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Observations, R.D.C.-T.B.H., 2004/2, p. 140-142

BANQUE - CRÉDIT - COMPTE - CONCORDAT
Effet de la demande de concordat - Suspension des crédits - Convention de compte courant - Clause d'unicité de compte
La continuation des contrats en cours constitue la règle, malgré une demande de concordat, sauf si la loi en dispose autrement.
Il n'y a dissolution de plein droit des contrats intuitu personae qu'en cas d'impossibilité matérielle ou juridique d'exécution.
La suspension des crédits n'entraîne pas la fin de la convention de compte courant dès lors que celui-ci a continué de fonctionner normalement.
La clôture du compte courant intervient lorsque l'impossibilité juridique de poursuivre l'exécution du contrat est consacrée par le jugement de faillite. C'est à cette date qu'il faut se placer pour établir les comptes entre parties.
La clause d'unicité de compte est opposable en cas de faillite dès lors qu'elle constate une réelle connexité, ce que les tribunaux se réservent de vérifier.
BANK - KREDIET - REKENING - GERECHTELIJK AKKOORD
Gevolg van de aanvraag tot een gerechtelijk akkoord - Opschorting van de kredieten - Rekening-courantovereenkomst - Clausule inzake eenheid van rekening
De voortzetting van de lopende contracten is de regel ondanks een aanvraag tot een gerechtelijk akkoord, behalve indien de wet anders beschikt.
Er is van rechtswege slechts opschorting van de contracten intuitu personae in geval van materiële of juridische onmogelijkheid tot uitvoering.
De opschorting van de kredieten leidt niet tot het einde van de rekening-courantovereenkomst daar deze normaal is blijven functioneren.
De rekening-courant wordt afgesloten wanneer de juridische onmogelijkheid om de uitvoering van het contract voort te zetten, wordt bekrachtigd door het faillissementsvonnis. Deze datum geldt voor de opstelling van de rekeningen tussen partijen.
De clausule inzake eenheid van rekening kan in geval van faillissement worden ingeroepen daar deze een werkelijke verknochtheid vaststelt; de rechtbanken behouden zich voor dit te controleren.

Les faits soumis à la Cour d'appel de Liège remontent à une période largement antérieure à la loi du 17 juillet 1997 ayant réformé les dispositions relatives au concordat judiciaire [1].

Les principes consacrés par l'arrêt trouvent-ils toujours application sous le régime de la nouvelle loi?

La cour confirme tout d'abord, le droit qu'avait la banque, sur base d'une clause de son Règlement général des crédits de suspendre les effets d'une ouverture de crédit ou d'y mettre fin sans préavis en cas, notamment, 'd'une demande de sursis de paiement ou de concordat judiciaire'.

On sait qu'en vertu de l'article 28 de la loi du 17 août 1997: le jugement accordant le sursis provisoire ne met pas fin aux contrats en cours et toute clause contractuelle suivant laquelle la résolution du contrat a lieu du seul fait de la demande ou de l'octroi du concordat est sans effet.

Cet article s'applique également aux contrats intuitu personae que sont les contrats d'ouverture de crédit à moins que la confiance des parties soit ébranlée, en l'espèce, au point de rendre impossible la continuation du contrat [2].

Il en résulte qu'aujourd'hui, une dénonciation de crédit opérée postérieurement au dépôt d'une requête en concordat doit, pour être valable, être motivée par d'autres considérations que le fait du dépôt de la requête ou de l'octroi d'un sursis provisoire [3].

On notera par ailleurs, qu'en la matière, l'article 28 prive expressément d'effet toute clause résolutoire reposant sur le seul fait de la demande ou de l'octroi d'un concordat de manière telle que le juge s'il constate une dénonciation opérée en violation de cet article peut ordonner la reprise des relations contractuelles [4].

La question de savoir si une simple suspension de crédit tombe sous le champ d'application de l'article 28 est par ailleurs controversée [5]: d'aucuns font valoir que la suspension est une mesure temporaire et conservatoire qui n'est pas visée comme telle par l'article 28 [6], d'autres allèguent que la suspension de crédit serait contraire à la philosophie de la loi [7].

Se pose par ailleurs la question de l'incidence du concordat sur les clauses conventionnelles de compensation (fusion) ou d'unicité de compte ou sur le fonctionnement du compte courant existant entre la banque et son client concordataire.

