Droit de la concurrence et exercice de pouvoirs réglementaires par les ordres professionnels: quelques réflexions et une tentative de synthèse au vu de l'arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2003 et de la jurisprudence récente de la Cour de justice [1]
TABLE DES MATIERES
B. Applicabilité du droit de la concurrence aux réglementations ordinales 1. Le champ d'application personnel 1.1. La notion d'entreprise
1.2. La notion d'association d'entreprises 1.2.1. Le principe de dissociation des activités
1.2.2 L'existence et l'étendue des pouvoirs normatifs de l'ordre professionnel
1.2.3 L'adoption d'un règlement en tant qu'association d'entreprises ouen tant qu'autorité publique
2. Le champ d'application matériel 2.1. La restriction de concurrence
2.2 L'affectation du commerce entre États membres
C. Application du droit de la concurrence aux réglementations ordinales 1. Les solutions classiques
2. La règle de raison de type Wouter et son application
A. | Introduction |
1.Dans un article au titre prémonitoire de 'Concurrence et professions libérales: antagonisme ou compatibilité?', publié en 1993, M. Ehlermann, alors directeur général de la concurrence à la Commission européenne, s'interrogeait sur la nécessité d'une application plus rigoureuse du droit de la concurrence aux professions libérales [5]. Il confirmait, à cet égard, l'intention de son administration de s'intéresser de plus près à la compatibilité de certaines pratiques des professions libérales et de leurs organisations représentatives avec le droit de la concurrence. Cette initiative visait à assurer 'que les pouvoirs d'autoréglementation [des organisations professionnelles] ne sont pas utilisés dans une optique corporatiste pour protéger tout simplement les intérêts d'une profession par des obligations qui ne sont pas nécessaires pour garantir l'éthique, la dignité professionnelle, la réputation de la profession ou la qualité des prestations, mais qui empêchent la concurrence entre les membres d'une profession' [6].
2.Si cette opinion n'avait, en soi, rien de révolutionnaire pour les ordres juridiques de nos pays voisins [7], elle semble néanmoins avoir suscité une certaine commotion dans notre pays. En effet, malgré la reconnaissance de longue date, par la Cour de justice, de l'effet direct des dispositions du traité sur la libre concurrence et l'entrée en vigueur récente de la loi du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique, la compatibilité des règles adoptées par les ordres professionnels avec le droit de la concurrence n'avait, jusqu'alors, pas vraiment retenu l'attention des praticiens belges.
3.Le changement fut assez radical. De plus en plus fréquemment, notamment dans le cadre de poursuites disciplinaires, les titulaires de professions libérales poursuivis pour infraction aux règles ordinales (publicité, tarifs, formation, etc.) se sont évertués à invoquer les prescriptions de la loi du 5 août 1991 et/ou les articles 81 et 82 CE pour s'opposer à l'application de telles règles [8]. De même, il n'a pas fallu attendre longtemps pour que les cours et tribunaux belges soient saisis de questions de ce type [9] et que tombent les premières décisions du Conseil de la concurrence [10]. Ces décisions ont été abondamment commentées par la doctrine [11].
4.Au cours de cette même période, les instances européennes ont, elles aussi, été confrontées à maintes reprises à la question de l'applicabilité et application du droit de la concurrence aux réglementations adoptées par des organisations professionnelles. À commencer par la Commission européenne qui, fidèle aux propos tenus par son directeur général, a adopté plusieurs décisions dans lesquelles elle a examiné la compatibilité de telles réglementations avec les règles de concurrence [12]. Quant à la Cour de justice, l'on retiendra surtout l'arrêt du 18 juin 1998 dans l'affaire des expéditeurs en douane [13] et les deux - désormais célèbres - arrêts dans les affaires Wouters et Arduino [14]. Enfin, il doit également être fait mention de deux arrêts importants prononcés dans ce contexte par le Tribunal de première instance CE [15].
5.Or, force est de constater que, malgré les nombreuses décisions arrêtées par nos plus hautes juridictions ainsi que par les juridictions communautaires, la polémique continue de faire rage. Ainsi, chaque arrêt prononcé par la Cour d'arbitrage, la Cour de cassation ou encore la Cour de justice est-il interprété comme une énième victoire ou défaite selon que l'on se situe dans le camp des partisans ou des adversaires d'une application rigoureuse du droit de la concurrence aux règles adoptées par les ordres professionnels. Il en résulte une insécurité juridique qui ne facilite guère la tâche des praticiens de ce droit et encore moins celle des ordres professionnels et de leurs membres.
6.C'est dans ce contexte particulièrement diffus qu'il convient de situer l'arrêt du 25 septembre 2003, par lequel la Cour de cassation a annulé le règlement adopté le 22 janvier 2003 par l'Orde van Vlaamse balies en matière de collaboration interprofessionnelle [16], [17]
7.Pour rappel, dans cette affaire, le recours, exercé en application des articles 510 et 611 du Code judiciaire, dans les deux mois de la notification du règlement litigieux au procureur général près la Cour de cassation, était essentiellement fondé sur la violation de l'article 81, paragraphe 1, du traité CE. Se référant à l'interprétation de cette disposition dégagée par la Cour de justice dans l'arrêt Wouters, le procureur général entendait dénoncer le caractère trop général de l'interdiction figurant dans le règlement querellé. Celui- ci prohibait, en effet, toutes les formes de collaboration entre avocats membres des barreaux flamands et toute personne extérieure à la profession, quel que soit par ailleurs le degré d'intégration des structures en cause (les formes les plus souples de coopération étant également visées). Manifestement, la restriction de concurrence découlant de ce régime excédait ce que l'ordre avait pu raisonnablement considérer comme nécessaire pour garantir le bon exercice de la profession d'avocat. Pour des motifs que nous examinerons de plus près dans le présent article, la cour a, en grande partie, suivi le raisonnement de son procureur général.
8.Cet arrêt de la Cour de cassation, qui constitue, à notre connaissance, une 'première' européenne en ce que la cour y fait une application des principes dégagés par la Cour de justice dans l'arrêt Wouters, nous fournit l'occasion de tenter une synthèse des principes qui gouvernent l'applicabilité et l'application du droit de la concurrence aux réglementations adoptées par les ordres professionnels. Nous soulignons d'emblée que l'objet de la présente contribution n'est pas de susciter une énième polémique sur tel ou tel aspect de la jurisprudence nationale ou communautaire. Il s'agit uniquement d'essayer, en s'écartant des élans souvent passionnés qui ont caractérisé ce débat, de décrire l'état du droit tel qu'il semble se dégager de l'abondante jurisprudence nationale et européenne et en particulier de l'arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2003. Ainsi que le lecteur s'en apercevra rapidement, cet exercice de style se rapproche souvent de l'équilibrisme tant les divergences de point de vue abondent sur ce sujet délicat.
B. | Applicabilité du droit de la concurrence aux réglementations ordinales |
9.Pour éclairer la démarche de la Cour de cassation, il nous paraît opportun de préciser, d'abord, les critères dégagés par la Cour de justice en matière d'applicabilité des règles de concurrence aux réglementations adoptées par les ordres professionnels. À cette fin, il convient d'examiner successivement le champ d'application personnel et le champ d'application matériel de l'article 81, paragraphe 1, CE. Le premier permettra de déterminer sous quelles conditions un ordre professionnel peut être qualifié d'association d'entreprises. Le second visera à vérifier dans quelle mesure une réglementation adoptée par un ordre professionnel est de nature à restreindre le jeu de la concurrence et à affecter le commerce entre États membres.
10.Nous veillerons, dans ce contexte, à appliquer les critères dégagés aux principaux ordres de professions libérales organisés par la loi belge [18] et épinglerons, le cas échéant, la jurisprudence nationale relative à la loi du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique coordonnée le 1er juillet 1999 [19].
1. | Le champ d'application personnel |
1.1. La notion d'entreprise |
11.Il n'y a pas lieu de s'attarder sur la question de savoir si les professions libérales constituent des entreprises au sens du droit de la concurrence. Ainsi que le constate la Cour de cassation dans son arrêt du 25 septembre 2003, les critères dégagés par la Cour de justice appellent en effet une réponse incontestablement positive [20], à condition . toutefois que les titulaires de professions libérales exercent leur activité en qualité d'indépendants (personnes physiques ou morales), et non dans les liens d'un contrat de travail. Un avocat salarié (hypothèse jusqu'ici inconnue du droit belge, mais admise notamment en France et aux Pays-Bas) ne pourrait en effet revêtir la qualité d'entreprise [21].
1.2. La notion d'association d'entreprises |
12.Plus délicate est en revanche l'étape suivante du raisonnement consistant à déterminer si et dans quelle mesure les réglementations adoptées par les ordres peuvent être considérées comme des 'décisions d'associations d'entreprises' et/ou des règles adoptées sur la base d'une délégation illégale au sens de la jurisprudence Van Eycke [22].
13.Confrontés à une jurisprudence parfois difficile à 'décoder', nous proposons la grille d'analyse suivante, en nous appuyant sur les principaux arrêts de la Cour de justice: en premier lieu, il s'agit de vérifier si l'activité de l'ordre professionnel relève, en tant que telle, du droit de la concurrence (ci-dessous 1.2.1.). Ensuite, il convient de déterminer si et dans quelle mesure l'ordre dispose d'un pouvoir normatif (ci-dessous 1.2.2.). Enfin, il faut examiner si, dans l'exercice de ce pouvoir normatif, l'ordre agit comme une association d'entreprises ou comme une autorité publique (ci-dessous 1.2.3.).
1.2.1. Le principe de dissociation des activités |
14.Face à une réglementation adoptée par un ordre professionnel qui, à première vue, porte atteinte à la concurrence, il faut préalablement cerner à quel type d'activité de l'ordre elle se rattache.
15.Il convient, en particulier, de vérifier si l'activité exercée par l'ordre est de nature économique ou s'il s'agit plutôt d'une fonction détachable, qui, par sa nature et son objet, est étrangère à la sphère des échanges économiques ou se rattache à l'exercice de prérogatives de puissance publique. Dans ces deux dernières hypothèses en effet, les initiatives de l'ordre seront soustraites au champ d'application du droit de la concurrence [23], qui n'appréhende en principe que les activités économiques (voir ci-dessus la notion d'entreprise). À cet égard, il est intéressant de noter que, dans son arrêt du 25 septembre 2003, la Cour de cassation a indiqué que l'exercice de prérogatives de puissance publique par un ordre professionnel pouvait notamment prendre la forme d'une réglementation des services publics minimaux garantis par l'article 23 de la Constitution tels que le droit à l'aide médicale et juridique.
