Article

Tribunal de commerce Bruxelles, 26/12/2003, R.D.C.-T.B.H., 2004/5, p. 498

Tribunal de commerce de Bruxelles 26 décembre 2003

FAILLITE
Droits des créanciers - Dettes de la masse - Dettes contractées pendant le concordat - Créanciers privilégiés spéciaux - Commissaire au sursis
Les créanciers de la masse, y compris ceux qui bénéficient de la priorité accordée par l'article 44 de la loi sur le concordat, sont payés avant les créanciers privilégiés généraux et chirographaires. En revanche, ils sont primés par les créanciers titulaires de sûretés réelles et de privilèges spéciaux, à moins que leurs engagements n'aient contribué à la valorisation ou à la conservation de l'assiette de ces créanciers. L'appréciation de l'utilité de ces actes doit se faire in concreto.
Cette règle s'applique également aux honoraires du commissaire au sursis. Si son activité n'a pas favorisé le fonds de commerce, sa créance ne peut primer celle des créanciers privilégiés spéciaux.
FAILLISSEMENT
Rechten van de schuldeisers - Boedelschulden - Schulden aangegaan tijdens het gerechtelijk akkoord - Bijzonder bevoorrechte schuldeisers - Commissaris inzake opschorting
De schuldeisers van de boedel, met inbegrip van de schuldeisers die genieten van het voorrecht uit artikel 44 van de Wet op het gerechtelijk akkoord, worden betaald vóór de algemeen bevoorrechte schuldeisers en de chirografaire schuldeisers. Zij worden daarentegen voorafgegaan door de schuldeisers met zakelijke zekerheden en door de bijzonder bevoorrechte schuldeisers voor zover hun inspanningen niet hebben bijgedragen aan de toename of het behoud van de verhaalsmogelijkheden van deze schuldeisers. De beoordeling van het nut van deze handelingen dient in concreto te gebeuren.
Deze regel geldt ook voor de honoraria van de commissaris inzake opschorting. Als zijn tussenkomst niet ten goede is gekomen van het handelsfonds, krijgt zijn vordering geen voorrang op die van de bijzonder bevoorrechte schuldeisers.

Interbrew / Telecibel

Siég.: Henrion (juge), Servais et Waver (juges consulaires)
Pl.: Mes L. van Steyvoort, P. Roossens, J. Huybrechts, M. Van Den Daelen, R. Ceulemans, A. Delvoye, A.M. Seron et A.Dejemeppe

Après délibéré, le tribunal prononce le jugement suivant:

Vu:

- le procès-verbal de comparution volontaire déposé le 7 août 2001;

- la requête en intervention volontaire déposée par Monsieur Cludts le 7 octobre 2003;

- le rapport du juge-commissaire à la faillite sur aveu de Monsieur Freddy Longhino, lu à l'audience publique du 20 octobre 2003;

- les conclusions déposées par chacune des parties.

Entendu les avocats des parties à l'audience publique du 20 octobre 2003.

I. Le contexte du litige et les demandes

1. Monsieur Freddy Longhino exploitait deux fonds de commerce contigus à Laeken: la taverne 'La Rive Gauche' et le restaurant 'L'Autre Monde'.

Il déposa en février 2000 une requête en concordat à laquelle le tribunal de céans fit droit en désignant, le 15 mars 2000, Monsieur Alain Cludts en qualité de commissaire au sursis.

Monsieur Longhino fut toutefois contraint de faire aveu de faillite. Celle-ci fut déclarée par jugement du 29 mai 2000.

2. Les trois demanderesses et les trois premiers défendeurs sont tous créanciers de Monsieur Longhino.

Les trois demanderesses disposaient, avant même l'ouverture de la procédure concordataire, d'un privilège spécial sur les biens du futur failli:

- la SA Interbrew Belgium disposait d'un gage sur les deux fonds de commerce et était bailleresse des locaux de la taverne;

- La SA Telecibel était bailleresse des locaux du restaurant;

- La SA Europabank bénéficiait d'un privilège de vendeur impayé de machines sur le véhicule Opel Calibra mis en circulation en 1992.

Pendant la période d'observation de la procédure concordataire qui a duré du 15 mars au 29 mai 2000, Monsieur Longhino a poursuivi ses activités sous la surveillance du commissaire au sursis.

Les trois premiers défendeurs sont des créanciers titulaires de créances nées pendant la période concordataire, à savoir:

1. la société Accountant and Tax Adviser, laquelle est aux droits de Monsieur Cludts comme commissaire au sursis, dont elle a repris la créance;

2 .le Fonds de Fermeture d'entreprises;

3. l'ONSS,

ces deux derniers défendeurs ayant une créance du fait de l'engagement pendant la période concordataire de deux travailleurs respectivement du 3 au 28 mai 2000 et du 3 au 29 mai 2000.

