Cour d'arbitrage 30 juin 2004
EXCUSABILITÉ
Droit commercial - Faillite - Excusabilité - a. Personne morale - b. Personne physique, caution à titre gratuit d'une personne morale
En permettant au tribunal de déclarer le failli excusable, le législateur a pris une mesure qui est conforme aux objectifs qu'il poursuit.
Il ressort de l'ensemble des travaux préparatoires précités que le législateur a d'abord estimé que pouvaient être excusées tant les personnes morales que les personnes physiques, puis a considéré que seules celles-ci étaient excusables. Le choix entre ces deux options relève de l'appréciation du législateur sans que l'une ou l'autre puisse, en soi, être considérée comme discriminatoire.
La différence de traitement entre les cautions à titre gratuit et les autres cautions repose sur un critère objectif: la nature gratuite de la caution porte sur l'absence de tout avantage, tant direct qu'indirect, que la caution peut obtenir grâce au cautionnement. Le critère est pertinent à la lumière des objectifs. En libérant de leurs obligations les seules personnes qui ne poursuivent aucun avantage économique par le biais de leur caution, le législateur a entendu protéger la catégorie des cautions la plus désintéressée et la plus vulnérable.
En étendant automatiquement à la caution à titre gratuit le bénéfice de l'excusabilité qui n'est accordée qu'à certaines conditions au failli, le législateur est allé au-delà de ce qu'exigeait le principe d'égalité. Il a imposé aux créanciers un sacrifice qui n'est pas raisonnablement proportionné au but qu'il poursuit. En outre, en excluant les personnes morales du bénéfice de l'excusabilité, le législateur a introduit un second automatisme qui aboutit à créer une discrimination parmi les cautions à titre gratuit.
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VERSCHOONBAARHEID
Handelsrecht - Faillissement - Verschoonbaarheid - a. Rechtspersoon - b. Natuurlijke persoon die zich kosteloos borg stelt voor een rechtspersoon
De wetgever heeft, door de rechtbank de mogelijkheid te geven de gefailleerde verschoonbaar te verklaren, een maatregel genomen die in overeenstemming is met de doelstellingen die hij nastreeft.
Uit het geheel van de voormelde parlementaire voorbereiding blijkt dat de wetgever eerst van mening was dat zowel rechtspersonen als natuurlijke personen verschoonbaar konden worden verklaard, en dat hij vervolgens heeft geoordeeld dat alleen die laatsten verschoonbaar waren. Het komt de wetgever toe tussen die twee mogelijkheden te kiezen, zonder dat de ene of de andere mogelijkheid als zodanig als discriminerend kan worden beschouwd.
Het bekritiseerde verschil in behandeling tussen de personen die zich kosteloos borg hebben gesteld en de andere borgen steunt op een objectief criterium: de kosteloze aard van de borg slaat op het ontbreken van enig voordeel, zowel rechtstreeks als indirect, dat de borg kan genieten dankzij de borgstelling. Het criterium is relevant in het licht van de doelstellingen. Door enkel de personen die met hun borgstelling geen economisch voordeel nastreven van hun verplichtingen te ontslaan, heeft de wetgever de meest onbaatzuchtige en meest kwetsbare categorie van borgen in bescherming willen nemen.
Door het voordeel van de verschoonbaarheid, dat slechts onder bepaalde voorwaarden aan een gefailleerde wordt toegekend, automatisch uit te breiden tot de persoon die zich kosteloos borg heeft gesteld, is de wetgever verder gegaan dan hetgeen krachtens het gelijkheidsbeginsel vereist was. Hij heeft de schuldeisers een last opgelegd die niet redelijk verantwoord is ten aanzien van het doel dat hij nastreeft. Bovendien heeft de wetgever, door de rechtspersonen van het voordeel van verschoonbaarheid uit te sluiten, een tweede automatisme ingesteld dat leidt tot een discriminatie tussen de personen die zich kosteloos borg hebben gesteld.