16.Il y a toutefois lieu d'attirer l'attention des praticiens sur le fait que, dans la mesure où ces hypothèses permettent de soustraire certaines activités au champ d'application du droit de la concurrence, elles sont d'interprétation stricte. Ainsi, dans son arrêt Pavlov, la cour a souligné que le seul fait qu'un fonds de pension poursuive une finalité sociale et que son fonctionnement soit caractérisé par des éléments de solidarité ne suffisent pas à le soustraire au champ d'application du droit de la concurrence s'il est établi que l'activité de ce fonds constitue, en tant que telle, une activité économique [24]. Quant à l'exclusion relative à l'exercice de prérogatives de puissance publique, un parallèle peut à notre avis être établi avec l'exception prévue à l'article 45 CE, selon laquelle les activités relatives à l'exercice de l'autorité publique sont exclues du champ d'application des dispositions relatives à la liberté d'établissement et, par le biais de l'article 55 CE, de celles relatives à la libre prestation de services. Or, dans l'arrêt Reyners, la Cour de justice a clairement indiqué que cette exception était d'interprétation stricte [25].
1.2.2 L'existence et l'étendue des pouvoirs normatifs de l'ordre professionnel |
17.Dès lors qu'il est établi que l'activité exercée par l'ordre professionnel ne relève pas des exceptions susvisées, il convient, ensuite, de déterminer si et dans quelle mesure l'ordre dispose d'un pouvoir normatif propre. Cette question doit être examinée avant même de vérifier si, en adoptant une réglementation, l'ordre agit en tant qu'association d'entreprises ou comme autorité publique. En effet, dans les deux cas de figure qui seront examinés ci-dessous, le règlement en cause ne relèvera pas, en tant que tel, du champ d'application du droit de la concurrence quand bien même l'application des critères définis par la Cour de justice démontrerait que l'ordre professionnel a adopté ce règlement en tant qu'association d'entreprises.
18.Le premier cas de figure concerne la situation où l'État conserve le pouvoir de décision en dernier ressort. Le deuxième vise la situation où l'ordre se voit imposer l'adoption d'une réglementation ayant des effets restrictifs sur la concurrence.
a) L'État conserve son pouvoir de décision en dernier ressort |
19.Dans ce cas de figure, l'État n'a, en réalité, pas délégué de pouvoirs réglementaires à l'ordre professionnel mais a seulement demandé à ce dernier d'élaborer un projet de mesures sur un sujet particulier. Une situation de ce type a été identifiée, pour la première fois, dans l'arrêt Arduino dans lequel la Cour de justice était invitée à se prononcer sur l'incidence d'une confirmation par l'autorité publique d'un barème d'honoraires élaboré par l'ordre national des avocats en Italie. Relevant qu'en vertu de la législation italienne, le Conseil national de l'ordre italien des avocats (ci-après 'CNF') n'est investi que du pouvoir d'établir un projet qui, pour acquérir force obligatoire, doit être approuvé par le ministre et que, dans l'exercice de ce pouvoir, le ministre doit au préalable recueillir l'avis de deux organes publics, elle a considéré que le fait que l'État italien ait prescrit au CNF d'élaborer un projet de tarif n'a pas eu pour effet de priver le tarif finalement établi de son caractère de réglementation étatique [26], [27].
20.Il est essentiel de souligner que l'arrêt Arduino ne saurait, en aucun cas, soutenir la conclusion que, dès lors qu'un projet de mesures établi par un ordre professionnel est approuvé par une autorité étatique, la réglementation ordinale qui en résulte échappe automatiquement au champ d'application du droit de la concurrence. En effet, seule une analyse précise et au cas par cas des pouvoirs dont dispose l'État dans le cadre de l'approbation du projet de mesures et de sa mise en oeuvre permet de déterminer les cas où cette jurisprudence est applicable.
21.Ainsi, c'est uniquement parce que, dans le cas d'espèce à la base de l'arrêt Arduino, 'il [n'apparaissait] pas que l'État italien [avait] renoncé à son pouvoir de décision en dernier ressort ou à contrôler la mise en oeuvre du tarif', que la Cour de justice est arrivée à la conclusion que ce tarif échappe au champ d'application de l'article 81, paragraphe 1, CE. Dans l'arrêt du 18 juin 1998 dans l'affaire des expéditeurs en douane, la cour est d'ailleurs arrivée à la conclusion inverse s'agissant du tarif que le conseil national des expéditeurs en douane (ci-après 'CNSD') avait élaboré sur demande des pouvoirs publics. Après avoir relevé que le CNSD disposait d'un pouvoir normatif propre pour fixer un tarif uniforme et obligatoire pour tous les expéditeurs en douane, elle a, en effet, considéré que, en adoptant ce tarif, le CNSD a enfreint l'article 81, paragraphe 1, CE. En outre,elle a constaté qu'en approuvant par décret le tarif établi par le CNSD, en dehors de toute nécessité légale quant à son entrée en vigueur, l'État italien avait contribué à renforcer les effets d'une entente en violation des articles 10 et 81 CE en 'lui conférant l'apparence d'une réglementation étatique' [28].
22.Nous observons que l'application de ces principes aux codes de déontologie élaborés en Belgique par l'Ordre des pharmaciens et l'Ordre des architectes pose des difficultés particulières. Dans les deux cas, ces codes peuvent en effet être rendus obligatoires par arrêté royal [29]. Or, l'on peut se demander si l'arrêté royal en question renforce les effets d'une entente sur le contenu de laquelle il n'a aucune prise ou si, au contraire, son intervention (potentielle) suffit à conclure qu'aucun pouvoir réglementaire n'a été délégué aux ordres en cause de sorte que l'ensemble de la réglementation ordinale adoptée par ces ordres conserve, comme dans l'arrêt Arduino, un caractère étatique.
23.Il nous semble que, compte tenu de l'intervention facultative de l'arrêté royal et des spécificités de la déontologie des professions libérales, deux phases doivent être distinguées en ce qui concerne l'applicabilité éventuelle du droit de la concurrence. Avant l'intervention de l'arrêté royal, dès lors que le Code de déontologie constitue à tout le moins un avis du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens ou de celui des architectes qui peut influencer (mais non lier) les juridictions disciplinaires [30] et, partant, les professionnels concernés, une entente susceptible d'affecter la concurrence, au même titre que les barèmes indicatifs adoptés d'initiative par les ordres [31], peut, à nos yeux, être détectée au regard de l'article 81, paragraphe 1, du traité CE. En revanche, après l'intervention de l'arrêté royal, si le Roi peut refuser de conférer force obligatoire au code pour des motifs d'intérêt général et s'il peut être démontré qu'il exerce réellement cette prérogative, le Code de déontologie revêtira alors le caractère d'une réglementation étatique et échappera pour cette raison au droit de la concurrence. En revanche, si l'intervention de l'arrêté royal s'avère purement formelle, il y aura, le cas échéant, violation des articles 10 et 81 du traité CE. Compte tenu des pouvoirs limités du Roi, qui exerce sa compétence en dehors de toute consultation d'organismes publics, et de la sanction purement formelle que constitue l'arrêté royal en question [32], il nous semble que c'est plutôt cette deuxième hypothèse qui doit être retenue. Nous observons d'ailleurs que la Cour de cassation n'a pas hésité à appliquer le droit de la concurrence à des interdits déontologiques émanant de l'Ordre des pharmaciens [33].
24.Enfin, nous soulignons que cette problématique ne concerne pas les ordres habilités à édicter, en dehors de toute sanction étatique, des normes déontologiques directement obligatoires. Tel est le cas notamment des Ordres communautaires des avocats et du Conseil national de l'Ordre des médecins vétérinaires, investis d'un pouvoir réglementaire propre [34]. À leur égard, il conviendra uniquement de vérifier si, dans l'adoption de ces normes, ces ordres agissent en tant qu'association d'entreprises ou en tant qu'autorité publique (voir ci-dessous) [35].
b) L'État impose à l'ordre d'adopter une mesure |
25.Le deuxième cas de figure où, malgré son impact (potentiel) sur la liberté d'action des professionnels, un règlement adopté par un ordre professionnel échappe au champ d'application du droit de la concurrence est celui où l'État impose à l'Ordre d'adopter une mesure ayant des effets restrictifs sur la concurrence [36].
26.Il convient, toutefois, de souligner que seule l'exclusion radicale de toute marge de manoeuvre dans le chef de l'ordre professionnel en cause permettra à celui-ci d'échapper, pour des motifs de non-imputabilité, à l'application du droit de la concurrence. En pratique, il faut qu'un comportement précis lui soit imposé par la loi pour que l'intervention du législateur l'exonère de toute responsabilité personnelle. Dans les autres hypothèses, une violation combinée des articles 10 et 81 du traité CE, d'une part, et de l'article 81, d'autre part, sera retenue, respectivement à charge de l'État et de l'association d'entreprises [37].
27.La Cour de justice vient en outre de rappeler très récemment qu'elle appréciait cette condition de manière extrêmement restrictive [38]. La moindre marge de manoeuvre résiduelle dans le chef de l'ordre, permettant l'adoption de comportements autonomes d'entreprises, suffit en effet à enclencher l'application du droit de la concurrence. À titre d'illustration, dans les arrêts de la Cour de justice et du Tribunal de première instance CE relatifs aux expéditeurs en douane [39], le CNSD s'était vu confier la tâche d'établir le tarif des prestations professionnelles des expéditeurs en douane. En dépit de l'objet relativement précis de la délégation légale [40], le droit de la concurrence a néanmoins été déclaré applicable en raison de la marge de manoeuvre très large dont disposait l'organisme professionnel dans l'exécution de sa mission [41].
28.En pratique, il s'avère que les cas où le législateur édicte lui-même certains interdits déontologiques et impose directement aux titulaires de professions libérales des comportements susceptibles de restreindre la concurrence sont particulièrement rares [42]. Le plus souvent, il procède par voie de délégation relativement générale au bénéfice de l'Ordre qu'il institue. Celui-ci est alors investi du pouvoir d'adopter des règlements aux fins de veiller à l'honneur et à la dignité de la profession [43]. C'est dans ce contexte précis que se pose la question de savoir si, en adoptant de tels règlements, l'ordre professionnel agit en tant qu'association d'entreprises ou en tant qu'autorité publique.
1.2.3 L'adoption d'un règlement en tant qu'association d'entreprises ou en tant qu'autorité publique |
29.À titre liminaire, il convient de rappeler que l'attribution par la loi d'un pouvoir réglementaire et/ou disciplinaire à un ordre professionnel est sans incidence sur sa qualification en tant qu'association d'entreprises [44]. Une conclusion identique s'impose en ce qui concerne le statut de droit public d'un ordre [45].
