Cour de cassation 6 février 2004
PRATIQUES DU COMMERCE
Publicité - Action en cessation - Responsabilité en cascade
L'ordre de cessation qui peut être prononcé sur la base de l'article 27, alinéa 2, de la LPCC à charge de celui qui a contribué sciemment à ce que la publicité produise son effet ne doit pas viser ses actes de participation à la publicité litigieuse mais bien la cessation de cette publicité.
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HANDELSPRAKTIJKEN
Reclame - Vordering tot staking - Getrapte verantwoordelijkheid
Het bevel tot staking dat op grond van artikel 27, 2° lid, WHPC kan worden uitgesproken ten laste van degene die bewust ertoe heeft bijgedragen dat de reclame uitwerking heeft, moet geen melding maken van de wijze waarop hij tot de litigieuze reclame heeft bijgedragen, maar wel van de staking van die reclame.
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État belge / Framar International
Siég.: C. Parmentier (président de section), Ch. Storck, D. Batselé, D. Plas et Ch. Matray (rapporteur) |
M.P.: A. Henkes |
Pl.: Me C. Draps |
I. | La décision attaquée |
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 14 février 2002 par la cour d'appel de Bruxelles.
[…]
III. Le moyen de cassation |
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées |
- articles 27, 95 et 98 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, avant sa modification par la loi du 25 mai 1999;
- principe général du droit imposant le respect des droits de la défense.
Décisions et motifs critiqués |
Après avoir constaté que l'action originaire tendait “à entendre constater 'le caractère illicite de l'envoi d'une publicité ayant pour intitulé Le Livre des patronymes du Monde entier composé d'un feuillet descriptif du produit, d'une note de l'éditeur et d'un bon de commande, en ce que ce texte viole les articles 78, § 2, 23.1, 79, § 1er, et 94, de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur' (et) à entendre ordonner 'la cessation de l'envoi de toute publicité pour Le Livre des patronymes du Monde entier ainsi que de tout bon de commande et note descriptive de l'éditeur, en ce que a) cette publicité fait référence de manière générale à une étude informatique et sophistiquée sur une base mondiale, b) le bon de commande ne mentionne pas de manière claire l'identité du vendeur et n'offre pas la possibilité de pouvoir payer après l'expiration du délai de réflexion conformément à l'article 78 de la loi', le tout 'sous peine d'une astreinte de 50.000 francs par folder ou bon de commande diffusé au mépris de l'ordre de cessation'”, l'arrêt rejette cette action dirigée contre la défenderesse en tant “que celle-ci contribue sciemment à la diffusion de la publicité ou à ce que celle-ci produise ses effets”.
Cette décision est fondée sur tous les motifs de l'arrêt réputés ici intégralement reproduits et, spécialement sur les motifs “qu'il convient de souligner que la mesure sollicitée vise uniquement l'envoi de la correspondance litigieuse en ce que le contenu de celle-ci ne respecte pas certaines dispositions expressément invoquées par (le demandeur); (...) qu'il ne ressort d'aucun élément du dossier que la (défenderesse) soit l'annonceur de la publicité querellée; qu'elle n'a pas la qualité de vendeur de l'ouvrage critiqué, lequel est édité par 'Halbert's Family Heritage', entreprise au sujet de laquelle aucune enquête n'a été faite par les services de l'administration, et offert en vente à distance par la société Numa Corporation (USA), qui n'a pas été interrogée alors que l'administrateur de (la défenderesse) a indiqué qu'elle avait 'une adresse en Belgique';
qu'il ne peut être déduit d'aucune donnée de fait que 1a (défenderesse) aurait été chargée par l'une ou l'autre de ces sociétés d'organiser la vente à distance de l'ouvrage sur le territoire belge, qu'elle aurait réalisé la publicité querellée ou encore qu'elle aurait participé directement ou indirectement à sa distribution au départ de la France;
que la seule mention dans les écrits querellés de son identité, précédée de l'abréviation usuelle 'c/o' (care-off - aux bons soins de) ne peut fonder une telle confusion;
que rien ne permet de constater que celle-ci a, en réalité, accompli d'autres missions que celles qui sont décrites dans le contrat qui la lie à la société Numa;
qu'il n'est dès lors pas démontré que la (défenderesse) soit en mesure d'obtempérer à un ordre de cessation qui vise expressément et exclusivement l'envoi du courrier litigieux;
qu'indépendamment de 1a question de savoir si l'offre en vente à distance et la publicité qui l'accompagne sont licites, une injonction de cesser 'l'envoi de toute publicité pour Le Livre des patronymes du Monde entier, ainsi que tout bon de commande et note descriptive de l'éditeur', ne peut être faite à une entreprise dont la participation audit envoi n'est pas prouvée;
qu'aucune autre mesure de cessation n'est sollicitée;
qu'en vain (le demandeur) fait valoir qu'en prêtant ses services à la société Numa, à savoir la réception des réponses reçues et la transmission de celles-ci à Numa, le traitement des plaintes éventuelles des acheteurs, ou le traitement des appels téléphoniques de clients potentiels désirant obtenir des renseignements sur l'ouvrage, la société Numa (lire: la défenderesse) contribue sciemment à ce que la publicité produise ses effets;
qu'à supposer même que cette considération soit exacte, il suffit de constater que l'ordre de cessation demandé ne vise nullement les prestations ainsi décrites, mais seulement l'envoi du courrier qui les précède”.
