Article

Cour d'appel Mons, 06/05/2003, R.D.C.-T.B.H., 2005/10, p. 1066-1072

Cour d'appel de Mons 6 mai 2003

SAISIE ET EXÉCUTION
Saisie conservatoire - Généralités - Caractère certain de la créance - Faute
L'assureur du propriétaire d'une habitation incendiée qui pratique une saisie-arrêt conservatoire entre les mains de l'assureur du locataire après qu'il ait indemnisé son assuré, alors qu'il ne dispose d'aucun élément qui donnerait une indication suffisante de la responsabilité de ce locataire pour les dommages à des bâtiments donnés en location à des tiers, subis à l'occasion de l'extinction de l'incendie, se trompe sur le caractère certain de sa créance. Cette erreur de jugement n'a toutefois pas d'influence sur l'appréciation de sa responsabilité éventuelle pour autant qu'au moment de la saisie jusqu'à l'arrêt ordonnant la levée, il existait dans son chef une série de questions légitimes sur le fait que le locataire disposait ou non d'une couverture d'assurance suffisante.
ASSURANCE
Contrat d'assurance - Interprétation du contrat d'assurance - Termes clairs et précis - Sanction
Une clause qui est équivoque parce que l'erreur grammaticale peut être corrigée de différente manière et qui est imprécise en l'absence d'une définition claire dans la police de la notion d'assurance directe, viole l'article 14 de l'A.R. du 22 février 1991 portant règlement général relatif au contrôle des entreprises d'assurances. Vu que la sanction applicable de la conversion légale, déterminée à l'article 19bis de la loi contrôle du 9 juillet 1975, a un “caractère surréaliste” dans l'application d'une clause imprécise, cette clause doit être interprétée conformément aux principes de l'article 1162 C. civ. Lorsque la clause a pour but de limiter la garantie, l'assureur est réputé être la partie qui a stipulé, de sorte que la clause doit être interprétée à l'avantage de l'assuré.

BESLAG EN EXECUTIE
Bewarend beslag - Algemeen - Zeker karakter schuldvordering - Fout
De verzekeraar van de eigenaar van een afgebrande woning die bewarend beslag legt onder derden in handen van de verzekeraar van de huurder nadat hij zijn verzekerde heeft vergoed, terwijl hij over geen element beschikt waaruit een voldoende aanwijzing van aansprakelijkheid van deze huurder voor de schade door de uitbreiding van de brand naar de aan de derden in huur gegeven gebouwen zou blijken, vergist zich over het zeker karakter van zijn schuldvordering. Deze beoordelingsfout heeft evenwel geen invloed op beoordeling van zijn eventuele aansprakelijkheid voor zover er op het ogenblik van het beslag tot het arrest dat de handlichting beval, er in zijnen hoofde een reeks legitieme vragen bestonden of de huurder al dan niet over een voldoende verzekeringsdekking beschikte.
VERZEKERING
Verzekeringsovereenkomst - Interpretatie van de verzekeringsovereenkomst - Duidelijke en nauwkeurige bewoordingen - Sanctie
Een beding dat dubbelzinnig is omdat de grammaticale tekortkoming op verschillende wijze kan worden gecorrigeerd en onduidelijk is bij afwezigheid van een duidelijke omschrijving in de polis van het begrip directe verzekering, schendt artikel 14 K.B. 22 februari 1991 houdende algemeen reglement op de controle van verzekeringsondernemingen. Nu de toepasselijke sanctie van de wettelijke conversie, bepaald in artikel 19bis Controlewet van 9 juli 1975, een “surrealististisch karakter” heeft in de toepassing op een onduidelijk beding, dient dit beding te worden uitgelegd overeenkomstig de beginselen van artikel 1162 B.W. Wanneer het beding tot doel heeft de waarborg te beperken, moet de verzekeraar geacht worden de partij te zijn die bedongen heeft, zodat het beding moet worden geïnterpreteerd ten voordele van de verzekerde.