30.Ensuite, afin de déterminer si, en adoptant un règlement, un ordre agit comme une association d'entreprises ou comme une autorité publique, il y a lieu d'appliquer un double critère: il convient de tenir compte, d'une part, de la composition de l'ordre professionnel lorsqu'il adopte le règlement et, d'autre part, de l'existence de critères d'intérêt général définis par la loi que l'ordre est tenu d'observer dans le cadre de l'exercice de ses pouvoirs normatifs [46].
31.À notre avis, ces deux critères sont cumulatifs et jouent de manière inversement proportionnelle. Ainsi, plus la composition de l'ordre professionnel revêt un caractère public et fait place à d'autres intérêts que ceux de la profession, moins les critères d'intérêt général à respecter dans l'élaboration de la norme doivent être formulés de manière précise. En revanche, si la composition est purement privée, seul un comportement précis imposé par le législateur pourra, à nos yeux, échapper à l'emprise du droit de la concurrence, surtout s'il affecte directement la structure du marché. Toute marge de manoeuvre risque en effet d'être exploitée par l'ordre pour privilégier les intérêts de la profession dont elle émane.
32.En outre, nous soulignons que seule une analyse précise et au cas par cas de la situation de chaque ordre permettra de déterminer si, en fonction des deux critères dégagés par la Cour de justice, un ordre doit être considéré comme agissant en tant qu'association d'entreprises ou en tant qu'autorité publique.
33.En ce qui concerne le critère de la composition, il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice que, pour qu'une entité ne soit pas qualifiée d'association d'entreprises, il faut que ses membres puissent être qualifiés d'experts indépendants [47]. Tel sera le cas si, dans le cadre de leurs fonctions, ces membres n'agissent pas exclusivement en tant que représentants des intérêts de la profession à laquelle ils appartiennent mais également en tant que représentants des intérêts des autres secteurs économiques, des autres professions et plus généralement de l'intérêt général. En revanche, si l'organe décisionnel d'un ordre professionnel en cause est composé exclusivement de membres de la profession, il y aura une présomption que ses membres agiront d'abord dans l'intérêt de leur profession et, partant, que, en adoptant des règlements, l'ordre se comporte comme une association d'entreprises [48]. Il convient d'ajouter que le seul fait que certains membres de cet organe sont nommés par les pouvoirs publics ne fait pas obstacle à l'application des règles de concurrence s'il s'avère que les membres ont été désignés sur proposition de leurs pairs et se comportent, non comme des experts indépendants, mais comme les représentants des intérêts catégoriels en cause [49].
34.Si l'on applique ces principes aux ordres professionnels en Belgique, il semble difficilement contestable que la composition de l'Orde van Vlaamse balies et de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone ainsi que de leurs organes décisionnels plaide en faveur de la conclusion qu'il s'agit d'associations d'entreprises [50]. En effet, seuls les avocats sont susceptibles de devenir membres de ces organisations, sans que les autorités publiques puissent intervenir dans la composition de leurs organes [51]. Une conclusion similaire s'impose en ce qui concerne l'Ordre des pharmaciens et l'Ordre des médecins vétérinaires [52]. En revanche, la situation est un peu moins claire dans le cas des architectes dans la mesure où le Roi nomme un certain nombre de membres au sein du Conseil national de l'Ordre aux fins d'assurer la représentation d'autres aspects ou composantes de la profession, et notamment les architectes fonctionnaires ou agents des services publics [53].
35.Le deuxième critère qui permet de distinguer, parmi les règlements adoptés par les ordres, ceux qui traduisent des comportements d'associations d'entreprises et ceux qui s'inscrivent plutôt dans les agissements d'une autorité publique nécessairement soucieuse de l'intérêt général, concerne l'existence de critères d'intérêt public définis par la loi que l'ordre est tenu d'observer dans le cadre de l'exercice de ses pouvoirs normatifs. Ainsi qu'il a été souligné ci-dessus, ces critères doivent être définis de manière suffisamment claire et précise pour pouvoir assurer que l'ordre adopte ses règlements en les prenant en considération. Des normes trop larges ou trop imprécises, telle par exemple l'exigence d'adopter les règlements 'dans l'intérêt de l'exercice correct de la profession', ne permettront pas de satisfaire à ce critère [54]. En outre, même si les critères sont suffisamment précis, encore faut-il que les autorités publiques soient réellement en mesure de contrôler leur respect par l'ordre. Cela peut se faire notamment par le biais d'une tutelle de substitution [55].
Nous observons, toutefois, que la possibilité d'introduire un recours en annulation a posteriori, telle qu'agencée par le droit belge à l'encontre des décisions des ordres, ne semble pas suffire pour échapper à l'applicabilité du droit de la concurrence [56], [57]
36.En guise de conclusion, il nous semble que, compte tenu de la composition relativement homogène de la plupart des ordres professionnels en Belgique et de l'absence de critères d'intérêt public suffisamment précis, ces organisations peuvent être qualifiées d'associations d'entreprises au sens du droit de la concurrence lorsqu'elles font usage des pouvoirs normatifs qui leur ont été dévolus par l'État.
2. | Le champ d'application matériel |
2.1. La restriction de concurrence |
37.Pour qu'une règle adoptée par un ordre professionnel soit susceptible de tomber dans le champ d'application de l'article 81, paragraphe 1, CE, il est, par ailleurs, requis qu'elle ait 'pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun'.
38.Nous observons, à cet égard, qu'il sera généralement difficile de démontrer que l'objectif poursuivi par une règle déontologique est uniquement ou principalement de restreindre la concurrence. En conséquence, l'appréciation de cette condition portera surtout sur les effets que la règle en cause est susceptible de produire sur le jeu de la concurrence. En pareil cas, l'accord sera considéré comme interdit lorsqu'il apparaît qu'il est susceptible de restreindre la concurrence de façon sensible [58]. Nous rappelons, en outre, que le critère général pour apprécier si un accord a pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence consiste à examiner quel aurait été le jeu de la concurrence dans le cadre du marché considéré en l'absence de l'accord en question [59].
39.Il est évident que l'exigence qu'une règle déontologique ait un objet ou effet restrictif de la concurrence permet, à elle seule, d'écarter l'application du droit de la concurrence à la plupart des règles déontologiques. En effet, bon nombre de ces règles n'ont que peu ou pas d'effets sur la liberté d'action économique des membres d'une profession et tendent uniquement à assurer le respect des principes essentiels (dignité, courtoisie, indépendance, secret professionnel, etc.) qui la caractérisent par rapport aux autres professions [60]
40.Il n'est dès lors pas étonnant que, dans la pratique décisionnelle des autorités de la concurrence ainsi que dans la jurisprudence nationale et communautaire, seul un nombre limité de règles déontologiques ont été qualifiées de restriction de concurrence au sens de l'article 81 CE et/ou de l'article 2 de la loi sur la protection de la concurrence économique. Il s'agit principalement de règles prévoyant l'application de tarifs minimaux [61] et/ou maximaux [62], de règles interdisant (totalement ou partiellement) certaines formes de publicité [63], de règles interdisant toute forme de sollicitation active des anciens clients d'un autre membre de l'organisation [64] ou encore de règles interdisant toutes les formes de collaboration interprofessionnelle [65] ou seulement certaines d'entre elles [66].
41.Toutefois, même pour ces règles, toute tentative de généralisation doit être écartée. La jurisprudence enseigne, en effet, que les effets (même potentiellement) restrictifs d'une règle déontologique doivent être examinés au cas par cas [67]. Tout dépend en effet du contexte économique et juridique dans lequel il convient de situer la règle en cause et de la nature du service ainsi que de la structure et des conditions réelles du fonctionnement du marché concerné [68]. Ainsi, le fait que les effets restrictifs d'une règle aient été reconnus pour une profession dans un pays A ne signifie pas nécessairement qu'une règle de portée identique sera considérée comme ayant de tels effets pour cette même profession dans un pays B. De même, l'appréciation d'une même règle appliquée à deux professions différentes est susceptible d'aboutir à des résultats différents. Ainsi qu'il sera souligné ci-dessous, cette obligation d'apprécier, au cas par cas, les effets restrictifs des règles déontologiques revêt une importance d'autant plus grande lorsqu'il s'agit d'analyser si ces effets ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteinte de la mission confiée à l'ordre concerné.
42.Enfin, il convient de souligner que, dans le cadre de l'examen des effets restrictifs d'une règle déontologique, il n'y a pas lieu de procéder à une mise en balance des effets pro- et anticoncurrentiels de la règle en cause. En effet, bien que, dans ses conclusions sous l'arrêt Wouters, l'avocat général Léger ait fait valoir que certains arrêts de la cour pouvaient être interprétés comme une application limitée de cette méthode d'analyse développée par les juridictions américaines et plus connue sous le nom de 'rule of reason' [69], la cour ne semble pas l'avoir suivi dans cette analyse [70]. Elle a, en revanche, développé une règle de raison d'une portée totalement différente (voir ci-dessous). Nous observons, d'ailleurs, que, dans l'arrêt M6 e.a./Commission, le Tribunal de première instance CE a clairement rejeté l'existence d'une 'rule of reason' de type américain en droit communautaire de la concurrence [71].
2.2 L'affectation du commerce entre États membres |
43.Enfin, il faut encore que la restriction de concurrence soit susceptible d'affecter le commerce entre États membres. Cette condition ne suscite pas de difficultés particulières, dès lors que la réglementation ordinale en cause s'étend à l'ensemble du territoire d'un État membre ou à une partie importante de celui-ci. Dans cette hypothèse en effet, la Cour de justice rappelle avec constance qu'une entente qui s'étend à l'ensemble du territoire d'un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité CE [72]. L'incidence est d'autant plus sensible si la réglementation s'applique également aux avocats visiteurs inscrits au barreau d'un autre État membre [73]. En revanche, pour les règlements adoptés par les ordres locaux [74], seul l'article 2 de la loi du 5 août 1991 trouvera à s'appliquer en raison de l'incidence géographiquement limitée de ces règlements.
C. | Application du droit de la concurrence aux réglementations ordinales |
1. | Les solutions classiques |
44.Jusqu'au prononcé de l'arrêt de la Cour de justice dans l'affaire Wouters, il semblait acquis que, dès lors qu'une réglementation adoptée par un ordre professionnel satisfaisait aux conditions prévues à l'article 81, paragraphe 1, CE, elle était automatiquement frappée d'interdiction sauf à bénéficier d'une exemption au titre de l'article 81, paragraphe 3, du traité CE.
