Cour d'appel de Liège 26 mars 2002
BANQUE - CRÉDIT - RESPONSABILITÉ (EXTRA- CONTRACTUELLE)
Ouverture de crédit - Engagement contractuel de ne pas hypothéquer - Conversion d'un mandat hypothécaire - Dépassement de crédit - Dénonciation du crédit - Taux contractuel d'intérêts moratoires
Lorsqu'une partie au contrat de crédit prétend que la banque lui aurait accordé une augmentation de crédit, elle doit en rapporter la preuve. La preuve est libre en droit commercial. Les dépassements accusés par une ligne de crédit sont une pure tolérance de la part du banquier. Ils n'ouvrent aucun droit contractuel au maintien de ces dépassements dans le chef du crédité même si ceux-ci ont été constants et substantiels. Les dépassements de crédit ne s'analysent pas sauf convention spéciale, en une modification de la convention initiale de l'ouverture de crédit.
Lorsque le client manque à son engagement contractuel de ne pas hypothéquer un bien davantage 'sans le consentement écrit et préalable' du dispensateur de crédit, il ne peut critiquer la transformation par le banquier du mandat hypothécaire en hypothèque.
Dans ce contexte, le banquier qui met fin à une tolérance du dépassement important connu du crédité et qui dénonce le crédit moyennant un préavis d'un mois conformément au règlement des ouvertures de crédit ne commet ni faute, ni abus.
Le débiteur n'est pas fondé à postuler une réduction du taux des intérêts moratoires contractuellement convenu, lorsqu'il n'excède pas 'manifestement le dommage subi à la suite de ce retard' et qu'il n'apparaît pas exorbitant au regard de la pratique bancaire actuelle.
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BANK - KREDIET - AANSPRAKELIJKHEID (EXTRACONTRACTUEEL)
Kredietopening - Contractuele verbintenis om niet te hypothekeren - Omzetting van een hypothecair mandaat - Kredietoverschrijding - Opzegging van het krediet - Contractuele voet voor verwijlinteresten
Wanneer een partij bij een kredietovereenkomst beweert dat de bank haar een kredietverhoging heeft toegekend, moet zij daarvan het bewijst leveren. Het bewijs is vrij in handelsrecht. De overschrijdingen van een kredietlijn zijn een loutere tolerantie vanwege de bankier. Zij geven geen enkel contractueel recht op de handhaving van deze overschrijdingen in hoofde van de kredietnemer zelfs wanneer deze constant en substantieel waren. De kredietoverschrijdingen maken geen wijziging uit van de initiële overeenkomst van kredietopening behoudens een bijzondere overeenkomst.
Wanneer de cliënt zijn contractuele verbintenis om een goed niet te hypothekeren 'zonder de schriftelijke en voorafgaande toestemming' van de kredietverlener niet nakomt, kan hij de omzetting door de bankier van het hypothecair mandaat in hypotheek niet bekritiseren.
In deze context, begaat de bankier, die een einde stelt aan een tolerantie van de belangrijke overschrijding, bekend aan de kredietnemer, en die het krediet opzegt mits een opzeggingstermijn van één maand in overeenstemming met het reglement der kredietopeningen, geen fout noch misbruik.
De schuldenaar is niet gerechtigd om een vermindering van de contractueel overeengekomen moratoire interestvoet te vragen, wanneer deze niet 'manifest de schade geleden ten gevolge van deze vertraging' te boven gaat en dat deze niet buitensporig blijkt in vergelijking met de actuele bankpraktijk.
