Article

Cour d'appel Liège, 03/04/2003, R.D.C.-T.B.H., 2004/4, p. 388-391

Cour d'appel de Liège 3 avril 2003

FAILLITE
Déclaration de faillite d'une société en liquidation - Moment de l'appréciation des conditions de la faillite - Jour où le tribunal statue sur la demande de faillite
Ébranlement du crédit d'une société en liquidation - Confiance des créanciers dans les opérations de liquidation
Pour apprécier si la faillite de la société en liquidation doit être prononcée, il faut se placer non au jour de la dissolution, mais au jour où le tribunal statue sur la demande.
Si la dissolution est intervenue sans fraude et se déroule dans de bonnes conditions à la satisfaction des créanciers, ou d'une majorité significative de ceux-ci, et que leur adhésion n'est pas obtenue par une information incomplète ou inexacte, le crédit n'est pas ébranlé.
FAILLISSEMENT
Faillietverklaring van een vennootschap in vereffening - Tijdstip waarop de faillissementsvoorwaarden dienen beoordeeld te worden - Ogenblik waarop de rechtbank uitspraak doet over de faillissementsvordering
Geschokt zijn van krediet van een vennootschap in vereffening - Vertrouwen dat de schuldeisers stellen in de vereffeningswerkzaamheden
De al dan niet vervulling van de faillissementsvoorwaarden in hoofde van een vennootschap in vereffening dient beoordeeld te worden op de datum waarop de rechtbank uitspraak doet over de faillissementsvordering.
De voorwaarde van het wankelen van krediet is niet vervuld wanneer het ontbindingsbesluit zonder fraude werd genomen en de vereffening op een goede manier verloopt, ter voldoening van de schuldeisers, of van een betekenisvolle meerderheid van de schuldeisers, en hun instemming niet het gevolg is van een onvolledige of verkeerde informatie.

Me A. Moreau q.q. / État belge et Me L. Sacre q.q.

Siég.: R. de Francquen (président), M. Ligot et A. Jacquemin (conseillers)
Pl.: Mes Hubrechts loco S. Spadazzi et Van Eyll loco M. Firket

Après en avoir délibéré:

Vu l'appel du jugement rendu le 8 mai 2002 par le Tribunal de Commerce de Huy interjeté le 24 mai 2002 par la SA Confiserie Rosière en liquidation;

Vu la demande incidente introduite par l'appelante du chef d'appel téméraire et vexatoire par conclusions du 25 novembre 2002;

Attendu que les parties intimées concluent à l'irrecevabilité de l'appel interjeté au motif que le curateur dont l'identité et l'adresse sont mentionnées dans la requête n'a pas été expressément intimé; que le curateur qui a fait signifier le 17 juin 2002 le jugement déclaratif de faillite à l'appelante soutient que la notification de la requête qui lui a été faite par le greffe le 28 juin 2002 soit 15 jours après l'audience d'introduction ne peut couvrir l'expiration du délai d'appel au 3 juillet 2002;

'Attendu qu'en cas d'appel par requête, la date de l'appel est celle du dépôt au greffe; que la notification par le greffier aux parties intimées constitue un mode d'information qui doit être mis en oeuvre d'office et est une formalité distincte de l'introduction du recours; que l'omission ou le retard dans l'exécution de la formalité prévue par l'article 1056, 2° du Code judiciaire est sans effet sur la recevabilité de l'appel (Van Compernolle, n° 31; R.P.D.B., compl. VI, V° Appel en matière civile, sociale et commerciale, n° 562 et les décisions citées)' (Liège 23 octobre 1990, Pas. 1991, II, p. 46);

'que le curateur dont la mise à la cause en degré d'appel est indispensable (a été avisé du dépôt de la requête d'appel); que la circonstance qu'il ne lui est pas décerné la qualité d'intimé reste sans incidence dès lors que son identité était reprise à la requête et qu'il n'a pu se méprendre sur le rôle qui lui était dévolu devant la cour' (Liège (7ème ch.) 19 octobre 1995, en cause B. Castaigne q.q. et G. Sinzot c/ O.N.S.S., R.G. 1.234/95 et 1.352/95, inédit);

'qu'à propos du délai de comparution, on signale que la Cour de cassation a récemment précisé que 'lorsqu'un acte d'appel est dirigé contre plusieurs parties intimées et que le délai de comparution n'est pas respecté à l'égard de l'une d'elles, l'appel n'est nul qu'en tant que dirigé contre cette dernière si le délai de comparution a été respecté à l'égard des autres'. On rappelle en outre que le non-respect de ce délai est actuellement susceptible d'être réparé par application du nouvel article 867 du Code judiciaire.