45.Pour rappel, cette disposition permet de déclarer l'interdiction prévue au paragraphe 1 de l'article 81 du traité CE inapplicable à tout accord d'entreprises ou toute décision d'association d'entreprises qui contribuent à améliorer la production ou la distribution de produits ou de services ou à promouvoir le progrès technique ou économique tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte. Les restrictions exemptées doivent, en outre, être indispensables pour atteindre l'objectif visé et ne pas avoir pour effet d'éliminer entièrement la concurrence sur le marché concerné.
46.Si certains ont critiqué le caractère trop économique et partant inadapté de l'exception prévue à l'article 81, paragraphe 3, du traité CE pour appréhender la philosophie qui anime les règles déontologiques des professions libérales [75], il nous semble qu'une interprétation plus souple des conditions d'application de cette disposition permet aisément de répondre à ces objections. Il apparaît d'ailleurs que c'est dans cette voie que se sont engagées la Cour de justice et la Commission européenne lesquelles, à diverses reprises, ont admis que des objectifs non économiques pouvaient être invoqués pour justifier des restrictions dans le cadre de cette disposition [76].
47.La décision de la Commission dans l'affaire des mandataires agréés en brevets illustre d'ailleurs assez utilement la possibilité d'appliquer, de manière raisonnable, l'exception prévue à l'article 81, paragraphe 3, CE à des règles déontologiques, c'est-à-dire en tenant compte de la particularité de ces règles. Nous rappelons, en effet, que, dans cette décision, la Commission a fait application de cette disposition afin d'exempter les dispositions relatives à l'interdiction totale de publicité comparative et de sollicitation active de clientèle qui étaient prévues dans le Code de conduite de l'Institut des mandataires agréés en brevets [77]. Selon elle, les conditions d'exemption étaient satisfaites dans la mesure où le maintien de ces restrictions pendant une période transitoire était indispensable afin d'éviter une confusion dans l'esprit des consommateurs 'laquelle aurait été susceptible de nuire à l'image de ces professionnels participant à l'oeuvre de la justice' [78]. Cette approche a, par la suite, été validée par le Tribunal de première instance CE dans un arrêt du 28 mars 2001 [79].
48.Une certaine doctrine s'est, par ailleurs, interrogée sur la possibilité de faire bénéficier les ordres professionnels de l'exemption prévue à l'article 86, paragraphe 2, CE. Selon cette disposition, les entreprises qui sont investies d'une mission d'intérêt économique général ne sont soumises aux règles de concurrence que 'dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie'. Or, d'après ces auteurs, l'on pourrait éventuellement considérer que, en confiant aux ordres professionnels des pouvoirs réglementaires afin d'assurer le bon exercice de certaines professions libérales, les législateurs nationaux ont investi ces organisations d'une mission d'intérêt économique général au sens de cet article [80]. L'avantage de cette solution résiderait dans le fait que, tout en n'excluant pas a priori, une application des règles de concurrence, elle permettrait néanmoins d'appréhender l'essence même des ordres professionnels tout en condamnant les restrictions de concurrence les plus graves qui seraient adoptées par ces derniers [81]
2. | La règle de raison de type Wouter et son application |
49.Aucune des solutions classiques décrites ci-dessus n'a toutefois été retenue par la Cour de justice dans son arrêt de principe dans l'affaire Wouters.
50.Au point 97 de cet arrêt, la cour a, en effet, énoncé ce que, aux fins de la présente contribution, nous qualifierons comme étant la règle de raison de type Wouters: 'tout accord entre entreprises ou toute décision d'une association d'entreprises qui restreignent la liberté d'action des parties ou de l'une d'elles ne tombent pas nécessairement sous le coup de l'interdiction édictée à l'article [81], paragraphe 1, du traité. En effet, aux fins de l'application de cette disposition à un cas d'espèce, il y a lieu tout d'abord de tenir compte du contexte global dans lequel la décision de l'association d'entreprises en cause a été prise ou déploie ses effets, et plus particulièrement de ses objectifs, liés en l'occurrence à la nécessité de concevoir des règles d'organisation, de qualification, de déontologie, de contrôle et de responsabilité, qui procurent la nécessaire garantie d'intégrité et d'expérience aux consommateurs finaux des services juridiques et à la bonne administration de la justice [...]. Il convient ensuite d'examiner si les effets restrictifs de la concurrence qui en découlent sont inhérents à la poursuite desdits objectifs'.
51.Cette règle de raison d'un genre nouveau [82] n'est pas sans susciter de multiples interrogations. Toutefois, fidèles au cadre d'analyse annoncé dans la partie introductive, nous nous limiterons, dans le cadre de la présente note, à en tirer un certain nombre d'enseignements et cela, en particulier, au vu de son application par la Cour de cassation dans l'arrêt du 25 septembre 2003. Cet arrêt se révèle d'ailleurs d'autant plus intéressant que la Cour de cassation y examine une règle déontologique ayant une teneur similaire à celle qui était en cause dans l'arrêt Wouters puisqu'il s'agissait également d'une interdiction de collaboration entre des avocats et des membres d'une autre profession. Une comparaison du raisonnement suivi par les deux juridictions nous paraît dès lors fort opportune.
52.Un premier enseignement qui peut être tiré de ces deux arrêts concerne la nature du contrôle à effectuer au titre de la règle de raison de type Wouters.
53.Ce contrôle s'opère essentiellement en deux temps. Dans un premier temps, il s'agit d'examiner la règle déontologique dans son cadre global, ce qui revient principalement à identifier les objectifs essentiels que, conformément à la mission qui lui a été confiée par le législateur national, l'ordre professionnel a voulu atteindre en adoptant cette règle. Ensuite, il convient de vérifier si les effets restrictifs qui résultent de la règle adoptée par l'ordre sont inhérents à l'atteinte de ces objectifs.
54.En ce qui concerne la première branche du test (examen du contexte global), la Cour de justice souligne d'emblée que, en l'absence d'une harmonisation des règles relatives à l'accès et l'exercice de la profession visée (en l'espèce, la profession d'avocat), chaque pays demeure libre de réglementer cette profession sur son territoire [83]. Cette précision est importante puisqu'elle implique que le droit communautaire ne s'oppose pas à ce qu'un pays définisse la profession en cause selon certains principes essentiels qui ne correspondent pas nécessairement à ceux qui régissent cette profession dans un autre État membre. Il en résulte implicitement que l'appréciation qui est faite de la compatibilité d'une règle déontologique avec le droit de la concurrence peut varier d'un pays à l'autre [84].
55.Cette précision étant faite, il convient, ensuite, d'identifier le mode de régulation qui a été choisi par le législateur national pour assurer le bon exercice de la profession concernée et les principes essentiels qui la gouvernent (la déontologie).
56.Une lecture combinée de l'arrêt de la Cour de justice et de celui de la Cour de cassation permet, à cet égard, de constater que la situation aux Pays-Bas et en Belgique est . assez comparable en ce qui concerne la profession d'avocat. En effet, dans les deux pays, le législateur a opté pour l'autorégulation en confiant aux ordres des avocats le pouvoir d'adopter les règles essentielles permettant d'assurer le bon exercice de cette profession [85]. Cette compétence a d'ailleurs été reconnue tant par la Cour d'arbitrage que par la Cour de cassation [86]. La situation est également similaire quant aux règles essentielles adoptées à cet effet par les ordres belges et néerlandais. Dans ces deux États, il est, en effet, prévu que '[l'avocat] a le devoir de défendre son client en toute indépendance et dans l'intérêt exclusif de celui-ci, [le devoir] d'éviter tout risque de conflit d'intérêts ainsi que le devoir de respecter un strict secret professionnel' [87]. Cette similitude quant à la mission impartie aux ordres et quant aux règles essentielles adoptées à cet égard par ces organisations permet aisément de comprendre que, dans les deux arrêts, les juridictions aboutissent à la conclusion que, notamment en raison des potentiels conflits d'intérêts, certaines formes de collaboration professionnelle entre des avocats et des non- avocats peuvent être incompatibles avec les principes essentiels de cette profession [88].
57.Une fois déterminé le 'contexte global dans lequel [la règle déontologique] a été prise et déploie ses effets' [89], c'est- à-dire, dans le cas de la profession d'avocat, la mission impartie aux ordres en termes de respect des règles essentielles, il convient, ensuite, d'examiner dans quelle mesure les effets restrictifs qui résultent de cette règle sont inhérents à l'atteinte de cette mission [90], [91]. En particulier, il s'agit de vérifier si ces effets ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la mission dont l'ordre est investi par le législateur national, à savoir garantir le bon exercice de la profession par le respect des exigences déontologiques essentielles qui caractérisent cette profession. Formulé de manière négative, ce test consiste à examiner si, pour faire face à une pratique ou un comportement qui est susceptible de constituer une menace pour le respect des exigences déontologiques par les membres d'une profession et, partant, pour le bon exercice de cette profession, il n'est pas possible d'adopter des règles ayant des effets moins restrictifs sur la concurrence.
58.Lorsque l'on examine l'application de cette seconde branche de la règle de raison dans l'arrêt Wouters, d'une part, et dans l'arrêt du 25 septembre 2003, d'autre part, il peut paraître surprenant de constater que les deux juridictions arrivent à des conclusions différentes, alors même que les règles déontologiques soumises à leur censure avaient, à première vue, une portée relativement similaire. En effet, alors que la Cour de justice estime que les effets restrictifs de l'interdiction de collaboration intégrée entre avocats et experts-comptables édictée par l'Ordre néerlandais des avocats ne semblent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer le bon exercice de la profession d'avocat dans ce pays, la Cour de cassation conclut, en revanche, que les effets restrictifs de l'interdiction de collaboration prévue dans le règlement adoptée par l'Orde van Vlaamse balies dépassent ce qui est nécessaire pour assurer la mission qui a été confiée à cette organisation par le législateur belge. Elle se fonde, à cet égard, sur la constatation que, d'une part, cette interdiction concerne toute forme de collaboration avec quelque type de profession que ce soit et, d'autre part, aucune dérogation n'est admise, même lorsque, sur le plan national, l'application de l'interdiction risque de déboucher sur la dissolution de certaines associations en raison de divergence des réglementations entre les deux communautés ou lorsque, sur le plan européen, elle rend impossible la concurrence avec des associations opérant dans des pays voisins dans lesquels la réglementation en matière de collaboration entre avocats et titulaires d'autres professions libérales est plus souple.