SA Zurich e.a. / SA Distribois

SA Distribois / SA AGF Belgium Insurance

Siég.: M. Castin (conseiller), G. Horsmans et B. Cartuyvels (conseillers suppléant)
Pl.: Mes C. Brkojewisch, H. de Stexhe et E. Duvieusart et E. Carre
Antécédents
Les faits et rétroactes

Les faits de la cause ont été exactement relatés par le tribunal et la cour se réfère à cet exposé;

Il suffit de rappeler que:

- les demandes originaires sont consécutives aux suites d'un incendie qui pris naissance le 30 décembre 1994 dans les locaux commerciaux donnés en location par la SA Temerec à la SA Distribois et qui se propagea aux locaux voisins et donnés en location par la SA Temerec aux sociétés Unilever et Logistic; l'immeuble appartenant à la SA Temerec était assuré contre le risque d'incendie par la SA Zurich, la SA Generali Belgium, la SA Gan Belgium devenue SA Zelia, la SA Apa et la SA AXA Belgium devenue la SA AXA-Royale Belge;

- dans le cadre de l'information pénale ouverte ensuite de l'incendie, le parquet de Charleroi a désigné l'expert Ligot pour donner un avis sur les causes de l'incendie;

- la SA Distribois était assurée auprès de la société de droit néerlandais Nown Verzekeringen, aux droits et obligations de laquelle se trouve actuellement la SA AGF Belgium Insurance, d'une part contre le risque “incendie” et d'autre part contre le risque “perte d'exploitation”;

- dans le cadre d'une instance en référés mue à l'initiative de la SA Zurich et consorts contre la SA Distribois et son assureur, un expert fut désigné par ordonnance du 6 février 1995 avec mission de déterminer les causes du sinistre et son rapport déposé le 29 septembre 1997;

Une procédure de saisie-arrêt conservatoire fut initiée par la SA Zurich et par la SA Temerec entre les mains de la société de droit néerlandais à concurrence de 10.000.000 FB pour la SA Temerec et 93.000.000 FB pour la SA Zurich;

L'ordonnance rendue par le juge des saisies de Bruxelles le 14 mars 1995 a autorisé cette saisie à concurrence, suite à une erreur matérielle, de 10.000 FB pour la SA Temerec et 93.000 FB pour la SA Zurich;

La déclaration de tiers-saisi fut effectuée le 24 mars 1995 par la société de droit néerlandais Nown Verzekeringen, qui retint les montants de 10.000 FB et 93.000 FB et opéra, au-delà de ces sommes, des versements à la SA Distribois;

Par ordonnance du 31 mars 1995, le juge des saisies de Bruxelles a rectifié l'erreur matérielle entachant l'ordonnance précitée du 14 mars 1995; le greffe ayant toutefois omis de signifier l'ordonnance rectificative, la SA Zurich et la SA Temerec ont procédé à sa signification le 10 juillet 1995 au tiers-saisi et à sa dénonciation à la SA Distribois par exploit d'huissier de justice du 18 juillet 1995;

Sur la tierce-opposition formée par la SA Distribois aux ordonnances précitées des 14 et 31 mars 1995, le juge des saisies de Bruxelles, par jugement du 24 octobre 1996 a rétracté partiellement les ordonnances attaquées et a:

- autorisé la saisie litigieuse à concurrence de 53.000.000 FB pour la SA Zurich, lui ordonnant de donner mainlevée des saisies en tant qu'elles excédaient ces montants;

- déclaré non fondée l'action de la SA Temerec;

La SA Distribois a relevé appel du jugement du 24 octobre 1996 et deux arrêts furent prononcés par la cour d'appel de Bruxelles respectivement les 5 février 1999 et 24 juin 1999, aux termes desquels fut ordonnée la mainlevée de la saisie-arrêt conservatoire autorisée par les ordonnances des 14 et 31 mars 1999;

En juillet 1999, soit postérieurement à l'introduction des demandes originaires devant le tribunal, une transaction est intervenue entre, d'une part, la SA Zurich, la SA Generali Belgium, la SA Gan Belgium devenue SA Zelia, la SA Apa et la SA AXA Belgium devenue la SA AXA Belgium-Royale Belge et, d'autre part, la SA Assubel, mettant fin au litige les opposants moyennant le versement par la SA Assubel - accidents et dommages (succédant, à Nown Verzekeringen) d'une somme de 35.000.000 FB qui fut effectivement réglée le 23 août 1999;

La SA Distribois, bien qu'associée aux négociations, n'a pas signé cette transaction;

Un accord est intervenu en 1999 entre la SA Distribois et la SA Assubel - Accidents et dommages, aux termes duquel il a été transigé sur les montants dus en principal à la SA Distribois, qui reçu ainsi en paiement 5.729.292 FB et 15.031.793 FB le 3 août 1999 et 10.050.000 FB le 17 août 1999;

La procédure

(...)

