Article

Cour d'appel Bruxelles, 30/01/2003, R.D.C.-T.B.H., 2005/2, p. 145

Cour d'appel de Bruxelles 30 janvier 2003

CHÈQUE
Chèque au porteur non barré - Vol - Usage abusif - Responsabilités - Faute lourde - Vérification de l'identité du porteur - Loi sur le blanchiment - Perte d'une chance
Il ressort de l'article 34 de la loi uniforme sur le chèque que le banquier tiré, lorsqu'il paie le chèque, n'a pas l'obligation de le faire acquitter par le porteur, lorsque celui-ci peut être considéré comme étant, a priori, porteur légitime.
Il ne peut être exigé d'une banque, tenue de payer le chèque sur présentation, qu'elle examine le caractère régulier ou suspect d'un chèque à la lumière des habitudes de ses clients en matière d'émission de chèques.
Commet une faute la banque qui ne vérifie pas l'identité d'une personne qui présente à l'encaissement un chèque dont le montant atteint ou excède 10.000 EUR, et ce en violation de l'article 4 de la loi du 11 janvier 1993. Cette faute est susceptible d'entraîner la responsabilité de la banque, mais seulement dans la mesure où elle a privé le titulaire du carnet de chèque de la possibilité de poursuivre le porteur, resté inconnu, en remboursement des montants des chèques.
Cette faute ne peut pas être qualifiée de faute lourde au sens de l'article 35bis de la loi uniforme sur le chèque. La faute lourde, au sens de cette disposition, est celle que commet le tireur qui aurait dû s'abstenir d'honorer le chèque, alors qu'en raison de circonstances particulières, il devait soit constater que le porteur du chèque n'en était pas le porteur légitime ou que le titre ne revêtait pas les conditions requises pour sa validité, soit avoir des doutes sérieux à ce sujet.
CHEQUE
Niet-gekruiste cheque aan toonder - Diefstal - Misbruik - Aansprakelijkheden - Grove fout - Verificatie van de identiteit van de drager - Wet op de witwaspraktijken - Verlies van een kans
Uit artikel 34 van de Uniforme Chequewet volgt dat de bankier betrokkene, wanneer hij de cheque uitbetaalt, deze niet moet laten kwiteren door de drager, aangezien hij a priori mag beschouwd worden als de legitieme drager.
Men kan niet eisen van een bank, gehouden tot het betalen van de cheque bij aanbieding, dat zij het regelmatige of verdachte karakter onderzoekt van een cheque in het licht van de gewoonten van haar cliënten met betrekking tot de uitgifte van de cheques.
De bank begaat een fout wanneer zij niet de identiteit van een persoon verifieert die een cheque ter incassering aanbiedt waarvan het bedrag gelijk is aan 10.000 EUR of dit bedrag overschrijdt, en dit in strijd met artikel 4 van de Wet van 11 januari 1993. Deze fout kan leiden tot de aansprakelijkheid van de bank, maar enkel in de mate dat zij de titularis van het chequeboekje de mogelijkheid heeft ontnomen om de drager, die onbekend is gebleven, te vervolgen tot terugbetaling van de bedragen van de cheques.
Deze fout kan niet als zwaar gekwalificeerd worden in de zin van artikel 35bis van de Uniforme Chequewet. De grove fout, in de zin van deze bepaling, is deze die de trekker begaat die zich had moeten onthouden van het honoreren van de cheque, terwijl hij omwille van bijzondere omstandigheden, hetzij had moeten vaststellen dat de drager van de cheque niet de legitieme drager was of dat de titel niet aan de wettelijke voorwaarden voldeed voor zijn geldigheid, hetzij serieuze twijfels in dit verband had moeten hebben.

SA Parfumerie ICI Paris XL / SA BBL

Siég.: M. Regout (président de chambre), F. Huisman, Ch. Schurmans (conseillers)
Pl.: Mes B. Van Asbroeck et S. Davidson loco B. Hanotiau

(...)

Faits et antécédents de la procédure

1. L'appelante était titulaire d'un compte ouvert dans les livres de l'intimée, auprès de son agence BBL de la Porte de Namur, à Ixelles.