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SA Loca-Invest / SA CBC Banque
Siég.: De Francquen (président de chambre), Ligot et Jacquemin (conseillers) |
Pl.: Mes Ruette et Duvieusart loco De Patoul |
Après en avoir délibéré:
Vu l'appel du jugement rendu le 23 avril 2001 par le Tribunal de commerce de Marche en Famenne interjeté le 9 août 2001 par la SA Loca-Invest;
Attendu que les premiers juges ont correctement relaté les antécédents de la cause et l'objet des actions principale et reconventionnelle au terme d'un exposé que la cour adopte;
que l'appelante a été condamnée à payer à l'intimée 700.725 FB augmentés des intérêts moratoires au taux conventionnel de 12% sur 697.286 FB à partir du 10 avril 1999, par versements mensuels de 50.000 FB à compter du 1er mai 2001;
qu'en appel, elle postule que l'intérêt des sommes qu'elle doit encore à la SA CBC Banque soit fixé à 7% l'an, que les frais de mainlevée de l'hypothèque soient laissés à la charge de la CBC et que celle-ci soit condamnée à lui payer 500.000 FB de dommages et intérêts pour rupture abusive et fautive du crédit;
Attendu que l'intimée soutient, ainsi que les premiers juges l'ont retenu, qu'il y a eu accord des parties après la dénonciation du crédit sur l'apurement progressif de celui-ci en sorte qu'il est sans intérêt d'examiner si la banque a octroyé une ouverture de crédit supplémentaire ou si elle a seulement toléré un découvert temporaire, ainsi que de s'interroger sur le caractère fautif ou abusif de la dénonciation;
Attendu qu'en réponse à la lettre du 4 février 1999 de CBC Banque mettant fin à l'ouverture de crédit moyennant préavis d'un mois, Loca-Invest a proposé en effet le 8 février 1999 'de solutionner le découvert' en libérant le montant de 550.000 FB bloqué chez le notaire contre la mainlevée de l'hypothèque et en versant par la suite 50.000 FB par mois pour apurer le solde du compte 'arrêté au 17 juillet 1998 à 1.002.713 FB. En effet, depuis cette date nous n'avons plus eu aucun extrait';
que CBC Banque communique le 12 février 1999 son accord au notaire quant à la première partie de la proposition, sans souffler mot de la seconde, et qu'il n'est pas contesté que mainlevée de l'hypothèque a bien été donnée contre versement des 550.000 FB;
que le 19 avril 1999, le conseil de CBC Banque met Loca- Invest en demeure d'acquitter 700.725 FB 'dès réception de la présente' pour éviter les frais et inconvénients d'une citation, le décompte final en intérêts devant parvenir ultérieurement;
que le 21 avril 1999, Loca-Invest réitère sa proposition: compte tenu des 550.000 FB versés, elle propose d'apurer 'la dette' par versements mensuels de 50.000 FB par mois et ce, 'dès réception de votre accord', rappelant néanmoins qu'elle ne peut marquer son accord 'sur les frais d'inscription que vous aurez la gentillesse de déduire du montant';
que le courrier envoyé directement à la banque est transmis par celle-ci à son conseil qui le 3 mai 1999 signale que les versements de 50.000 FB peuvent être effectués sur son compte Carpa mais que la banque souhaite que l'accord fasse l'objet d'un jugement; qu'en réalité, la citation est signifiée à Loca-Invest le jour-même; qu'entre-temps, le conseil de Loca-Invest écrivait à son confrère le 30 avril 1999 pour lui signaler que sa cliente considérait la dénonciation du crédit comme parfaitement abusive et 'que si une assignation en paiement devait être notifiée (...) elle ne manquerait pas d'invoquer ces éléments devant le tribunal et de demander l'indemnisation de la totalité du préjudice qu'elle subit';
Attendu qu'on ne peut considérer qu'il y a eu accord quand on constate que se croisent les courriers des conseils respectifs des parties précisant dans le chef de chacune des intentions inconciliables, à savoir que la banque n'entend agréer la proposition de Loca-Invest que si l'accord fait l'objet d'un jugement tandis que Loca-Invest ne la formule que pour éviter un procès, au titre de transaction, se réservant de contester la dette si d'aventure la banque assignait;
Attendu que Loca-Invest prétend que la banque aurait admis de porter l'ouverture de crédit de 500.000 FB accordée par convention du 16 avril 1997 à 1.000.000 FB lors d'un dîner qui a réuni leurs représentants en décembre 1997 (ses conclusions du 27 décembre 1999, pièce 15 du dossier d'instance, p. 2, point 1) voire janvier 1998 (ses conclusions d'appel, pièce 4, p. 2, point 2);
