Article

Cour d'appel Bruxelles, 14/06/2002, R.D.C.-T.B.H., 2004/2, p. 175-178

Cour d'appel de Bruxelles 14 juin 2002

BANQUE - SÛRETÉ
Garantie locative - Cautionnement - Intuitu personae (portée) - Exécution de bonne foi des conventions
La garantie (locative) bancaire est une convention par laquelle une banque se porte garante dans les conditions qu'elle définit, de la bonne exécution des obligations du preneur; les règles du cautionnement sont d'application.
Aucune disposition législative n'excluant le transfert de la garantie en cas de cession de bail à un nouveau locataire, il est nécessaire que la banque garante, si elle souhaite exclure semblable transfert, le précise dans le texte de garantie.
Manque à son obligation de bonne foi, la banque qui omet, le cas échéant, de préciser dans sa garantie son intention d'être déchargée en cas de transfert de bail au nouvel acquéreur du bien loué.
BANK - ZEKERHEID
Huurwaarborg - Borgstelling - Intuitu personae (draagwijdte) - Uitvoering te goeder trouw van de overeenkomsten
De bank(huur)waarborg is een overeenkomst waarmee een bank zich, in de omstandigheden die zij vastlegt, borg stelt voor de goede uitvoering van de verplichtingen van de nemer; de regels van de borgstelling zijn van toepassing.
Daar geen enkele wetgevende bepaling de overdracht van de waarborg in geval van overdracht van huurwaarborg aan een nieuwe huurder uitsluit, is het noodzakelijk dat de bank, indien zij gelijkaardige overdrachten wil uitsluiten, dit in de waarborgtekst preciseert.
De bank die desgevallend nalaat in haar waarborg haar intentie om te worden ontlast in geval van overdracht van huurovereenkomst aan de nieuwe eigenaar van het verhuurde goed, te preciseren, komt haar verplichting te goeder trouw niet na.

SA Fortis Banque / Ville de Goyet Olivier et Ville de Goyet Hubert

Siég.: Diercxsens (conseiller)
Pl.: Mes Douxchamps loco Bolle et Bégasse loco Brouhns

(...)

Les faits et antécédents de la procédure

Par contrat de bail du 18 avril 1990, la SA Lappland a donné en location à la SA BEA Production une maison située rue Belle-Vue, 28 à 1050 Bruxelles, pour une durée de neuf ans prenant cours le 1er mai 1990.

Pour garantir la bonne exécution des obligations du preneur, la SA Générale de Banque, actuellement la SA Fortis Banque (ci-après la Banque) a émis en date du 25 juin 1990 une garantie locative en faveur de la SA Lappland pour un montant maximum de 165.000 FB valable jusqu'au 31 octobre 1999.

L'immeuble loué a été vendu par la SA Lappland à feue Madame Liliane Regout par acte notarié reçu le 31 octobre 1991 par le notaire J.L. Indekeu.

La SA BEA Production resta en défaut de s'acquitter des loyers dus envers feue Madame Regout. Cette dernière l'assigna devant le juge de paix du 2ème canton de Bruxelles.

Par jugement rendu par défaut le 2 décembre 1993, le juge de paix du 2ème canton de Bruxelles prononça la résiliation du contrat de bail et condamna la SA BEA Production au paiement des arriérés de loyers et d'indexations, du précompte immobilier, d'une indemnité de relocation et des intérêts.

Le jugement a également dit pour droit que la garantie locative de 165.000 FB sous forme de garantie bancaire émise le 25 avril 1990 par la Banque, devait être libérée au profit de feue Madame Liliane Regout en déduction des montants des condamnations prononcées.

Ce jugement a été signifié le 5 janvier 1994 à la SA BEA Production et est devenu définitif.

Par lettre recommandée du 1er mars 1994, le conseil de l'époque de feue Madame Regout a invité la Banque à libérer la garantie locative de 165.000 FB sur production du jugement rendu le 2 décembre 1993 par le juge de paix du 2ème canton de Bruxelles, devenu définitif.

Par lettre du 24 mars 1994, la Banque répondit qu'elle refusait de s'exécuter, les termes de la garantie n'étant pas respectés puisqu'ils prévoyaient qu'elle n'était pas transférable, tandis qu'elle estimait que le jugement ne lui était pas opposable.

