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Actualité : Cour de justice des Communautés européennes , 23/10/2003, R.D.C.-T.B.H., 2004/2, p. 213-216

Cour de justice des Communautés européennes 23 octobre 2003

PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
Marque - Marque communautaire - Règlement (CE) N° 40/94 - Motif absolu de refus d'enregistrement - Caractère Distinctif - Marques composées exclusivement de signes ou d'indications descriptifs
Siég.: V. Skouris (président), P. Jann, C.W.A. Timmermans,C. Gulmann, J. N. Cunha Rodrigues et A. Rosas (présidents de chambre), D.A.O. Edward, A. La Pergola, J.-P. Puissochet (rapporteur) et R. Schintgen, F. Macken et N. Colneric, et S. von Bahr (juges)
Avocat général: F.G. Jacobs

(Affaire C-191/01, 'Doublemint' [1])

1.Tout comme en son temps l'arrêt 'Baby Dry' (CJCE 20 septembre 2001), l'arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes du 23 octobre 2003 dans l'affaire 'Doublemint' était fort attendu. En effet, l'arrêt commenté a donné l'occasion à la Cour de se prononcer une nouvelle fois au sujet de l'interprétation exacte du motif absolu de refus d'enregistrement d'une marque inscrit à l'article 7, § 1, sous c) du règlement 40/94 relatif à la marque communautaire [2].

Cette interprétation était d'autant plus attendue que, dès son prononcé, l'arrêt Baby Dry a soulevé des questions et des critiques jusqu'au sein même de la cour (conclusions de l'avocat général Colomer du 31 janvier 2002 dans les affaires 'Biomild' (C-265/00) et 'Postkantoor' (C-363/99) [3].

L'occasion était également offerte à la cour de préciser dans quelle mesure les principes qu'elle avait dégagés dans l'affaire 'Windsurfing Chiemsee' [4] étaient compatibles avec le contenu de l'arrêt 'Baby Dry'.

2.Les faits ayant donné lieu à l'arrêt commenté sont les suivants:

Le 29 mars 1999, la société WM Wrigley GR Company (ci- après 'Wrigley') a présenté auprès de l'OHMI une demande d'enregistrement à titre de marque verbale du vocable 'Doublemint' comme marque communautaire pour divers produits et, en particulier, pour de la gomme à mâcher.

Après avoir essuyé le rejet de la demande par l'examinateur de l'Office et la confirmation de ce rejet par décision du 16 juin 1999 de la 1ère chambre de recours de l'OHMI, Wrigley a introduit, le 1er septembre 1999, un recours devant le Tribunal de première instance.

Dans l'arrêt prononcé le 31 janvier 2001, et qui a fait l'objet du pourvoi dans l'arrêt annoté, le Tribunal a relevé que l'adjectif 'double' a un caractère inaccoutumé et que combiné avec le mot 'mint', cet adjectif a deux significations distinctes pour le consommateur potentiel: 'deux fois plus de menthe que la normale' ou 'ayant la saveur de deux sortes de menthe'. En outre, 'mint' étant un terme générique qui inclut divers types de menthe, le tribunal en a conclu que le vocable 'doublemint' recouvre de nombreuses significations qui privent ainsi ce signe de toute fonction descriptive, au sens de l'article 7, § 1 sous c) du règlement n° 40/94.

Le tribunal a jugé en conséquence que 'doublemint' ne saurait être qualifié d'exclusivement descriptif et, dès lors, il a annulé la décision attaquée.

Le 20 avril 2001, l'OHMI a introduit devant la Cour de Justice un pourvoi contre cet arrêt.

3.Dans des conclusions présentées le 10 avril 2003, l'avocat général Jacobs a fourni à nouveau, comme cela avait été le cas dans l'affaire Baby Dry, une admirable synthèse du débat relatif à l'interprétation exacte de l'article 7, § 1 sous c) du règlement sur la marque communautaire.

4.Il relève tout d'abord que le raisonnement du Tribunal de première instance semble 'présenter deux failles qui rendent difficile la confirmation de l'arrêt attaqué' (Conclusions, p. 7).

La première faille consisterait selon lui dans le fait que le tribunal a considéré que la décision de l'OHMI devait être annulée parce que le vocable 'doublemint' 'ne saurait être qualifié d'exclusivement descriptif', alors que dans cet article, le mot 'exclusivement' détermine le verbe 'sont composés', et non l'adjectif 'descriptif'. En conséquence, observe l'avocat général, ce mot 'exclusivement' se réfère aux éléments dont la marque est composée et non à leur aptitude à désigner des caractéristiques.

'Pour que l'enregistrement soit refusé au titre de l'article 7, § 1, sous c) du règlement, il faut que tous les éléments aient cette aptitude descriptive; il n'est pas nécessaire, par contre, qu'ils n'aient pas d'autres significations, non descriptives. Une décision sur la possibilité d'enregistrement fondé sur ce dernier critère dans le cadre de l'article 7, § 1, sous c) constitue de prime abord une erreur de droit' (ibidem).