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SA Fortis Banque / SPRL Laffineur
defet recours de M. R. Van der Noordaa en annulation de certaines disposions nouvelles de la loi sur les faillites
Siég.: M. Melchior et A. Arts (présidents), P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels (juges) |
Pl.: Mes L. De Coninck, O. Vanhulst, P. Hofströssler, B. Meeus loco Me L. De Coninck, M. Mareschal, Me D. Gérard |
Arrêt 114/2004 |
En cause:
- le recours en annulation de l'article 81, 1°, et des mots “à titre gratuit” dans l'article 82, alinéa 1er, de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, tels que ces articles ont été remplacés par la loi du 4 septembre 2002, introduit par R. Van der Noordaa;
- la question préjudicielle relative à l'article 81 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, tel qu'il a été modifié par l'article 28 de la loi du 4 septembre 2002, posée par le tribunal de première instance de Dinant.
…
I. | Objet du recours et de la question préjudicielle et procédure |
a. Par requête adressée à la cour par lettre recommandée à la poste le 21 mars 2003 et parvenue au greffe le 24 mars 2003, R. Van der Noordaa, demeurant à 1300 Limal, Bois de l'Abbé 6, a introduit un recours en annulation de l'article 81, 1°, et des mots “à titre gratuit” dans l'article 82, alinéa 1er, de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, tels que ces articles ont été remplacés par la loi du 4 septembre 2002 (publiée au Moniteur belge du 21 septembre 2002).
b. Par jugement du 11 septembre 2003 en cause de la SA Fortis Banque contre F. Laffineur, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 23 septembre 2003, le tribunal de première instance de Dinant a posé la question préjudicielle suivante:
“L'article 81 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, tel qu'il a été modifié par l'article 28 de la loi du 4 septembre 2002, en tant qu'il exclut de l'excusabilité les personnes morales, entraînant comme conséquence que les personnes physiques, qui se sont portées caution à titre gratuit d'une personne morale, ne peuvent se voir étendre le bénéfice de l'excusabilité, alors qu'une personne physique qui s'est portée caution à titre gratuit pour une personne physique voit s'étendre à son profit le bénéfice de l'excusabilité, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il ne permet en aucune manière à une personne morale de bénéficier de l'excusabilité, ne permettant pas, dès lors, à une personne physique qui s'est portée caution à titre gratuit d'une personne morale de bénéficier de l'excusabilité?”
Ces affaires sont inscrites sous les numéros 2674 et 2789 du rôle de la cour.
(…)
II. Les faits et la procédure antérieure dans l'affaire n° 2789 |
La SA Fortis Banque a consenti un prêt de 47.099 euros à la SPRL Laffineur. F. Laffineur a cautionné cet emprunt comme caution solidaire et indivisible.
Le 18 décembre 2001, la SPRL Laffineur est déclarée en faillite par le tribunal de commerce de Dinant.
La SA Fortis Banque a introduit devant le tribunal de première instance de Dinant une action contre F. Laffineur et demande sa condamnation, en sa qualité de caution, à lui payer le solde dû en vertu du contrat de prêt, soit une somme de 43.072,66 euros outre les intérêts calculés au taux de 10,57 p.c. par an.
Le défendeur conteste la demande en son principe et fait état de ce que, s'il échet, l'excusabilité de la société faillie devrait également lui bénéficier. Il souligne que la loi du 4 septembre 2002 a modifié l'article 81 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites en déclarant que les personnes morales faillies ne peuvent être déclarées excusables. Il considère que cet article viole les articles 10 et 11 de la Constitution et demande au juge de poser à la cour une question préjudicielle.
Le tribunal fait droit à cette demande et a, en conséquence, saisi la cour de la question susmentionnée.
III. Les dispositions en cause |
L'article 81 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, tel qu'il a été remplacé par l'article 28 de la loi du 4 septembre 2002, dispose:
'Ne peuvent être déclarés excusables:
1° la personne morale faillie;
[…]”.