La société Telecibel est également créancière de loyers pendant la période concordataire.

3. Suite à l'ouverture de la faillite, le fonds de commerce de la taverne a été réalisé par la curatelle pour la somme de 1.000.000,- FB. Le véhicule Opel a été vendu pour 40.000,- FB, H.TVA et la SA Telecibel a acheté les actifs garnissant son bien pour la somme de 100.000,- FB, H.TVA.

4. Les parties exposent que dans le cadre de la liquidation de la faillite, un différend est survenu entre les créanciers privilégiés spéciaux et les créanciers dont les droits sont liés à la période d'observation de la procédure concordataire.

Les créanciers issus du concordat prétendent que leurs créances devraient être considérées comme dettes de la masse faillie sur base de l'article 44, alinéa 2 de la loi relative au concordat et réglées en priorité.

Les créanciers privilégiés spéciaux estiment, quant à eux, que l'article 99 de la loi sur les faillites prime l'article 44, alinéa 2 de la loi sur le concordat, les biens formant l'assiette de leur privilège étant hors masse.

La société Accountant and Tax Adviser soutient quant à elle que les honoraires du commissaire au sursis doivent être payés en priorité sur toutes les autres créances de la société sur base de l'article 19 de la loi sur le concordat.

Le Fonds d'Indemnisation forme une demande incidente contre Monsieur Cludts tendant à sa condamnation à _ 3.000 de dommages et intérêts et à _ 1 à titre provisionnel.

Aucune demande n'est faite par Interbrew contre Monsieur Cludts.

Le Fonds d'Indemnisation conteste également la créance de la société Accountant and Tax Adviser.

II. Discussion
A. Primauté des articles 19 et 44, alinéa 2 de la loi sur le concordat sur l'article 99 de la loi sur les faillites?

1. La question essentielle qui est posée est de savoir si les créanciers privilégiés spéciaux doivent être payés par préférence sur les actifs réalisés formant leur assiette en vertu de l'article 99 de la loi sur les faillites ou si les créanciers issus du concordat doivent être réglés en priorité au titre de créanciers de la masse sur base de l'article 44, alinéa 2 de la loi relative au concordat.

1.1. Selon l'article 44, alinéa 2 de la loi relative au concordat, les dettes nouvelles contractées durant le concordat sont considérées comme des dettes de la masse faillie. Par ailleurs, la loi, en son article 19, prévoit que les honoraires du commissaire au sursis sont payés par préférence, c'est-à-dire qu'en cas de faillite, avant l'homologation du concordat, ces honoraires étant affectés d'un privilège particulier équivalent au privilège des frais de justice, ils seront payés par le curateur au titre de dette de la masse faillie par priorité à l'égard des créanciers privilégiés généraux (voy. I. Verougstraete, Le manuel de la faillite et du concordat, Kluwer, 1998, n° 79, p. 61 et références citées; A. Zenner, Dépistage faillites et concordats, n° 1288, p. 920).

1.2. Les créanciers de la masse sont payés avant les créanciers privilégiés généraux et chirographaires. En revanche, ils sont primés par les créanciers titulaires de sûretés réelles et de privilèges spéciaux, à moins que leurs engagements n'aient contribué à la valorisation ou à la conservation de l'assiette de ces créanciers (voy. A. Zenner, o.c., n°s 917, 1003 et, par comparaison aux frais et honoraires du curateur, le n° 466, 2°).

L'esprit de cette exception réside dans l'idée qu'il appartient aux privilégiés spéciaux et aux titulaires de sûretés réelles, qui ont bénéficié d'actes utiles à la conservation ou la valorisation efficace de leur bien, d'en défrayer ceux qui ont posé ces actes puisque si cela n'avait pas été fait, l'assiette de leur privilège ou de leurs sûretés en aurait été diminuée.

L'appréciation de l'utilité des actes en cause doit se faire in concreto (voy. A. Zenner, 'Faillites et concordats', 2002, Les Dossiers du Journal des Tribunaux, n° 426, pp. 454 et 455; E. Dirix, 'Recente rechtspraak insolventierecht', in Insolventierecht, Themis, 2003-04, Éd. die Keure, p. 65; T. Bosly: 'Quatre années d'application de la loi sur le concordat judiciaire', in Faillite et concordat judiciaire: un droit aux contours incertains et aux interférences multiples, Bruylant, 2002, p. 494; J. Caeymaex, 'Les dettes de masse antérieures à la faillite', note sous Comm. Bruxelles 25 janvier 2001, J.L.M.B. 2001, p. 1775 ; Comm. Verviers 27 mars et 6 novembre 2001, J.L.M.B. 2002, p. 243 ).

