren ofwel aanvaarden onder de voorwaarden die de bank zelf bepaalt. Die voorwaarden zijn voor de kredietnemer “te nemen of te laten” (onder voorbehoud van rechtsmisbruik)
De “funding loss”-schadeloosstelling vergoedt de bank voor de schade die zij lijdt door het verbreken van het evenwicht tussen krediet en funding (de door de bank betaalde prijs voor de aankoop van geld om het krediet te kunnen geven).
Wanneer de betaling van “funding loss” de voorwaarde is voor een vervroegde terugbetaling die normalerwijze door de kredietovereenkomsten uitgesloten was, is artikel 1907bis B.W. niet toepasselijk.
CRÉDIT
Crédit d'investissement - Remboursement anticipé - Indemnité de remploi - Indemnité de “funding loss”
L'article 1907bis du Code civil s'applique aux indemnités de remploi stipulées dans les prêts à intérêt en cas de remboursement anticipé contractuellement autorisé.
Dans la mesure où la convention de crédit exclut la possibilité d'un remboursement anticipé, la banque peut soit refuser le remboursement anticipé sollicité par le preneur de crédit soit l'autoriser aux conditions qu'elle détermine. Ces conditions sont pour le preneur de crédit “à prendre ou à laisser” (sous réserve d'abus de droit).
L'indemnité de “funding loss” indemnise la banque pour le dommage qu'elle subit suite à la rupture d'équilibre entre le crédit et le funding (le prix payé par la banque pour se procurer l'argent qui lui a permis de consentir le crédit).
Lorsque le payement d'un “funding loss” est la condition d'un remboursement anticipé normalement exclu par la convention de crédit, l'article 1907bis du Code civil ne s'applique pas.

Différentes raisons peuvent conduire un client à souhaiter rembourser anticipativement un crédit existant: disponibilités de trésorerie, recherche de taux d'intérêts plus avantageux, réorganisation et centralisation des crédits chez un seul banquier…

Pour la banque, un remboursement anticipé de crédit pose problème dans la mesure où il crée un déséquilibre entre le prix du crédit et le coût du funding; entre le taux d'intérêt contractuellement applicable au crédit et les coûts supportés par la banque pour se procurer, sur le marché, la disponibilité des fonds prêtés pendant la durée du crédit.

En d'autres termes, dans la mesure où la banque - remboursée anticipativement par rapport au terme convenu - ne peut replacer les fonds remis prématurément à sa disposition qu'à un taux moins avantageux, elle subit une perte correspondant à la différence entre le prix qu'elle pourra obtenir dans le cadre de ce nouveau crédit et le coût de son propre funding, lequel reste fixé au taux négocié à l'origine sur le marché interbancaire.

Une distinction doit ici être opérée entre les conventions de crédit à durée indéterminée auxquelles chacune des parties peut mettre fin à tout moment moyennant respect d'un préavis et les crédits à durée déterminée dans le cadre desquels le terme contractuel doit - sauf convention contraire - être respecté.

Nous avons eu abondamment l'occasion d'aborder, dans nos précédentes chroniques, les questions qu'engendrent les différents cas de dénonciation de crédit par le banquier et les sanctions qu'une telle rupture de relations peut entraîner lorsqu'elle intervient au mépris des stipulations contractuelles ou est constitutive d'un abus de droit [1].

S'agissant de crédits à durée indéterminée, la tendance générale de la jurisprudence consiste à considérer que le juge n'a pas le pouvoir de réinstaurer les liens contractuels même irrégulièrement ou abusivement rompus et ne peut, le cas échéant, sanctionner une dénonciation fautive que par l'octroi de dommages et intérêts.

S'agissant de crédits de type crédit d'investissement, à durée déterminée, les limites de l'appréciation exercée a posteriori par le juge font l'objet de controverses. Une partie de la doctrine a défendu l'idée suivant laquelle le juge conserverait, même en cas de manquement invoqué dans le cadre d'un pacte commissoire exprès, le pouvoir de se prononcer sur l'adéquation de la résolution du contrat comme sanction du manquement allégué [2]. Nous défendons, pour notre part, l'idée que s'agissant, en particulier, de contrats intuitu personae, il convient de reconnaître aux parties le droit de préciser, a priori, quels sont les manquements dont la gravité justifie qu'il soit mis immédiatement fin à leur relation. Le juge ne peut, en pareil cas, que contrôler l'existence du manquement invoqué et non substituer sa propre appréciation à celle retenue conventionnellement par les parties à propos des effets de ce manquement sur leur relation [3].