59.Ce résultat s'explique toutefois par l'existence de différences manifestes entre les deux réglementations examinées. En effet, contrairement au règlement adopté par l'Ordre néerlandais qui ne visait que les collaborations intégrées entre des avocats et des experts-comptables, le règlement adopté par l'Orde van Vlaamse balies interdisait toute forme de collaboration avec quelque type de profession que ce soit. Il nous semble évident que la portée très générale de cette dernière réglementation ne justifiait pas une transposition telle quelle de l'appréciation de la Cour de justice dans l'arrêt Wouters. Cela confirme, en outre, que, ainsi que souligné plus haut, l'application des règles de concurrence aux réglementations déontologiques ne se satisfait pas de généralisations mais requiert une analyse au cas par cas.
60.Il nous semble, par ailleurs, que la divergence de points de vue entre les deux juridictions s'explique également par une différence dans l'intensité du contrôle. En effet, alors que la Cour de justice n'examine que, de manière marginale, si l'ordre 'a pu considérer raisonnablement' que les effets restrictifs résultant du règlement litigieux étaient nécessaires et proportionnés pour l'atteinte de la mission impartie à cet organisme [92], le contrôle effectué par la Cour de cassation est beaucoup plus intense. Cette dernière ne se limite, en effet, pas à un examen général mais analyse concrètement si, par sa portée et ses effets, le règlement litigieux ne va pas au- delà de ce qui est nécessaire pour assurer la mission impartie à l'ordre en vertu de l'article 495 du Code judiciaire. Cette attitude nous semble justifiée. En effet, si l'application de la nouvelle approche qui est développée dans l'arrêt Wouters peut paraître légitime pour appréhender, à leur juste valeur, les règles adoptées par les ordres professionnels, encore faut- il que cette application se fasse de manière constante. Le test de la proportionnalité de la mesure en cause revêt, à cet égard, un intérêt essentiel et doit être appliqué de manière conséquente. Or, il nous semble difficilement contestable qu'une interdiction totale de collaboration interprofessionnelle constitue une restriction de la liberté d'action des avocats qui va bien au-delà de ce qui est nécessaire pour faire face aux dangers que recèle un tel mode d'exercice de la profession notamment en termes de conflits d'intérêts.
61.Cet examen des tenants et aboutissants de la règle de raison qui a été développée par la Cour de justice dans l'arrêt Wouters ainsi que de son application par la Cour de cassation nous amène à formuler un certain nombre d'observations.
62.En premier lieu, nous relevons que le contrôle effectué dans le cadre de la nouvelle approche n'est, en fin de compte, pas très différent de celui qui est opéré dans le cadre d'analyse de l'exception prévue à l'article 81, paragraphe 3, CE. En effet, ainsi qu'il a été souligné ci-dessus, une lecture souple de cette disposition permet d'exempter un accord ou une décision d'association d'entreprises ayant des effets restrictifs s'il peut être démontré qu'elle produit des effets bénéfiques (notamment pour les consommateurs) et que ces effets restrictifs sur la concurrence sont indispensables pour réaliser un objectif qui ne doit pas nécessairement être économique. Dans ces circonstances, l'on peut se demander s'il n'est pas préférable de recourir à cette solution qui trouve un fondement explicite dans le traité plutôt qu'à une règle de raison dont le champ d'application et le fondement normatif demeurent incertains. Cette conclusion s'impose d'autant plus que, avec l'entrée en vigueur prochaine du règlement n° 1/2003 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité CE [93], les principaux obstacles [94] à une application utile de l'article 81, paragraphe 3, CE aux règles déontologiques auront disparu. En effet, d'une part, l'obligation de notification des accords restrictifs à la Commission européenne ne sera plus de mise. D'autre part, cette institution perdra sa compétence exclusive d'application de l'article 81, paragraphe 3, CE, au profit des juridictions et autorités de la concurrence nationales qui pourront désormais l'appliquer directement aux accords et décisions d'association d'entreprises soumis à leur contrôle.
63.Ensuite, il est intéressant de noter que, dans le cadre de la règle de raison de type Wouters, les effets restrictifs d'une règle déontologique doivent être mesurés à l'aune de la mission confiée à l'ordre professionnel: si ces effets ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer cette mission, il n'y a pas d'infraction à l'article 81, paragraphe 1, CE, et vice versa. Il en résulte que, réduite à sa plus simple expression, cette approche consiste en réalité à vérifier si, en adoptant la règle litigieuse, l'ordre professionnel a respecté les limites des pouvoirs normatifs qui lui ont été délégués par l'État. Elle s'apparente ainsi à un contrôle de type administratif du respect des limites de la délégation. À notre avis, il s'agit là d'une conséquence logique du raisonnement adopté par la Cour de justice aux fins de la qualification d'un ordre professionnel en tant qu'association d'entreprises (voir ci-dessus). En effet, dans le cadre de ce raisonnement, nous avons constaté qu'il convient de rechercher si et sous quelles conditions l'État a délégué certains pouvoirs normatifs à l'ordre. Une fois établi que l'ordre peut, à cet égard, être qualifié d'association d'entreprises, l'étape suivante consiste à déterminer si les règles adoptées par cet ordre constituent des décisions d'association d'entreprises prohibées par l'article 81, paragraphe 1, CE. Ainsi qu'il a été souligné plus haut, tel ne sera le cas que si ces décisions ont des effets restrictifs qui dépassent manifestement les pouvoirs que l'État a délégués aux ordres.
64.En dernier lieu, il nous paraît utile d'attirer l'attention sur un problème délicat qui est mis en exergue par la Cour de cassation dans le cadre de son examen de la nécessité des effets restrictifs du règlement litigieux adopté par l'Orde van Vlaamse balies. La cour observe, en effet, que ce règlement ne prévoit aucune dérogation à l'interdiction de collaboration interprofessionnelle, même lorsque, sur le plan national, son application risque de déboucher sur la dissolution de certaines associations en raison de divergence des réglementations entre les deux communautés ou lorsque, sur le plan européen, elle rend impossible la concurrence avec des associations d'avocats établies dans des pays voisins dans lesquels la réglementation en matière de collaboration entre avocats et titulaires d'autres professions libérales est plus souple. Le problème qui est soulevé dans cet attendu est celui de la coexistence entre l'application de règles déontologiques différentes dans les États membres ou leurs régions, d'une part, et le développement de liens d'association entre avocats qui dépassent les frontières de ces États et régions, d'autre part. Ainsi, à titre d'illustration, l'on peut se demander si un avocat qui est établi dans un État membre ou une région A où une certaine pratique est interdite par sa déontologie agit en violation de celle-ci en s'associant avec un avocat établi dans un État membre ou une région B où cette pratique n'est pas interdite? Nous observons, d'ailleurs, que cette question ne se limite pas au seul cadre d'analyse du droit de la concurrence, mais se pose également au titre de la libre prestation de services et la liberté d'établissement. Elle s'avère d'autant plus épineuse que la directive 98/5 sur l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise [95], tend précisément à favoriser l'exercice en groupe de la profession d'avocat à l'intérieur de l'Union [96]. À notre avis, la solution la plus appropriée à ce genre de problème réside dans une coordination des règles déontologiques litigieuses au niveau européen [97]. À cet égard, l'adoption d'un 'Code de déontologie des avocats de l'Union européenne' par le Conseil des barreaux de l'Union européenne constitue assurément une initiative louable, même si elle n'est pas sans susciter certaines interrogations [98].
D. | Conclusion |
65.Il ressort des développements qui précèdent que l'application du droit de la concurrence aux réglementations adoptées par les ordres professionnels repose sur un équilibre précaire: d'une part, il s'agit d'éviter que ce droit ne porte atteinte aux nombreux avantages que procure l'autonomie de régulation dont disposent les ordres professionnels notamment en termes de flexibilité normative et d'organisation optimale de la profession; d'autre part, il faut éviter que, dans le cadre de l'exercice de leurs pouvoirs normatifs, les ordres n'aillent au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer le bon exercice de la profession en adoptant des règles qui restreignent exagérément la concurrence entre les membres d'une profession [99].
Il nous semble que, par l'application qu'elle a faite des principes dégagés par la Cour de justice dans l'arrêt Wouters dans son arrêt du 25 septembre 2003, la Cour de cassation a su respecter cet équilibre.
En effet, tout en confirmant que la collaboration entre les avocats et les membres d'autres professions peut, dans certains cas, aboutir à des situations contraires à la déontologie de cette profession, elle n'en a pas moins sanctionné le règlement arrêté par l'Orde van Vlaamse balies en raison de sa portée trop générale. En d'autres termes, la cour ne semble pas exclure l'adoption de règles visant à limiter ou à interdire certaines formes de collaboration interprofessionnelle lorsqu'il est suffisamment établi que ces règles s'avèrent nécessaires pour assurer le respect de la déontologie. En revanche, elle s'oppose fermement à tout ce qui va au-delà de cette mission. À cet égard, il est d'ailleurs intéressant d'observer que le procureur général auprès de la Cour de cassation n'a pas usé de son droit de recours pour demander l'annulation du règlement adopté le 26 juin 2003 par l'Ordre des barreaux francophones et germanophone lequel prohibe seulement les formes d'exercice intégré entre des avocats et des non-avocats. Cela semble indiquer que, à tout le moins selon le procureur général, cette réglementation ne va pas au-delà de la mission confiée à cet ordre.
66.Par ailleurs, il nous semble que l'arrêt du 25 septembre 2003 démontre, à suffisance, que l'application du droit de la concurrence aux règles déontologiques ne constitue pas, en soi, un obstacle au bon fonctionnement des ordres professionnels, voire une hérésie, comme bon nombre de ses détracteurs ont pu l'affirmer.
En effet, d'une part, il semble désormais établi que l'interdiction prévue à l'article 81, paragraphe 1, CE et à l'article 2, paragraphe 1, de la loi belge ne vise que les règles déontologiques dont les atteintes à la concurrence sont les plus sérieuses. La vaste majorité des règles déontologiques n'est dès lors pas concernée par cette interdiction. D'autre part et de manière plus fondamentale, l'application du droit de la concurrence en tant que norme de contrôle de la délégation de pouvoirs normatifs aux ordres professionnels a in fine pour conséquence de recentrer l'activité de ces organisations sur ce qui constitue l'essence même de leur mission, à savoir assurer le bon exercice d'une profession [100].
