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DROIT DE LA CONCURRENCE – Sanctions, R.D.C.-T.B.H., 2004/9, p. 936-938

DROIT DE LA CONCURRENCE

Sanctions

Programme d'amendes dans le cadre de la loi sur la protection de la concurrence économique

1.Le Moniteur belge du 30 avril 2004 a publié le programme des amendes qui s'inscrit dans le cadre de la loi sur la Protection de la Concurrence économique ci-après dénommée “LPCE”. Ce programme d'amendes se compose de deux volets. D'une part, il y a la “Communication conjointe du Conseil de la Concurrence et du Corps des Rapporteurs sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes”, également appelée le “Programme de clémence”. D'autre part, il y a les “Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application des articles 36 à 39 de la LPCE, coordonnée le 1er juillet 1999”. Ledit programme d'amendes est entré en vigueur le 5 mai 2004.

2.Le timing du programme d'amendes ne peut être détaché de ce qu'on appelle la “modernisation” et “décentralisation” du droit européen de la concurrence suite à l'entrée en vigueur le 1er mai 2004 du règlement CE n° 1/2003 (ci-après “Règlement 1/2003”). En résumé, les autorités nationales de la concurrence ont la compétence ou l'obligation d'appliquer parallèlement aux règles nationales de la concurrence les articles 81 à 82 du traité CE. Cela signifie que les autorités belges de la concurrence - le Conseil de la Concurrence (“Conseil”), le Corps des Rapporteurs (“Corps”) et le Service pour la Concurrence (“Service”) - joueront un rôle plus actif dans l'application du droit européen de la concurrence.

3.Le Programme de clémence vise à lutter contre les ententes en incitant les entreprises impliquées dans celles-ci à les dénoncer auprès du Conseil, en les récompensant pour ce faire par l'immunité des amendes ou une réduction de celles-ci. Si une entreprise dénonce un cartel et qu'elle demande l'application du Programme de clémence, le Corps vérifie si l'entreprise répond à toutes les conditions pour obtenir le Programme de clémence et fait part de ses conclusions dans un rapport d'enquête. Sur base de ce rapport, le Conseil vérifie et décide si toutes les conditions sont remplies et accorde, le cas échéant, l'immunité ou la réduction des amendes.

4.Le Conseil accordera à une entreprise l'immunité des amendes lorsque:

    • l'entreprise est la première à fournir des éléments de preuve qui permettent au Conseil de constater une infraction;
    • sans ces preuves, il n'y aurait pas d'information ou de preuve suffisante pour constater une infraction;
    • l'entreprise apporte une coopération totale aux autorités belges de la concurrence;
    • l'entreprise met fin à sa participation à l'infraction présumée au plus tard au moment du dépôt de sa demande de clémence; et
    • l'entreprise n'a pas forcé d'autres entreprises à participer à l'infraction.

    5.Une entreprise qui ne satisfait pas à toutes les conditions pour obtenir l'immunité, peut toutefois bénéficier d'une réduction de l'amende qui à défaut lui aurait été infligée pour autant que l'entreprise fournisse des éléments de preuve de l'infraction présumée qui apportent une valeur ajoutée [1] significative par rapport aux éléments de preuve déjà en possession des autorités belges de la concurrence. En outre, les conditions c) et d) mentionnées sous le point 4 sont également applicables. Pour pouvoir bénéficier de l'immunité, de même que d'une quelconque réduction, il est toujours requis que l'entreprise qui a divulgué de sa participation à une entente, ne conteste pas par la suite les faits qui ont été mentionnés dans sa demande.