Il n'est pas rare par ailleurs, que le pacte commissoire exprès prévoit également une indemnisation du banquier pour le “funding loss” subi par celui-ci du fait de la résolution anticipée imputable au comportement fautif du crédité [4].

L'espèce soumise à la Cour d'appel d'Anvers nous donne l'occasion d'aborder la rupture de crédit sous deux nouveaux angles de vue: d'une part, l'initiative de la résolution émane cette fois du crédité et d'autre part, le motif invoqué est le pur fait de ce crédité sans qu'aucun manquement contractuel ne soit par ailleurs reproché à la banque.

Le cas est “classique”: un client bénéficiaire de crédits d'investissement négocie la reprise de ces crédits par un autre banquier et sollicite dès lors le banquier dispensateur des crédits existant pour qu'il en accepte le remboursement anticipé.

Les conventions de crédits excluaient en l'occurrence, expressément, toute possibilité de remboursement anticipé.

À la demande du client, la banque communiqua cependant à ce dernier qu'elle subordonnait la résolution du crédit au paiement par le crédité d'une indemnité destinée à couvrir la banque de la perte résultant du remboursement anticipé. La banque accepta ensuite de mettre fin au crédit et de donner mainlevée des inscriptions hypothécaires qui en garantissaient le remboursement moyennant paiement par le client du montant du crédit restant à rembourser augmenté de l'indemnité exigée par la banque. Le paiement effectué par le notaire du client fut néanmoins assorti de réserves relatives à cette indemnité.

Le client demandait en justice, à titre principal de prononcer la nullité de l'indemnité en question, à tire subsidiaire d'en réduire le montant - réduction qui fut accordée par le premier juge.

Ce n'est pas la première fois que les tribunaux sont saisis de contestations relatives aux “indemnité de remploi” ou indemnisation du “funding loss” [5].

Les questions soulevées concernent essentiellement le champ d'application respectif et l'éventuelle conciliation de deux dispositions du Code civil: l'article 1134 exprimant le principe de la convention loi et l'article 1907bis du Code civil qui prévoit qu'“en cas de remboursement total ou partiel d'un prêt à intérêt, il ne peut en aucun cas être réclamé au débiteur, indépendamment du capital remboursé et des intérêts échus, une indemnité de remploi d'un montant supérieur à six mois d'intérêts calculés sur la somme remboursée au taux fixé par la convention”.

Différents arguments plaident en faveur de la non-application de l'article 1907bis aux ouvertures de crédit commerciales qui contiennent une clause excluant la possibilité d'un remboursement anticipé [6].

Tout d'abord, tant le texte de cet article que sa situation dans le chapitre du Code civil traitant des prêts à intérêt indiquent que cette disposition n'a pas vocation à régir les ouvertures de crédit entre commerçants [7].

Ensuite, l'article 1907 vise les indemnités de remploi conventionnelles et pas l'hypothèse où le remboursement anticipé intervient dans le cadre d'un contrat où une telle possibilité est expressément exclue [8].

L'emprunteur n'a pas un droit absolu à opérer suivant sa volonté le remboursement anticipé de son crédit.

Ce droit lui est seulement reconnu par certaines dispositions particulières telle l'article 26 de la loi du 4 août 1992 sur les crédits hypothécaires qui stipule que “l'emprunteur a le droit d'effectuer à tout moment le remboursement total du capital…” ou l'article 23 de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation qui reconnaît au consommateur le droit de satisfaire à tout moment par anticipation aux obligations qui découlent pour lui d'un contrat de crédit.

En dehors de ces cas, où le législateur est intervenu pour consacrer le droit au remboursement anticipé, le principe de la convention loi reste d'application.

Dans la mesure où les parties sont convenues d'un terme sans possibilité de dérogation, ce terme est stipulé dans l'intérêt des deux parties et aucune d'entre elles ne peut forcer l'autre à y renoncer [9].

Les cocontractants peuvent cependant déroger de commun accord aux stipulations du contrat initial et convenir d'un remboursement anticipé suivant des modalités et conditions sur lesquelles elles s'accordent.

À défaut d'accord, le crédité qui refuserait de respecter les conditions du crédit jusqu'à son terme se mettrait en défaut par rapport à ses engagements.

En pareille hypothèse, il n'est plus question d'un remboursement anticipé autorisé par convention, moyennant paiement d'une indemnité de remploi conventionnelle, mais bien d'une rupture unilatérale par le crédité d'un crédit à terme fixe [10].