2. En l'espèce, les créances du Fonds de Fermeture d'Entreprises et de l'ONSS sont relatives à deux travailleurs ayant été engagés par Monsieur Longhino 26 jours avant qu'il ne fasse aveu de faillite. Rien ne démontre que l'engagement de ces deux personnes ait permis concrètement la valorisation du fonds de commerce ni même sa conservation.

Ces créanciers procèdent par des affirmations non prouvées lorsqu'ils prétendent que le concordat a permis à l'employeur de poursuivre son activité et que par l'engagement du personnel, il a rentabilisé son entreprise permettant ainsi une cession avec le maintien d'une clientèle. Cette situation aurait très probablement été exactement la même si la faillite avait été prononcée par le tribunal le 15 mars 2000 au lieu que ne soit octroyé le bénéfice du sursis provisoire à Monsieur Longhino. Rien n'établit que la poursuite d'activités pendant deux mois ait changé quoi que ce soit à la situation. Aucun élément concret et probant n'est produit à cet égard.

Cette analyse est confirmée par le fait qu'il y avait probablement des travailleurs au noir dans l'entreprise avant l'engagement officiel des deux travailleurs en cause (voy. à ce sujet, le rapport du commissaire au sursis du 24 mai 2000), ce qui a été confirmé à l'audience.

Elle correspond également à l'avis émis par le juge-commissaire de la faillite in fine de son rapport, déposé à l'audience du 20 octobre 2003.

La même analyse vaut pour la créance d'honoraires du commissaire au sursis. Celui-ci ou la société Accountant and Tax Adviser, à laquelle sa créance a été cédée, ne rapportent pas la preuve qu'il aurait contribué par une action précise à la valorisation ou à la conservation du fonds de commerce.

Durant son intervention, qui n'a duré qu'environ deux mois, il a effectué un travail de contrôle comptable et a procédé, à la demande du tribunal, à une évaluation de la rentabilité de l'entreprise.

Il ne ressort d'aucun élément du dossier qu'il aurait posé un acte quelconque de nature à favoriser ou à conserver le fonds de commerce, en manière telle que sa créance ne peut primer les créances des privilégiés spéciaux.

B. Demande incidente

La demande de la société Accountant and Tax Adviser tendant à être payée en priorité sur tous les autres créanciers est non fondée pour les motifs énoncés ci-avant au points 1.1. et 2.

Le curateur a précisé à l'audience qu'aucune des créances n'avait été admise à titre définitif et que le tribunal n'était pas saisi en tant que tel de la question de l'admission de chacune des créances. Partant, la contestation du Fonds d'Indemnisation à l'égard de la créance de la société Accountant and Tax Adviser est dépourvue de pertinence dans le cadre du présent litige.

Quant à la mise en cause de la responsabilité de Monsieur Cludts, seul le Fonds d'Indemnisation formule une demande précise à cet égard en réclamant des indemnités à ce dernier.

Pour le Fonds, l'absence de preuve que les dettes nées du concordat auraient été profitables à la valorisation ou à la conservation du fonds de commerce emporterait nécessairement pour conséquence que Monsieur Cludts n'aurait pas rempli ses obligations et qu'il n'aurait pas dû permettre l'engagement des deux travailleurs en mai 2000.

Ce raisonnement ne peut être suivi. L'absence de preuve que les dettes aient profité au fonds de commerce n'a pas pour conséquence d'entraîner une responsabilité ipso facto dans le chef de Monsieur Cludts. La période du sursis provisoire a été extrêmement brève (± deux mois). Le commissaire au sursis ne s'était pas vu assigner une mission spécifique. Il n'avait pas à se substituer à Monsieur Longhino et ne remplissait qu'une mission générale de surveillance. Monsieur Longhino pouvait signer des contrats de travail sans l'autorisation du commissaire au sursis et les engagements litigieux des deux travailleurs ont été conclu à peine trois semaines avant que Monsieur Cludts ne sollicite la fin du sursis provisoire. Par ailleurs, Monsieur Cludts s'explique sur l'évolution de ses rapports au mois de mai et donne des explications plausibles à cet égard.

Il n'est pas établi de faute dans son chef dans le cadre de sa mission. La demande incidente du Fonds d'Indemnisation est partant non fondée.

Par ces motifs,

Le tribunal,

Statuant contradictoirement,

Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,

Dit pour droit qu'il appartient au curateur de la faillite de Monsieur Longhino de payer les créances des privilégiés spéciaux en priorité sur le produit de la réalisation de leur assiette, c'est-à-dire avant les créanciers issus du concordat (le Fonds d'Indemnisation, l'ONSS, la SPRL Accountant and Tax Adviser).

Reçoit l'intervention volontaire de Monsieur Cludts.

Déclare la demande incidente du Fonds d'Indemnisation recevable, mais non fondée à l'égard de Monsieur Cludts.

(...)