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Cour de cassation, 07/05/2004, R.D.C.-T.B.H., 2004/7, p. 716-718

Cour de cassation 7 mai 2004

FAILLITE
Effets - Compensation - Dettes connexes
Quand les dettes réciproques ont la même cause, en l'espèce la résolution d'une vente faite à un failli, et qu'il existe un rapport synallagmatique entre les obligations de l'acheteur de restituer les biens et de payer des dommages et intérêts et celle du vendeur de restituer le prix majoré des intérêts, le juge peut légalement décider qu'il existe entre la dette et la créance de la faillie un lien de connexité étroit de nature à justifier qu'une compensation s'opère entre elles. Dans un tel cas, la reconnaissance de la compensation n'affecte pas la règle de l'égalité des créanciers.
FAILLISSEMENT
Gevolgen - Schuldvergelijking - Samenhang
Wanneer wederkerige schulden dezelfde oorzaak hebben - in casu de ontbinding van een verkoop aan een gefailleerde - en er een wederkerig verband bestaat tussen de verbintenis van de koper tot teruggave van de goederen en tot betaling van een schadevergoeding en interesten enerzijds en de verbintenis van de verkoper tot teruggave van de verkoopprijs, verhoogd met de interesten, anderzijds, kan de rechter rechtmatig oordelen dat er een nauwe samenhang bestaat tussen de vordering en de schuld van de gefailleerde op grond waarvan de schuldvergelijking tussen beiden gerechtvaardigd kan worden. In dergelijk geval vormt de toepassing van de schuldvergelijking geen aantasting van de gelijkheid van de schuldeisers.

P. Cavenaile et K. Tanghe / Engel Vertriebsgesellschaft, société de droit autrichien

Siég.: C. Parmentier (président de section), C. Storck, A. Fettweis, D. Plas et C. Matray (conseillers)
M.P.: X. De Riemaecker (avocat général)
Pl.: Mes C. Draps et L. Simont
I. La décision attaquée

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 29 octobre 2002 par la Cour d'appel de Liège.

II. La procédure devant la cour

Le conseiller Christine Matray a fait rapport.

L'avocat général Xavier De Riemaecker a conclu.

III. Le moyen de cassation

Les demandeurs présentent un moyen libellé dans les termes suivants:

Dispositions légales violées

- articles 1289 et 1298 du Code civil;

- articles 7, 8, 9 et 12 à 28 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851;

- articles 16 à 26 et 99 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites;

- principe général du droit relatif à l'égalité des créanciers après le concours né du jugement déclaratif de faillite.

Décisions et motifs critiqués

Après avoir constaté la résolution de la convention intervenue entre les parties et portant sur la fourniture, le transport, l'installation et la mise en service de quarante machines et trente-neuf robots, notifiée par la défenderesse le 24 novembre 1999, l'arrêt décide qu'il y a lieu à compensation entre la dette de la défenderesse de restitution des acomptes versés et sa créance de dommages et intérêts réparant la perte subie ou le gain manqué.

Cette décision est fondée sur tous les motifs de l'arrêt et spécialement:

'qu'il convient de préciser d'emblée que contrairement à ce que soutiennent les (demandeurs), l'on se trouve bien, même s'il y a eu plusieurs bons de commande, en présence d'un seul contrat soumis aux mêmes conditions générales dont l'application est prévue dans l'offre faite par (la défenderesse) (...), (celle-ci) se chargeant de toutes les opérations depuis la fabrication jusqu'à la mise en route des machines vendues; que cette convention est soumise à la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, faite à Vienne le 11 avril 1980, approuvée par la loi du 4 septembre 1996;

qu'après avoir exclu l'application de l'article 1290 du Code civil au motif que la créance de (la défenderesse) n'était pas liquide à la date de la résolution, les premiers juges ont admis le principe de la compensation judiciaire nonobstant la faillite de Curver Lawn Comfort en raison de la connexité étroite entre les dettes réciproques et écarté l'application du principe général du droit 'fraus omnia corrumpit' au motif que 'la preuve d'un comportement intentionnellement déloyal dans le chef (de la défenderesse) n'est pas rapportée';

qu'avant d'aborder le problème de la compensation, il convient d'abord de déterminer quels ont été les effets de la résolution de la vente intervenue le 24 novembre 1999;