Il n'est peut-être pas inutile de rappeler tout d'abord la distinction qu'il convient d'opérer entre ces différentes hypothèses:

    • les clauses de compensation conventionnelle [8] ont pour objet d'organiser une connexité juridique entre créances et dettes qui ne remplissent pas nécessairement les conditions d'une connexité objective [9];
    • le but de la manoeuvre consiste à pouvoir bénéficier, en cas de concours sur les biens du débiteur, d'une exception à la règle qui interdit la compensation en pareille situation hormis les cas où les dettes et créances en cause présentent entre elles une connexité effective [10];
    • les clauses d'unicité de compte quant à elles, portent sur la constatation - devant être corroborée dans les faits [11] - de ce que, si différentes rubriques comptables coexistent au sein d'un même compte, enregistrant les relations entre une banque et son client, ces rubriques n'existent que pour des raisons purement techniques qui ne remettent pas en question l'existence d'un compte unique [12];
    • le compte courant, quant à lui, est le résultat d'une convention par laquelle les parties ont entendu porter en compte l'ensemble des créances et dettes nées de leurs relations d'affaires afin d'en faire masse, en en suspendant la liquidation jusqu'à la clôture du compte. La compensation est ici inhérente au mécanisme même du compte courant mis en place par les parties: la créance perd son individualité lors de l'entrée en compte et son titulaire n'a plus que le droit de l'inclure dans le calcul du solde qui interviendra à la clôture [13]. Même si la clôture du compte a pour cause la faillite d'une des parties, la compensation générale s'opérera indépendamment de la faillite, dans la mesure où, la convention de compte courant a été valablement conclue préalablement à la faillite, la compensation constituant la conséquence nécessaire de cette convention [14].

    Quels seront les effets du concordat sur ces différentes stipulations contractuelles?

    1) Dans quelle mesure les clauses de compensation conventionnelle - hors cas du compte courant - sont- elles susceptibles de sortir leurs effets en situation de concordat?

    La compensation suppose l'existence de dettes exigibles. On peut dès lors se poser tout d'abord la question de savoir si le concordat suspend l'exigibilité de la dette. La réponse à cette question est négative: la loi du 17 juillet 1997 ne modifie en rien l'exigibilité de la dette [15], elle en suspend uniquement l'exécution. Or le terme de grâce ne fait pas obstacle à la compensation.

    Certains auteurs considèrent par ailleurs que le concordat est générateur d'une situation de concours dans laquelle la compensation est exclue [16].

    En réalité, la compensation est exclue, dans le cadre d'un concordat, par une combinaison de l'article 1293 [17] du Code civil et de l'article 22 de la loi sur le concordat: l'article 1293 exclut, en effet, que la compensation puisse porter sur une dette insaisissable et l'article 22 stipule qu'aucune saisie ne peut être pratiquée pendant le sursis.

    2) Le concordat peut-il remettre en cause les effets d'une clause d'unicité de compte?

    Dans la mesure où une clause d'unicité - conclue sans fraude, in tempore non suspecto - ne fait que constater 'ce qui est' [18] et pour autant que le compte ait continué à fonctionner normalement pendant le concordat, il ne parait guère douteux que la clause d'unicité continue à trouver application en cette hypothèse. C'est ce que confirme, en l'espèce, la Cour d'appel de Liège.

    3) Le compte courant et en particulier la compensation qui en constitue la conséquence nécessaire est-il par ailleurs affecté par l'existence d'un concordat?

    En vertu de l'article 28 de la loi, le concordat ne met pas fin aux contrats en cours. Il en va de la convention de compte courant comme de tous les autres contrats.

    Dans la mesure où les crédits sont dénoncés par la banque - pour un motif autre que la demande ou l'octroi d'un concordat, cette dénonciation a-t-elle pour effet d'entraîner également la fin de la convention de compte courant?

    Certains auteurs voient dans la fin du compte courant une conséquence de la dénonciation du crédit motivé par la perte de confiance du banquier en son client dans la mesure où cette perte de confiance affecte également le crédit qui est nécessairement sous-jacent au mécanisme de compte courant [19] - dans le cadre duquel les parties acceptent, par essence, de suspendre, jusqu'à la clôture du compte, l'exigibilité de leurs créances réciproques.

    On observera toutefois que le redressement d'une entreprise - qui constitue le but même du concordat - serait irrémédiablement compromis si ladite entreprise ne disposait plus d'un compte en banque.

    Il faudrait donc, alors, considérer, nonobstant le fait que le concordat ne met pas fin aux contrats en cours et en l'absence de toute manifestation expresse de la volonté de la banque en ce sens, qu'en raison de la dénonciation des crédits, le compte change de nature et le compte courant devient simple compte à vue.

    Une telle supposition ne pourrait constituer - au plus - qu'une présomption susceptible d'être démentie par les faits.

    En effet, en pratique - et compte tenu de ce qu'une simple possibilité qu'il existe des remises réciproques suffit à constituer la réciprocité de remises que suppose le compte courant [20] - il n'est guère aisé de distinguer le compte bancaire à vue du compte courant: le fait que le découvert soit unilatéral n'exclut pas nécessairement l'existence d'un compte courant [21] et il n'est pas rare qu'un compte à vue soit, en réalité à découvert réciproque [22].

    Monsieur Winandy a, du reste exprimé l'opinion selon laquelle le compte à vue n'est, en fait, qu'un compte courant [23].

    Quoi qu'il en soit, dans la mesure où le banquier joue le jeu et continue d'exécuter la convention de compte courant, il est logique qu'il continue à bénéficier de l'effet de compensation qui s'y attache ce qui suppose que les remises en compte courant opérées par le client ne soient pas exposées à la sanction de la nullité ou de l'opposabilité.

    En réalité, toute la question réside dans un examen des faits confirmant - ou non - le fonctionnement normal du compte [24].