67.Enfin, il serait injuste de conclure la présente contribution sans faire état de l'initiative lancée, en mars 2003, par la direction générale de la concurrence de la Commission européenne [101]. Cette initiative, qui se fonde sur les résultats d'une étude réalisée par l'Institut für Höhere Studien de Vienne achevée début 2003 [102], vise à examiner les obstacles de type réglementaire qui affectent encore la concurrence au sein des professions libérales et à évaluer si ces règles, qu'elles émanent des pouvoirs publics ou d'organisations professionnelles, continuent de remplir le but légitime d'une protection de l'intérêt public. Les résultats de cette enquête seront publiés dans un rapport sur les professions libérales dont la parution est annoncée pour l'année 2004 [103]
68.À notre avis, les ordres professionnels ne devraient toutefois attendre de connaître les mesures préconisées par la Commission européenne pour entamer, au plus vite, une réflexion approfondie sur la nécessité de maintenir certaines règles ayant des effets restrictifs graves sur la concurrence. Le fait que la Commission n'ait pas hésité à adresser, en novembre 2003, une communication des griefs à l'Ordre des architectes en raison du maintien par cet ordre d'un barème indicatif des honoraires minimaux, semble d'ailleurs indiquer qu'il y a urgence en la matière.
[1] | Les opinions défendues dans le présent article le sont à titre strictement personnel. |
[2] | Référendaire au Tribunal de première instance CE. |
[3] | Assistante à l'Université de Liège. Avocat au barreau de Liège. |
[4] | Avocat au barreau de Liège. |
[5] | C.D. Ehlermann, 'Concurrence et professions libérales: antagonisme ou compatibilité?', R.M.C.U.E. 1993, n° 365, p. 136. |
[6] | C.D. Ehlermann, précité, p. 143. |
[7] | C.D. Ehlermann, précité, p. 140; voir également L. Idot, 'Quelques réflexions sur l'application du droit communautaire de la concurrence aux ordres professionnels', J.T.D.E. 1997, p. 73, spéc. point 13. |
[8] | À titre d'exemples: décisions du conseil mixte d'appel d'expression française de l'Ordre des médecins vétérinaires, en cause de Vandeweerd, datant respectivement du 1er décembre 2001 (violation de l'interdiction de publicité) et du 4 mai 2002 (engagement de collaborateurs sans rédaction d'un contrat écrit). |
[9] | Voir, à ce sujet, notamment l'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 14 novembre 1996, Ordre des architectes/État belge, M.B. 26 novembre 1996, avec note D. Putzeys, R.D.C. 1997, p. 66; les arrêts de la Cour d'arbitrage du 30 avril 1997, Tambue/Ordre national des avocats de Belgique, R.D.C. 1997, p. 573, avec note K. Platteau et du 28 janvier 2003, Arnould e.a./État belge; arrêt de la Cour de cassation du 7 mai 1999, Belde/Ordre des pharmaciens, R.D.C. 1999, p. 490, avec note H. Nyssens; Trib. Liège 1er février 2002, non publié, avec note P. de Bandt, R.D.C. 2002, p. 497. |
[10] | Décision du Conseil de la concurrence du 31 octobre 1995, Clarysse/Ordre des architectes; décisions du Conseil de la concurrence n° 2001-V/M-55 du 3 octobre 2001 et n° 2002-V/M-01 du 8 janvier 2002, en cause de Tambue/Conseil des avocats du barreau d'Arlon et Ordre national des avocats. |
[11] | Outre les nombreuses notes publiées sous les arrêts mentionnés à la note de bas de page n° 6, nous nous référons aux articles suivants: L. Misson et F. Baert, 'Les barèmes d'honoraires des avocats sont-ils illégaux?', J.T. 1995, p. 485; S. Leonard et J.-P. Vergauwe, 'Les barèmes d'honoraires des architectes sont-ils condamnés?', J.L.M.B. 1996, p. 266; A.-M. Van Den Bossche, 'Voor economische vrijheid en mededingingsrecht: hoe vrij is de plichtenleer in het beperken van de economische keuzevrijheid van vrije beroepers?', T.P.R. 2000, p. 13; H. Nyssens, 'Concurrence et ordre professionnels: les trompettes de Jéricho sonnent-elles?', R.D.C. 1999, p. 475. |
[12] | Décision de la Commission 93/438/CE du 30 juin 1993, CNSD, JO 1993, L 203, p. 17 (expéditeurs en douane); décision de la Commission 95/188/CE du 30 janvier 1995, C.O.A.P.I., JO 2 juin 1995, L 122, p. 37 (agents de la propriété industrielle); décision de la Commission 1999/267/CE du 7 avril 1999, Code de conduite de l'IMA (EPI), JO 23 avril 1999, L 106, p. 14 (agents agréés en brevets). |
[13] | Arrêt de la cour du 18 juin 1998, Commission/Italie, C-35/96, Rec., p. I-3851 (ci-après 'arrêt CNSD'). |
[14] | Arrêts de la cour du 19 février 2002, Wouters e.a., C-309/99, Rec., p. I-1577, et Arduino, C-35/99, Rec., p. I-1529. Parmi les très nombreux commentaires de ces arrêts nous nous permettons de citer en particulier: L. De Falque, 'L'application des règles de concurrence aux réglementations des ordres professionnels', J.T. 2002, pp. 457-460 ; L. Idot, 'Avocats et droit de la concurrence: la rencontre a eu lieu', Europe mai 2002, p. 5; M. Kilian, 'Europäisches Kartellrecht und nationales Satzungsrecht berufsautonomer Körperschaften', Wettbewerb und Praxis 2002, pp. 802-810; M.R. Mok, Ondernemingsrecht 2002, pp. 154-155; P. Schlosser, 'From Freedom of Establishment to European Competition Law', The European Legal Forum 2002, pp. 94-101; A.-M. Van Den Bossche, 'Over de krachten van kleine muizen', Nederlands Tijdschrift voor Europees Recht 2002, pp. 123-125; J.W. Van Den Gronden en K.J.M. Mortelmans, 'Wouters: is het beroep van advocaat een aparte tak van sport?', Ars Aequi 2002, pp. 450-465; A. Vossenstein, C.M.L.R. 2002, pp. 841-863. |
[15] | Arrêts du tribunal du 30 mars 2000, Consiglio Nazionale degli Spedizionieri Doganali/Commission, T-513/93, Rec., p. II-1807, et du 28 mars 2001, Institut des mandataires agréés/Commission, T-144/99, Rec., p. II-1087, avec note P. de Bandt, R.D.C. 2002, p. 100. |
[16] | Un extrait de cet arrêt est publié dans ce numéro de la R.D.C. |
[17] | Ce règlement a été notifié à la Commission européenne conformément aux artt. 2 et 4 du règlement n° 17/62 (JO 3 septembre 2003, C 207, p. 22). |
[18] | Nous avons choisi, dans le cadre de la présente contribution, de limiter notre examen aux instances ordinales des architectes, pharmaciens, avocats et médecins vétérinaires. |
[19] | Nous rappelons que les concepts évoqués dans cette loi doivent s'interpréter à la lumière de la jurisprudence communautaire (Doc. parl. Ch. repr., sess. 1989-90, 1282/1, p. 5). |
[20] | Dans l'arrêt Wouters, la Cour de justice a en effet appliqué sa définition de l'entreprise aux avocats inscrits aux Pays-Bas, pour conclure qu'ils exercent une activité économique et, partant, constituent des entreprises au sens des artt. 85, 86 et 90 du traité, sans que la nature complexe et technique des services qu'ils fournissent et la circonstance que l'exercice de leur profession est réglementé soient de nature à modifier une telle conclusion (point 49 de l'arrêt Wouters). Dans l'arrêt du 25 septembre 2003, la Cour de cassation a reproduit le même raisonnement: en ce qu'ils offrent, contre rémunération, des services d'assistance juridique consistant dans la préparation d'avis, de contrats ou d'autres actes ainsi que dans la représentation et la défense en justice et assument eux-mêmes les risques financiers afférents à l'exercice de ces activités, les avocats, membres des barreaux appartenant à l'Orde van Vlaamse balies, constituent incontestablement des entreprises au sens de l'art. 81 du traité CE. |
[21] | Voir les conclusions de l'avocat général Jacobs sous l'arrêt Pavlov, précité, point 52. Voir également, en ce sens, arrêt de la cour du 16 septembre 1999, Becu e.a., C-22/98, Rec., p. I-5665. |
[22] | Selon cette jurisprudence, il y a une violation des artt. 10 et 81 CE lorsqu'un État membre soit impose ou favorise la conclusion d'ententes contraires à l'art. 81 CE ou renforce les effets de telles ententes, soit retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d'intervention d'intérêt économique (voir notamment arrêts de la cour du 21 septembre 1988, Van Eycke, 257/86, Rec., p. 4769, point 16, du 17 novembre 1993, Bundesanstalt für den Güterfernverkehr/Reiff, C-185/91, Rec., p. I-5801, point 14, du 9 juin 1994, Allemagne/Delta Schiffahrts- und Speditionsgesellschaft, C-153/93, Rec., p. I-2517, point 14, du 5 octobre 1995, Centro Servizi Spediporto/Spedizioni Marittima del Golfo, C-96/94, Rec., p. I-2883, point 21, et arrêt Arduino, précité, point 35). |
[23] | Pour des exemples d'activités qui, par leur nature et leur objet, sont étrangères à la sphère des échanges économiques, voir notamment l'arrêt de la cour du 17 février 1993, Poucet et Pistre/AGF et Cancava, C-159/91 et C-160/91, Rec., p. I-637 (gestion du service public de la sécurité sociale), et les arrêts du 21 septembre 1999, Albany, C-67/96, Rec., p. I-5751, point 64, du 21 septembre 1999, Brentjens', C-115/97 à C-117/97, Rec., p. I-6025, du 21 septembre 1999, Drijvende Bokken, C-219/97, Rec., p. I-6121, point 51 (accords conclus dans le cadre de négociations collectives entre partenaires sociaux destinés à améliorer les conditions d'emploi). Pour des exemples d'application de l'exception relative à l'exercice de prérogatives de puissance publique, voir notamment arrêts de la cour du 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft/Eurocontrol, C-364/92, Rec., p. I-43, point 30 (contrôle et police de l'espace aérien) et du 18 mars 1997, Calì & Figli/Servizi Ecologici Porto di Genova, C-343/95, Rec., p. I-1547, points 22 et 23 (surveillance antipollution de l'environnement maritime). |
[24] | Arrêt de la cour du 12 septembre 2000, Pavlov e.a., C-180/98 à C-184/98, Rec., p. I-6451. |
[25] | Arrêt de la cour du 21 juin 1974, 2/74, Reyners, Rec., p. 631, points 43 et 55. Il est intéressant de rappeler que, dans cet arrêt, la cour a, par ailleurs, précisé que les activités les plus typiques de la profession d'avocat (la consultation et l'assistance juridique ainsi que la représentation et défense en justice) ne constituent pas une participation à l'exercice de l'autorité publique. |
