Article

Tribunal de commerce Liège, 03/07/2002, R.D.C.-T.B.H., 2004/3, p. 295-297

Tribunal de commerce de Liège 3 juillet 2002

PROCÉDURE
Urgence - Référé
Il n'y a pas urgence lorsqu'il apparaît in concreto que la mesure sollicitée en référé aurait pu et, a fortiori, peut encore être accordée en temps utile par le juge du fond.
Il n'y a pas lieu à référé lorsque le demandeur a trop tardé à saisir le juge des référés ou s'il a provoqué lui-même la situation d'urgence dont il se prévaut.
RECHTSPLEGING
Urgentie - Kort geding
Er is geen urgentie wanneer in concreto blijkt dat de gevraagde maatregel te nuttigen tijde had kunnen worden gevraagd en nog steeds kan worden gevraagd voor de rechter die gevat is van het geschil ten gronde.
Er is geen aanleiding beroep te doen op de procedure in kort geding wanneer de eiser te lang heeft gewacht vooraleer zich tot de kortgedingrechter te wenden of indien hij zelf de urgentie, waarop hij zich beroept, in het leven heeft geroepen.
Siég.: M.-C. Enrotte (juge, ff de président)

SA Dejaive / Vozza

Pl.: C. Collard et J.-M. Monville

Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;

Vu le dossier de la procédure et en particulier la citation introductive d'instance du 24 juin 2002;

Vu les conclusions déposées par Monsieur Vozza;

Vu les dossiers des parties;

Entendu à l'audience du 27 juin 2002, les conseils des parties en leurs explications, dires et moyens, les débats étant ensuite déclarés clos;

1. Les faits

1. Le 16 octobre 2001, la SA Dejaive (ci-après 'Dejaive') demande à Monsieur Vozza de lui remettre prix pour la réalisation de travaux de béton de pente. Dejaive joint à cette demande les pages 9 et 10 du cahier des charges.

Le 16 octobre 2001, Monsieur Vozza remet prix: dosé de chape de 300 kg de ciment m3 de sable de Rhin; épais de chape de 7 cm; 1200 m² x 420 fr/m² 504.000 fr.

Le 5 novembre 2001, Dejaive transmet un contrat de sous- entreprise qui sera renvoyé signé, moyennant amendements, par Monsieur Vozza.

2. Le 3 décembre 2001, Monsieur Vozza établit une facture n° 1039 pour un montant de 17.046,15 euros.

Par courrier du 28 février 2002, le conseil de Monsieur Vozza met Dejaive en demeure de payer la facture dont question.

Par lettre du 6 mars 2002, Dejaive fait savoir au conseil de Monsieur Vozza que: (...) nous vous informons par la présente que la facture des établissements Vozza n° 1039 du 3 décembre 2001 a été honorée jeudi dernier, soit le 28 février 2002. Dejaive précise ne pas être d'accord avec les intérêts de retard et souligne pour le surplus que: de plus, nous vous signalons également que les travaux effectués par cette firme présentent des défauts qui sont apparus après la réalisation. Les zones incriminées sont à rectifier par la firme Vozza, et ce, à ses frais.

Par lettre du même jour, Dejaive fait savoir à Monsieur Vozza qu'elle a relevé des dégradations importantes en ce qui concerne les travaux réalisés: c'est la raison pour laquelle nous avons retenu un montant sur votre facture n° 1039, afin de garantir ces réparations. Nous allons faire expertiser la qualité de votre travail par un bureau d'études (...). Dès que nous serons en possession des résultats, nous vous en informerons et vous pourrez alors procéder aux 'ragréages' qui s'imposent et ce, à vos frais.

Par lettre du 14 mars 2002, le conseil de Monsieur Vozza conteste le point de vue de Dejaive et annonce qu'à défaut de versement de la totalité de la somme dans un délai de huitaine, il lancera citation.

Par courrier du 3 avril 2002, Dejaive transmet au conseil de Monsieur Vozza la preuve du paiement d'un montant de 14.873,61 euros et explique qu'une retenue est effectuée pour dégradations et malfaçons au niveau de la réalisation de la chape, et non-respect du cahier des charges.

Par fax du 8 avril 2002, Dejaive invite Monsieur Vozza à être présent sur chantier afin de terminer les réparations des chapes.

Par lettre du 12 avril 2002, Dejaive regrette l'absence de réaction de Monsieur Vozza et précise que: dès lors, nous vous confirmons de nouveau par la présente que nous allons effectuer les travaux qui s'imposent, et que les frais s'y rapportant seront à la charge de votre société.