    6.Si une entreprise fournit des éléments de preuve dont le Conseil considère qu'ils ont une valeur ajoutée suffisante, cela entrera en ligne de compte pour une réduction de: a) 30 à 50%; b) de 20 à 30% ou c) de 5 à 20%, suivant que l'entreprise concernée était la première, la deuxième ou la troisième entreprise remplissant les conditions précitées. Si une entreprise ne satisfait pas à toutes les conditions au cours d'une des phases de la procédure pour l'immunité ou la réduction, cela peut entraîner la perte de ce traitement de faveur. L'entreprise peut dans ce cas toutefois encore bénéficier d'une réduction de 5 à 15%. En outre, si une entreprise fournit des éléments de preuve relatifs à des faits qui n'étaient pas encore connus auparavant et qui ont une incidence directe pour la gravité ou la durée de l'infraction présumée, le Conseil ne tiendra pas compte de ces éléments pour fixer l'amende qui doit être infligée à l'entreprise qui a fourni l'élément de preuve.

    7.La procédure que l'entreprise doit suivre pour être éligible pour l'immunité ou la réduction se déroule comme suit. L'entreprise doit adresser au Conseil une demande écrite avec tous les éléments de preuve relatifs à l'infraction présumée et transmettre une copie du dossier au Corps. La demande n'est réputée introduite que si tant le Conseil que le Corps ont reçu ce document. Le Conseil et le Corps confirment tous les deux à l'entreprise la réception de la demande et de l'élément de preuve. Le Corps informe le plus rapidement possible l'entreprise si les conditions pour l'immunité ne sont pas remplies. Si une entreprise ne satisfait pas aux conditions pour l'immunité, sa demande est automatiquement convertie en une demande de réduction.

    8.Le régime belge de clémence est fortement inspiré du système européen actuel. Ainsi, par exemple, les conditions pour l'octroi de l'immunité sont les mêmes. Sur base du système européen, on ne peut toutefois pas seulement accorder l'immunité lorsqu'une entreprise permet à la Commission de constater une infraction mais aussi de prendre une disposition permettant d'opérer une vérification. De même, les trois niveaux pour la réduction de l'amende sont identiques à l'exception du fait que la troisième entreprise entre en ligne de compte pour une réduction de 0 à 20% au lieu de 5 à 20%.

    9.Les lignes directrices pour le calcul des amendes instaurent des règles claires et objectives pour déterminer le montant des amendes. Celui-ci est calculé en établissant un montant de base fondé sur la gravité et la durée de l'infraction et en augmentant ou en réduisant ce montant de base en fonction des circonstances aggravantes ou atténuantes.

    10.En ce qui concerne la gravité de l'infraction, la LPCE contient deux sortes d'infractions à savoir les “infractions pas trop graves” (voy. art. 37 LPCE) et les “infractions très graves” (voy. artt. 36 et 38 LPCE).

    Les infractions pas trop graves peuvent être sanctionnées par une amende qui peut aller de 500 à 25.000 EUR, et qui peut être infligée si une personne, une association d'entreprises ou une entreprise:

      • donne des indications inexactes, dénaturées ou incomplètes à l'occasion d'une notification ou d'une demande de renseignements;
      • ces renseignements ne sont pas fournis dans les délais impartis; ou
      • une concentration n'est pas signalée ou est signalée trop tard.

      Les infractions très graves peuvent être punies d'une amende qui peut aller jusqu'à un maximum de 10% du chiffre d'affaires total de l'entreprise concernée qui a été réalisé au cours de l'exercice comptable précédent sur le marché national et à l'exportation. Cette amende peut être infligée si:

        • une pratique restrictive de concurrence est constatée;
        • une personne, une entreprise ou une association d'entreprises ne respecte pas une décision d'exemption individuelle ou une décision en matière d'admissibilité d'une concentration;
        • elle a obtenu une telle décision de manière frauduleuse ou sur base de renseignements inexacts;
        • elle a commis un usage abusif d'une exonération;
        • elle n'a pas respecté les décisions au cours de la première ou de la deuxième phase d'enquête d'une concentration; ou
        • l'obligation de suspension n'a pas été respectée lors d'une concentration.

        11.Sur base de la durée de l'infraction, l'amende, déterminée suivant la gravité de l'infraction, est augmentée d'un montant additionnel comme suit: pour une infraction:

          • inférieure à un an (courte durée): aucun montant additionnel;
          • de 1 à 5 ans (moyenne durée): augmentation de 50%; et
          • de plus de 5 ans (longue durée): une augmentation de 10% par an.