(La) nullité relative (qui découle du non-respect de l'art. 1057, 6° du Code judiciaire) nécessite toutefois la preuve d'un préjudice dans le chef de celui qui s'en prévaut. Lorsque l'impossibilité pour l'intimé de faire sa déclaration de comparution ne l'a pas empêché de faire valoir complètement ses droits et ne lui a causé aucun préjudice, il n'y a, partant pas lieu de prononcer la nullité de l'appel. Il en va de même lorsque l'intimé a eu l'occasion de se défendre, ce qui ressort de la circonstance que la cause a été renvoyée au rôle particulier et que l'intimé a conclu' (H. Boularbah, Le point sur la procédure civile. Les voies de recours, C.U.P., décembre 2000, vol. 43, n°41 et 41bis, p. 296);

qu'en l'espèce, à l'audience d'introduction, la cause a été remise au 5 septembre 2002 'pour permettre aux parties de mettre la cause en état ou (de) plaider en débats succincts'; qu'à cette audience, le curateur a comparu et qu'il a été le premier à conclure dès le 11 septembre 2002; que ses droits de défense ont été respectés et qu'il ne peut se prévaloir et ne se prévaut d'ailleurs d'aucun grief;

que l'appel interjeté est recevable;

Attendu qu''Il a () toujours été admis que tout créancier dont le droit n'est pas sérieusement contesté peut demander la faillite de son débiteur et qu'aucune autre condition n'est requise (Van Ryn, Principes, t. IV, n° 2653). Dès lors que les conditions de la faillite sont réunies, le mobile que le créancier poursuit est indifférent et le demandeur ne doit pas justifier d'un intérêt personnel (Cloquet, éd. 1985, n° 1087; L. Dermine, Observations sous Comm. Mons 28 octobre 1985, R.R.D. 1986, p. 171; dans le même sens 't Kint, Observations sous Liège 17 novembre 1988, R.P.S. 1989, p. 66)' en ce sens qu''il ne peut être exigé qu'il fasse la preuve de ce que la faillite de son débiteur lui procurerait un bénéfice direct'; que cet intérêt doit être apprécié largement (Zenner, Dépistage, Faillites & Concordats, n° 315, p. 245);

Attendu que pour apprécier si la faillite de la société en liquidation doit être prononcée, il faut se placer non au jour de la dissolution mais au jour où le tribunal a statué sur la demande de l'appelante et vérifier ce qu'il en est actuellement (Liège 28 février 1991, Pas., II, p. 126 cité par Coppens et 't Kint, 'Examen de jurisprudence', R.C.J.B. 1997, n° 4, p. 162; W. Derijcke, 'Faillite d'une société en liquidation', Observations sous Liège 26 juin 1997, R.P.S. 1998, 112);

Attendu qu''En écartant toute référence à la situation de la société au jour de sa dissolution, (il convient de prendre) davantage en compte les conditions dans lesquelles la liquidation est poursuivie et les perspectives qu'elle réserve aux créanciers () en mettant l'accent sur la notion d'ébranlement de crédit plutôt que sur la cessation des paiements' ('t Kint, Observations sous Liège 17 novembre 1988, R.P.S. 1989, pp. 66 et s.) qui est acquise en l'espèce;

que c'est bien en effet de crédit - c'est-à-dire de confiance - qu'il s'agit: acceptent-ils (les créanciers) que les opérations de la liquidation soient poursuivies? Le liquidateur par son efficacité, sa compétence, son indépendance a-t-il su les convaincre que leur sort est en mains sûres et qu'il leur servira leur dû dans un délai raisonnable (Liège 28 février 1991, Pas., 126 et réf. citées; Ph. GÉrard, C.D.V.A. 1997, n° 21, p. 149);

que toute la question est de savoir si les conditions dans lesquelles a été ouverte et s'est poursuivie la liquidation rencontrent l'accord de l'ensemble des créanciers étant entendu que le crédit dépend aussi de 'l'efficacité, la compétence et l'indépendance du liquidateur' (Coppens et 't Kint, déjà cités, 1997, p. 162, n° 4);

que 'si la dissolution est intervenue sans fraude et se déroule dans de bonnes conditions à la satisfaction des créanciers, ou d'une majorité significative de ceux-ci, et que leur adhésion n'est pas obtenue par une information incomplète ou inexacte, le crédit ne sera pas ébranlé' (Zenner, déjà cité, n° 249, p. 198);

