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Observations, R.D.C.-T.B.H., 2004/2, p. 173-174

BANQUE - CRÉDIT
Octroi de crédits - Devoir de conseil, d'information et de surveillance du banquier - Dépassement du crédit de caisse - Demande de restructuration des crédits - Refus du banquier - Responsabilité du banquier vis-à-vis de son client - Abus de droit (non)
Le banquier qui consent un crédit n'a pas de devoir de conseil envers ses clients. Néanmoins, celui-ci a un devoir d'information quant aux différentes techniques de crédit qu'il offre. Pour décider si la responsabilité de la banque est engagée, il convient d'avoir égard au comportement d'un banquier normalement diligent et prudent placé dans les mêmes circonstances et de se livrer à une appréciation marginale en se replaçant dans les circonstances de l'époque.
Il n'existe aucune obligation dans le chef du banquier de restructurer un crédit, lorsque ce crédit était adapté aux besoins du client au moment de son octroi. On ne saurait tenir pour fautif le refus du banquier de procéder à une restructuration que pour autant que ce refus constitue un abus de droit.
Les dépassements des crédits de caisse ne peuvent constituer une faute dans le chef du banquier qui établit avoir surveillé ces crédits et avoir interpellé le crédité à de multiples reprises.
BANK - KREDIET
Toekenning van de kredieten - Plicht tot raadgeving, informatie en controle van de bankier - Overschrijding van het kaskrediet - Vraag tot herstructurering van de kredieten - Weigering van de bankier - Aansprakelijkheid van de bankier ten opzichte van zijn cliënt - Misbruik van recht (neen)
De bankier die een krediet toestaat, heeft geen plicht tot raadgeving jegens zijn cliënten. Niettemin heeft hij een informatieplicht met betrekking tot de verschillende krediettechnieken die hij aanbiedt. Om te beslissen of de aansprakelijkheid van de bank al dan niet op het spel staat, betaamt het rekening te houden met het gedrag van een normaal voorzichtige en vooruitziende bankier geplaatst in dezelfde omstandigheden en het gedrag van de bank marginaal te toetsen door zich in de toenmalige omstandigheden te plaatsen.
Er bestaat geen enkele verplichting in hoofde van de bankier om een krediet te herstructureren, wanneer het krediet was aangepast aan de noden van de cliënt op het moment van zijn toekenning. De weigering van een bankier om over te gaan tot een herstructurering kan slechts een fout uitmaken voor zover deze weigering een misbruik van recht inhoudt.
De overschrijdingen van de kaskredieten kunnen geen fout uitmaken in hoofde van de bankier die aantoont te hebben gewaakt over de kredieten en meermaals de kredietnemer te hebben aangesproken.

1.Ce jugement est coulé en force de chose jugée.

2.Dans la présente affaire, un groupe de sociétés reprochait à leur banque d'avoir octroyé des crédits inadaptés et d'avoir laissé s'installer une situation malsaine de dépassement de crédit. Autant de comportements que le groupe qualifiait comme des manquements au devoir de conseil du dispensateur de crédit. Il lui reprochait, en outre, d'avoir refusé de prendre en considération une demande de restructuration des crédits.

3.La responsabilité du banquier, lorsqu'elle est mise en cause par le crédité est en principe de nature contractuelle [1].

Le Tribunal de commerce de Bruxelles maintient avec un discernement heureux, la distinction entre les devoirs de conseil et d'information. Le banquier a une obligation d'information, plus restreinte qu'une obligation de conseil puisqu'elle ne porte que sur les aspects techniques d'un service, en l'espèce l'octroi d'un crédit, permettant au client d'en comprendre le mécanisme et la portée, et de faire son choix [2]. L'information ne consiste qu'en 'la simple transmission d'une donnée' [3], n'impliquant aucune prise de position du banquier alors que le conseil est empreint de dirigisme et contient une incitation à agir dans un certain sens [4]. L'information porte sur les conditions d'un service déterminé, le conseil concerne l'opportunité de celui-ci [5].

Le dispensateur de crédit se doit d'être prudent et diligent, mais il n'a ni en droit ni en vertu de sa déontologie professionnelle, l'obligation de jouer le rôle de directeur de conscience économique et financière des clients avertis qui sollicitent une ouverture de crédit, à moins qu'il ait expressément accepté de jouer ce rôle de conseil dans des cas spécifiques [6].

La distinction entre devoir d'information et devoir de conseil est parfois ténue [7]. Le devoir de conseil peut dans certains cas se confondre avec l'obligation d'information. Parfois, il s'agit d'une obligation contractuelle spécifique impliquant dans le chef du banquier le devoir de recommander à son client un crédit correspondant à ses besoins [8].

Ces devoirs ne peuvent par ailleurs, aller jusqu'à la création d'une obligation, dans le chef du donneur de crédit, de substituer sa propre appréciation à celle du chef d'entreprise. Le dirigeant peut en effet être légitimement présumé comme la personne qui connaît le mieux les besoins de crédit de son entreprise et celui qui est le mieux à même d'en apprécier les risques [9].