Il s'ensuivit un échange de correspondances entre les parties et des négociations furent même entreprises qui échouèrent.

Par lettre du 10 juillet 1995, la SA Lappland demanda alors à la Banque de libérer à son profit le montant de la garantie émise en sa faveur.

Celle-ci refusa au motif d'une part que l'immeuble avait été vendu à feue Madame Regout et d'autre part que le jugement invoqué par la SA Lappland à l'appui de sa demande disait pour droit que la garantie locative devait être libérée au profit de feue Madame Regout et non au profit de la SA Lappland.

La demande originaire de feue Madame Regout tendait à entendre condamner la Banque à lui payer la somme de 165.000 FB majorée des intérêts moratoires depuis le 1er mars 1994 et un montant de 100.000 FB du chef de résistance téméraire et vexatoire, montants à majorer des intérêts judiciaires et des dépens.

Le premier juge a déclaré la demande recevable et partiellement fondée.

Il a condamné la Banque au paiement de la somme de 165.000 FB (4.090,24 euros) majorée des intérêts moratoires à partir du 1er mars 1994, des intérêts judiciaires et des dépens mais a rejeté la demande d'indemnité du chef de résistance téméraire et vexatoire.

Devant la cour, la Banque sollicite que la demande originaire soit déclarée non fondée.

Formant appel incident, feue Madame Regout demandait que la condamnation de la Banque au paiement de la somme de 165.000 FB, augmentée des intérêts et des dépens soit confirmée mais que la Banque soit aussi condamnée à lui payer une somme de 100.000 FB (2.478,94 euros) du chef de résistance téméraire et vexatoire.

Madame Regout étant décédée le 16 juin 1999, sa demande est reprise par ses héritiers.

Discussion
Quant à l'appel principal

1. La garantie bancaire est une convention par laquelle une banque se porte garant, dans les conditions qu'elle définit, de la bonne exécution des obligations du preneur; les règles de cautionnement sont d'application (Y. Merchiers, 'Le bail en général', Rép. not., tome VIII, livre 1, p. 246 et dans le même sens B. Louveaux, Le droit du bail, p. 109).

Un tel cautionnement n'est soumis à aucune forme sacramentelle et peut être donné par lettre (Répertoire Pratique de Droit Belge, 'Le bail à loyer', complément, tome 1 , p. 397).

En l'espèce, la Banque a émis le 25 juin 1990, sous forme de lettre, une garantie locative au profit de la SA Lappland ayant pour objet de garantir l'exécution de toutes les obligations contractées à la suite de la prise en location de la maison ainsi que d'un garage sis à 1150 Bruxelles, rue de Belle- Vue, 28.

Le locataire mentionné dans la lettre de garantie locative est la SA BEA Production.

Les modalités d'appel prévoient que l'appel à la garantie peut se faire sur production au plus tard le 31 octobre 1999 de l'expédition d'une décision de justice condamnant le locataire en exécution des obligations résultant du bail, rendue obligatoirement ou par défaut et ce nonobstant l'appel ou l'opposition du locataire.

En l'espèce, la SA BEA Production a été condamnée par jugement rendu par défaut le 2 décembre 1993 par le juge de paix du 2ème canton de Bruxelles au paiement des arriérés de loyers et d'indexations, du précompte immobilier, d'une indemnité de relocation et des intérêts.

Le jugement a également dit pour droit que la garantie locative de 165.000 FB sous forme de garantie bancaire émise le 25 avril 1990 par la Banque, devait être libérée au profit de feue Madame Liliane Regout en déduction des montants des condamnations prononcées.

2. Bien que la condition relative à la production d'une décision judiciaire, devenue définitive, condamnant le locataire en exécution des obligations résultant du bail, rendue contradictoirement ou par défaut ait été remplie et que la Banque n'ait pas formé tierce opposition à cette décision, elle refuse cependant de libérer la garantie au motif que suite à la vente du bien loué, cette libération devrait s'effectuer au profit d'un nouveau bailleur, feue Madame Regout, et non au profit du bailleur initial, la SA Lappland ce qui, selon elle, est contraire aux termes de la garantie qui n'est pas transférable d'un bailleur à l'autre.

Dans la lettre de garantie, il est stipulé à propos du transfert de la garantie que 'la présente n'est pas transférable'.

