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Actualité : Cour de Cassation, 13/05/2004, R.D.C.-T.B.H., 2004/9, p. 942-948

Cour de Cassation 13 mai 2004

DROIT DES MARQUES
Articles 6bis et 6ter de la loi Benelux sur les marques - Contrôle par la cour d'appel d'une décision du Bureau Benelux des Marques refusant l'enregistrement d'une marque - Compétence de la cour d'appel - Marque “Langs Vlaamse wegen”

Benelux Merkenbureau / Vlaamse Toeristenbond

Siég.: I. Verougstraete (président), G. Londers, E. Dirix, E. Stassijns, A. Fettweis
M.P.: G. Dubrulle (avocat-général)
Pl.: L. De Gryse
Arrêt C.00.0472.N/I

Le 13 mai 2004, la Cour de cassation a rendu sa décision dans l'affaire Vlaamse Toeristenbond (VTB)/Benelux Merkenbureau (BMB). Il s'agit d'un litige portant sur le droit des marques ayant pour objet l'enregistrement dans le registre des marques Benelux du syntagme “Langs Vlaamse wegen”. La Cour de cassation casse un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 16 mai 2000 qui avait annulé partiellement le refus d'enregistrement de cette marque par le Bureau Benelux des Marques (BBM). La Cour de cassation confirme ainsi l'interprétation que la Cour de justice du Benelux avait donné aux articles 6bis et 6ter de la loi uniforme Benelux sur les marques (LBM) à l'occasion de questions préjudicielles qui lui ont été posées à ce propos [1].

Cet arrêt est important pour les parties qui sont confrontées à un refus d'enregistrement de leur marque par le BBM et qui veulent le contester. La procédure se déroule en deux phases:

- devant le Bureau Benelux des Marques: le déposant doit réagir à la décision de refus provisoire qui est portée à sa connaissance;

- après une décision définitive de refus, le déposant peut s'adresser à la cour d'appel de Bruxelles afin d'obtenir une ordonnance d'enregistrement du dépôt.

La question qui se pose ici est de savoir si le juge qui doit se prononcer sur un tel refus, est lié par les éléments et les contestations tels qu'ils ont été présentés devant le Bureau Benelux des Marques. La Cour de cassation a décidé, en se ralliant à la thèse qui lui a été fournie par la Cour de justice du Benelux, que la cour d'appel ne peut prendre en compte d'autres éléments que ceux sur base desquels le BBM a statué ou aurait dû statuer. À défaut, les articles 6bis et 6ter de la LBM sont violés.

Le cas qui est à l'origine de l'arrêt analysé ici relève toutefois de circonstances très spécifiques.

Le Vlaamse Toeristenbond (VTB) a déposé la marque “Langs Vlaamse wegen” pour toute une série de produits et de services, dont notamment des livres, périodiques, brochures pour voyage (classe 16), les transports, visites guidées et vacances, aménagement de pistes cyclables et sentiers pédestres et de circuits touristiques (classe 39) et éducation et détente, cours et séminaires, organisation d'activités culturelles, sportives, éducatives et délassantes (classe 41).

Le BBM a décidé que le syntagme “Langs Vlaamse wegen” était exclusivement descriptif pour la destination et la qualité de ces produits et services et que ce faisant, il était dépourvu de tout caractère distinctif, en sorte qu'il tombait sous le motif de refus visé à l'article 6bis, 1er alinéa, sous a), de la LBM. Elle a porté à la connaissance du VTB son intention de refuser l'enregistrement de la marque.

VTB a contesté la décision, mais n'a pas exigé que le BBM revoie sa position. Le BBM a refusé l'enregistrement total du syntagme, soit pour tous les produits et services pour lesquels il avait été déposé sans distinction. VTB n'a pas demandé à ce stade au BBM un enregistrement partiel du syntagme, limité à une partie des produits ou services.

Après avoir pris connaissance du refus définitif d'enregistrement par le BBM, VTB s'est adressé, conformément à l'article 6ter LBM à la cour d'appel de Bruxelles pour obtenir une ordonnance d'enregistrement du dépôt dans le registre des marques Benelux pour les produits et services pour lesquels les marques avaient été déposées.

En ordre subsidiaire, VTB demandait également, à ce moment, d'ordonner l'enregistrement de la marque pour les produits et services à déterminer par la cour. Ce faisant, elle voulait obtenir, pour la première fois (et à titre subsidiaire), un enregistrement partiel.

