Cour d'appel de Liège 16 octobre 2003
DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
Cautio iudicatum solvi - Article 851 C.jud. - Frais et dommages et intérêts qui résultent d'un procès - Honoraires de l'avocat
La cautio iudicatum solvi à laquelle peuvent être soumis les demandeurs étrangers sur base de l'article 851 C.jud., couvre les frais et dommages et intérêts qui résultent du procès. En l'espèce, la Cour d'appel de Liège prend en compte les honoraires d'avocats pour évaluer la caution. Ce faisant, les juges d'appel se réfèrent (de manière indirecte) à l'arrêt de cassation du 28 février 2003 dans lequel la Cour de cassation avait décidé que l'indemnisation résultant de l'article 1382 C.civ. pouvait s'étendre aux frais affectés par la partie préjudiciée à l'établissement des dommages et leur importance.
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INTERNATIONAAL PRIVAATRECHT
Cautio iudicatum solvi - Artikel 851 Ger.W. - Kosten en schadevergoedingen die voortspruiten uit het geding - Erelonen van de advocaat
De cautio iudicatum solvi waartoe vreemde eisers op grond van artikel 851 Ger.W. verplicht kunnen worden, bestrijkt de kosten en schadevergoedingen die voortspruiten uit het geding. In voorliggende zaak neemt het Hof van Beroep te Luik de advocatenhonoraria in rekening bij de begroting van de borgstelling. Hierbij verwijzen de appelrechters (onrechtstreeks) maar het cassatiearrest van 28 februari 2003 waarin het Hof van Cassatie besloot dat de vergoedingsplicht uit artikel 1382 B.W. zich kan uitstrekken tot de kosten die door de benadeelde partij besteed werden met het oog op de vaststelling van de schade en de omvang ervan.
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Wéry Denis et Quebec Inc / Deruisseau Didier et SPRL Fun International
R. de Francquen (président), M. Ligot et A. Jacquemin (conseillers) |
Pl.: Mes A. Bernard, Mouffe loco M. Leroy, V. Lamberts loco D. Pricken |
(...)
Attendu que se fondant sur un jugement rendu le 26 février 2003 par le président du tribunal de commerce de Verviers siégeant en matière de cessation, les appelants ont procédé à de très nombreuses saisies-arrêts exécution entre les mains des responsables de différentes salles de spectacle dans lesquelles les intimés ont produit la troupe 'Creative Male Innovation', concurrente des appelantes, ainsi qu'en mains des organismes bancaires où les intimés ont ouvert leurs comptes;
que ces mesures d'exécution ont été pratiquées en vue de la récupération d'astreintes qui seraient dues par les intimés pour des montants qui dépassent l'entendement puisqu'il est question dans la dernière saisie-arrêt exécution (globale) effectuée le 23 avril 2003 d'astreintes encourues pour un montant de l'ordre d'un milliard huit cent mille euros (dossier D.-F.I., annexe 10);
Attendu que le juge des saisies considérant que les intimés n'avaient commis aucune infraction à l'ordre de cessation prononcé par le président du tribunal de commerce a ordonné la mainlevée de toutes les saisies; que stigmatisant la 'précipitation et l'acharnement' des appelants, il les a condamnés dans les deux décisions entreprises à payer aux intimés outre les dépens, 7.500 et 15.000 euros à titre de dommages et intérêts;
Attendu que les intimés qui ont en degré d'appel la qualité de défendeurs soulèvent avant tout autre moyen l'exception dilatoire de caution de l'étranger demandeur tirée de l'article 851 du Code judiciaire,
Attendu que le fait que dans son jugement du 26 février 2003 actuellement coulé en force de chose jugée, le président du tribunal de commerce de Verviers ait rejeté cette exception au motif 'qu'il n'est postulé aucune condamnation de somme à l'encontre des demandeurs' ne prive pas les intimés du droit d'invoquer la même exception devant le juge des saisies;
que l'article 851 du Code judiciaire vise en effet 'les frais et dommages-intérêts résultant du procès';
que par procès, il y a lieu d'entendre le litige soumis à un tribunal, la contestation pendante devant une juridiction (Gérard Cornu, Vocabulaire juridique);
que les procès devant le juge du fond et le juge des saisies sont des procès distincts et que l'exception dont question peut être invoquée devant le juge de l'exécution qu'elle ait ou non été soulevée dans le cadre du jugement au fond;
Attendu que les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme ne font pas obstacle en l'espèce à l'octroi d'une caution judicatum solvi, qu'il faut mettre en balance en effet d'une part la question de la validité de mesures d'exécution portant sur des montants astronomiques qui sont réclamés aux intimés et d'autre part le fait que les appelants n'ont absolument aucun actif saisissable en Belgique;