    Il ne saurait en effet être admis que le banquier qui sait que son client est en difficulté puisse se servir artificiellement du mécanisme du compte courant - en acceptant toutes les remises opérées par le client mais en refusant toute remise au débit du compte - pour échapper à la règle d'égalité entre les créanciers [25].

    En l'espèce, la Cour d'appel a bien pris soin de constater que de nombreuses remises en comptes avaient continué à avoir lieu, et que des virements avaient été exécutés dans le cadre du fonctionnement normal d'un compte courant ce qui démontrait que la dénonciation des crédits n'avait pas mis fin à la convention de compte courant unissant les parties. C'était donc bien à la clôture du compte, consécutive en l'espèce à la faillite du client qu'il fallait se placer pour établir le solde - après compensation - des créances et dettes réciproques.

    La décision ne peut être qu'approuvée sur ce point.

    [1] M.B. 28 octobre 1997.
    [2] Doc. parl. Chambre, s.e., 1993-94, 1406/1, p. 25.
    [3] Sur la question de savoir sur qui repose la charge de la preuve à ce niveau, consultez nos observations après la décision du Tribunal de commerce de Furnes du 17 novembre 1999, R.D.C. 2000, pp. 722 et s.
    [4] Le juge tient ici, ce pouvoir d'une disposition spécifique, dérogatoire du droit commun suivant lequel le contrôle du juge sur l'application d'une clause résolutoire expresse doit, selon nous, se limiter à un contrôle des éventuels abus sanctionnés, le cas échéant, par l'octroi de dommages et intérêts - voy. R.D.C. 1998, p. 842.
    [5] Voy. sur ce point R.D.C. 2000, p. 724
    [6] M. Grégoire, Quel est le sort réservé aux contrats en cours, Séminaire Skyroom, 25 septembre 1997, p. 6.
    [7] T. Bosly, 'La situation des créanciers', in Le nouveau droit du concordat judiciaire et de la faillite: les lois des 17 juillet et 8 août 1997, travaux du Centre Jean Renauld, p. 111.
    [8] C.-G. Winandy, 'Les comptes en banque et les intérêts', in La Banque dans la Vie Quotidienne, Bruxelles, Éditions du Jeune Barreau, 1986, p. 51 et s. et les références citées à la note (75).
    [9] M. Delierneux, 'Observations relatives à l'Arrêt de la Cour d'Appel de Mons du 20 décembre 1988 (compensation conventionnelle après faillite - clause de connexité juridique - effets externes des contrats)', Rev. banque 1989, pp. 487 à 496.
    [10] Cette exception est une construction jurisprudentielle inspirée par l'équité. Voy. notamment: Cass. 7 décembre 1961, Pas. 1962, I, p. 440.
    [11] J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial belge, IV, p. 401, n° 524.
    [12] C.-G. Winandy, 'Les comptes en banque et les intérêts', o.c., p. 43, n°s 36 et s. Voy. également, les exemples n°s 37 et s.
    [13] J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial belge, o.c., p. 373, n° 501.
    [14] J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial belge, o.c., p. 386, n° 512.
    [15] Contra: Tribunal de commerce de Furnes, R.D.C. 2000, p. 718.
    [16] Comm. Anvers 16 juin 1998, R.D.C. 1999, p. 179 et R.W. 1998-99, p. 230 et s. avec les commentaires de V. Deckmyn et E. Dernicourt; consultez également sur cette question: O. Poelmans, 'Le Concordat et le concours après la loi du 17 juillet 1997', R.D.C. 1999, pp. 144 et s.
    [17] En vertu de l'art. 1293 du Code civil, la compensation est exclue notamment au cas où une des dettes concernées a pour cause des aliments insaisissables. On admet généralement par ailleurs, que cet article a un champ d'application plus large que la seule hypothèse des dettes alimentaires et s'applique chaque fois qu'une créance est déclarée insaisissable par la loi: H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. III, n° 660.
    [18] J.-M. Nelissen Grade, De rekening-courant, n° 168.
    [19] J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial belge, o.c., p. 414, n° 539.
    [20] J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial belge, o.c., p. 359, n° 487 in fine; C.-G. Winandy, 'Les comptes en banque et les intérêts', o.c., p. 20, note (14) et réf. citées.
    [21] C.-G. Winandy, 'Les comptes en banque et les intérêts', o.c., p. 22, n° 12 et réf. citées en note (17).
    [22] C.-G. Winandy, 'Les comptes en banque et les intérêts', o.c., p. 22, n° 12.
    [23] C.-G. Winandy, 'Les comptes en banque et les intérêts', o.c., p. 19, n°s 9 et s. Contra: J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial belge, o.c., p. 311, n° 427 in fine.
    [24] Consultez Cass. fr. 24 octobre 1995, n° 250, ainsi que les obs. de F. Derrida au Dalloz 1996, Jur. p. 86 et de M. Cabrillac à la Rev. trim. dr. com. 1996, p. 97.
    [25] C. Gavalda et J. Stoufflet, Droit Bancaire, 4e éd., n° 316.