En date du 24 décembre 1996, un chèque n° 35.5693 d'un montant de 422.600 FB, tiré sur l'intimée, a été présenté en paiement à l'agence de la Porte de Namur. Il s'agissait d'un chèque au porteur, non barré, daté du 20 décembre 1996.

Le 27 décembre 1996, un second chèque au porteur, non barré, portant le n° 22.5692, d'un montant de 539.830 FB et également tiré sur l'intimée en date du 24 décembre 1996, a été présenté en paiement.

L'intimée a honoré les deux chèques et débité le compte de l'appelante des montants correspondants, soit au total 962.430 FB.

À l'examen des extraits de compte, l'appelante a contesté le débit de son compte du montant des deux chèques et a fait savoir qu'il s'agissait de chèques volés.

2. La demande originaire, introduite par citation du 13 octobre 1997, tendait à entendre condamner l'intimée à payer à l'appelante un montant de 962.430 FB à titre de dommages et intérêts, à augmenter des intérêts au taux légal sur 422.600 FB du 24 décembre 1996 au 27 décembre 1996 et sur le tout à partir du 27 décembre 1996.

Le jugement attaqué dit la demande recevable mais non fondée.

Devant la Cour, l'appelante réitère les fins de sa demande originaire.

Discussion

3. L'article 35bis de la loi uniforme sur le chèque du 1er mars 1961, qui s'applique en l'espèce, énonce:

“Le propriétaire d'un carnet de chèques est responsable des ordres émis sur les formules de chèques extraites de ce carnet. Il supporte notamment toutes les conséquences résultant de la perte, du vol ou de l'emploi abusif de ces formules, à moins qu'il n'établisse soit que le tiré a usé de fraude ou commis une faute lourde, soit que le chèque n'a été perdu, volé ou altéré qu'après sa réception par le destinataire légitime. Si ce dernier administre la même preuve, le préjudice est à la charge du destinataire subséquent et ainsi de suite”.

L'appelante tente d'établir que l'intimée se serait rendue coupable d'une faute lourde.

Elle soutient tout d'abord que l'intimée aurait procédé à un contrôle insuffisant des deux formules de chèques litigieuses puisqu'elle n'aurait pas décelé la dissemblance entre la signature du tireur et les spécimens des signatures des mandataires de l'appelante habilités à engager celle-ci.

Ce moyen manque en fait: il n'existe en effet pas de discordance flagrante entre la signature qui figure sur les deux chèques et celle de Monsieur Brenig, habilité à l'époque à engager seul l'appelante mais au contraire une similitude presque parfaite, puisque les deux signes ont le même graphisme et sont de la même grandeur.

Les chèques litigieux, qui ont été établis sur des formules extraites d'un carnet mis à la disposition de l'appelante par l'intimée, revêtent par ailleurs toutes les mentions nécessaires à la création d'un chèque en bonne et due forme, énoncées à l'article 1er de la loi uniforme.

4. L'appelante reproche également à l'intimée de ne pas avoir demandé au porteur des chèques de décliner son identité.

L'article 34 de la loi uniforme dispose que le tiré peut exiger, en payant le chèque, qu'il lui soit remis acquitté par le porteur.

À supposer que l'exercice de la faculté de faire acquitter le chèque implique un contrôle de l'identité du présentateur, ce qui est controversé, il ressort de cette disposition qu'il ne s'agit que d'une faculté qu'aucune circonstance particulière ne rend obligatoire lorsque le porteur peut être considéré comme étant, a priori, un porteur légitime.

Le tiré peut en effet présumer que celui qui présente un chèque au porteur en paiement est un porteur légitime lorsque le chèque est régulier en la forme et présente donc toutes les apparences d'un titre valable, ce qui était le cas en l'espèce.

Rien ne permet donc de considérer que l'intimée aurait dû considérer que la présentation des chèques au porteur était suspecte.

5. L'appelante souligne également qu'elle n'avait pas l'habitude d'émettre des chèques au porteur et non barrés pour un tel montant, ni de remplir les formules de chèques de la main.

Elle en déduit que l'intimée aurait dû s'assurer préalablement auprès d'elle de l'authenticité des chèques qui lui étaient présentés et ce d'autant plus que les chèques litigieux portaient des numéros de série correspondant à un carnet délivré en novembre 1994.

Le fait pour la banque de ne pas avoir accompli une telle démarche ne peut cependant être qualifiée de faute lourde.