La cour d'appel de Bruxelles, dans son arrêt du 16 mai 2000, a donné une suite favorable à cette solution intermédiaire et a déclaré la demande de VTB partiellement fondée. Suivant la cour, un dépôt de marque, lors du contrôle préventif, ne doit pas être considéré pour les classes de produits et services déclarés dans leur ensemble, mais pour chacun des produits et services qui y sont énumérés.

L'article 6bis, alinéa 2 de la LBM stipule en effet que le refus d'enregistrement peut être limité à un ou plusieurs produits auxquels la marque est destinée. La cour a exercé ce contrôle du dépôt de la marque pour tous les produits et services concernés de manière distincte, ce qui justement en l'espèce n'a pas été le cas, (et cela n'a pas non plus été invoqué) dans la phase d'enquête devant le BBM. La cour a finalement chargé le BBM “d'enregistrer le dépôt n° 889719 pour les produits et services des classes 16 et 41, mais à l'exclusion des brochures de voyages, des atlas, des cartes géographiques, des cartes routières, des divertissements, des instructions de conduite, de l'enseignement sportif, de la promotion et de l'organisation d'activités culturelles, pédagogiques, sportives et récréatives et de développement, services de camps sportifs et information culturelle”.

Le BBM a intenté un recours en cassation: lorsque la cour d'appel de Bruxelles, en vertu de la compétence particulière qui lui a été attribuée, censure la décision du BBM portant refus de l'enregistrement d'un dépôt, cette appréciation et cette ordonnance devraient se limiter au dépôt tel qu'il a été soumis au BBM et apprécié par ce dernier. Si la décision de refus du BBM ne porte pas sur des produits et services spécifiques mais seulement d'une manière générale sur une classe complète de produits et services, la cour d'appel ne peut, sur base de l'article 6ter de la LBM, imposer un enregistrement partiel du dépôt de la marque pour certains produits et services. La cour d'appel ne pourrait pas non plus faire reposer cette compétence sur les règles concernant l'effet dévolutif de l'“appel” au sens de l'article 1068 du Code judiciaire ou sur celles concernant l'extension éventuelle ou la modification de la demande (artt. 807 et 1042 du Code judiciaire) vu que ces règles ne sont pas applicables au régime “sui generis” des articles 6bis et 6ter de la LBM. De même, le BBM affirmait que sur base des règles nationales de procédure applicables en Belgique, la cour d'appel de Bruxelles ne pouvait faire d'office une distinction entre les différents produits ou services sur lesquels porte la marque déposée ni établir elle-même la liste des produits et services pour lesquels la marque déposée ne peut être enregistrée.

Cette problématique a donné lieu à une question préjudicielle à la Cour de justice du Benelux sur l'interprétation exacte des articles 6bis et 6ter de la LBM, laquelle a reçu réponse dans le cadre de l'arrêt du 15 décembre 2003.

La Cour de justice du Benelux a décidé que la cour d'appel de Bruxelles, le Gerechtshof de La Haye ou la cour d'appel de Luxembourg peuvent statuer, dans le cadre de la compétence spécifique litigieuse, uniquement sur le bien fondé du refus du BBM d'enregistrer le dépôt et que ceci implique que ces juridictions ne peuvent prendre en considération que les éléments sur lesquels le BBM a fondé ou aurait dû fonder sa décision: ces juridictions ne peuvent pas connaître de prétentions qui sortent du cadre de la décision du BBM ou qui ne lui ont pas été soumises. Elles sont en effet compétentes pour prendre connaissance du litige qui naît du refus du BBM d'enregistrer un dépôt et elles exercent cette compétence en prenant connaissance de la requête contre la décision du BBM à l'égard du refus d'enregistrer un dépôt.

Appliqué à la problématique analysée ici, la Cour de cassation a reçu comme réponse: “Les articles 6bis et 6ter de la LBM doivent être interprétés en ce sens que la cour d'appel de Bruxelles, le Gerechtshof de La Haye ou la cour d'appel de Luxembourg sont autorisés à donner l'ordre d'enregistrer un dépôt pour des produits ou services déterminés d'une classe uniquement dans la mesure où le BBM, après l'examen visé à l'article 6bis, a statué également sur lesdits produits ou services et qu'il ne s'est pas borné à rendre une décision sur l'ensemble de cette classe.”

Dans l'arrêt du 13 mai 2004, la Cour de cassation a fait application de la réponse de la Cour de justice du Benelux. Elle constate que l'arrêt attaqué de la cour d'appel de Bruxelles prend en considération d'autres éléments que ceux sur lesquels le BBM a fondé ou aurait dû fonder sa décision et que cela viole donc les articles 6 bis et 6 ter de la LBM. Aussi l'arrêt attaqué est-il cassé.