Suivant les principes de droit commun applicables dans ce cas, la partie qui “subit” la rupture unilatérale peut à son choix exiger soit l'exécution de la convention jusqu'au terme contractuel soit le paiement d'une indemnité qui la place dans une position comparable à ce qu'aurait été sa situation dans le cadre d'une exécution normale de la convention [11].

Qui peut le plus peut le moins: la banque qui est en droit d'exiger la continuation du contrat peut subordonner l'abandon de cette exigence au paiement de l'indemnité qu'elle détermine [12], le tout sous réserve d'un abus de droit.

C'est ce que consacre la Cour d'appel d'Anvers en des termes particulièrement clairs, dans l'espèce annotée.

La Cour constate tout d'abord que les conventions de crédit conclues entre les parties n'autorisaient un remboursement anticipé qu'après un terme - non échu - de dix ans. Le crédité ne pouvait donc se désengager avant le terme contractuel sans l'accord de la banque.

La Cour écarte dès lors, en l'espèce, l'application de l'article 1907bis dans la mesure où il convient de distinguer la réparation du dommage subi par la banque du fait d'un remboursement anticipé contractuellement interdit de l'application d'une indemnité de remploi conventionnelle dans le cadre d'un prêt à intérêt (cas auquel s'applique, par contre, l'art. 1907bis).

Pressée par le crédité soucieux de négocier de nouveaux crédits avec un autre banquier, la banque a fait connaître clairement les conditions auxquelles elle subordonnait une rupture anticipée du contrat. En opérant le remboursement assorti de l'indemnité réclamée par la banque, le client a nécessairement marqué accord.

[1] Voy. notamment nos chroniques à la R.D.C. 1997, pp. 765 et s.; R.D.C. 1998, pp. 840 et s. et R.D.C. 2000, pp. 714 et s.
[2] Voy. notamment S. Stijns, “De beëindiging van de kredietovereenkomst: macht en onmacht van de (kort geding-)rechter”, T.B.H. 1996, pp. 100 à 167. Dans le même sens Comm. Bruges 24 juin 1997, R.D.C. 1998, p. 840 et nos observations p. 842.
[3] Voy. nos observations précitées à la R.D.C. 1998, p. 842.
[4] Voy. K. Troch, “De wederbeleggings- en 'funding loss'-vergoeding bij vervroegde terugbetaling van commerciële kredieten met bepaalde duur”, T.F.R. 2002, p. 261, n°s 35 et s. Selon Monsieur Troch, il faut distinguer cette situation de résolution anticipée reposant sur la faute d'une des parties - qui s'opère sous le contrôle a posteriori du juge - de la situation dans laquelle le remboursement anticipé est demandé par le client en l'absence de tout comportement fautif de la banque.
[5] K. Troch, “De wederbeleggings- en 'funding loss'-vergoeding bij vervroegde terugbetaling van commerciële kredieten met bepaalde duur”, o.c., pp. 248 et s.
[6] Voy. notamment A. Bruyneel, “Droit bancaire”, J.T. 1982, p. 353, n° 41 et K. Troch, “De wederbeleggings- en 'funding loss'-vergoeding bij vervroegde terugbetaling van commerciële kredieten met bepaalde duur”, o.c., p. 258, n° 27.
[7] En ce sens, Bruxelles 11 avril 2000 en cause Lacomble/Générale de Banque, inédit, cité par K. Troch, o.c., notamment p. 259, note subpaginale 37.
[8] En ce sens Comm. Anvers 23 septembre 1999 en cause BBL/Léonard, inédit.
[9] J. Cattaruzza, “Le crédit bancaire”, Guide juridique de l'entreprise, 2e éd., Kluwer, 1995, n° 270.
[10] En ce sens, Gand 9 avril 2003 en cause Fortis Bank/Induscon CVBA, inédit: “Waar de betaling van het gevraagde funding loss dus de voorwaarde was voor vervroegde terugbetaling, vindt art. 1907bis BW geen toepassing. Het funding loss is daarbij een schadevergoeding en geen eigenlijke wederbeleggingsvergoeding”.
[11] Sur les paramètres économiques intervenant dans la détermination du “funding loss”, voy. K. Troch, o.c., p. 255, n°s 19 et s.
[12] Voy. Bruxelles 11 avril 2000 en cause Lacomble/Générale de Banque, inédit, cité par K. Troch, o.c., notamment p. 254, note subpaginale 20.