L'article 82 de la même loi, tel qu'il a été remplacé par l'article 29 de la loi du 4 septembre 2002, dispose:
“L'excusabilité éteint les dettes du failli et décharge les personnes physiques qui, à titre gratuit, se sont rendues caution de ses obligations.
[…]”
IV. En droit |
…
- B - |
B.1. Les dispositions attaquées font partie de la législation sur les faillites, qui vise essentiellement à réaliser un juste équilibre entre les intérêts du débiteur et ceux des créanciers.
La déclaration d'excusabilité constitue pour le failli une mesure de faveur qui lui permet de reprendre ses activités sur une base assainie et ceci, non seulement dans son intérêt, mais aussi dans celui de ses créanciers ou de certains d'entre eux qui peuvent avoir intérêt à ce que leur débiteur reprenne ses activités sur une telle base, le maintien d'une activité commerciale ou industrielle pouvant en outre servir l'intérêt général (Doc. parl. Ch. 1991-92, n° 631/1, pp. 35 et 36).
Jugeant que “la faculté de se redresser est […] utopique si [le failli] doit conserver la charge du passif”, le législateur a estimé que “rien ne justifie que la défaillance du débiteur, conséquence de circonstances dont il est victime, l'empêche de reprendre d'autres activités” (Doc. parl. Ch. 1991-92, n° 631/13, p. 50).
Il ressort des travaux préparatoires que le législateur s'est soucié de tenir “compte, de manière équilibrée, des intérêts combinés de la personne du failli, des créanciers, des travailleurs et de l'économie dans son ensemble” et d'assurer un règlement humain qui respecte les droits de toutes les parties intéressées (Doc. parl. Ch. 1991-92, n° 631/13, p. 29).
Par la loi du 4 septembre 2002 modifiant la loi du 8 août 1997 sur les faillites, le Code judiciaire et le Code des sociétés, le législateur a entendu atteindre les objectifs originaires avec encore davantage d'efficacité (Doc. parl. Ch. 2001-02, DOC 50-1132/001, p. 1).
B.2. En permettant au tribunal de déclarer le failli excusable, le législateur a pris une mesure qui est conforme aux objectifs qu'il poursuit.
Pour les motifs exprimés dans les arrêts nos 132/2000 et 113/2002, la possibilité de déclarer le failli excusable n'établit de discrimination ni entre commerçants et non-commerçants ni entre créanciers selon que leur débiteur est un failli excusé ou non excusé.
B.3. Par la loi du 4 septembre 2002, le législateur a instauré une nouvelle condition: le failli ne peut être excusable que s'il est malheureux et de bonne foi. Lorsqu'il remplit cette condition, l'excusabilité ne peut lui être refusée par le tribunal sauf circonstances graves spécialement motivées (art. 80, al. 2, de la loi sur les faillites).
La même loi a introduit deux dispositions nouvelles qui sont mises en cause dans les affaires présentes:
- l'article 81, 1°, qui dispose que ne peut être déclarée excusable la personne morale faillie;
- l'article 82, qui énonce:
“L'excusabilité éteint les dettes du failli et décharge les personnes physiques qui, à titre gratuit, se sont rendues caution de ses obligations.
Le conjoint du failli qui s'est personnellement obligé à la dette de son époux est libéré de cette obligation par l'effet de l'excusabilité.”
En ce qui concerne la différence de traitement entre personnes morales et personnes physiques |
B.4.1. Dans l'affaire n° 2674, le requérant, associé et gérant d'une société déclarée en faillite, allègue en premier lieu une violation des articles 10 et 11 de la Constitution en ce que l'article 81, 1°, de la loi sur les faillites dispose que la personne morale faillie ne peut être déclarée excusable, alors que la personne physique peut l'être.