          Le montant de base de l'amende consiste donc en l'amende déterminée sur base de la gravité de l'infraction, éventuellement augmentée en fonction de la durée de l'infraction.

          12.Une fois le montant de base de l'amende déterminé, il peut être augmenté sur base de différentes circonstances aggravantes:

            • la récidive pour un même type d'infraction;
            • le refus de toute coopération ou même tentative d'obstruction pendant le déroulement de l'enquête;
            • le rôle de meneur ou d'incitateur de l'infraction;
            • la prise de mesures de rétorsion contre d'autres entreprises en vue de faire respecter les décisions ou pratiques infractionnelles; ou
            • la nécessité de majorer la sanction afin de dépasser le montant des gains illicites.

            D'autre part, le montant de base de l'amende peut être réduit sur base des circonstances atténuantes suivantes:

              • l'entreprise a joué un rôle exclusivement passif;
              • les pratiques illicites n'ont pas été effectivement appliquées;
              • l'infraction a déjà pris fin au cours de l'enquête par les autorités;
              • l'infraction a été commise par négligence et non délibérément;
              • l'entreprise a collaboré de manière effective en dehors du champ d'application d'une demande de clémence.

              Les demandes qui ont été fixées suivant la procédure décrite ci-dessus ne peuvent jamais dépasser les maxima légaux.

              13.En comparant les directives belges et européennes pour le calcul des amendes, il apparaît que sur le plan du contenu, elles correspondent dans les grandes lignes même s'il existe un certain nombre de différences. Le système européen distingue trois types d'infractions (à savoir: les infractions “pas trop graves”, “graves” et “très graves”) au lieu de deux. Ces trois types d'infractions sont définis d'une manière générale et ne sont donc pas couplés aux infractions à des dispositions légales déterminées. Sur le plan de la durée de l'infraction, les deux systèmes sont identiques. Les circonstances aggravantes et atténuantes sont quasiment identiques. L'énumération dans le système belge est néanmoins limitative tandis que l'énumération dans le système européen stipule expressément que d'autres circonstances que celles énumérées peuvent également constituer des circonstances atténuantes ou aggravantes. Une circonstance atténuante européenne supplémentaire consiste en ce qu'il pouvait exister au niveau de l'entreprise un doute raisonnable sur le caractère infractionnel du comportement qui limite la concurrence.

              14.Bien que la mise en oeuvre du programme d'amendes belge défini ci-avant soit fortement inspiré du cadre européen existant, elle représente néanmoins à notre avis une étape importante dans l'évolution du droit belge de la concurrence. Les règles pour le calcul des amendes donnent aux entreprises une vision des modalités que le Conseil utilisera pour déterminer les amendes et leur offriront davantage de sécurité juridique. Il en va quelque peu différemment, comme au niveau européen, en ce qui concerne le régime de clémence. Il n'est en effet pas évident pour l'entreprise d'évaluer à l'avance si l'élément dont elle dispose mènera à la détermination d'une infraction, ou offrira une valeur ajoutée suffisante. Si au bout du compte cela s'avérait ne pas être le cas, il n'est pas question d'échapper aux risques que l'entreprise prendrait en dénonçant l'entente dans laquelle elle était impliquée. Le régime de clémence européen qui date de 1996 et qui a été réformé en 2002 s'est pourtant avéré être un grand succès. Il faut maintenant attendre pour voir si les entreprises situées en Belgique seront autant enclines à faire usage de ce régime de clémence. Le système de dénonciation semble moins adapté à la culture belge. Sur base de cette optique, il est donc intéressant de voir ce que cela donnera dans la pratique. Et en particulier, nous nous posons des questions sur le fait de savoir si le régime de la clémence sera utilisé par certaines entreprises comme un système de notification déguisé, lorsque à l'avenir la possibilité de notifier sera abrogée en Belgique.

              [1] La notion de “valeur ajoutée” renvoie à la mesure dans laquelle le matériel fourni renforce, par sa nature et sa précision, la capacité des autorités de la concurrence belges à prouver les faits concernés.