Les appels

(...)

Fondement
1. Sur les appels dirigés contre les dispositions du jugement déféré statuant sur la demande reconventionnelle originaire de la SA Distribois contre la SA Zurich, la SA Generali Belgium, la SA Apa, la SA Zelia et la SA AXA-Royale Belge

Le tribunal a considéré, en substance:

- que l'autorité de chose jugée attachée aux arrêts précités rendus par la cour d'appel de Bruxelles les 5 février 1999 et 24 juin 1999 faisait obstacle à la remise en question:

- d'une part, du caractère certain de la créance de la SA Zurich, caractère limité au montant des indemnités versées en réparation des dégâts occasionnés à la partie de l'immeuble litigieux occupée par la SA Distribois;

- d'autre part, de l'absence de la condition de célérité par rapport à ce montant déterminé;

- que lors de la transaction intervenue entre la SA Zurich et consorts et la SA AGF Belgium Insurance, cette dernière n'était pas intervenue en tant que subrogée à son assurée la SA Distribois mais en tant qu'assureur de la responsabilité locative de celle-ci dans le cadre de l'action directe dont disposait la SA Zurich et consorts en sorte que la SA Distribois n'était pas partie à cette transaction qui ne lui était pas opposable et ne pouvait faire obstacle à sa demande reconventionnelle;

- que l'arrêt précité de la cour d'appel de Bruxelles du 24 juin 1999, considérant que la saisie litigieuse ne revêtait pas un caractère téméraire et vexatoire, n'excluait en rien l'existence d'une faute dans le chef de la SA Zurich dès lors que ledit arrêt, se référant à la jurisprudence et à la doctrine traditionnelles, avait décidé que l'octroi d'un dommage moral du chef d'une action judiciaire mal fondée exigeait que soit rapportée la preuve d'une faute lourde (erreur grossière) ou d'un dol (méchanceté, malice ou mauvaise foi), quod non en l'espèce;

- qu'il n'en allait pas de même dans le cadre de la réclamation d'un préjudice matériel découlant comme en l'espèce d'une action judiciaire mal fondée, la SA Distribois étant en droit de postuler la réparation du préjudice matériel qu'elle démontrerait avoir subi dès lors qu'elle établit l'existence d'une faute dans le chef de la SA Zurich et du lien de causalité avec le préjudice vanté;

- qu'à l'évidence, la SA Zurich avait fautivement considéré, pour pratiquer la saisie-arrêt conservatoire litigieuse:

- que sa créance avait un caractère suffisant de certitude pour ce qui excédait le recours locatif de l'article 1733 du Code civil;

- que sa créance présentait le caractère de célérité requis, dès lors que la SA Distribois était suffisamment assurée par la société de droit néerlandais Nown Verzekeringen, élément dont la SA Zurich avait connaissance à tout le moins depuis le procès-verbal d'expertise immobilière du 24 août 1995 fixant à 43.424.664 FB la valeur réelle des locaux incendiés et occupés par la SA Distribois;

- qu'en maintenant la saisie-arrêt conservatoire entre les mains de la société de droit néerlandais Nown Verzekeringen au-delà du 24 août 1995, la SA Zurich avait manifestement commis une faute;

- que la réclamation de la SA Distribois quant à l'indemnisation du préjudice matériel découlant des saisies pratiquées:

- ne faisait pas double emploi avec les intérêts de retard réclamés par la SA Distribois à son assureur la SA AGF Belgium Insurance dès lors que la SA Distribois poursuivait la réparation du préjudice subi en ce qu'il excéderait les intérêts alloués à charge de la SA AGF Belgium Insurance;

- ne violait pas le principe indemnitaire dès lors que l'objet de cette réclamation était d'une nature différente de celle dirigée par la SA Distribois contre son assureur, en indemnisation des pertes d'exploitation;