[26] | Pour une analyse critique de cet arrêt, voir L. Idot, 'Avocats et droit de la concurrence: la rencontre a eu lieu...', précité, et L. Defalque, 'L'application des règles de concurrence aux réglementations des ordres professionnels', précité. |
[27] | Il est à noter que, avant d'examiner si l'État italien avait ou non renoncé à son pouvoir de décision en dernier ressort, la cour était déjà parvenue à la conclusion que, dans l'élaboration du projet de tarif, le CNF ne s'était pas comporté comme un 'démembrement de la puissance publique oeuvrant à des fins d'intérêt général'. Partant, si, contrairement au présent cas d'espèce, il s'était avéré que l'État italien avait renoncé à son pouvoir de décision en dernier ressort, la Cour de justice aurait vraisemblablement dû qualifier l'élaboration du tarif par le CNF de 'décision d'association d'entreprises'. |
[28] | Point 59 de l'arrêt CNSD: '[...] si aucune disposition légale ou réglementaire ne confère au ministre des Finances le pouvoir d'approuver le tarif, il n'en reste pas moins que le décret du ministre des Finances du 6 juillet 1988 a conféré au tarif l'apparence d'une réglementation publique'. |
[29] | Art. 15, par. 1, de l'arrêté royal n° 80 du 10 novembre 1967 relatif à l'Ordre des pharmaciens et art. 39 de la loi du 26 juin 1963 créant un Ordre des architectes. |
[30] | Cass. 17 mars 1978, Rev. dr. pén. novembre 1982, p. 899 et note; Cass. 19 juin 1980, Pas. 1980, I, p. 1297. |
[31] | L. Misson et F. Baert, précité. Dans ce contexte, il est d'ailleurs intéressant de noter que, par un communiqué de presse du 5 novembre 2003, la Commission européenne a annoncé qu'elle a adressé à l'Ordre des architectes de Belgique une communication des griefs relatifs au barème d'honoraires minimums indicatif de cet ordre. Selon la Commission, ce barème pourrait constituer une violation des règles de concurrence en raison du fait qu'il est susceptible d'instaurer un seuil de prix empêchant les opérateurs performants d'exercer une concurrence par les prix et que, étant fixé à un pourcentage du prix des travaux de construction ou rénovation, il ne reflète pas suffisamment les qualifications des architectes. |
[32] | Cette compétence n'est pas assortie, comme telle, de la possibilité de faire amender le projet par l'ordre. À titre de complétude, nous soulignons toutefois que, en ce qui concerne les architectes, les raisons du refus d'approbation doivent être communiquées au Conseil national, dans les trois mois de sa demande, par le ministre des Classes moyennes (art. 39, al. 2, de la loi du 26 juin 1963 créant un Ordre des architectes). |
[33] | Cass. 7 mai 1999, précité, et Cass. 25 février 2000, Pas. 2000, I, p. 144. |
[34] | Voir, en ce qui concerne les avocats, l'art. 496 du Code judiciaire et pour les vétérinaires, l'art. 11 de la loi du 19 décembre 1950 créant l'Ordre des médecins vétérinaires. |
[35] | Selon les termes repris au point 39 de l'arrêt Arduino, précité. |
[36] | Arrêt de la cour du 11 novembre 1997, Commission et France/Ladbroke Racing, C-359/95 P et C-379/95 P, Rec., p. I-6265, point 33. Nous soulignons toutefois que, si, en vertu de cette jurisprudence, le règlement restrictif de concurrence adopté par l'ordre ne relèvera pas de l'interdiction énoncée à l'art. 81, paragraphe 1, CE, il sera, en revanche, possible d'invoquer l'illégalité de la réglementation étatique qui impose l'adoption de ce règlement. Une telle réglementation constitue en effet une violation de l'obligation pesant sur les États membres en vertu des artt. 10 et 81 CE de ne pas prendre ou maintenir des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises (arrêt Van Eycke, précité, point 16). Cette obligation subsiste même lorsqu'une violation des artt. 81 et 82 CE ne peut pas être reprochée aux entreprises (arrêt du 9 septembre 2003, Consorzio Industrie Fiammiferi e.a., C-198/01, non encore publiée au Recueil (ci-après 'arrêt CIF'), point 51). |
[37] | Voir, à cet égard, H. Nyssens, précité, pp. 484 et 485. |
[38] | Arrêt CIF, précité, point 67. |
[39] | Arrêt CNSD, précité; arrêt du tribunal du 30 mars 2000, Consiglio Nazionale degli Spedizionieri Doganali/Commission, T-513/93, Rec., p. II-1807. |
[40] | Conformément à la loi italienne, le CNSD était chargé d'établir le tarif des prestations professionnelles des expéditeurs en douane sur la base des propositions des conseils départementaux. |
[41] | Jouissant d'une certaine marge d'appréciation, le CNSD aurait pu et dû utiliser celle-ci de manière à ne pas restreindre davantage la concurrence existante. |
[42] | Les tarifications obligatoires qui sont applicables dans le secteur médical peuvent constituer une illustration d'une réglementation imposée. À cet égard, il est d'ailleurs intéressant de comparer l'art. 18 de l'arrêté royal n° 79 du 10 novembre 1967 relatif à l'Ordre des médecins selon lequel toute convention entre praticiens ou avec des tiers, en rapport avec la profession médicale et tendant à procurer un profit est prohibée, avec l'art. 15, par. 1, de l'arrêté royal n° 80 du 10 novembre 1967 relatif à l'Ordre des pharmaciens qui habilite le Conseil national à édicter, s'il y a lieu, pareille interdiction dans le cadre du Code de déontologie des pharmaciens. |
[43] | En ce qui concerne les avocats: l'art. 495 du Code judiciaire confère à l'Ordre des barreaux francophones et germanophone et à l'Orde van Vlaamse balies des compétences en matière d'aide juridique, de stage, de formation professionnelle des avocats stagiaires et de formation de tous les avocats appartenant aux barreaux qui en font partie et prévoit que cette compétence doit s'exercer dans le cadre de la 'mission de veiller à l'honneur, aux droits et aux intérêts professionnels communs de leurs membres'. Voir également les artt. 5 et 11 de la loi du 19 décembre 1950 créant l'Ordre des médecins vétérinaires, les artt. 2 et 38-1° de la loi du 26 juin 1963 créant un Ordre des architectes et l'art. 15, par. 1, de l'arrêté royal n° 80 du 10 novembre 1967 relatif à l'Ordre des pharmaciens. |
[44] | Arrêt Pavlov, précité, points 84 et 87. Conclusions de l'avocat général Léger sous l'arrêt Wouters, précité, point 78. |
[45] | Dans l'arrêt du 30 janvier 1985, BNIC/Clair (123/83, Rec., p. 391, point 17), la Cour de justice a en effet considéré que 'le cadre juridique dans lequel s'effectue la conclusion de tels accords et sont prises de telles décisions ainsi que la qualification juridique donnée à ce cadre par les différents ordres juridiques nationaux sont sans incidence sur l'applicabilité des règles communautaires de concurrence, et notamment de l'article [81] du Traité'. Voir également l'arrêt CNSD, précité, point 40 et l'arrêt Pavlov, précité, point 85. |
[46] | Dans l'arrêt Arduino, précité, la cour a en effet considéré que, 'parmi les modalités procédurales et prescriptions de fond susceptibles d'assurer, avec une probabilité raisonnable, que l'ordre professionnel se comporte dans l'adoption de la mesure incriminée comme un démembrement de la puissance publique oeuvrant à des fins d'intérêt général' figurent, d'une part, le fait que 'les membres de l'organisation professionnelle peuvent être qualifiés d'experts indépendants des opérateurs économiques concernés' (critère de la composition) et, d'autre part, qu'ils sont tenus, par la loi, d'adopter les réglementations en cause 'en prenant en considération non pas seulement les intérêts des entreprises ou des associations d'entreprises du secteur qui les a désignés, mais aussi l'intérêt général et les intérêts des entreprises des autres secteurs ou des usagers des services en question' (critère de l'intérêt général). Ces deux critères ont également été mis en oeuvre par la Cour de justice dans l'arrêt Wouters, précité, afin d'apprécier si la réglementation en cause dans cette affaire constituait une décision d'association d'entreprises (voir les points 61 et 62). |
[47] | Arrêt CNSD, précité, point 30. |
[48] | Arrêt CNSD, précité, point 42 (les membres du CNSD doivent être des expéditeurs en douane). |
[49] | Arrêt BNIC/Clair, précité, point 19. |
[50] | Voir, en ce sens, en ce qui concerne l'Orde van Vlaamse balies, l'arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2003 qui se réfère au fait que, conformément à l'art. 495 du Code judiciaire, l'ordre est formé de barreaux composés exclusivement d'avocats. |
[51] | Sous réserve toutefois d'une ratification par le Roi, après avis du procureur général près la Cour de cassation, du règlement d'ordre intérieur des ordres communautaires, lequel doit notamment préciser la composition et le mode de désignation des membres de l'assemblée générale et du conseil d'administration (artt. 488 à 491 du Code judiciaire). |
[52] | Voir, en ce sens, l'arrêt de la Cour de cassation du 7 mai 1999, précité, et la décision du conseil mixte d'appel d'expression française de l'Ordre des médecins vétérinaires en cause de Vandeweerd du 1er décembre 2001. Certains membres pharmaciens du Conseil national de l'Ordre sont cependant nommés par le Roi sur proposition des facultés de médecine (instituts de pharmacie): art. 14, par. 1, 2° de l'arrêté royal n° 80 relatif à l'Ordre des pharmaciens. Une représentation des écoles (ou facultés) vétérinaires est également assurée au sein du Conseil supérieur de l'Ordre des médecins vétérinaires (art. 11 de la loi du 19 décembre 1950 créant l'Ordre des médecins vétérinaires). |
[53] | Il s'agit, en particulier, de la représentation, à côté des professionnels élus par leurs pairs, d'inspecteurs et enseignants architectes des écoles d'architecture, de professeurs d'universités, ingénieurs architectes et ingénieurs civils des constructions, d'architectes fonctionnaires ou agents des services publics (art. 34 de la loi du 26 juin 1963 créant un Ordre des architectes). Nous observons, toutefois, que, à première vue, ces membres semblent être une émanation du milieu professionnel concerné que rien dans la législation n'empêche d'agir dans l'intérêt exclusif de celui-ci. |
[54] | Arrêt Wouters, précité, point 62. |
