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Actualité : Cour européenne des droits de l'homme, 11/12/2003, R.D.C.-T.B.H., 2004/4, p. 412-413

Cour européenne des droits de l'homme 11 décembre 2003

CAMPAGNE PUBLICITAIRE
Publicité trompeuse - Ordonnance de cessation - Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) - Liberté d'expression
C.L. Rozakis (président), E.Levits, S. Botouchavrova, A. Kovler, V. Zagrebelsky, E. Steiner et K. Hajiyev (juges)

(Affaire 39069/97, 'Krone Verlag GmbH & Co KG (n° 3) contre Autriche' [1])

1.Le 11 décembre 2003, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné une fois de plus l'Autriche pour violation de l'article 10 de la CEDH, qui protège la liberté d'expression. L'État autrichien a déjà encouru un certain nombre de condamnations pour violation de la liberté d'expression mais ce qui est étonnant dans l'affaire commentée ici, c'est que c'est déjà la troisième fois que la partie demanderesse obtient gain de cause à Strasbourg, et ce chaque fois dans de nouvelles affaires.

2.Les faits de l'espèce étaient les suivants. Krone Verlag est propriétaire du journal Neue Kronenzeitung, un quotidien populaire de divertissement. En décembre 1994, l'édition locale salzbourgeoise du journal avait entamé une campagne publicitaire dans laquelle le prix d'un abonnement mensuel était comparé à celui d'un abonnement mensuel à un autre journal salzbourgeois, le Salzburger Nachrichten, qui est un 'journal de qualité'. Sur base de cette comparaison, le Neue Kronenzeitung arrivait à la conclusion qu'il était 'le meilleur' journal local, point sur lequel il insistait bien sûr dans ses publicités.

3.Le Salzburger Nachrichten entama une procédure dans laquelle il demandait la cessation de la campagne publicitaire sur base de la législation sur les pratiques du commerce. Tant en première instance qu'en degré d'appel, le propriétaire et l'éditeur du Neue Kronenzeitung se sont vus interdire de procéder à une campagne publicitaire sur base d'une comparaison du prix des deux journaux sans mentionner également qu'il existait une différence dans la sélection des sujets qui étaient abordés dans les deux journaux et la manière dont l'information était traitée.

4.Krone Verlag considérait que cette interdiction de publication constituait une violation du droit à la liberté d'expression et a introduit, après avoir utilisé tous les moyens de droit interne, une requête devant la Cour européenne des droits de l'homme. La cour a donc dû se prononcer sur la question de savoir si l'article 10 de la CEDH avait été violé.

5.En vertu de la Convention européenne des droits de l'homme, les limitations à la liberté d'expression sont autorisées si elles ont une base légale, sont établies pour protéger un des objectifs énumérés par l'article 10, § 2, CEDH et si elles sont nécessaires dans une société démocratique.

En ce qui concernait la base légale, aucun problème ne se posait: la limitation était en effet fondée sur la loi sur les pratiques du commerce qui interdit la publicité trompeuse.

De même, en ce qui concernait l'objectif de la limitation, la Cour européenne des droits de l'homme ne voyait pas d'obstacle à la limitation, eu égard au fait que celle-ci était établie en vue de 'la protection de la réputation ou du droit d'autrui'.

Le contrôle du caractère nécessaire jouait donc une fois de plus un rôle majeur dans l'appréciation de la Cour européenne des droits de l'homme.

6.La cour a commencé son appréciation de la proportionnalité de la mesure limitative par la constatation implicite que la liberté d'expression vaut aussi bien sûr pour les 'discours commerciaux', mais qu'en matière d'appréciation des limitations à la liberté d'expression dans la sphère de la concurrence déloyale, les autorités nationales disposaient d'une large liberté d'appréciation.

La cour a ensuite constaté que les publicités constituent une source d'information pour le public mais que dans certains cas, celles-ci peuvent être censurées afin de prévenir des publicités inexactes, trompeuses ou susceptibles de tromper la concurrence. Dans certaines circonstances, comme l'indiquait la cour, on peut même censurer des publicités objectives et fidèles à la réalité en vue de protéger les droits d'autrui.

7.En l'espèce, la cour a toutefois remarqué que les tribunaux autrichiens motivaient leur décision de manière contradictoire. Ils décidaient en effet que la comparaison de prix était trompeuse parce qu'un des journaux était un quotidien populaire tandis que l'autre était un 'journal de qualité', mais en même temps ils décidaient que les journaux étaient concurrents sur le même marché et qu'ils s'adressaient aux mêmes lecteurs. La cour considérait que cette conclusion était incohérente.

En outre, la cour estimait que l'impact de l'interdiction était disproportionné par rapport aux objectifs susceptibles d'être protégés. En effet, conformément à l'ordonnance en cessation, le Neue Kronenzeitungen pouvait poursuivre sa campagne à condition de mentionner les différences entre les deux journaux dans la manière de traiter l'information. La cour estimait qu'une telle condition était en pratique quasiment impossible à réaliser et indiquait en outre que Krone Verlag était menacé d'une amende si cette condition n'était pas respectée.

Aussi, la cour a conclu que les limitations posées par les cours et tribunaux autrichiens étaient contraires à l'article 10 CEDH.

8.Cet arrêt soulève un certain nombre de questions. On peut en effet se demander si l'argumentation des juges autrichiens était si incohérente que la cour le laisse supposer. En outre, se pose la question de savoir si la cour ne néglige pas le fait que l'ordonnance en cessation protégeait autant les droits du consommateur que ceux du Salzburger Nachrichten. Enfin, on peut douter du fait que l'ordonnance de cessation, qui n'interdisait pas la campagne publicitaire en soi mais qui imposait une obligation d'information complémentaire, était à ce point disproportionnée qu'elle violait la Convention européenne des droits de l'homme.

Quoi qu'il en soit, cette décision de la Cour européenne des droits de l'homme démontre une fois de plus à quel point la Convention européenne des droits de l'homme pénètre dans la sphère purement économique.

[1] Peut être consulté, en anglais uniquement, sur http://hudoc.echr.coe.int/Hudoc2doc2/HEJUD/200312/krone%20-%2039069jv.f1c%2011122003e.doc.