- que les éléments d'appréciation versés aux débats établissaient que la SA Distribois avait manifestement subi un dommage en ne percevant les indemnités dues par la SA AGF Belgium Insurance qu'avec un retard important trouvant lui-même son origine dans la saisie-arrêt conservatoire pratiquée fautivement par la SA Zurich;

- qu'il apparaissait nécessaire, pour déterminer le quantum du dommage subi entre le 10 juillet 1995 (date de notification à la société de droit néerlandais Nown Verzekeringen de l'ordonnance du 31 mars 1995) et le 3 août 1999 (date de libération des fonds au profit de la SA Distribois) à une mesure d'expertise comptable;

Devant la cour, la SA Zurich et consorts:

- soulèvent l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle originaire de la SA Distribois, au motif qu'en vertu du bail liant leur assurée la SA Temerec - aux droits et obligations desquelles elles sont subrogées - la SA Distribois a expressément renoncé à tout recours contre son bailleur “à quelque titre que ce soit, tant sur base contractuelle que quasi-délictuelle”;

- contestent avoir commis une faute en pratiquant et en maintenant les saisies-arrêts litigieuses;

- contestent l'existence du préjudice matériel vanté par la SA Distribois et le lien de causalité retenu par le tribunal.

(...)

1.b. Fondement de la demande reconventionnelle originaire

(...)

À l'égard de la SA Zurich

La SA Distribois invoque vainement une prétendue responsabilité sans faute dans le chef de la SA Zurich, entraînant l'obligation de réparer le préjudice vanté consécutivement aux saisies litigieuses;

Le raisonnement développé à cet égard par la SA Distribois n'est en réalité applicable qu'à la partie qui exécute une décision judiciaire revêtue de l'exécution provisoire et pareil raisonnement n'est pas transposable à la partie saisissante dans le cadre de mesures conservatoires autorisées par le juge des saisies et dont la mainlevée a été ensuite ordonnée;

La responsabilité du saisissant requiert en premier lieu la démonstration de l'existence d'une faute dans son chef, pour avoir pratiqué la saisie de manière abusive ou indûment et sans précaution suffisante et à cet égard il n'est pas nécessaire d'établir que la saisie résulterait d'une quelconque intention de nuire;

La faute du créancier saisissant peut dans ce cadre se déduire d'un manquement au devoir général de prudence, notamment pour avoir pratiqué une saisie conservatoire et l'avoir maintenue alors qu'il savait ou devait savoir que sa créance ne revêtait pas le caractère de certitude requis et que le cas ne présentait pas le caractère de célérité exigé;

Il convient à ce stade de rappeler la teneur des arrêts prononcés par la cour d'appel de Bruxelles les 5 février et 24 juin 1999 sur l'appel du jugement statuant sur la tierce-opposition formée par la SA Distribois;

Quant à la célérité:

L'arrêt du 5 février 1999, après avoir rappelé que “la célérité existe dès le moment où le créancier peut sérieusement craindre un préjudice consistant dans la mise en péril du recouvrement de sa créance” et que cette célérité devait subsister jusqu'au moment où le juge statue dans le cadre d'une instance en mainlevée - y compris en degré d'appel - a constaté que les inquiétudes nourries par la SA Zurich quant aux possibilités de recouvrement dans l'exercice de son recours subrogatoire contre la SA Distribois se trouvaient fondées, inquiétudes justifiées par:

- l'insuffisance des fonds propres de la SA Distribois eu égard à la créance dont se prévalait la SA Zurich;

- les pertes enregistrées dans les exercices comptables de la SA Distribois pour les années 1996 et 1997;

- les convocations de la SA Distribois devant la chambre d'enquêtes commerciales du tribunal de commerce de Charleroi en décembre 1996 et novembre 1997;

- l'existence d'un gage sur le fonds de commerce de la SA Distribois au profit de la SNCI;

- la reconnaissance par la SA Distribois d'une sous-assurance dans des conclusions prises devant le tribunal de commerce de Charleroi.