que le régime de la preuve libre en droit commercial dont elle se prévaut pour tenter de prouver 'outre ou contre' le contenu de l'acte du 16 avril 1997 ne la dispense pas de rapporter la preuve certaine de cette augmentation de crédit (N. Verheyen-Jeanmart, Le droit de la preuve, Larcier, 1991, p. 42, n° 66 et les nombreuses références jurisprudentielles citées);
qu'or, Loca-Invest n'est pas en mesure de le faire; que contrairement à ce qu'elle allègue en appel, elle a tellement peu considéré la seule parole prêtée aux représentants de CBC Banque comme suffisante qu'elle a soutenu au contraire le 29 janvier 1999 n'avoir pas cessé par la suite d'en demander confirmation sans succès (dossier CBC, pièce 9, p. 2), ce qu'elle ne prouve pas plus;
que même si la banque, en pleine restructuration, a mis un certain temps à réagir aux affirmations énoncées par Loca- Invest, un démenti formel quoique bref intervient le 4 mars 1999; que CBC Banque en épinglant le 'débit irrégulier en compte' et la 'concession cachée à notre Banque d'une hypothèque de 10.000.000 FB au profit d'Assubel' conteste sans ambiguïté et avant toute procédure la thèse de l'appelante qui ne peut donc se prévaloir d'un quelconque silence circonstancié de sa part;
Attendu enfin que la réaction de Loca-Invest le 8 février 1999 à la lettre de dénonciation du crédit s'inscrit aussi à l'encontre de sa thèse; que loin d'opposer à la banque un quelconque accord sur l'augmentation du crédit à concurrence du solde débiteur atteint par le compte et de dénoncer la violation d'engagements contractuels, elle se limite à déplorer 'l'incompréhension' de celle-ci et formule des propositions d'apurement de ce qu'elle n'hésite pas à qualifier elle-même de 'découvert', ce qui est révélateur;
Attendu que les dépassements accusés par la ligne de crédit à partir de juin 1998 de l'ordre de 700.000 FB au moment de la dénonciation n'ont évidemment pas pu échapper à la banque qui à défaut d'avoir dénoncé le crédit sans délai n'est pas fondée à contester qu'elle a toléré pareil découvert pendant plusieurs mois;
Attendu pour autant que cette pure tolérance n'ouvrait aucun droit au maintien de ces dépassements dans le chef de Loca- Invest; qu''en cas de dépassement de crédits, le client n'a aucun droit contractuel à leur maintien, même si ceux-ci ont été constants et substantiels' (Bruxelles 12 février 1992, R.D.C. 1993, p. 1041); que 'les dépassements de crédit, même répétés, ne s'analysent pas, sauf convention spéciale, en une modification de la convention initiale de l'ouverture de crédit. Que, par conséquent, il n'en résulte aucun droit pour le crédité de compter sur ces dépassements, sur leur maintien ou sur leur renouvellement. Qu'il est dès lors admis qu'une pure tolérance de découvert temporaire est révocable ad nutum' (Mons 7 mars 1994, J.L.M.B. 1996, p. 1206); que 'l'octroi et même la répétition de dépassements, n'entraînent pas à eux seuls de modification tacite du contrat originaire, de sorte que le crédité n'a pas le droit de compter sur le maintien ou le renouvellement des dépassements' (A. Zenner, 'La responsabilité du banquier dispensateur de crédit en droit belge', J.T. 1984, p. 473);
qu'en l'occurrence, Loca-Invest pouvait d'autant moins l'ignorer que la banque avait tenu à rappeler ces principes dans le contrat en faisant figurer à l'ouverture de crédit la clause selon laquelle 'l'existence d'un dépassement n'ouvre par ailleurs aucun droit à une majoration du crédit' (dossier CBC Banque, pièce 1, p. 2);
Attendu que les circonstances dans lesquelles CBC Banque est amenée à mettre fin à cette tolérance excluent toute faute ou abus dans son chef;
qu'alors qu'elle enregistre l'inflation irrégulière du débit du compte de Loca-Invest en ses livres, elle découvre que cette dernière a consenti le 25 juin 1998, en violation de leurs accords contractuels, une hypothèque en faveur d'Assubel de 4 millions supérieure à celle à laquelle Loca-Invest devait s'en tenir; qu'elle décide alors le 30 octobre 1998 de prendre hypothèque selon le mandat que lui avait consenti Loca- Invest;
que cette dernière objecte qu'elle aurait informé CBC Banque de l'hypothèque consentie à AGF Assubel Banque et que de toute façon, le bien hypothéqué, par la plus-value acquise au fur et à mesure de l'érection des constructions, offrait une garantie de loin supérieure à ce qui était nécessaire pour couvrir les différents crédits, sans nullement mettre en péril les intérêts de CBC Banque;