Il est également important de souligner que l'étendue du devoir d'information dépend en particulier de la qualité du client, selon que celui-ci est un néophyte, un professionnel ou un client 'averti' [10]. À cette obligation d'information correspond dans le chef du crédité un devoir de se renseigner sur les services qu'il sollicite et utilise [11].

Le manquement éventuel du dispensateur de crédit doit toujours être apprécié selon les circonstances qui ont entouré la décision d'octroi des crédits [12]. En vertu de l'appréciation marginale dont le juge doit faire preuve [13], dès lors que la décision était raisonnablement défendable au moment où elle a été prise, elle ne peut être considérée comme fautive [14]. In specie, c'est à bon droit que le juge a estimé qu'il ne pouvait être retenu de faute dans le chef du banquier au moment de l'octroi des crédits, au regard des circonstances [15] et des capacités et connaissances du crédité.

4.Quant aux dépassements de crédit de caisse, cette tolérance exceptionnelle ne peut être invoquée comme constitutive d'un droit quelconque, que ce soit au maintien du dépassement ou à une répétition de la tolérance [16]. Par ailleurs, on aperçoit mal en quoi le fait d'avoir toléré des dépassements importants du crédit de caisse serait constitutif de faute dans le chef du banquier [17], a fortiori lorsque, comme en l'espèce, le banquier établit qu'il a contrôlé l'évolution des crédits et est intervenu pour éviter le maintien de tels découverts.

5.En l'espèce, du point de vue de la technique bancaire, les crédits octroyés par le banquier ne constituaient pas au moment de leur octroi des formes de crédits déraisonnables ou inadaptés. En réalité, le litige trouvait sa source dans l'évolution de la situation financière du client. Selon ce dernier, la structure du crédit était inopportune et disproportionnée dès l'origine par rapport à leur destination.

Or, le crédité n'avait pas établi la réalité des griefs sur base desquels il entendait mettre en cause la responsabilité du dispensateur de crédit.

D'autre part, dès lors que le grief soulevé par le client se situe en cours d'exécution du contrat, il convient de rechercher l'existence d'une hypothétique obligation de restructuration des crédits incombant au banquier. Ce qui était en cause n'était donc pas la forme du crédit octroyé mais l'évolution des circonstances de faits qui avaient entouré l'exécution du crédit.

Le banquier doit-il restructurer les crédits d'une entreprise lorsque celle-ci est en difficulté? Il convient tout d'abord de parler de devoir de renégociation et non d'obligation. Il n'est pas certain que la renégociation puisse être précisément objet, pour l'un d'une créance, et pour l'autre, d'une dette. Le terme 'devoir' évoque plutôt une norme de comportement s'ajoutant aux obligations contractuelles. La renégociation n'a pas un sens juridique précis [18]. La renégociation est un processus de dialogue orienté vers une modification du contrat, en cours d'exécution [19].

Le droit belge fondé, à l'instar du droit français, sur le principe de la force obligatoire des contrats et de la liberté contractuelle, résiste naturellement à l'obligation de renégocier. Cependant, la multiplication des incitations à la renégociation affaiblit progressivement l'immutabilité du contrat [20].

Le crédit est un contrat qui a force de loi entre les parties pendant toute la durée de son exécution et qui cristallise leurs droits réciproques. Comme le relève à juste titre le tribunal, la modification des circonstances extrinsèques en cours d'exécution du contrat de crédit ne saurait obliger le banquier à procéder à une restructuration, sous réserve de l'abus de droit [21]. Admettre le contraire reviendrait à consacrer une application particulière au contrat de crédit de la théorie de l'imprévision, théorie pourtant rejetée en droit belge.

On peut considérer qu'il y a abus de droit s'il existe une disproportion entre l'avantage que retire le dispensateur de crédit de l'exercice de son droit contractuel de ne pas restructurer le crédit, et le dommage que ce refus cause au client [22]. L'abus de droit contractuel est une violation du principe de l'exécution de bonne foi des conventions consacré par l'article 1134, alinéa 3 du Code civil [23]. Dans le cas présent, les clients soutenaient que le dispensateur de crédit avait violé le principe de l'exécution de bonne foi, en refusant de restructurer les crédits octroyés, sans qu'ils n'établissent que le dispensateur de crédit en ait abusé.

La jurisprudence considère que l'abus de droit est la condition nécessaire mais suffisante pour pouvoir constater légalement qu'il y a violation de la bonne foi [24].

Le refus de modifier un contrat conclu est un droit. La bonne foi n'oblige pas le créancier à renoncer à son droit. Ainsi, le devoir de renégocier n'est-il pas un remède général à toutes les crises contractuelles. Fondé sur l'exigence de bonne foi, il procède du devoir d'adapter le contrat, afin de permettre sa survie, en cas de changement des circonstances économiques s'imposant aux parties.

Dès lors qu'il n'existe pas d'obligation dans le chef du banquier de restructurer un crédit dont la forme et les conditions étaient adaptées au crédité au moment de son octroi et en dehors d'un bouleversement de la situation financière du crédité en cours d'exécution, on ne saurait aucunement imputer un manquement dans le chef du dispensateur de crédit qui refuse, de bonne foi, de renégocier un contrat.