[55] | Arrêt Reiff, précité, point 22; arrêt CIF, précité, point 78. |
[56] | Point 74 des conclusions de l'avocat général Léger sous l'arrêt Wouters, précité. |
[57] | Il convient de rappeler que, à l'exception des recours en annulation dirigés contre les règlements adoptés par les ordres communautaires des avocats lesquels sont du ressort exclusif de la Cour de cassation, les recours en annulation dirigés contre les règlements adoptés par les ordres des autres professions libérales sont du ressort du Conseil d'État (voir, à cet égard, l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 28 janvier 2003, points B.12 et s.). |
[58] | Voir notamment l'arrêt Pavlov, précité, points 94 à 97. |
[59] | Arrêt du 30 juin 1966, Société Technique Minière, 56/65, Rec., p. 337. |
[60] | P. de Bandt, précité, R.D.C. 2002, p. 101. Pour une illustration, voir l'appréciation de la Commission quant à l'absence de caractère restrictif de concurrence de la quasi-totalité des dispositions du Code de conduite de l'IMA (points 28 à 38 de la décision IMA, précitée). |
[61] | Décision COAPI, précitée, point 37. |
[62] | Décision CNSD, précitée, point 45. |
[63] | Décision IMA, précitée, point 39; Cass. 7 mai 1999, précité. |
[64] | Décision IMA, précitée, point 37. |
[65] | Cass. 25 septembre 2003, précité. |
[66] | Arrêt Wouters, précité, points 86 à . 96. |
[67] | Voir, en ce sens, arrêt IMA, précité, point 65. |
[68] | Arrêt de la cour du 12 décembre 1995, Oude Luttikhuis e.a./Verenigde Coöperatieve Melkindustrie Coberco, C-399/93, Rec., p. I-4515, point 10. |
[69] | Conclusions de l'avocat général Léger sous l'arrêt Wouters, précité, point 103. |
[70] | Il nous semble en effet que l'analyse des effets restrictifs qui est faite par la Cour de justice ne constitue pas une réelle analyse des effets pro- et anticoncurrentiels de la réglementation en cause, mais vise plutôt à déterminer si cette réglementation a des effets sensibles (pour une analyse similaire, voir l'arrêt Pavlov, précité, points 94 à 97). |
[71] | Arrêt du tribunal du 18 septembre 2001, M6 e.a./Commission, T-112/99, Rec., p. II-2459, points 72 à 78. |
[72] | Arrêts du 17 octobre 1972, Vereniging van cementhandelaren/Commission, 8/72, Rec., p. 977, point 29, du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42/84, Rec., p. 2542, point 22; arrêt CNSD, précité, point 48 et arrêt Wouters, précité, point 95. |
[73] | Arrêt Wouters, précité, point 96. |
[74] | En ce qui concerne les avocats, il s'agit en particulier des règlements d'application prévus à l'art. 499 du Code judiciaire. |
[75] | L. Idot, 'Quelques réflexions...', précité, point 49. |
[76] | Voir notamment les exemples cités au point 193 des conclusions de l'avocat général Jacobs sous l'arrêt Albany, précité. |
[77] | Décision IMA, précitée, points 46 et s. |
[78] | Décision IMA, précitée, point 46. |
[79] | Arrêt IMA, précité, points 128 à 132. |
[80] | L. Idot, 'Quelques réflexions...', précité, points 57 et s. Il est à noter que, dans ses conclusions sous l'arrêt Wouters, l'avocat général Léger a soutenu que, plutôt que l'Ordre des avocats, ce sont les avocats eux-mêmes qui seraient investis d'une mission économique d'intérêt général (points 167 et s. des conclusions). |
[81] | L. Idot, 'Quelques réflexions...', précité, point 59. |
[82] | Selon nous, cette règle est un mélange (assez surprenant) entre la jurisprudence de la Cour de justice relative aux restrictions inhérentes (voir ci-dessous) et la règle de raison développée par la même cour dans le cadre de la libre prestation des services et de la liberté d'établissement. Il s'agit d'une règle de raison d'un genre jusqu'alors inconnu dans la jurisprudence de la Cour de justice. Voir, en ce sens, J.W. Van Der Gronden et K.J.M. Mortelmans, précité, point 17, M. Kilian, précité, p. 804. |
[83] | Arrêt Wouters, précité, point 99. |
[84] | À cet égard, il est d'ailleurs intéressant de noter que, au point 104 de l'arrêt Wouters, la cour a observé que, contrairement à la situation qui prévaut en Allemagne, aux Pays-Bas les experts-comptables ne sont pas soumis à un secret professionnel comparable à celui de l'avocat. Cette précision, qui a valeur d'obiter dictum, a été interprétée par certains auteurs comme justifiant la situation allemande où les collaborations interprofessionnelles entre avocats et experts-comptables sont autorisées (sous des conditions strictes). Voir, en ce sens, M. Kilian, précité, pp. 804-805. |
[85] | En Belgique, l'art. 495 du Code judiciaire prévoit en effet que les deux ordres communautaires créés par la loi du 4 juillet 2001 ont pour 'mission de veiller à l'honneur, aux droits et aux intérêts professionnels communs de leurs membres'. Aux Pays-Bas, l'art. 28 de l'Advocatenwet a confié à l'Ordre néerlandais des avocats une compétence réglementaire afin d'assurer 'l'exercice correct de la profession d'avocat'. |
[86] | Dans son arrêt du 30 avril 1997 (précité), la Cour d'arbitrage a entendu préserver les règles essentielles du barreau. Elle semble également admettre l'adoption par les ordres de pratiques restrictives de concurrence justifiées par la nécessité de garantir l'indépendance des avocats, d'assurer la qualité de leurs services ou de faire respecter leur déontologie (points B.7.1 et B.7.2). La Cour de cassation a, de manière similaire, réservé l'hypothèse de limitations de la concurrence qui seraient nécessaires au maintien des règles fondamentales de la profession (Cass. 7 mai 1999 et Cass. 25 février 2000, précités). |
[87] | Point 100 de l'arrêt Wouters; quatrième attendu du point 3 de l'arrêt de la Cour de cassation. |
[88] | Points 104-105 de l'arrêt Wouters; point 3, cinquième attendu de l'arrêt de la Cour de cassation. |
[89] | Arrêt Wouters, précité, point 97. |
[90] | Cette approche est empruntée à une certaine jurisprudence de la cour en matière de droit de la concurrence (voir, notamment, arrêt de la cour du 15 décembre 1994, Gøttrup-Klim e.a. Grovvareforeninger/Dansk Landbrugs Grovvareselskab, C-250/92, Rec., p. I-5641, points 28 à 45). Selon cette jurisprudence, pour échapper à l'interdiction édictée à l'art. 81, par. 1, CE, une restriction de concurrence doit être limitée à ce qui est nécessaire afin d'assurer la réalisation d'un objectif déterminé. |
[91] | Il est à noter que, dans l'arrêt du 25 septembre 2003, la Cour de cassation n'examine pas formellement si les restrictions sont inhérentes à la réalisation de la mission confiée à l'ordre. Cette circonstance est néanmoins sans conséquence pour son analyse puisque, en substance, la cour examine également si les effets restrictifs de la concurrence qui résultent du règlement litigieux ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour la poursuite de cet objectif. |
[92] | Point 107 de l'arrêt Wouters. Voir également les passages suivants qui témoignent du caractère marginal du contrôle effectué: 'il n'apparaît pas que les effets restrictifs de concurrence [...] aillent au-delà de ce qui est nécessaire' (point 109); '[...], l'ordre néerlandais des avocats n'enfreint pas l'article [81], paragraphe 1, du traité, étant donné que cet ordre a pu raisonnablement considérer que ladite réglementation [...] s'avère nécessaire au bon exercice de la profession d'avocat telle qu'elle est organisée dans l'État membre concerné'. |
[93] | JO 4 janvier 2003, L 1, p. 1. Pour un commentaire de ce règlement: H. Nyssens, 'Le règlement 1/2003 CE: vers une décentralisation et privatisation du droit de la concurrence', R.D.C. 2003, pp. 286-294. |
[94] | Voir, en cet égard, H. Nyssens, 'Concurrence et ordres professionnels...', précité, p. 486. |
[95] | Directive 98/5/CE du 16 février 1998, du Parlement européen et Conseil, visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise, JO 14 mars 1998, L 77, p. 36. |
[96] | Voir, en particulier, les art. 11 et 12 de la directive. Nous observons toutefois que l'article 11, § 5, de la directive fournit une solution en cas de conflit entre les règles déontologiques de deux Etats membres relatives aux collaborations interprofessionnelles: dans ce cas, ce sont les règles de l'Etat membre d'accueil qui priment. |
[97] | Voir, en ce sens, P. de Bandt, 'La libre circulation des avocats à l'aube d'une nouvelle ère', à paraître en janvier 2004 dans Liber Amicorum Jean- Pierre de Bandt, éd. Bruylant. |
[98] | L'on peut, en effet, se demander si, en tant qu'association représentant les intérêts des barreaux des États membres de l'Union européenne lesquels sont susceptibles d'être qualifiés d'association d'entreprises au sens de l'art. 81, par. 1, CE (voir ci-dessus), une qualification similaire ne s'impose pas en ce qui concerne le CCBE (notamment lorsqu'il adopte ou modifie le Code de déontologie). |
[99] | Voir, en ce sens, les conclusions de l'avocat général Jacobs sous l'arrêt Pavlov, précité, point 92. |
[100] | A.-M. Van Den Bossche, 'Voor economische vrijheid...', précité, point 64. |
[101] | Cette initiative est décrite dans un document de travail publié par la Commission en mars 2003. Le texte de ce document ainsi qu'un grand nombre de commentaires et discours relatifs à la problématique du droit de la concurrence et des professions libérales figurent sur le site de la direction générale de la concurrence de la Commission européenne à l'adresse suivante: http://europa.eu.int//comm/competition/liberalization/conference/libprofconference.htm. |
[102] | Le rapport de cette étude est également publié sur le site internet de la direction générale de la concurrence de la commission européenne; voir également l'étude de l'OCDE sur la concurrence dans le domaine des services professionnels finalisé en 2001: le rapport d'étude est publié intégralement sur le site de l'OCDE (voir également sur cette étude: OCDE, Journal of Competition Law and Policy 2002, n° 4, article intitulé 'Competition in Professional Services', pp. 56 à 57). |
[103] | Discours prononcé par M. Monti à l'occasion d'une conférence sur les réglementations professionnelles qui a eu lieu à Bruxelles le 28 octobre 2003. |