Attendu que la société appelante a été dissoute et mise en liquidation le 28 juin 1985; qu'un premier liquidateur a été désigné auquel ont succédé Me Pierre Cavenaile et Me Michel Mersch qui ont démissionné à leur tour le 13 avril 1987 pour 'des raisons de convenance personnelle', 'la liquidation étant virtuellement achevée, et le passif exigible pratiquement couvert, à l'exception de quelques litiges fiscaux' (conclusions principales de l'appelante, p. 8, § 5);

que l'appelante explique que depuis lors la liquidation s'est poursuivie 'de manière normale', 'dans le respect intégral de la loi du concours et des droits des créanciers, quels qu'en aient été les titres', 'seul (le premier intimé) et plus généralement l'administration fiscale (émettant) des doutes' (conclusions principales, pp. 6 et 8);

Attendu que le premier intimé se prévaut d'une créance de 69.730,12 euros à titre privilégié et de 617,77 euros à titre chirographaire (dossier Me Sacre, pièce 2) que l'appelante conteste, au motif que celle-ci serait en grande partie prescrite;

que l'appelante explique que les montants qui font l'objet de la notification fiscale effectuée le 19 juillet 1988 entre les mains du notaire Fenaux (dossier C.R., pièce II, 4) doivent être tenus pour payés en raison de 'l'inertie fautive' de l'administration dans la surveillance du suivi de cette notification, raison pour laquelle '(elle) a littéralement laissé se prescrire sa créance' (conclusions d'instance après r.o.d., dossier de la procédure, pièce 28, p. 5, § 4);

que selon la SA Confiserie Rosière, 'en termes de cotisations fiscales dues spécifiquement (au premier) intimé, il resterait la somme de 2.135,25 euros en principal, soit 86.136 FB,... montant () susceptible de rentrer dans les forces de la liquidation' (conclusions, p. 9);

Attendu que l'appelante soutient donc que les impôts et amendes qui font l'objet des articles 622.861, 421.121 et 421.135 rendus exécutoires respectivement le 9 décembre 1986 (pour le premier) et le 21 décembre 1984 (pour les deuxième et troisième) seraient prescrits (dossier E.B., pièces IV, 4 et 5; dossier C.R., sous-farde III, pièce 5) à défaut d'interruption de la manière prévue par les articles 2244 et suivants du Code civil dans les cinq ans à compter de la date à laquelle ils doivent être payés (art. 145 de l'arrêté d'exécution du CIR 92 anciennement art. 194 A.R. d'exécution du Code des impôts sur les revenus du 4 mars 1965);

que l'État belge justifie cependant de commandements interruptifs de prescription en date des 3 mai 1985, 5 avril 1990, 1er mars 1995 et 26 janvier 2000 (son dossier, farde IV);

Attendu que les critiques de l'appelante se concentrent sur le premier commandement qui serait nul à défaut d'avoir été précédé d'une sommation;

que l'article 198, alinéa 2 de l'A.R. d'exécution du Code des impôts sur les revenus du 4 mars 1965 en vigueur à l'époque prévoit tout comme l'actuel article 149, alinéa 2 de l'arrêté d'exécution du CIR 92 que le commandement doit porter en tête un extrait de l'article du rôle concernant le redevable et une copie de l'exécutoire;

que cette disposition a été respectée;

que 'le rôle constitue le titre légal pour le recouvrement de ladette d'impôt. Aucune disposition légale n'impose à l'administration d'envoyer préalablement une sommation' (Anvers 1er décembre 1999, Bull. contr. 2001, p. 752);

qu'il n'y a dès lors pas matière à nullité; que le commandement du 3 mai 1985 est valable en la forme et produit un effet interruptif;

Attendu que la circonstance que le notaire Fenaux n'ait pas réservé suite à la notification fiscale du 19 juillet 1988 n'entraîne pas la libération de l'appelante des cotisations visées par celle-ci;

Attendu que l'appelante reproche encore à l'État belge '(d'avoir) lui-même contribué à l'organisation de l'indisponibilité d'une partie importante des avoirs de la liquidation' (conclusions principales, p. 17, dernier par.) en refusant de donner mainlevée de la notification pratiquée entre les mains du notaire Jeghers sur les fonds provenant de la vente d'un immeuble appartenant à la SA Dipal en liquidation débitrice de l'appelante;

que le grief n'est pas fondé; qu'en effet, faisant suite à la proposition faite le 6 décembre 1995 par le liquidateur de l'appelante de libérer '(les) fonds bloqués entre les mains du notaire Jeghers, () fonds (qui) devaient servir à désintéresser la liquidation Rosière, créancière hypothécaire privilégiée et à régler l'entièreté de (la) créance (de l'administration fiscale)' (dossier C.R, pièce II, 12 A), le premier intimé a réagi en demandant le 8 janvier 1996 à André Moreau, liquidateur des deux sociétés des éclaircissements et précisions sur l'état d'avancement des opérations des deux liquidations, jamais fournis avant l'introduction de la présente action (dossier E.B., pièce II, 5);