Quant au caractère certain de la créance de la SA Zurich:

L'arrêt du 5 février 1999 a considéré:

- que la créance de la SA Zurich présentait un caractère suffisant de certitude pour la partie de cette créance recouvrant l'indemnisation des conséquences dommageables de l'incendie relativement à la partie de l'immeuble litigieux donné en location à la SA Distribois dès lors qu'en vertu de l'article 1733 du Code civil le locataire répondait de l'incendie à moins qu'il ne démontre que celui-ci ait eu lieu sans sa faute, démonstration non apportée par la SA Distribois;

- que suivant le procès-verbal d'expertise du 24 août 1995, ledit dommage s'élevait à 52.106.200 FB TVA incluse, soit 43.942.719 FB hors TVA, chômage immobilier inclus;

- que, concernant le surplus de la créance de la SA Zurich, cette dernière n'établissait pas son caractère suffisant de certitude, impliquant que puisse être imputée à une faute de la SA Distribois les conséquences dommageables de l'extension de l'incendie aux locaux de la SA Temerec donnés en location à des tiers;

- que dès lors que la SA Zurich disposait d'une action directe contre l'assureur de la SA Distribois, action qu'elle avait mise en oeuvre, la saisie ne pouvait se justifier que pour autant que la créance reconnue comme certaine ne soit pas entièrement prise en charge par ledit assureur, la cour ordonnant à ce propos la réouverture des débats et la production de pièces devant lui permettre de trancher les contestations élevées entre les parties quant à l'étendue de la couverture d'assurance due par la société de droit néerlandais Nown Verzekeringen.

L'arrêt du 24 juin 1999 a ordonné la mainlevée des saisies litigieuses, considérant, après examen des pièces demandées par l'arrêt du 5 février 1999, qu'il se vérifiait qu'à la date du sinistre la responsabilité civile locative de la SA Distribois était couverte pour un montant supérieur à la créance certaine de la SA Zurich sur la SA Distribois et que ni la solvabilité de l'assureur de cette dernière ni son obligation de couvrir le sinistre n'étaient contestées;

Eu égard à l'autorité de chose jugée attachée à ces décisions, la question de savoir si la SA Zurich a ou non commis une faute se circonscrit au point de savoir si la SA Zurich a manqué à son devoir de prudence en se méprenant sur le caractère certain de sa créance, et ce sous deux angles: le montant de celle-ci et l'existence d'une couverture d'assurance pour tout ou partie de celle-ci;

Concernant le premier point, soit le montant de sa créance à l'égard de la SA Distribois, il ne peut être admis qu'au moment où furent pratiquées les saisies litigieuses pour un montant englobant les indemnités versées du chef des dégâts infligés aux locaux non loués par la SA Distribois, la SA Zurich n'aurait pas été en mesure d'opérer la ventilation retenue par l'arrêt du 5 février 1999 alors qu'elle ne pouvait ignorer, en tant que professionnelle de l'assurance, que les dispositions de l'article 1732 du Code civil étaient abrogées depuis plusieurs années et qu'elle ne disposait d'aucun élément susceptible de conférer une apparence suffisante de fondement à une quelconque responsabilité de la SA Distribois du chef des dégâts infligés aux parties de l'immeuble louées par des tiers;

La SA Zurich reconnaît d'ailleurs implicitement cette incertitude lorsqu'elle mentionne n'avoir eu accès au dossier répressif qu'en 1998 et n'avoir pas disposé avant cette date des données factuelles lui permettant de se forger un avis sur les responsabilités, en sorte qu'elle n'était pas en droit de présumer raisonnablement l'implication éventuelle de la SA Distribois ou des personnes dont elle répondait, lesquelles bénéficiaient comme tout un chacun de la présomption d'innocence, dans la survenance de l'incendie litigieux et son extension aux locaux voisins;

Cela étant, il apparaît d'autre part à l'analyse des éléments soumis par les parties que l'erreur d'appréciation commise par la SA Zurich quant au caractère certain du montant de sa créance à l'égard de la SA Distribois sont dénuées d'incidence quant à l'appréciation de sa responsabilité éventuelle dans la mesure où, comme dit ci-après, il existait tant au moment où furent pratiquées les saisies que jusqu'à l'arrêt en ordonnant la mainlevée une série d'interrogations légitimes dans le chef de la SA Zurich sur le point de savoir si la SA Distribois bénéficiait ou non d'une couverture d'assurance suffisante;