B.4.2. L'article 81, 1°, de la loi du 8 août 1997 sur les faillites permettait d'accorder l'excusabilité tant aux personnes morales qu'aux personnes physiques. Parmi les circonstances pouvant garantir une meilleure gestion d'une société pour l'avenir, l'exposé des motifs de cette loi en projet mentionnait: “notamment lorsque les administrateurs ont été remplacés” (Doc. parl. Ch. 1991-92, n° 631/1, p. 35).
Un amendement du Gouvernement proposant d'exclure les personnes morales du bénéfice de l'excusabilité fut retiré (Doc. parl. Ch. 1991-92, n° 631/13, p. 281).
B.4.3. Dans le projet qui allait devenir la loi du 4 septembre 2002, les situations respectives de la personne physique et de la personne morale ont été examinées dans ces termes:
'Il a donc été procédé à une reformulation du texte légal sur ce point de manière à souligner que l'excusabilité est en principe accordée au failli qui répond aux conditions de malheur et de bonne foi ou, s'il s'agit d'une personne morale, qui offre les garanties raisonnables de pouvoir efficacement s'engager dans des activités commerciales nouvelles, sauf à relever l'existence de circonstances particulières qui justifient le refus du tribunal. Lesdites circonstances particulières devront être spécialement motivées par le tribunal.
Les conditions de malheur et de bonne foi recouvrent le fait pour le failli d'avoir été victime d'un ensemble de circonstances qui, pour certaines, sont indépendantes de sa volonté et de s'être correctement comporté avant et pendant le cours de la faillite. Cette condition a pour vocation de s'appliquer aux seuls faillis qui sont des personnes physiques, tandis que l'offre de garanties raisonnables de pouvoir efficacement s'engager dans des activités commerciales nouvelles constitue une condition appelée à ne s'appliquer qu'aux faillis qui sont des personnes morales. Par ailleurs, s'agissant des personnes morales, le tribunal pourra subordonner l'octroi de l'excusabilité à la garantie que certaines personnes indélicates ou incompétentes soient écartées de la gestion de la personne morale” (Doc. parl. Ch. 2000-01, DOC 50-1132/001, pp. 12 et 13; DOC 50-1132/013, p. 4)
B.4.4. Dans la loi du 4 septembre 2002, le législateur a finalement décidé d'exclure les personnes morales du bénéfice de l'excusabilité, accueillant un amendement qui se donnait la justification suivante:
'Instaurer une excusabilité pour les sociétés n'a pas de sens, étant donné que l'on peut difficilement prêter certaines qualités morales à une individualité juridique. Cette notion est donc essentiellement liée aux personnes physiques. Le fait que le projet de loi prévoit qu'une société peut être déclarée excusable si elle offre la garantie de “pouvoir efficacement s'engager dans des activités économiques nouvelles n'y change rien” (Doc. parl.Ch. 2000-01, DOC 50-1132/002, p. 5).
Un autre amendement, qui avait le même objet, insistait sur les problèmes pratiques posés par l'excusabilité des personnes morales, notamment ceux qui proviennent d'un “commerce de sociétés déclarées excusables” et du contentieux relatif aux dettes à l'égard de l'ONSS (Doc. parl. Ch. 2000-01, DOC 50-1132/003, pp. 2 et 3; DOC 50-1132/008, pp. 2 et 3). Enfin, il a également été question des conflits pouvant naître entre le curateur et les actionnaires d'une société excusée (Doc. parl. Ch. 2000-01, DOC 50-1132/013, pp. 113 et 114).
B.4.5. Il ressort de l'ensemble des travaux préparatoires précités que le législateur a d'abord estimé que pouvaient être excusées tant les personnes morales que les personnes physiques, puis a considéré que seules celles-ci étaient excusables. Le choix entre ces deux options relève de l'appréciation du législateur sans que l'une ou l'autre puisse, en soi, être considérée comme discriminatoire.