Attendu que ne se prévalant d'aucune convention internationale prévoyant une dispense de la caution judicatum solvi, les appelants ne sont pas fondés à exciper de la non-application de l'article 851 du Code judiciaire; qu'il importe peu que le droit interne du Canada, pays dans lequel le premier appelant a son domicile et le second son siège, n'exige pas une caution de la part d'un ressortissant belge dans la mesure où ce droit ne régit pas la présente procédure (Liège 25 novembre 2002, J.T. 2003, p. 174 );
Attendu que la caution judicatum solvi a pour fin de prémunir le justiciable belge contre les pertes pécuniaires que peut lui faire subir par un procès sans fondement un étranger ne présentant pas de garanties en Belgique pour le paiement des frais et des dommages et intérêts auxquels il viendrait à être condamné (Cass. 14 octobre 1965, Pas. 1966, I, 208, Cass. 10 septembre 1987, Pas. 1988, I, p. 35);
que 'le texte de l'article 851 est clair: il ne peut s'agir que des frais et dommages résultant du procès, c'est-à-dire qui résultent de la propre demande du demandeur. Il doit bien être précisé que la caution ne pourrait être tenue de dommages-intérêts réclamés par le défendeur originaire au demandeur originaire, ainsi que pour un préjudice que ledit demandeur aurait causé au défendeur antérieurement au procès. C'est donc bien uniquement pour les dommages-intérêts résultant du préjudice que cause au défendeur le fait même du procès ou en raison d'injures ou de vexations que le demandeur se serait permises pendant le procès que la caution peut être tenue' (Rouard, Traité élémentaire de droit judiciaire civil privé. La procédure civile. Deuxième partie. L'instruction de la demande. Tome troisième, n° 524, p. 442);
que la caution ne doit donc pas couvrir les frais et dommages-intérêts résultant du procès devant le juge des saisies devant lequel les intimés n'avaient pas la qualité de défendeurs mais celle de demandeurs mais qu'il doit être tenu compte pour fixer son montant non seulement des frais de procédure en degré d'appel mais également des dommages-intérêts qui pourraient être accordés en cas de confirmation des décisions entreprises (dans ce sens, Liège (7è ch.) 28 octobre 1993, R.G.: 31.203/93 en cause Garantee Consultancy Services Ltd/Linda Martello et sc Centre de Gestion et de Crédit);
Attendu qu'en ce qui concerne la question de la répétibilité des honoraires et frais de l'avocat, 'Jusqu'à présent, la Cour de cassation a toujours refusé de considérer les honoraires et frais des conseils de la victime comme un dommage réparable en relation causale avec la faute de l'auteur. Un arrêt récent du 28 février 2002 (R.G. C99.0193.N) paraît toutefois avoir ouvert des perspectives nouvelles. Il décide que l'article 1382 du Code civil n'exclut pas que l'obligation de réparer le dommage que l'on a causé s'étende aux frais que la victime a dû engager pour faire établir l'existence et l'étendue de son dommage. On pense naturellement à des frais d'expertise ou d'avocat. La matière du contentieux de la réparation se prête sans doute mieux que d'autres à l'admission de la répétibilité de frais et honoraires' (C. Parmentier et D. Patart, 'La loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales', R.D.C. 2003, n° 27, p. 224);
Attendu que les intimés se plaignent de ce que les saisies-arrêts auxquelles il a été procédé tous azimuths leur ont causé un dommage considérable, ce qui se conçoit aisément;
que la caution judicatum solvi doit dès lors tenir compte du montant des honoraires qui devront être déboursés par les intimés pour leur défense en degré d'appel et ce dans l'éventualité où il viendrait à être jugé, ainsi qu'il l'a été en instance, qu'il a été recouru à ces mesures d'exécution avec précipitation et acharnement (jugt. du 18 avril 2003, p. 11) et volonté de nuire (jugt. du 9 mai 2003, p. 10);
Attendu que les intimés sont donc fondés à solliciter que les appelants se voient imposer le versement de la caution de l'étranger, celle-ci pouvant raisonnablement être fixée à 15.000 euros; qu'aussi longtemps que cette somme n'aura pas été consignée, la procédure d'appel ne pourra progresser sur la seule demande des appelants;
Par ces motifs,
(...)
La cour statuant contradictoirement,
(...)
Ordonne aux appelants de fournir la caution de l'étranger et de consigner un montant de 15.000 euros,
Dit pour droit qu'à défaut de versement de cette somme, le jugement de l'appel ne pourra intervenir à leur demande,
(...)
[1] | Assistent Internationaal Privaatrecht, Universiteit Antwerpen. |