3. Le 18 avril 2002, Monsieur Vozza lance citation à l'encontre de Dejaive.

4. Le 26 avril 2002, le maître de l'ouvrage et Dejaive procède à un état des lieux consistant en la détermination des travaux restant à réaliser à cette date par l'entreprise Dejaive.

5. Par lettre du 29 avril 2002, le conseil de Dejaive manifeste son intervention et signale que: le spécialiste qui devait poser l'étanchéité signale que le béton réalisé par votre client ne contient pas assez de ciment: des carottages ont été effectués et les résultats des analyses sont attendus. Le conseil de Dejaive fait savoir qu'à l'audience, il devra très probablement demander la désignation d'un expert.

Par lettre du 21 mai 2002, Dejaive transmet à Monsieur Vozza le résultat des carottages effectués par le Labo Routier Liège. Dejaive met en évidence le fait que la qualité du béton réalisé n'est pas conforme et laisse un dernier délai de 5 jours à Monsieur Vozza pour prendre position.

Par lettre du 29 mai 2002, le conseil de Monsieur Vozza fait savoir que le rapport du Labo Routier Liège n'est pas opposable et précise: dès lors, afin d'être constructif, je vous suggère que, de toute urgence et avant d'aborder le fond de cette procédure, nous ramenions l'affaire devant la chambre compétente du Tribunal de première instance de Liège et que nous fassions procéder à la désignation d'un expert judiciaire, neutre, qui, contradictoirement et en présence des parties (...) rentrera un rapport concernant la chape réalisée par mon mandant.

Par lettre du 14 juin 2002, Dejaive intervient à nouveau auprès de Monsieur Vozza pour mettre en demeure ce dernier de communiquer ses dates d'intervention sur le chantier.

Par lettre du 18 juin 2002, Monsieur Vozza renvoie à la position précédemment exprimée par son conseil et conclut: afin de manifester concrètement ma bonne foi et mon esprit de conciliation, je pourrais cependant marquer mon accord pour qu'une réunion sur place soit fixée, réunion à laquelle assisteraient les parties assistées de leurs conseils et l'architecte chargé de la surveillance des travaux, cette réunion devant se faire sous toutes réserves généralement quelconques de mes droits (...).

2. La demande

Dejaive demande la désignation d'un expert ayant des compétences en matière de marchés publics et de travaux du bâtiment, chargé de dresser un état des lieux, de procéder à des carottages et d'en effectuer l'analyse afin de déterminer la conformité de la chape au cahier des charges.

3. Discussion

Monsieur Vozza considère que l'urgence invoquée par Dejaive est due à son seul fait, Dejaive n'ayant pas requis en temps utile du magistrat du fond la désignation d'un expert ainsi qu'il l'avait proposé.

Il y a urgence dès que la crainte d'un préjudice d'une certaine gravité, voire d'inconvénients sérieux, rend une décision immédiate souhaitable (Cass. 21 mars 1985, Pas. 1985, I, pp. 908 et s.).

Dejaive invoque l'urgence à procéder aux carottages afin de libérer les lieux et de permettre la poursuite des travaux compte tenu du fait que le maître de l'ouvrage lui aurait notifié le 29 avril 2002 un procès-verbal de non-réception des travaux et que pour limiter le dommage, elle doit pouvoir faire démolir d'urgence par un tiers le travail accompli par Monsieur Vozza.

1. Il est admis qu'il n'y a pas urgence lorsqu'il apparaît, in concreto, que la mesure sollicitée en référé aurait pu et, a fortiori, peut encore être accordée en temps utile par le juge du fond (J. Van Compernolle et G. Closset-Marchal, 'Examen de jurisprudence - Droit judiciaire privé', n° 381).

L'on déniera, de même, l'urgence justifiant la saisine du président en référé si un autre juge, normalement compétent, peut intervenir avec la même efficacité. Ainsi, si le juge des référés constate que le demandeur aurait pu obtenir en temps utile la mesure sollicitée par l'application notamment des articles 19, 735 et 708 du Code judiciaire, il rejettera la demande à défaut d'urgence (J. Van Compernolle et G. Closset-Marchal, o.c., p. 153, n° 356).