La question qui se pose est de savoir s'il faut entendre par cette mention que l'interdiction de transfert de la garantie vise le bailleur, comme le prétend la Banque, ou le locataire, comme le soutient les intimés.

La Banque soutient qu'en stipulant que la garantie n'était pas transférable, elle a voulu interdire toute possibilité de transfert au profit d'un autre bailleur et justifie sa position en prétendant qu'il va de soi que la garantie n'est pas transférable à un autre locataire compte tenu du caractère intuitu personae de la convention de garantie conclue entre elle et le locataire et qu'une telle évidence, tenant de la nature même du contrat, ne doit pas être écrite pour être applicable.

L'article 1740 du Code civil prévoit que les obligations de la caution ne s'étendent pas aux obligations résultant du bail reconduit, mais une disposition similaire n'existe pas en cas de cession de bail avant l'expiration de celui-ci.

Il a été jugé qu'en cas de cession de bail, l'obligation de caution souscrite par une banque persiste envers le bailleur après la cession de bail, le bail cédé n'étant pas un nouveau bail (J.P. Etterbeek 23 février 1981, J.J.P. 1984, p. 84, également cité dans 'Le louage de choses - les baux en général', Les Novelles, Droit Civil, tome VI, p. 710).

Le but de la constitution d'une garantie locative est de prémunir le bailleur de l'inexécution par le locataire des obligations résultant du bail.

Il est donc normal qu'une banque n'accepte pas de couvrir les obligations d'un locataire dont elle n'a pas pu examiner la solvabilité.

N'étant pas protégée par une disposition législative en cas de cession de bail, la Banque avait donc tout intérêt à stipuler expressément que la garantie n'était pas transférable à un nouveau locataire.

Contrairement à ce qu'elle affirme, il était donc bien nécessaire de préciser dans la lettre de garantie que celle-ci n'était pas transférable dans le chef du locataire.

3. Outre le fait qu'il a été démontré ci-dessus qu'il était nécessaire de préciser le caractère non transférable de la garantie dans le chef du locataire et que la mention relative à l'interdiction de transfert ne visait donc pas d'office l'interdiction de transfert à un nouveau bailleur, l'obligation de bonne foi qui doit présider à la formation du contrat imposait à la Banque de stipuler explicitement qu'elle excluait la possibilité de transfert de la garantie locative au profit d'un autre bailleur, si telle était son intention à la conclusion de la convention.

En effet, même si un tel transfert s'identifie à une cession de créance, la personnalité du bailleur, bénéficiaire de la garantie locative, n'est pas déterminante au moment de la conclusion du contrat puisque seul le locataire est le débiteur cautionné et sera tenu à rembourser le montant payé par la banque en cas d'appel à la garantie.

Par ailleurs, l'interdiction de transfert de la garantie en cas de changement de bailleur à la suite de la vente du bien loué, implique que le locataire dont la bonne exécution des obligations était garantie par la banque, manquerait à son obligation contractuelle de garantie s'il ne constituait pas une nouvelle garantie locative en faveur du nouveau bailleur.

Étant donné qu'une telle interdiction entraîne une modification importante en cours de bail dans l'exécution de l'obligation de garantie du locataire, alors que la personnalité du bailleur n'est pas déterminante pour le garant, l'obligation de bonne foi impose à la banque de marquer clairement, dans les conditions de la garantie locative qu'elle définit, son intention d'être déchargée de son obligation de garantie en cas de transfert de bail au nouvel acquéreur du bien loué.

En l'occurrence, la Banque manque donc à son obligation de bonne foi lorsqu'elle invoque la mention, peu explicite, relative au caractère non transférable de la garantie pour refuser de libérer celle-ci au profit du nouveau bailleur.

4. La Banque ne conteste pas sérieusement la subrogation de feue Madame Regout dans les droits de la SA Lappland mais fait valoir que le transfert des droits découlant de la subrogation est contraire aux conditions de la garantie.

Il a été démontré ci-dessus que la Banque ne peut se retrancher derrière la mention que la garantie n'est pas transférable pour refuser de la libérer au profit du nouveau bailleur.

C'est également en vain que la Banque se demande s'il y a eu réellement une intention de la part de la SA Lappland de subroger feue Madame Regout dans les droits qu'elle aurait pu faire valoir à l'encontre de la Banque.