De plus, lorsque le contrat de crédit est conclu à durée indéterminée, il peut y être mis fin à tout moment par chacune des parties selon leurs convenances moyennant respect du préavis contractuellement prévu ou, à défaut, d'un préavis raisonnable, hormis le cas de faute grave. Si le crédit est consenti pour une durée déterminée, il prend fin au terme convenu, ou encore par remboursement anticipé de la part du crédité [25]. En effet, comme le relève justement le Tribunal de commerce de Bruxelles, 'il était loisible aux demanderesses [...] de procéder à la résiliation des crédits conclus à durée indéterminée ou au remboursement anticipé des autres crédits, [...]'. Le fait que le crédit soit conclu à durée indéterminée déforce encore la possibilité d'un éventuel abus dans le chef du banquier.

[1] Liège 14 décembre 1994, R.D.C. 1995, p. 1018.
[2] J.-P. Buyle et O. Creplet, 'La responsabilité civile des établissements de crédit', in Les responsabilités professionnelles, Liège, Formation permanente CUP, 2001, p. 203; Comm. Nivelles 26 septembre 1996, R.D.C. 1997, p. 191; Civ. Liège 18 février 1987, R.G.D.C. 1988/2, p. 257.
[3] M. Vasseur, 'Des responsabilités encourues par le banquier, à raison des informations, avis et conseils dispensés à ses clients', Banque 1983, p. 918.
[4] J.L. Rives-Langes et M. Contamine-Raynaud, Droit bancaire, Paris, Précis Dalloz, 5ème éd., 1990, p. 213.
[5] Comm. Nivelles 26 septembre 1996, R.D.C. 1997, p. 794.
[6] A. Bruyneel, 'Le droit bancaire', J.T. 1982, p. 353; D. Blommaert, 'De aansprakelijkheid van de kredietinstelling-kredietverlener: recente trends', in Financieel recht: tussen oud en nieuw, Anvers, Maklu, p. 700; L. Cornelis, 'De aansprakelijkheid van de bankier bij de kredietverlening', T.P.R. 1986, p. 367; Comm. Gand 11 avril 1997, R.D.C. 1998, p. 832; Comm. Bruxelles 4 novembre 1987, R.D.C. 1989, p. 69.
[7] X. Dieux et D. Willermain, 'La responsabilité civile et pénale du banquier dispensateur de crédit - Développements récents', Le crédit aux entreprises, aux collectivités publiques et aux particuliers, Bruxelles, Éditions du Jeune Barreau, 2002, p. 418.
[8] Mons 7 mars 1994, R.D.C. 1995, p. 1043; Comm. Charleroi 8 juin 2000, R.D.C. 2001, p. 781.
[9] D. Philippe, 'L'ouverture de crédit, négociation et exécution', Droits des Affaires 1987-88, n° 7, pp. 28 et 29.
[10] A. Zenner et L.M. Henrion, 'La responsabilité du banquier dispensateur de crédit en droit belge', J.T. 1984, pp. 469 et s.
[11] J.-P. Buyle et A. Willems, 'La responsabilité professionnelle des banquiers dans l'établissement et l'utilisation de documents', Rev. dr. U.L.B. 1992, p. 145.
[12] Bruxelles 27 septembre 1978, J.C.B. 1979, p. 268, note P.A. Foriers; Comm. Bruxelles 16 juin 1975, Rev. banque 1976, p. 298; L. Simont et A. Bruyneel, 'Le droit bancaire privé - les opérations de banque (chronique)', Rev. banque 1979/5, p. 700.
[13] Comm. Bruges 6 novembre 1996, R.D.C. 1997, p. 769.
[14] L. Simont et A. Bruyneel, l.c., p. 701.
[15] Liège 25 février 2000, Rev. banque 2000, p. 385.
[16] B. Glansdorff, 'La responsabilité du banquier qui refuse de consentir un dépassement de crédit', Rev. banque 1967, p. 669.
[17] Mons 7 mars 1994, R.D.C. 1995, p. 1043, note J.-P. Buyle et X. Thunis.
[18] M. Cedras, 'L'obligation de renégocier', R.T.D. Com. 1985, p. 265.
[19] L. Aynès, 'Le devoir de renégocier', R.J.C. 1999, p. 16; Cass. fr. 24 novembre 1998, B. IV, n° 227.
[20] Voy. Cass. fr. 25 février 1992, Dalloz 1992, p. 390; Cass. fr. 3 novembre 1992, B. IV, n° 338.
[21] S. Stijns, 'Chronique de jurisprudence. Les obligations: les sources (1985-1995)', J.T. 1996, p. 701.
[22] A. Bruyneel et E. Van Den Haute, 'Chronique de droit bancaire privé. Les opérations de banque (1998)', Rev. banque 1999, p. 395.
[23] S. Stijns, l.c., p. 705.
[24] Cass. 17 mai 1990, J.T. 1990, p. 442.
[25] A. Zenner et L.-M. Henrion, 'La responsabilité du banquier dispensateur de crédit en droit belge', J.T. 1984, p. 473.