Il ne peut être exigé d'une banque, tenue de payer le chèque sur présentation, qu'elle examine le caractère régulier ou suspect d'un chèque à la lumière des habitudes de ses clients en matière d'émission de chèques.

6. L'appelante fait encore valoir qu'une demande en paiement en liquide de chèques émis dans le cadre d'activités commerciales et portant sur des sommes aussi importantes ne répond pas à la pratique courante des affaires.

Outre qu'il s'agit là d'une simple affirmation, rien ne permet de faire peser sur le tiré un devoir de contrôle plus étendu que celui lié à l'examen des conditions de régularité du chèque et de sa présentation, dans l'hypothèse où l'opération ne revêt pas un caractère courant dans la vie des affaires.

Il résulte de ce qui précède que la preuve d'une faute lourde dans le chef de l'intimée n'est pas rapportée, et que l'appelante reste donc responsable des ordres litigieux émis sur les formules de chèques extraites du carnet dont elle était propriétaire.

Les griefs formulés à l'encontre du jugement attaqué ne sont donc pas fondés.

7. Pour la première fois en degré d'appel, l'appelante fait grief à l'intimée de ne pas avoir respecté le prescrit de l'article 4 de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux.

Cette disposition impose aux organismes financiers de relever l'identité de toute personne qui souhaite réaliser une opération dont le montant atteint ou excède 10.000 euros.

La méconnaissance par l'intimée de cette disposition qui vise à combattre le blanchiment de capitaux, et qui n'a donc nullement pour objet de renforcer la protection des intérêts particuliers de titulaires de carnets de chèques, ne peut, à l'égard du titulaire d'un carnet de chèques victime d'un vol ou d'un emploi abusif de ses formules de chèques, être qualifiée de faute lourde au sens de l'article 35bis de la loi uniforme.

La faute lourde, au sens de cette disposition, est celle que commet le tireur qui aurait dû s'abstenir d'honorer le chèque, alors qu'en raison de circonstances particulières, il devait soit constater que le porteur du chèque n'en était pas le porteur légitime ou que le titre ne revêtait pas les conditions requises pour sa validité, soit avoir des doutes sérieux à ce sujet;

8. La méconnaissance par l'intimée de l'obligation légale qui pesait sur elle de relever l'identité du porteur des chèques est néanmoins une faute, ce que l'intimée ne conteste pas.

Cette faute est susceptible d'entraîner la responsabilité de la banque, mais seulement dans la mesure où elle a privé l'appelante de la possibilité de poursuivre le porteur, resté inconnu, en remboursement des montants des chèques.

Il ne peut être considéré comme acquis, contrairement à ce que soutient l'appelante, que le respect de cette obligation aurait permis, soit d'éviter la réalisation de l'opération, soit de retrouver la trace du porteur, pas plus qu'il ne peut être présumé qu'une action contre ce dernier aurait été couronnée de succès.

La négligence reprochée à juste titre à l'intimée ne peut donc entraîner sa condamnation à réparer tout le dommage que l'appelante a subi en raison du paiement des deux chèques litigieux, le dommage en relation causale avec la faute de la banque étant limité à la perte d'une chance de récupérer le montant des chèques.

Il est raisonnable de considérer que cette chance eût été minime, vu les pratiques habituelles dans ce type de délinquance telles que l'usage de faux documents d'identité, et l'insolvabilité fréquente des prévenus de ce type d'infractions.

À défaut d'éléments concrets permettant d'évaluer de façon plus précise le dommage dû à la perte de la chance précitée, celui-ci ne peut être évalué qu'en équité, à un montant de 1.000 euros.

Par ailleurs, la faute éventuelle qu'aurait commise l'appelante lors de la conservation des chèques, invoquée par l'intimée, n'exonère pas la banque de sa responsabilité pour les conséquences directes de son omission de relever l'identité du porteur des chèques.

Seule cette omission prive l'appelante de toute chance de récupérer tout ou partie de la perte qu'elle a subie.

La Cour, statuant contradictoirement,

(...)

Reçoit l'appel et le dit partiellement fondé;

Met à néant le jugement attaqué en ce qu'il déclare la demande originaire non fondée;

Statuant à nouveau sur ce point, condamne l'intimée à payer à l'appelante la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts;

(...)