La seconde faille de l'arrêt du tribunal relevée par l'avocat général Jacobs serait que l'arrêt repose sur l'hypothèse selon laquelle 'une multiplicité des combinaisons sémantiques possibles' empêche automatiquement un terme de désigner une caractéristique du produit pour lequel l'enregistrement est demandé. Dès lors que ce n'est pas parce qu'un signe peut donner lieu à une multiplicité de significations possibles qu'il est par là-même privé de toute aptitude à servir dans le commerce pour désigner les caractéristiques d'un produit, l'hypothèse qui sous-tend l'arrêt du tribunal est, selon l'avocat général Jacobs, manifestement erronée en tant qu'affirmation générale (Conclusions, p. 8).

5.Monsieur Jacobs poursuit en s'interrogeant sur le contenu de la notion de caractère descriptif. Il rappelle que le sens commun impose de considérer qu'il existe une démarcation entre les termes qui peuvent être utilisés pour désigner un produit ou ses caractéristiques et les termes qui ne font

que suggérer ces caractéristiques. Ces derniers termes peuvent être enregistrés à titre de marque. Toute la question est dès lors de savoir où placer cette démarcation. L'avocat général propose alors des lignes directrices dégagées de la jurisprudence du tribunal et des chambres de recours de l'OHMI pour tenter de fournir une réponse à cette question de pur fait.

Tout d'abord, il est acquis que l'appréciation doit être faite in concreto, en se rapportant au produit visé par le dépôt de marque. En pratique, il faut commencer par se poser la question de savoir si le signe est de nature à servir dans le commerce pour désigner le produit en cause ou pour désigner une de ses caractéristiques.

    Ensuite, s'il est répondu positivement à la première question, l'appréciation du caractère descriptif peut être réalisée en se plaçant successivement de trois points de vue différents:

  • tout d'abord, il convient de s'interroger sur la manière dont un terme se rapporte à un produit ou à une de ses caractéristiques: s'agit-il d'une relation objective ou d'une relation relevant de l'imaginaire?
  • ensuite, il faut analyser la manière selon laquelle le terme est perçu par le consommateur: le message est-il immédiatement transmis ou faut-il décrypter le sens du terme utilisé pour trouver son lien avec le produit? Dans cette seconde hypothèse, l'enregistrement pourrait être admis;
  • enfin, l'on doit s'interroger sur l'importance de la caractéristique décrite par rapport au produit (ou service) et ce en particulier dans l'esprit du consommateur. Si la désignation porte sur une caractéristique purement incidente ou arbitraire, le refus d'enregistrement se justifie moins.

Sur le fondement de cette triple appréciation, il faut alors prendre une décision finale, qui, appliquée à la marque 'Doublemint' conduit, selon l'avocat général Jacobs, à la conclusion que la demande de Wrigley ne pouvait être accueillie.

6.L'avocat général s'interroge ensuite sur la portée de l'expression 'sont composées exclusivement de' contenue dans l'article 7, § 1er sous c). Il saisit ainsi l'occasion de mettre en rapport ses conclusions dans l'affaire 'Baby Dry' avec les critiques qui ont été dirigées contre cet arrêt, notamment par l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans ses conclusions précitées. Monsieur Jacobs considère que les développements complémentaires apportés par l'avocat général Colomer dans ses conclusions sont à la fois utiles et pertinents.

S'agissant de la notion d''écart perceptible' retenue par la Cour de justice des Communautés européennes au point 40 de son arrêt 'Baby Dry', l'avocat général Jacobs précise que selon lui, l'écart 'doit être tel que la marque considérée dans son ensemble n'apparaît, ni pour les commerçants, ni pour le consommateur, comme apte, dans le langage ordinaire du commerce, à désigner les produits en question' (Conclusions, p. 12).

7.Enfin, l'avocat général Jacobs envisage encore la question très actuelle de la justification du refus d'enregistrement par la nécessité de la disponibilité du signe pour l'usage commun. C'est pour lui l'occasion de faire le lien entre ses conclusions dans l'affaire 'Baby Dry' et l'arrêt Windsurfing Chiemsee déjà cité.

Dans ses conclusions dans l'affaire 'Baby Dry', Monsieur Jacobs avait rappelé qu'en vertu de l'article 12, sous b) du règlement sur la marque communautaire, le titulaire de la marque ne peut interdire à d'autres commerçants d'utiliser de tels signes à des fins de description.

Il déduisait de la co-existence dans le règlement européen de cet article avec l'article 7, § 1, sous c), que le but de ce dernier n'est pas d'empêcher la monopolisation de termes descriptifs ordinaires, mais plutôt d'éviter l'enregistrement d'appellations commerciales descriptives qui ne peuvent bénéficier d'aucune protection.

La Cour de justice des Communautés européennes avait adopté un point de vue très similaire au point 37 de son arrêt 'Baby Dry'.