La Cour de cassation a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Bruxelles mais autrement composée. L'affaire ne peut en effet être renvoyée devant une autre cour d'appel belge vu que la cour d'appel de Bruxelles est la seule compétente pour exercer ce type de contrôle des décisions du BBM visé à l'article 6ter de la LBM.

Cet arrêt laisse supposer que les déposants de la marque doivent dès le départ être particulièrement attentifs lorsqu'il conteste une décision du BBM. Il leur est conseillé d'exercer une défense complète déjà devant le BBM. Dans la “phase de recours” devant une des cours d'appel désignées, dans la LBM, il n'y aurait en effet plus de place pour de nouveaux “éléments” ou “prétentions” (suivant les considérations 11 et 12 de l'arrêt de la Cour de justice Benelux). L'arrêt de la Cour de cassation se rallie intégralement à la thèse de la Cour de justice du Benelux.

Reste cependant ouverte la question de savoir comment une appréciation de fait du refus d'un dépôt de marque doit s'effectuer lorsque le refus porte sur une classe de produits dans son ensemble, alors que l'on aurait dû en fait la scinder. Un refus total d'enregistrement de la marque est-il alors acceptable ou non?

Comme l'a relevé le premier avocat-général J. du Jardin dans ses conclusions devant la Cour de justice du Benelux (conclusions du 1er juillet 2003), le présent arrêt doit, sur différents points, être mis en relation (et lu conjointement) avec les arrêts dans l'affaire Postkantoor, actuellement pendante devant la Cour de justice du Benelux:

- il y a tout d'abord la question de savoir s'il l'on doit permettre dans la procédure d'enregistrement des “avertissements de renonciation (disclaimers)” par lesquels un déposant peut renoncer à la protection offerte par la marque pour certains produits qui ont ou sont dépourvus d'une caractéristique déterminée pour rendre ainsi un dépôt recevable. La Cour de justice des Communautés européennes a répondu négativement à cette question dans l'arrêt Postkantoor, en décidant qu'une telle possibilité est contraire à la directive sur les marques [2];

- est en outre important dans l'arrêt Postkantoor, le fait que l'autorité qui est compétente pour décider sur l'enregistrement de la marque, “doit prendre en considération, outre la marque telle qu'elle est déposée, tous les faits et circonstances pertinents” [3]. La Cour de justice décide en outre sous le point 36 de l'arrêt: “Quant à la question de savoir, d'une part, à quel stade de la procédure d'examen suivie devant l'autorité compétente doit intervenir la prise en considération de tous les faits et circonstances pertinents et, d'autre part, dans l'hypothèse où la législation nationale prévoit la possibilité de former un recours devant une juridiction contre la décision de ladite autorité, si cette juridiction doit également prendre en considération les faits et circonstances pertinents, il convient de souligner que l'autorité compétente doit prendre en considération tous les faits et circonstances pertinents avant d'adopter une décision définitive sur une demande d'enregistrement d'une marque. S'agissant d'une juridiction saisie d'un recours contre une décision prise sur une demande d'enregistrement d'une marque, elle doit également prendre en considération tous les faits et circonstances pertinents dans les limites de l'exercice de ses compétences, telles que définies par la réglementation nationale applicable.

L'affaire Postkantoor revient actuellement devant la Cour de justice du Benelux. Celle-ci avait antérieurement, à l'occasion de son arrêt du 29 novembre 2001, décidé de surseoir à statuer sur certaines questions importantes pour la portée de la décision judiciaire (parmi lesquelles, à quel moment au plus tard ces faits et circonstances doivent-ils s'être produits ou avoir été communiqués pour statuer sur un dépôt de marque de même que la possibilité pour le BBM d'invoquer encore devant le juge un nouveau motif de refus), et ce jusqu'à la décision de la Cour de justice des Communautés européennes.

La Cour de justice du Benelux a ainsi l'occasion de préciser davantage sa jurisprudence relative à la portée de l'appréciation des dépôts de marques.

[1] Cass. 27 juin 2000.
[2] C.J.C.E. 12 février 2004, C-363/99, Koninklijke KPN Nederland/Benelux Merkenbureau, n°s 111-117; pour une application, voir: Gerechtshof 's-Gravenhage 8 avril 2004, “Creating Performance Technology”, R03/917, Süd-Chemie/Benelux Merkenbureau.
[3] Voy. aussi l'affaire “Biomild”, Campina Melkunie/Benelux Merkenbureau: Cour de justice Benelux 26 juin 2000, aff. A 98/2 et C.J.C.E. 12 février 2004, aff. C-265/00.