Attendu que l'appelante prétend que les comptes de la liquidation sont 'virtuellement équilibrés' 'au stade où en était le dossier au moment de la saisine initiale du tribunal (conclusions principales d'appel, pp. 13 et 14) et qu'en fait, 'depuis le dernier bilan arrêté au 31 décembre 1988, il ne s'est strictement rien passé, les comptes ayant été figés' (souligné dans le texte; conclusions d'instance après r.o.d., pièce 28, p. 5; conclusions principales d'appel, p. 17, § 1);

que cette appréciation doit être sérieusement nuancée;

Attendu que l'appelante fait état de deux créances:

- une créance née d'un paiement subrogatoire effectué entre les mains de la S.N.C.I. au profit de la SA Dipal en liquidation d'un import de 28.209,41 euros;

- une créance chirographaire sur la même société s'élevant à 981.515,32 euros (conclusions principales, p. 13);

qu'alors que le liquidateur est le même pour les deux sociétés, aucun renseignement n'est produit en ce qui concerne la situation et les capacités de paiement de la SA Dipal en liquidation depuis le 28 août 1985 (dossier E.B., pièce II, 4);

Attendu que l'appelante doit bien reconnaître que 'les actifs dont on fait grand cas de part adverse ne sont plus - en tous cas pour certains d'entre eux - que de simples écritures comptables' (conclusions principales, p. 6);

que le curateur est plus explicite encore lorsqu'il précise que:

'- l'actif de la faillite, nonobstant l'effet rétroactif du jugement d'instance est totalement inexistant si ce n'est une éventuelle récupération d'une somme de 1.500.000 FB disparue en 1988 consécutivement à une vente passée devant le notaire Fenaux;

- la SA Confiserie Rosière en liquidation est totalement insolvable' (conclusions, pp. 6 et 7);

qu'il est certain que même si la Sefim en liquidation, l'actionnaire majoritaire de l'appelante, devait faire apport de sa créance subordonnée de 492.420,38 euros de façon à reconstituer les fonds propres de celle-ci (conclusions additionnelles d'appel, p. 4), la liquidation sera déficitaire;

que l'on voit mal dès lors comment la créance de l'État belge pourra être honorée; que l'appelante a cessé ses paiements de manière persistante à l'égard de l'État belge; qu'il importe peu qu'il n'y ait pas d'autres créanciers que la Sefim et celui- ci;

Attendu que pour ce qui est de l'appréciation de la condition d'ébranlement de crédit, le fait que l'appelante conserve la confiance de son actionnaire majoritaire et principal créancier ne suffit pas;

que la confiance du premier intimé dans la bonne fin de la liquidation est légitimement ébranlée; que jusqu'à l'introduction de la présente action, les renseignements fournis par le liquidateur concernant l'évolution de la liquidation ont été totalement insuffisants; qu'il a fallu l'intervention du tribunal pour que des comptes quelque peu précis soient produits;

qu'ainsi que le liquidateur le reconnaît, la situation est 'virtuellement bloquée' depuis 1988; qu'il n'existe aucune raison d'espérer un quelconque changement si la situation devait être maintenue; que le curateur signale d'ailleurs également le manque de coopération du liquidateur à son égard;

que les conditions de l'état de faillite étaient donc bien remplies au jour où le tribunal a statué;

Attendu que c'est à bon droit que le tribunal a reporté la date de la cessation de paiements a une date précédant de plus de six mois le jugement déclaratif de faillite; qu'il existe en effet une collusion apparente entre les trois sociétés Sefim, Confiserie Rosière et Dipal représentées toutes trois par le même liquidateur;

que la volonté de celui-ci paraît être de faire obstruction à toutes les démarches entreprises par l'administration fiscale en vue de récupérer tout ou partie des cotisations impayées; qu'est révélateur de cette volonté le manque d'informations fournies au seul créancier 'actif';

Attendu qu'il n'existe cependant aucun indice permettant de considérer que les actes qui ont été posés par les liquidateurs qui ont précédé le liquidateur actuel aient eu pour but de nuire aux créanciers;

que la date de cessation des paiements doit dès lors être fixée au jour de l'entrée en fonction de celui-ci;

Attendu que l'appel interjeté procède de la même démarche dans le chef du liquidateur actuel de l'appelante ce qui justifie que l'appelante soit condamnée au paiement de dommages et intérêts;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges,

(...)

La cour,

statuant contradictoirement, après avoir entendu à l'audience du 13 mars 2003 Monsieur Thierry Piraprez substitut du procureur général délégué en son avis,

Reçoit l'appel et la demande incidente,

Confirme le jugement entrepris sous l'émendation que la date de cessation des paiements est fixée au 13 avril 1987;

Condamne l'appelante à payer au premier intimé 1.000 euros à titre de dommages et intérêts et les dépens d'appel (...).