que dans le cadre de la convention de Vienne, la résolution du contrat qui 'libère les deux parties de leurs obligations, sous réserve des dommages-intérêts qui peuvent être dus' (art. 81.1) opère en principe ex tunc, comme en droit belge;

que l'article 81.2 de la convention de Vienne prévoit que 'la partie qui a exécuté le contrat totalement ou partiellement peut réclamer restitution à l'autre partie de ce qu'elle a fourni ou payé en exécution du contrat. Si les deux parties sont tenues d'effectuer des restitutions, elles doivent y procéder simultanément';

qu'il ne saurait être question de compensation légale au jour de la résolution ainsi que (la défenderesse) le soutient (...);

que se pose dès lors la question de la compensation après faillite laquelle reste en principe interdite en vertu de l'article 1298 du Code civil;

que les développements des (demandeurs) fondés sur une jurisprudence ancienne de la Cour de cassation de France ne sont pas pertinents;

(qu')en effet, la compensation reste possible après faillite 'quand les dettes réciproques offrent un caractère de connexité étroite du fait qu'elles reposent sur une même cause' (Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat 1998, n° 858; T.P.D.C., tome 2, n° 376); qu'en l'espèce, les dettes réciproques ont la même cause: la résolution de la convention de vente du 20 avril 1999;

que 'la résolution crée, suivant un enseignement constant en droit civil, une situation synallagmatique qu'il convient de dénouer trait pour trait; l'article 81.2 (de la Convention de Vienne) consacre cette idée en prescrivant que les restitutions éventuelles doivent intervenir simultanément' (...);

que la connexité objective entre les créances réciproques est donc évidente; que les (demandeurs) ne peuvent être suivis lorsqu'ils soutiennent qu'il n'y a pas un rapport synallagmatique entre la créance de la société faillie portant sur la restitution de l'acompte qui 'vise à remettre les choses au même état que si le contrat n'avait pas existé (art. 1183 du Code civil), c'est-à-dire à éviter un appauvrissement tandis que la créance de dommages et intérêts est destinée à octroyer à la partie innocente le bénéfice normal qu'elle aurait recueilli de l'exécution normale du contrat (art. 1184 du Code civil)' (...);

qu'il y a en effet un rapport synallagmatique lorsque les contractants s'obligent réciproquement les uns envers les autres; que ce rapport subsiste, ainsi qu'il vient d'être dit, après la résolution du contrat; qu'il existe bien un rapport synallagmatique entre les obligations de l'acheteur de restituer les machines et de payer des dommages-intérêts égaux à la perte subie et au gain manqué par l'autre partie et celle du vendeur de restituer le prix majoré des intérêts depuis le jour du paiement de celui-ci (artt. 74, 81.2 et 84.1 de la Convention de Vienne);

qu'il y a donc bien matière à compensation'.

Griefs

Il résulte des articles 7, 8 et 9 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, 16 à 26 et 99 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites et du principe général du droit de l'égalité des créanciers que le jugement déclaratif de faillite ouvre à tous les créanciers de celle-ci une situation de concours leur permettant de se voir distribuer, proportionnellement à leur créance, le montant de l'actif de la faillite, tel qu'il est déterminé à l'article 99 de la loi sur les faillites, à moins qu'il n'y ait entre eux des causes légitimes de préférence soit les privilèges, limitativement visés aux articles 12 à 28 de la loi hypothécaire, et les hypothèques.

D'autre part, l'article 1298 du Code civil interdit la compensation au préjudice de droits acquis à un tiers.

Il peut certes être admis que le lien de connexité étroit entre des dettes entre lesquelles existe un lien d'interdépendance résultant de ce qu'en raison de la bonne foi qui régit l'exécution des conventions, l'un des cocontractants n'était fondé à réclamer l'exécution de l'obligation de l'autre qu'à la condition d'offrir d'exécuter la sienne propre et que le jugement déclaratif de faillite n'a pas pour conséquence de désolidariser les deux dettes, et que la compensation entre celles-ci ne rompt pas l'égalité entre les créanciers dès lors que la créance dans le chef du failli n'a jamais existé dans son patrimoine que liée à l'obligation pour lui de remplir son engagement. Dans pareil cas, la créance du failli correspond trait pour trait à l'obligation qui lui est corrélative, elle lui est directement liée et n'existe pas sans elle.