Il résulte incontestablement du jugement du juge de paix du 2ème canton de Bruxelles, rendu le 2 décembre 1993 que feue Madame Regout avait, suite à la vente du bien loué, repris tous les droits et obligations de la SA Lappland qui découlaient du bail conclu entre la SA Lappland et la SA BEA Production, en ce compris la garantie locative prévue à l'article 18 dudit bail, puisque la SA BEA Production a été condamnée à lui payer les arriérés de loyers et d'indexations, le précompte immobilier, une indemnité de relocation et les intérêts tandis que la garantie locative de 165.000 FB devait être libérée par la Banque en sa faveur.

Même si la SA Lappland et la Banque n'étaient pas parties à la cause soumise au juge de paix du 2ème canton de Bruxelles, et si l'autorité de la chose jugée de cette décision est limitée aux personnes qui ont été parties au procès, son effet obligatoire est opposable au tiers et par là susceptible de retentir contre eux (voy. Fettweiss, Manuel de Procédure civile, p. 567).

Ni la SA Lappland, ni la Banque n'ayant formé tierce opposition au jugement du 2 décembre 1993, celui-ci leur est opposable.

Il ressort de ce qui précède que la Banque est tenue de libérer la garantie locative litigieuse en faveur des intimés, héritiers de feue Madame Regout.

L'appel principal n'est par conséquent pas fondé.

Quant à l'appel incident

Feue Madame Regout avait postulé la condamnation de la Banque à lui payer la somme de 100.000 FB (2.478,94 euros) à titre d'indemnité du chef de résistance téméraire et vexatoire estimant que l'attitude de la Banque était indigne d'une banque qui se veut respectable et est sensée honorer sa signature.

La Banque a refusé de libérer la garantie au profit de feue Madame Regout estimant que les termes de la garantie n'étaient pas respectés.

Le conseil de l'époque de feue Madame Regout a expliqué à la Banque pourquoi la mention relative à la garantie locative ne pouvait couvrir que le transfert de la garantie d'un locataire à un autre et non celle d'un bailleur à un autre.

Or, comme il résulte de ce qui précède, les conditions de la garantie n'étaient pas explicites en ce qui concernait l'intention de la Banque de ne pas accepter le transfert de la garantie en cas de changement de bailleur. Ayant elle-même définit les conditions de la garantie locative, elle était donc à l'origine de cette confusion.

Par ailleurs, la Banque n'avait manifestement pas consenti son engagement en raison de la personne du bailleur mais à la demande, au nom et pour compte du locataire, la SA BEA Production, comme elle le dit dans ses conclusions (voy. page 4 de ses conclusions).

La Banque n'a jamais justifié son point de vue avant l'introduction d'une demande en justice alors qu'elle était elle- même à l'origine de la confusion relative à l'interdiction de transfert de la garantie et que toutes les conditions de libération de la caution étaient présentes puisqu'une décision de justice, contre laquelle elle n'a pas introduit de recours, disait pour droit que la garantie devait être libérée au profit de feue Madame Regout.

L'attitude de la Banque n'a, dans ces circonstances, pas été celle d'une banque prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances.

Cette faute de la Banque a engendré un dommage dans le chef de feue Madame Regout qui, au lieu d'obtenir immédiatement la libération de la garantie locative après avoir produit le jugement du 2 décembre 1993 du juge de paix du 2ème canton de Bruxelles qui disait pour droit que la garantie devait être libérée en sa faveur, a été contrainte, après avoir tenté d'obtenir cette libération à l'amiable, d'entamer une procédure judiciaire.

Faute d'éléments concrets permettant d'évaluer son dommage, celui-ci peut être estimé ex aequo et bono à un montant de 1.200 euros.

Par ces motifs,

La cour, statuant contradictoirement,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,

Donne acte à Messieurs Olivier et Hubert de Ville de Goyet de leur reprise de l'instance mue par feue Madame Regout;

Reçoit les appels principal et incident;

Dit l'appel principal non fondé et l'appel incident partiellement fondé;

Confirme le jugement attaqué sauf en ce qu'il rejette la demande d'indemnité pour défense téméraire et vexatoire;

Déclare la demande de dommages et intérêts pour défense téméraire et vexatoire recevable et partiellement fondée;

Condamne la SA Fortis Banque à payer aux intimés la somme de 1.200 euros majorée des intérêts judiciaires à dater du prononcé du présent arrêt;

Condamne l'appelante aux dépens d'appel.