En effet, l'examen des pièces versées aux débats révèle que les craintes émises quant à une éventuelle sous-assurance de la SA Distribois n'étaient pas pure hypothèse évoquée à la légère par la SA Zurich:

- les deux déclarations de tiers-saisi évoquent la possibilité d'une sous-assurance;

- cette sous-assurance est encore évoquée par la SA Distribois elle-même dans ses conclusions déposées devant la cour d'appel de Bruxelles;

- l'étendue de la couverture d'assurance de la SA Distribois était à ce point indéterminée par les pièces échangées entre les parties que la cour d'appel de Bruxelles fut contrainte dans son arrêt du 5 février 1999 d'ordonner la production des documents ad hoc pour délimiter précisément cette couverture, documents qui ne furent produits par la SA Distribois que le 16 mars 1999 en vue de l'audience de réouverture des débats fixées au 19 mars 1999;

C'est en conséquence rétroactivement et sans que l'attitude de la SA Zurich à cet égard puisse être mise en cause qu'il fut établi que la sous-assurance suspectée par cette dernière n'était pas établie;

La SA Distribois s'avère en défaut de démontrer que la SA Zurich possédait dès le dépôt des requêtes en saisie-arrêt conservatoire et jusqu'à l'arrêt subséquent les éléments d'appréciation qui auraient dû lui permettre de réaliser raisonnablement l'absence de risque de n'être pas intégralement indemnisée dans le cadre de son action directe contre la société de droit néerlandais Nown Verzekeringen et, en conséquence de donner volontairement mainlevée des saisies litigieuses;

Des considérations qui précèdent, il suit que la preuve n'est pas apportée de l'existence dans le chef de la SA Zurich d'un manquement fautif ni dans l'initiative d'opérer des saisies conservatoires ni dans leur maintien jusqu'à l'ordonnance de mainlevée, en sorte qu'il est sans intérêt d'examiner l'existence du préjudice allégué, la responsabilité de la SA Zurich dans la survenance de celui-ci ne pouvant être engagée;

La demande reconventionnelle originairement dirigée par la SA Distribois contre la SA Zurich doit être déclarée non fondée;

En conséquence, l'appel principal de la SA Zurich doit être déclaré fondé et l'appel incident de la SA Distribois non fondé;

(...)

3. Sur le poste “pertes indirectes sur la responsabilité locative et garanties accessoires y afférentes”

Le tribunal a considéré à bon droit que la SA Distribois ne pouvait se prévaloir, pour établir le montant de l'indemnité lui revenant, du rapport de l'expert Galtier dès lors que ce rapport avait été établi unilatéralement, et non contradictoirement, et que l'estimation des indemnités qu'il contenait mentionnait des réserves expresses liées “à l'application du contrat” d'assurance;

Le tribunal a considéré que la demande de la SA Distribois relative à un complément d'indemnité du chef des “pertes indirectes sur responsabilité locative et garanties accessoires y afférentes” n'était pas fondée dès lors que la garantie dont se prévalait la SA Distribois à l'appui de cette demande devait être replacée, en vertu de l'avenant n° 7 à la police d'assurance incendie n° 04/09885, dans le cadre de la garantie “assurance responsabilité locative” et n'avait d'autre objectif que de réduire les conséquences d'une éventuelle insuffisance de l'assurance directe, quod non en l'espèce;

Il n'est pas contesté par les parties que les dispositions de l'avenant n° 7 définissant les “pertes indirectes” soient applicables à la réclamation de la SA Distribois, nonobstant la circonstance que ledit avenant, tel que versé aux débats, prend effet le 29 mars 1995, soit à une date postérieure à l'incendie litigieux;

Ledit avenant n° 7, en ce qu'il vise la garantie “pertes indirectes” a pour objet de garantir en cas de sinistre et “quelque soit le montant du dommage” le paiement à l'assuré d'une indemnité complémentaire ayant pour “but de couvrir les frais personnels pouvant rester à sa charge”;