que toutefois selon ses propres écrits, il semble que ce soit à l'occasion d'une visite sur le chantier le 8 décembre 1998 (dossier L.I., pièce 3.4) que Loca-Invest ait entretenu CBC Banque 'de l'ensemble des crédits sur nos différentes sociétés' tandis que la valeur nouvelle du bien telle qu'expertisée lui était transmise par le notaire le 15 janvier 1999 (dossier CBC, pièce 7);
que Loca-Invest ne peut dès lors contester avoir grandement manqué à son engagement contractuel qui était de ne pas hypothéquer le bien davantage 'sans [le] consentement écrit et préalable' de CBC Banque (dossier CBC, pièce 1, p. 2, rubrique 'garanties'); que la réaction de celle-ci de transformer dans ces conditions, sans plus attendre, le mandat hypothécaire en hypothèque n'est pas critiquable, d'autant que la convention le lui permettait à première demande (idem); que les frais de mainlevée de cette hypothèque incombent à Loca-Invest;
Attendu que le 15 janvier 1999, le notaire de Loca-Invest écrit à CBC Banque que 'chargé d'une ouverture de crédit consentie [à Loca-Invest] par la Banque du Crédit professionnel d'un montant de 3.500.000 FB', laquelle 'pour garantir ce crédit, exige le deuxième rang, après un premier rang d'un montant de 10.000.000 de francs en principal à son profit', il souhaite obtenir l'accord de CBC Banque pour soit 'donner mainlevée de [votre] inscription de 550.000 FB sans aucun remboursement de la part de Loca-Invest [italique dans le texte] ou céder votre rang et être en troisième rang hypothécaire sur le même bien' (dossier CBC, pièce 7);
que le 4 février 1999, CBC Banque décide alors de mettre fin à l'ouverture de crédit en faisant application de l'article 9 du règlement des ouvertures de crédit qui permet à chacune des parties de dénoncer le crédit à tout moment, moyennant préavis d'un mois; que celui-ci prend cours formellement à dater du recommandé de résiliation mais qu'il s'observe qu'en réalité, CBC Banque laisse un délai de 2 mois et demi à Loca-Invest avant de lui réclamer formellement le remboursement du solde du compte (dossier CBC, pièce 14) tandis qu'il apparaît du courrier de Loca-Invest du 27 janvier 1999 que CBC Banque l'avait déjà entretenue de son intention de mettre fin au crédit avant le recommandé du 4 février 1999 puisque Loca-Invest expose comment elle envisage sans grande difficulté 'de vous solder';
qu'il n'y a eu, de cette manière et dans ce contexte, ni faute ni abus de CBC Banque de mettre fin à la tolérance du dépassement important connu par le crédit et de résilier celui-ci à un moment où elle apprend que la cliente se fait consentir un nouveau crédit important auprès d'une autre banque et où il lui est demandé en conséquence soit de renoncer à sa garantie soit de laisser supplanter celle-ci par celle du nouveau dispensateur de crédit, alors que cette garantie n'est même plus suffisante à couvrir le montant du débit atteint;
que la circonstance dénoncée le 29 janvier 1999 (dossier CBC, pièce 9, p. 3, 2e) que depuis le 17 juillet 1998, Loca- Invest ne recevrait plus d'extraits de compte est sans rapport avec la résiliation du crédit; que non seulement Loca-Invest ne peut prétendre que de ce fait, elle aurait ignoré le découvert existant dès le 10 juin 1998 (dossier CBC, pièce 20, p. 10) dans lequel ses propres interventions avaient plongé le compte mais qu'encore l'absence de preuve d'une quelconque réclamation de ces extraits donne à penser, comme le soutient CBC Banque qui a contesté le fait pour le surplus en cours de procédure, qu'elle avait constamment eu accès à la situation de son compte par l'utilisation du logiciel 'PC Banking';
Attendu que Loca-Invest n'est fondée ni à réclamer quelque dommage et intérêt que ce soit à CBC Banque ni à postuler une réduction à 7% du taux des intérêts moratoires contractuellement convenu à 12% qui, pas plus qu'il n'excède 'manifestement le dommage subi à la suite de ce retard' (art. 1153, al. 4 du Code civil), n'apparaît exorbitant alors même qu'est admis au regard de ces critères le taux de 18% fréquent dans la pratique bancaire actuelle (Liège (7e ch.) 20 novembre 2001, SA CBC Banque c/ SA Batitout, inédit);
Attendu que les paiements effectués depuis le jugement entrepris tels que comptabilisés et imputés par l'intimée (son dossier, dernière pièce) n'ont fait l'objet d'aucune discussion à l'audience;
Par ces motifs,
(...)
La cour, statuant contradictoirement,
Reçoit l'appel,
Confirme le jugement entrepris, sous déduction des paiements effectués entre-temps par l'appelante, imputés conformément à l'article 1254 du Code civil.
(...)