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Actualité : Cour de justice des Communautés européennes, 06/11/2003, R.D.C.-T.B.H., 2004/3, p. 313-315

Cour de justice des Communautés européennes 6 novembre 2003

DROIT EUROPÉEN - LIBERTÉ D'ÉTABLISSEMENT - LIBRE PRESTATION DES SERVICES
Droit d'établissement - Libre prestation des services - Collecte dans un État membre de paris sur des évènements sportifs et transmission, par l'Internet, vers un autre État membre - Interdiction sous peine de sanctions pénales - Législation d'un État membre réservant à certains organismes le droit de collecter des paris
Siég.: M. V. Skouris (président), MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans et J. N. Cunha Rodrigues (présidents de chambre), MM. D. A. O. Edward (rapporteur) et R. Schintgen, Mmes F. Macken et N. Colneric, et M. S. von Bahr (juges)
Avocat général: M. S. Alber

(Affaire C-243/01, 'Gambelli e.a.' [1])

1.La Cour de justice des Communautés européennes a rendu le 6 novembre 2003 un arrêt relatif à la compatibilité avec le droit communautaire de la législation italienne en matière de jeux et paris, qui marque un temps d'arrêt, voire un tournant décisif, par rapport à sa jurisprudence antérieure qui, jusqu'alors, avait plutôt conforté les monopoles nationaux dans ce secteur d'activité.

2.Un bookmaker établi en Angleterre collectait en Italie des paris sur des compétitions sportives à l'aide d'un réseau local d'intermédiaires (138) qui mettaient à disposition du public par voie électronique des informations sur les divers paris, rassemblaient les intentions de paris et les transmettaient ensuite au bookmaker. Or, selon la loi italienne, l'organisation de loteries, de paris ou de concours de pronostics est réservée à l'État ou à des organismes concessionnaires. Toute activité de même nature non autorisée par l'État italien est sanctionnée pénalement.

3.C'est dans le cadre des poursuites pénales intentées contre ces intermédiaires italiens que le tribunal d'Ascoli Piceno a posé une question préjudicielle à la cour sur la compatibilité de la législation italienne avec les règles relatives à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services.

4.La cour commence par rappeler que les restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d'un État membre constituent bien une entrave à la liberté d'établissement. La réglementation italienne concernant les appels d'offre excluait en pratique qu'une société de capitaux cotée sur les marchés des autres États membres étrangers puissent obtenir une concession d'organisation de jeux et paris, même si théoriquement elle était indistinctement applicable à toute société, établie en Italie ou dans un autre État membre.

Quant à la libre prestation des services, la cour précise qu'elle couvre aussi bien les services offerts par une entreprise via Internet à des destinataires potentiels établis dans différents États membres et fournis sans déplacement à partir de son lieu d'établissement, que la liberté pour les destinataires de recevoir et de bénéficier desdits services. Or, la loi italienne sanctionnait le particulier qui se connecte à Internet depuis son domicile pour placer des paris auprès d'un bookmaker établi à l'étranger, de même que les intermédiaires qui facilitent la prise de tels paris. Pour la cour, la législation italienne sur les paris constitue donc une restriction à la libre prestation des services.

5.Vient ensuite la question d'une éventuelle justification de telles restrictions, soit au titre des articles 45 ou 46 du traité, soit pour des raisons impérieuses d'intérêt général. Et la cour de rappeler que des particularités d'ordre moral, religieux ou culturel, ainsi que les conséquences moralement et financièrement préjudiciables pour l'individu et la société qui entourent les jeux et les paris, peuvent être de nature à justifier de telles restrictions. Jusque là, l'arrêt de la cour se situe dans la ligne de sa jurisprudence antérieure en la matière, laquelle avait accueilli favorablement les impératifs d'ordre moral ou de nature sécuritaire que chaque État membre n'avait manqué de brandir pour justifier le maintien de son monopole national sur les loteries, jeux et paris [2].

6.C'est à ce stade du développement que la cour va se prêter à un examen beaucoup plus affûté que précédemment, en vérifiant si les restrictions mises en place par l'État italien sont bien propres à garantir la réalisation de ses objectifs proclamés, si elles ne sont pas disproportionnées par rapport à ce qui est nécessaire pour les atteindre et, enfin, si elles sont appliquées sans discrimination. Les considérations émises par la cour à ce sujet laissent peu de place au doute: bien qu'il appartienne en principe à la juridiction de renvoi d'en juger, elle laisse clairement entendre que la loi italienne en cause ne répond pas à ces conditions.

7.D'une part, l'objectif déclaré qui tend à protéger les consommateurs, à prévenir les fraudes et à contenir la propension des citoyens à faire des dépenses de jeu excessives, s'il est théoriquement susceptible de justifier une restriction à la liberté de commerce, s'avère ici un leurre: en effet, il apparaît que l'État italien poursuit lui-même une politique de forte expansion des jeux et des paris dans le but de collecter des fonds, tout en protégeant son réseau de concessionnaires. Un État ne peut invoquer l'ordre social et la nécessité de réduire les occasions de jeu, lorsqu'il incite et encourage parallèlement les consommateurs à participer aux jeux d'argent qu'il contrôle et dont il retire les bénéfices financiers.

8.D'autre part, l'adoption de sanctions pénales contre ceux qui effectuent des paris via Internet auprès d'un bookmaker établi dans un autre État membre ou qui leur servent d'intermédiaire, apparaît comme une mesure particulièrement disproportionnée, lorsque ces paris sont contrôlés dans cet État par des organismes nationaux autorisés et que, de son côté, l'État italien encourage la prise de paris dans le réseau qu'il contrôle. Enfin, et toujours pour des motifs similaires, la cour a mis sérieusement en doute la nécessité d'exclure les sociétés étrangères des appels d'offre dans la lutte contre la fraude et les activités criminelles.

9.La condamnation de la réglementation italienne qui réserve en fait le monopole des jeux et paris à l'État italien, alors qu'il ne se prive pas de développer cette activité économique dans le but avoué de collecter des fonds, nous paraît remettre fondamentalement en cause la validité de nombreuses réglementations nationales en matière de jeux et paris, dont celle de la Belgique. N'a-t-elle pas transformé récemment la Loterie Nationale en une société anonyme de droit public ayant pour mission d'organiser 'dans l'intérêt général et selon des méthodes commerciales' des loteries publiques, des jeux de hasard et toutes les formes de paris et concours, et ne s'est-elle pas réservé, comme par le passé, une

dotation annuelle prise sur les bénéfices (artt. 6, § 1 et 22 de la loi du 19 avril 2002 relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale)?

Mais au delà de l'inquiétude que l'arrêt ne manquera pas de susciter dans certains pays de l'Union et bien que les 'activités de jeux d'argent impliquant des mises ayant une valeur monétaire dans des jeux de hasard, y compris les loteries et les transactions portant sur des paris' aient été exclues du domaine d'application de la directive européenne 2000/31/ CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, l'arrêt favorisera vraisemblablement le décloisonnement à terme de ce secteur d'activité par l' application du principe du 'home country control' et contribuera à l'émergence d'un marché européen des jeux et paris.

[1] Pas encore publié, peut être consulté sur http://curia.eu.int/jurisp/cgi- bin/form.pl?lang=fr.
[2] CJCE 21 octobre 1999, C-67/98, Zenatti, 21 septembre 1999, C-124/ 97, Läära, 24 mars 1994, C-275/92, Schindler.