Après avoir précisé que cette assurance ne forme pas co-assurance avec les polices souscrites en vue de la garantie des dommages matériels et que l'indemnité sera calculée au prorata, 10% en l'espèce, de l'indemnité versée à l'assuré par l'assureur incendie “pour les objets sinistrés se rapportant à la présente assurance”, il est mentionné audit avenant n° 7:

“Il est expressément convenu qu'en ce qui concerne les assurances pour compte de tiers ainsi que les assurances de la Responsabilité Locative ou d'Occupant, du Recours des Voisins, du Chômage Immobilier l'assurance “Pertes indirectes” ne couvre l'assuré tant pour son compte que vis-à-vis du propriétaire, des voisins et des tiers lésés jusqu'à concurrence du forfait convenu dans le cas d'insuffisance de garantie de l'assurance directe”;

Les parties sont en désaccord sur le sens à donner à cette disposition:

- la SA Distribois considère que cette disposition est mal rédigée, contradictoire et incomplète en sorte que par application de l'article 14 de l'A.R. du 22 février 1991 portant règlement général de contrôle, il convient d'écarter cette clause comme nulle et qu'elle est en conséquence en droit d'obtenir, complémentairement au montant versé par son assureur, une indemnité de 4.611.530 FB (soit 74.149.254 FB - 70.537.717 FB);

- la SA AGF Belgium Insurance estime que le premier juge a correctement interprété la clause litigieuse comme signifiant que l'indemnité complémentaire du chef de “pertes indirectes” ne pouvait être exigible qu'en cas de sous-assurance éventuelle du risque “danger de location” aux fins de diminuer la règle proportionnelle et qu'il ne s'agit que d'une garantie réservée au tiers, en cas d'action de celui-ci;

Force est de constater que la clause litigieuse est mal rédigée et incomplète en ce sens que le passage suivant: “... l'assurance 'Pertes Indirectes' ne couvre l'assuré... jusqu'à concurrence du forfait convenu dans le cas d'insuffisance de garantie de l'assurance directe” est dénué de signification tel que rédigé et devait nécessairement soit être complété comme suit: “... l'assurance 'Pertes Indirectes' ne couvre l'assuré... que jusqu'à concurrence du forfait convenu dans le cas d'insuffisance de garantie de l'assurance directe” soit comme suit: “... l'assurance 'Pertes Indirectes' ne couvre l'assuré... jusqu'à concurrence du forfait convenu que dans le cas d'insuffisance de garantie de l'assurance directe” soit encore être rectifié comme suit, en supprimant la négation: “... l'assurance 'Pertes Indirectes' couvre l'assuré... jusqu'à concurrence du forfait convenu dans le cas d'insuffisance de garantie de l'assurance directe”;

Non seulement cette clause est ambiguë, dans la mesure où ce manquement d'ordre grammatical modifie le sens de la clause selon que l'on privilégie l'une ou l'autre des corrections et que rien dans les autres stipulations contractuelles de l'avenant ou de la police d'assurance ne permet de justifier que soit préférée l'une ou l'autre de ces versions corrigées, mais elle apparaît au demeurant peu compréhensible faute de référence claire quant à la portée du terme “assurance directe”;

En effet:

- l'avenant n° 7 complète la police d'assurance “incendie” n° 4/09885 couvrant les conséquences d'un incendie à la fois sur le plan de la responsabilité locative de la SA Distribois et sur le plan de la protection de son propre patrimoine;

- le terme “assurance directe”, non défini à l'article 27 des conditions générales de la police d'assurance et utilisé dans le passage précité est susceptible de diverses interprétations en rapport avec soit la couverture de la responsabilité locative soit la garantie des pertes directes subies par l'assuré;

Les éléments extrinsèques à cette convention, dont notamment l'exécution donnée par la société de droit néerlandais Nown Verzekeringen et ses ayants-droit à la police d'assurance, ne permettent pas en l'espèce de déterminer précisément la portée de la clause litigieuse;

La clause litigieuse viole ainsi le prescrit de l'article 14 de l'A.R. du 22 février 1991 portant règlement général relatif au contrôle des entreprises d'assurances, lequel dispose que “Les conditions des contrats doivent être rédigées en termes clairs et précis. Elles ne peuvent contenir aucune clause de nature à porter atteinte à l'équivalence entre les engagements de l'assureur et ceux du preneur.”;