B.4.6. En ce qui concerne plus particulièrement l'option prise par le législateur dans la loi du 4 septembre 2002, qui est critiquée dans l'affaire n° 2674, la différence de traitement se fonde sur un critère objectif. À la différence de la personne physique, qui reste sujet de droit à l'issue de la déclaration de faillite, la personne morale peut être dissoute. C'est en ce sens que l'article 83 de la loi du 8 août 1997 dispose que “la décision de clôture des opérations de la faillite d'une personne morale la dissout […]”.
B.4.7. Le critère est également pertinent à la lumière des objectifs précités de la mesure d'excusabilité. Si une personne physique peut se trouver exclue du circuit économique parce que la charge de ses dettes la dissuade de recommencer une activité commerciale, il n'en est pas de même d'une personne morale puisque, après sa faillite, son fonds de commerce peut faire l'objet d'une cession. Le souci de permettre “un nouveau départ” peut, sans violer le principe d'égalité, être réservé aux personnes physiques.
B.4.8. En tant qu'il reproche à l'article 81, 1°, de la loi sur les faillites d'établir une discrimination entre personnes physiques et personnes morales, le moyen n'est pas fondé.
En ce qui concerne la différence de traitement entre les cautions à titre gratuit et les autres cautions |
B.5.1. Dans l'affaire n° 2674, le requérant dénonce une violation des articles 10 et 11 de la Constitution en ce que l'article 82, alinéa 1er, de la loi sur les faillites dispose que l'excusabilité du failli ne décharge de leurs obligations que les cautions à titre gratuit.
B.5.2. Étant donné que la loi du 4 septembre 2002 libère de leurs obligations non seulement le failli mais également le conjoint du failli qui s'est personnellement obligé à la dette du failli et les personnes physiques qui, à titre gratuit, se sont rendues caution d'une obligation du failli, la cour doit examiner si cette mesure n'a pas d'effets discriminatoires à l'égard d'autres personnes tenues d'acquitter certaines dettes du failli.
En décidant de faire bénéficier certains coobligés du failli des effets de l'excusabilité accordée à celui-ci, le législateur s'écarte du droit patrimonial civil, en vertu duquel “les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites” (art. 1134, al. 1er, du Code civil) et “quiconque est obligé personnellement est tenu de remplir ses engagements sur tous ses biens mobiliers ou immobiliers, présents et à venir” (art. 7 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851). Il convient d'examiner spécialement si la mesure litigieuse n'a pas de conséquences disproportionnées pour l'une des parties concernées par la faillite.
B.5.3. Lorsque, spécialement en matière économique, le législateur estime devoir sacrifier l'intérêt des créanciers au profit de certaines catégories de débiteurs, cette mesure s'inscrit dans l'ensemble de la politique économique et sociale qu'il entend poursuivre. La cour ne pourrait censurer les différences de traitement qui découlent des choix qu'il a faits que si ceux-ci étaient manifestement déraisonnables.
B.5.4. Le choix de ne libérer que la caution dite de bienfaisance a été justifié de la manière suivante:
“Afin de supprimer les effets pervers dénoncés ci-dessus, il suffirait de disposer dans la loi sur les faillites que l'excusabilité éteint les dettes du débiteur. Il y a toutefois lieu de faire la distinction entre les cautions professionnelles, lesquelles se sont engagées moyennant rémunération à pallier la défaillance du débiteur principal et dont on doit s'attendre à ce qu'elles respectent leurs obligations, et celles qui sont constituées par des particuliers pour des motifs de bienfaisance, sans parfois mesurer toutes les conséquences de leur décision. La position négative des créanciers à l'égard de l'excusabilité de leur débiteur ne sera pas renforcée dès lors qu'ils conservent l'avantage de la caution rémunérée” (Doc. parl. Ch., DOC 50-1132/001, p. 17).
La différence de traitement critiquée repose sur un critère objectif: la nature gratuite de la caution porte sur l'absence de tout avantage, tant direct qu'indirect, que la caution peut obtenir grâce au cautionnement.