  1. En l'espèce, Dejaive a négligé la voie normale de la demande de désignation, avant dire droit au fond, d'un expert devant la juridiction du fond alors que Monsieur Vozza marquait son accord quant à ce. Ainsi:

  2. Monsieur Vozza a lancé citation en paiement du solde de sa facture devant le tribunal de commerce pour l'audience d'introduction du 2 mai 2002;
  3. alors que Dejaive avait fait part, par lettre du 29 avril 2002, de son intention de solliciter la désignation d'un expert à cette audience et que Monsieur Vozza demandait en conséquence une remise à deux mois, Dejaive a purement et simplement fait renvoyer l'affaire au rôle;
  4. nonobstant cette circonstance, Monsieur Vozza a proposé, par lettre de son conseil du 29 mai 2002, de toute urgence et avant d'aborder le fond de cette procédure, nous ramenions l'affaire devant la chambre compétente du Tribunal de première instance de Liège et que nous fassions procéder à la désignation d'un expert judiciaire (...). Aucune réponse n'a été apportée par Dejaive;
  5. bien plus, par courrier du 18 juin 2002, Monsieur Vozza a fait encore savoir qu'il pourrait marquer son accord pour une réunion sur place en présence de l'architecte. Pas la moindre réponse n'a été apportée, si ce n'est la citation en référé lancée le 24 juin 2002.

Face à ce rappel de l'historique, force est de constater que Dejaive demeure particulièrement laconique pour expliquer son comportement.

Dejaive se contente tout d'abord de soutenir que si Monsieur Vozza a marqué son accord le 29 mai 2002 pour saisir un expert, il aurait refusé tout contact direct entre parties.

Cette affirmation est contredite par le courrier adressé par Monsieur Vozza le 18 juin 2002.

Dejaive met encore en évidence le fait que, invité à plusieurs reprises à effectuer lui-même les réparations, Monsieur Vozza s'est abstenu.

En réalité, Dejaive établit à cet égard une confusion entre les éventuelles réparations à effectuer par Monsieur Vozza et le grief actuellement développé, à savoir que le béton de la chape ne dépasserait pas 255 kg de ciment par m³ de sable de Rhin alors que le cahier des charges en exigeait 300, ce qui implique non une réparation mais une démolition de la chape.

2. Il n'y a pas lieu à référé lorsque le demandeur a trop tardé à saisir le juge des référés ou s'il a provoqué lui-même la situation d'urgence dont il se prévaut (P. Marchal, 'Les référés', Rép. not., T. XIII, livre VII, n° 16).

L'on refusera ainsi d'admettre l'urgence lorsque le référé tend à mettre fin à une situation que l'inertie du demandeur a elle-même créée, à moins que le retard ne puisse être justifié par un motif légitime ou que des faits nouveaux n'aient aggravé le préjudice (J. Van Compernolle et G. Closset- Marchal, 'Examen de jurisprudence - Droit judiciaire privé', R.C.J.B. 1999, pp. 152-153, n° 355).

Sur ce plan, l'attitude de Dejaive est sujette à critique.

En effet, alors que la chape litigieuse a été réalisée en novembre 2001 et que le problème de sa composition a été rapidement évoqué, Dejaive n'a pris aucune mesure conservatoire, y compris lors de l'introduction de la procédure au fond, pour en définitive assigner en référé le 24 juin 2002.

En effet, il apparaît que dès décembre 2001, la société Iris chargée de réaliser l'étanchéité mettait en cause la conformité de la chape aux prescriptions du cahier des charges (voir lettre de maître Lempereur du 24 juin 2002);

Dejaive tente de soutenir que l'actuelle attitude du maître de l'ouvrage, lequel met en demeure Dejaive de mettre la chape en conformité, constitue un fait nouveau qui aggrave son préjudice.

En réalité, le problème a été posé dès le départ, Dejaive négligeant pour le surplus de transmettre intégralement au maître de l'ouvrage le rapport de l'expertise unilatérale réalisée par le Labo Routier (voir lettre du 24 juin 2002 et son annexe).

En conclusions, eu égard aux circonstances ci-avant exposées, la présente procédure ne répond pas à la notion d'urgence telle que requise.

Il appartient à Dejaive d'agir au fond soit en faisant revenir la cause introduite par Monsieur Vozza soit en citant elle- même, Monsieur Vozza ayant pour le surplus marqué son accord pour la désignation d'un expert au fond.

Par ces motifs

Nous, Marie-Claire Ernotte, juge au Tribunal de commerce de Liège, le président, le vice-président et les juges plus anciens en rang étant légitimement empêchés, assistée de Monsieur Paul Driesen, greffier,

Statuant contradictoirement en référé,

Recevons la demande de la SA Dejaive mais la déclarons non fondée;

(...)

Voir aussi Liège 3 octobre 2002 et la note de A. Delvaux repris dans ce numéro p. 269 et p. 271.