Si cette disposition reproduit l'article 21 de l'A.R. du 12 mars 1976 dont la violation pouvait être sanctionnée de nullité (Mons 31 mai 1989, R.G.A.R. 1992, n° 11967), la sanction applicable en vertu de la législation actuelle s'inscrit dans une optique de correction, en ce sens qu'aux termes de l'article 19bis alinéa 1er de la loi du 9 juillet 1975 sur le contrôle des entreprises d'assurances, telle que modifiée par la loi du 19 juillet 1991: “Toutes clauses et tous accords qui ne sont pas conformes aux dispositions de la présente loi ou des arrêtés et règlements pris pour son exécution sont censés avoir été établis dès la conclusion du contrat en conformité avec ces dispositions.”;

Autrement dit, la constatation qu'une clause est entachée d'un manquement aux dispositions de la loi du 19 juillet 1991 et de ses arrêtés d'exécution emporte que cette clause soit réputée non écrite, sans qu'il faille l'annuler, et que lui soit substituée une disposition conforme à la loi;

On ne peut, avec une doctrine autorisée, que souligner le caractère “surréaliste” de l'application de l'article 19bis précité en cas de manquement à l'article 14 de l'A.R. du 22 février 1991: la clause ambiguë est censée être... rédigée en termes clairs et précis (M. Fontaine, Droit des Assurances, n°s 395 et s., n° 45 et réf. cit.);

Dans le cas d'espèce, à défaut de disposition légale déterminant le contenu des obligations réciproques de l'assureur et de l'assuré quant à l'objet et au sens de la clause litigieuse, il convient dès lors, devant le doute généré par la rédaction de cette clause, d'interpréter la convention litigieuse selon les principes imposés par l'article 1162 du Code civil à savoir contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation;

Au sens de l'article 1162 du Code civil, la partie qui invoque une clause qui tend à réduire son engagement doit être considérée comme celle qui a stipulé (Cass. 23 juin 1983, Pas., p. 1196);

S'agissant d'une clause destinée à limiter la couverture d'assurance, l'assureur doit être considéré comme la partie qui a stipulé en sorte qu'il convient d'interpréter l'avenant n° 7 en faveur de la SA Distribois comme signifiant que la limitation de la couverture “pertes indirectes” est d'application lorsque, comme en l'espèce, la couverture des pertes directes est insuffisante et comme plafonnant simplement les droits à l'indemnité du chef de “pertes indirectes responsabilités locatives et garanties accessoires y afférentes” au forfait prévu à l'avenant n° 7 de ce chef (cf. annexe audit avenant point I 10 “garantie accessoire 10%”), soit 4.366.142 FB;

(...)

Par ces motifs

La cour

statuant contradictoirement,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935;

Joint comme connexes les causes portant les numéros de rôle 2001.R.G.198 et 2001.R.G.831

Reçoit les appels principaux et incidents;

Dit les appels, principal et incident, fondés dans la mesure ci-après:

Dans les limites de sa saisine;

Met à néant le jugement déféré et réformant;

Dit non fondée la demande originaire dirigée par la SA Distribois contre la SA Zurich, la SA Generali Belgium, la SA Gan Belgium devenue SA Zelia, la SA Apa et la SA AXA Belgium devenue la SA AXA-Royale Belge;

En déboute la SA Distribois;

Dit partiellement fondée la demande originaire dirigée par la SA Distribois contre la SA AGF Belgium Insurance;

Condamne la SA AGF Belgium Insurance à payer à la SA Distribois 111.129,40 euros (cent onze mille cent vingt-neuf euros quarante cents) en principal, outre les intérêts judiciaires à caractère moratoire au taux légal depuis le 16 décembre 1999 jusqu'à parfait paiement;

Condamne la SA AGF Belgium Insurance à payer à la SA Distribois les intérêts judiciaires à caractère moratoire au taux légal depuis le 23 décembre 1997 jusqu'à parfait paiement sur les montants versés en cours d'instance, soit sur un total de 30.841.085 FB soit sur 764.530,53 euros;

Dit pour droit qu'il convient d'imputer les paiements intervenus le 3 août 1999 et le 17 août 1999 conformément au prescrit de l'article 1254 du Code civil;

(...)