Cette approche a été critiquée par la doctrine. Il a été considéré qu'elle semblait constituer un revirement par rapport à la décision de la cour dans l'arrêt 'Windsurfing Chiemsee', dans lequel celle-ci avait déclaré que l'article 3, § 1, sous c) de la directive sur les marques (qui est la réplique identique de l'article 7, § 1, sous c) du règlement) 'poursuit un but d'intérêt général, lequel exige que les signes ou indications descriptives des catégories de produits ou services pour lesquels l'enregistrement est demandé puissent être librement utilisés par tous', et que l'article 6, § 1, sous b), de la directive, qui correspond à l'article 12, sous b) du règlement, n'influence pas non plus de façon déterminante cette interprétation.

Monsieur Jacobs se fait toutefois moins affirmatif que dans ses conclusions dans l'affaire 'Baby Dry', puisque après avoir fait connaître son point de vue, il clôt son exposé à ce sujet en considérant qu'en toute hypothèse, la cour n'avait pas l'intention, dans l'arrêt 'Baby Dry', de s'écarter du point de vue adopté par elle dans l'affaire 'Windsurfing Chiemsee'.

8.En conclusion, l'avocat général Jacobs demande à la cour non seulement d'annuler l'arrêt du Tribunal de première instance du 31 janvier 2001, mais également, comme elle l'avait du reste fait dans l'arrêt 'Baby Dry', de rejeter le recours introduit par Wrigley dans la même affaire et de condamner celle-ci aux dépens des deux instances.

9.L'arrêt de la cour contraste par sa brièveté avec les développements détaillés fournis par son avocat général.

Après avoir rappelé les argumentations respectives des parties, la cour livre son appréciation en dix attendus.

10.Elle commence par trancher la question de la ratio legis de l'article 7, § 1, sous c) en confirmant sa jurisprudence précédente dans l'affaire Windsurfing Chiemsee.

A son attendu 31, la cour expose que l'article 7, § 1, sous c) du règlement n° 40/94 poursuit bien le but d'intérêt général déjà relevé dans l'affaire 'Windsurfing Chiemsee' et confirmé dans l'arrêt 'Linde' du 8 avril 2003 (Affaires C-53/01 à C-55/01).

11.Ensuite, s'agissant du champ d'application de l'article 7, § 1, sous c), la cour rappelle qu'en vertu du texte même de cette disposition, il suffit que les signes et indications dont la marque est composée puissent être utilisés à des fins descriptives pour qu'un refus d'enregistrement puisse être opposé. Il s'en suit, selon la cour, qu'en application de cette disposition, un signe verbal doit se voir opposer un refus d'enregistrement si, en au moins une de ses significations potentielles, il désigne une caractéristique des produits ou services concernés.

La cour juge ensuite que l'arrêt attaqué est entaché d'une erreur de droit dès lors qu'il a méconnu la portée de l'article 7, § 1, sous c) du règlement n° 40/94 en faisant application d'un critère, tiré du caractère 'exclusivement descriptif' de la marque qui n'est pas celui fixé par ledit article.

12.Enfin, s'attachant cette fois clairement au rôle de juge de cassation qui est le sien à ce stade de la procédure, elle renonce à l'approche factuelle qui a été la sienne dans l'affaire 'Baby Dry' et se limite à annuler l'arrêt attaqué et à renvoyer l'affaire devant le Tribunal de première instance.

13.Cet arrêt marque-t-il la fin de la protection des marques dites 'évocatrices'?

Nous ne le pensons pas. En se prononçant uniquement en droit, comme elle devait le faire dans ce type de procédure sur pourvoi, la cour laisse entière la possibilité pour les instances au fond d'apprécier dans quelle mesure il doit être fait usage du motif absolu de refus d'enregistrement contenu à l'article 7, § 1 sous c) du règlement.

A juste titre, l'avocat général Jacobs a rappelé que l'appréciation devait se faire 'in concreto' et que, lorsqu'au terme de l'analyse, le signe apparaît comme réellement évocateur, l'enregistrement doit être accepté.

Il reste maintenant à savoir quel usage l'OHMI, le TPI et, au niveau du Benelux, le Bureau Benelux des marques, feront de cette jurisprudence.

[1] Pas encore publié, peut être consulté sur http://curia.eu.int/jurisp/cgi- bin/form.pl?lang=fr.
[2] Pour un commentaire des développements antérieurs relatifs à cette question, voyez E. De Gryse et E. Cornu, 'De absolute gronden tot weigering van inschrijving van merken - status questionis.', R.D.C. 2001, 214-235 et E. De Gryse, note sous l'arrêt Baby Dry, R.D.C. 2002, p. 363 et s.
[3] Cf. E. De Gryse, R.D.C. 2002, p. 363 et s.
[4] Arrêt du 4 mai 1999, C-108/97 et C-109/97, Rec. p. I-2779.