Le critère est pertinent à la lumière des objectifs mentionnés en B.1. En libérant de leurs obligations les seules personnes qui ne poursuivent aucun avantage économique par le biais de leur caution, le législateur a entendu protéger la catégorie des cautions la plus désintéressée et la plus vulnérable.
En refusant de décharger également la caution qui retirait un avantage de son engagement et en maintenant à l'égard de celle-ci l'application des règles du droit commun rappelées en B.5.2, il n'apparaît pas que le législateur ait fait un choix manifestement déraisonnable.
B.6. En tant qu'il est dirigé contre l'article 82, alinéa 1er, de la loi sur les faillites, le moyen n'est pas fondé.
En ce qui concerne la différence de traitement entre les cautions d'une personne physique et les cautions d'une personne morale |
B.7. Par la question préjudicielle posée dans l'affaire n° 2789, et dans le recours introduit dans l'affaire n° 2674, il est reproché au même article 81, 1°, d'établir une différence de traitement qui serait injustifiée en ce que, en ne permettant pas d'excuser les personnes morales, cette disposition a pour conséquence que les personnes physiques qui se sont portées caution, à titre gratuit, d'une personne morale faillie, ne peuvent se voir décharger de leur obligation, au contraire des personnes physiques qui se sont portées caution, à titre gratuit, d'une personne physique faillie.
B.8.1. Il ressort de la chronologie des travaux préparatoires que la situation des cautions a été prise en considération, lors des débats qui ont précédé la loi du 4 septembre 2002, alors que le texte en projet n'excluait pas les personnes morales du bénéfice de l'excusabilité. Le projet déposé le 7 mars 2001 faisait observer, en ce qui concerne les cautions:
“Par ailleurs, à la lumière du souci d'humanisation des conséquences de la faillite qu'avait manifesté le législateur de 1997, le projet envisage également le sort des personnes qui se sont rendues caution d'une obligation du failli. En effet, selon la majorité de la doctrine, l'excusabilité du failli ne décharge pas les cautions puisqu'elle n'a d'autre effet que celui d'empêcher les poursuites, sans éteindre la dette. Les cautions sont bien souvent des parents du failli et cette circonstance entraîne parfois des effets pervers. Pour prendre l'exemple le plus criant, il est anormal de dire un jeune failli excusable, alors que ses parents, à l'âge de la pension, seraient ruinés et devraient supporter malgré tout le passif. D'autre part, cette conséquence conduit de nombreux faillis à ne pas souhaiter obtenir leur excusabilité et le tribunal de commerce à ne pas la prononcer” (Doc. parl. Ch., DOC 50-1132/001, p. 17).
B.8.2. Par son arrêt n° 69/2002, rendu le 28 mars 2002, la cour a constaté que “si l'institution de la caution implique qu'elle reste, en règle, tenue de son cautionnement lorsque le failli est déclaré excusable, il n'est pas […] justifié de ne [pas] permettre […] qu'un juge puisse apprécier s'il n'y a pas lieu de la décharger, en particulier en ayant égard au caractère désintéressé de son engagement” (B.11). Elle concluait que, pour ce motif, l'article 82 de la loi du 8 août 1997, qui n'envisageait pas le sort de la caution, violait les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.8.3. L'article 82, alinéa 1er, de la loi sur les faillites, introduit par la loi du 4 septembre 2002, a mis fin à la discrimination constatée par la cour mais en étendant automatiquement à toute caution qui s'est engagée à titre gratuit le bénéfice de l'excusabilité.
B.8.4. Cette disposition n'est pas de nature à corriger adéquatement la discrimination constatée dans l'arrêt n° 69/2002.