Il n'en va par contre pas de même lorsque, après que la convention a été résolue, se trouvent en présence, d'une part, les obligations de restitution des prestations réciproques dont la cause gît dans la résolution du contrat et, d'autre part, l'éventuelle créance de dommages et intérêts que peut faire valoir la partie qui a obtenu la résolution aux torts de l'autre, créance qui ne procède pas des obligations de restitution mais dont la cause gît dans la faute du cocontractant et en est la sanction. Pareille créance ne répond trait pour trait à aucune obligation de l'autre partie, puisqu'elle est fonction du profit escompté et que le dommage peut éventuellement être inexistant lorsque, comme en l'espèce, il est procédé à des ventes compensatoires.

Par ailleurs, le principe de l'égalité des créanciers, inscrit dans les dispositions rappelées au moyen, a pour finalité imposée par la loi d'instaurer entre les créanciers une situation permettant de répartir équitablement les conséquences nécessairement dommageables de la faillite pour chacun d'entre eux. Ce principe et ces dispositions priment l'intention des parties et interdisent de considérer que toutes les obligations contractuelles pouvant exister entre elles, qui trouvent dès lors nécessairement toutes leur source dans le contrat, se meuvent dans un même 'rapport synallagmatique' qui permettrait leur compensation.

Ils interdisent également que les créanciers de la faillite ayant à subir la résolution d'un contrat se voient réserver un sort différent et que certains se trouvent dans une situation préférentielle par l'effet de la compensation qui leur permet de recouvrer intégralement, et non plus proportionnellement, tout ou partie de leur créance de dommages et intérêts, en raison de la seule importance des paiements effectués par le failli avant la résolution et qui devraient donner lieu à restitution.

L'arrêt qui, après avoir rappelé que 'la résolution crée, suivant un enseignement constant en droit civil, une situation synallagmatique qu'il convient de dénouer trait pour trait', considère 'que la connexité objective entre les créances réciproques est donc évidente; (...) qu'il y a en effet un rapport synallagmatique lorsque les contractants s'obligent réciproquement les uns envers les autres; que ce rapport subsiste, ainsi qu'il vient d'être dit, après la résolution du contrat; qu'il existe bien un rapport synallagmatique entre les obligations de l'acheteur de restituer les machines et de payer des dommages-intérêts égaux à la perte subie et au gain manqué par l'autre partie et celle du vendeur de restituer le prix majoré des intérêts depuis le jour du paiement de celui-ci' et décide qu'il y a en l'espèce matière à compensation, viole les dispositions légales visées au moyen.

IV. La décision de la Cour

Attendu que l'arrêt constate que la défenderesse demandait l'admission au passif de la faillite de la société anonyme Curver Lawn Comfort d'une créance de dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice qu'elle avait subi à la suite de la résolution, imputable à la faute de la faillie, du contrat de vente du 20 avril 1999, sous déduction des acomptes qu'elle avait reçus sur le prix de vente, tandis que les demandeurs demandaient la condamnation de la défenderesse à leur restituer ces acomptes, sans compensation avec ladite créance de dommages-intérêts;

Attendu que l'arrêt considère 'qu'en l'espèce, les dettes réciproques ont la même cause: la résolution de la convention de vente du 20 avril 1999' et 'qu'il y a un rapport synallagmatique lorsque les contractants s'obligent réciproquement les uns envers les autres; que ce rapport subsiste (...) après la résolution du contrat; qu'il existe bien un rapport synallagmatique entre les obligations de l'acheteur de restituer les machines et de payer des dommages-intérêts égaux à la perte subie et au gain manqué par l'autre partie et celle du vendeur de restituer le prix majoré des intérêts depuis le jour du paiement de celui-ci';

Que sur la base de cette appréciation qui gît en fait des éléments de la cause, l'arrêt a pu légalement décider qu'il existe entre la dette et la créance de la société faillie un lien de connexité étroit de nature à justifier qu'une compensation s'opère entre elles;

Que la reconnaissance de la compensation dans les cas où, aux yeux du juge, il existe une étroite connexité des créances n'affecte pas la règle de l'égalité des créanciers;

Que le moyen ne peut être accueilli;

Par ces motifs,

La cour

Rejette le pourvoi;

(...)