B.9.1. Le failli est, par hypothèse, une personne qui a exercé le commerce et que, ainsi qu'il a été dit en B.1, il ne faut pas dissuader de reprendre une activité commerciale. Il doit en plus être malheureux et de bonne foi, ce qui permet au tribunal d'examiner la manière dont il a exercé son commerce. Enfin, la faculté est donnée au tribunal de refuser l'excusabilité si des circonstances graves font obstacle à ce qu'elle soit accordée.
B.9.2. La caution à titre gratuit est, au contraire, une personne qui n'est pas considérée comme agissant en qualité de commerçant et pour laquelle le souci de permettre la reprise d'une activité commerciale est généralement absent. Elle se voit pourtant, dans tous les cas où le failli est excusé, dégagée de son engagement, quelle que soit sa situation de fortune, les conditions de malheur et de bonne foi n'étant pas exigées en ce qui la concerne.
B.10. En étendant automatiquement à la caution à titre gratuit le bénéfice de l'excusabilité qui n'est accordée qu'à certaines conditions au failli, le législateur est allé au-delà de ce qu'exigeait le principe d'égalité. Il a imposé aux créanciers un sacrifice qui n'est pas raisonnablement proportionné au but qu'il poursuit.
B.11. En outre, en excluant les personnes morales du bénéfice de l'excusabilité, le législateur a introduit un second automatisme qui aboutit à créer une discrimination parmi les cautions à titre gratuit.
B.12. Si, au cours des débats qui ont précédé le vote de la loi du 4 septembre 2002, l'extension de l'excusabilité au bénéfice de la caution à titre gratuit a été critiquée soit dans son principe, soit parce qu'elle risquait de devenir automatique (Doc. parl. Ch., DOC 50-1132/013, p. 96), aucune justification n'a été donnée de la différence de traitement qui allait découler, en ce qui concerne ces cautions, de l'adoption de l'article 81, 1°. Pourtant, les personnes qui ont donné leur caution à titre gratuit au bénéfice d'un parent exerçant le commerce sous la forme d'une société se trouvent, en cette qualité, dans une situation qui n'est pas essentiellement différente de celle des parents décrite dans la citation reproduite en B.8.1.
Leur situation est même plus mauvaise que celle des cautions d'une personne physique non excusée puisque, la faillite de la personne morale entraînant désormais sa dissolution, la caution qui a payé ne pourra jamais exercer l'action subrogatoire prévue par l'article 2028 du Code civil.
B.13. Bien qu'en lui-même l'article 81, 1°, ne soit pas discriminatoire, ainsi qu'il a été dit en B.4.8, il n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il a pour effet, sans justification raisonnable, que la caution à titre gratuit d'une personne morale faillie ne peut jamais être déchargée de son engagement alors que la caution à titre gratuit d'une personne physique faillie est automatiquement déchargée si le failli est déclaré excusable.
B.14. Il ressort de ce qui précède que, bien que, lus séparément, l'article 81, 1°, et l'article 82, alinéa 1er, soient raisonnablement justifiés, leur combinaison aboutit à la discrimination décrite en B.13. Il convient, en conséquence, de les annuler afin que le législateur puisse réexaminer l'ensemble des questions posées par l'excusabilité et par le cautionnement à titre gratuit.
Dans cette perspective, il y a lieu, en application de l'article 8, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, de maintenir les effets des dispositions annulées, de la manière indiquée au dispositif.
B.15. En raison de la solution donnée au recours en annulation introduit dans l'affaire n° 2674, il n'y a pas lieu de répondre séparément en ce qui concerne les deux différences de traitement mentionnées dans la question préjudicielle posée dans l'affaire n° 2789.
Par ces motifs,
la cour
- annule les articles 81, 1°, et 82, alinéa 1er, de la loi du 8 août 1997 sur les faillites telle qu'elle a été modifiée par la loi du 4 septembre 2002;
- maintient les effets des dispositions annulées jusqu'à l'entrée en vigueur de nouvelles dispositions et, au plus tard, jusqu'au 31 juillet 2005.
(…)
[1] | Avocats au barreau de Bruxelles. |