Griefs |
1. Première branche |
Dans ses conclusions d'appel, la défenderesse ne contestait nullement qu'en principe, l'ordre de cesser l'envoi de la publicité incriminée puisse lui être adressé.
Elle soutenait en effet “que le principe veut que l'action en cessation mette un terme à une situation nuisible, en l'occurrence l'envoi de la publicité litigieuse; que malheureusement, (la défenderesse) n'a pas reçu de mise en demeure, lui demandant de prendre attitude et de s'engager par écrit à ne plus envoyer l'annonce incriminée; (...); que l'envoi publicitaire s'est terminé dans le courant de l'année 1998; que l'enquête n'a pas révélé l'envoi de publicités postérieures aux premières constatations et que l'enquête s'est clôturée en novembre 1998; que la (défenderesse), à partir de 1998, gère simplement les conséquences d'un acte incriminé qu'on lui demande de cesser; qu'il était impératif, dans l'intérêt des consommateurs, que la (défenderesse) poursuive son contrat, faute de quoi les commandes auraient probablement été envoyées à l'adresse de Numa, des paiements exécutés sur ses comptes bancaires, mais les commandes non transmises à Numa, les exemplaires non livrés et les encaissements empochés sans la moindre contrepartie; que l'acte incriminé avait dès lors cessé et qu'il était inutile de lancer citation pour en obtenir cessation; (...); que (le demandeur) ne rapporte ni la preuve de l'envoi de publicités illicites après les premières interventions du ministère et encore moins le risque de récidive; qu'il faut rappeler que l'acte incriminé, c'est l'envoi de la publicité, même si en vertu de l'action qui permet à l'acte d'avoir ses effets, la (défenderesse) pourrait voir rejaillir sur elle l'illicéité éventuelle du comportement de Numa”.
La défenderesse se bornait à contester en fait “avoir participé activement à ce que la publicité ait (s)es effets; qu'au contraire, elle a permis d'éviter que celle-ci ait des effets négatifs; qu'on peut imaginer le fonctionnement de la technique de vente litigieuse sans son intervention; que ceci permettrait, avec beaucoup plus de facilité à la société américaine, d'éventuellement violer ses obligations légales et contractuelles vis-à-vis des clients suite à la réception des bons de commande et à la réception des fonds; que la (défenderesse) a simplement assuré un service après-vente mais elle n'a en rien ni renforcé ni facilité les effets d'une publicité”.
L'arrêt, pour débouter le demandeur de son action, considère “qu'il n'est (...) pas démontré que la (défenderesse) soit en mesure d'obtempérer à un ordre de cessation qui vise expressément et exclusivement l'envoi du courrier litigieux; qu'indépendamment de la question de savoir si l'offre en vente à distance et la publicité qui l'accompagne sont licites, une injonction de cesser 'l'envoi de toute publicité pour Le Livre des patronymes du Monde entier ainsi que tout bon de commande et note descriptive de l'éditeur', ne peut être faite à une entreprise dont la participation audit envoi n'est pas prouvée; (... ); qu'en vain, (le demandeur) fait valoir qu'en prêtant ses services à la société Numa (...), (lire: la défenderesse) contribue sciemment à ce que la publicité produise ses effets; qu'à supposer même que cette considération soit exacte, il suffit de constater que l'ordre de cessation demandé ne vise nullement les prestations ainsi décrites, mais seulement l'envoi du courrier qui les précède”.
L'arrêt soulève ainsi d'office un moyen qui n'avait pas été proposé par la défenderesse, sans ordonner une réouverture des débats afin de permettre aux parties de s'en expliquer, et viole, partant, les droits de la défense du demandeur (violation du principe général du droit imposant le respect des droits de la défense).
2. Seconde branche |
L'article 27, alinéa 2, de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur prévoit que l'action en cessation ne peut être intentée du chef de manquement aux dispositions de l'article 23 de la même loi qu'à charge de l'annonceur de la publicité incriminée, mais qu'elle pourra également être intentée à charge de l'éditeur lorsque l'annonceur n'est pas domicilié en Belgique et n'a pas désigné une personne responsable ayant son domicile en Belgique, ou à charge de l'imprimeur lorsque l'éditeur n'a pas son domicile en Belgique et n'a pas désigné une personne responsable, ou encore à charge du distributeur ainsi que de toute personne qui contribue sciemment à ce que la publicité produise son effet si l'imprimeur n'a pas son domicile en Belgique et n'a pas désigné une personne responsable ayant son domicile en Belgique.
Cette disposition, combinée avec les articles 95 et 98 de la même loi, organise ainsi un système dont le but est la cessation de la publicité prohibée elle-même, faite à l'un des maillons de la chaîne, lorsque la personne qui est à l'origine de la publicité, à savoir l'annonceur, échappe à l'action de la justice belge.
Il s'en déduit que l'ordre de cessation postulé dans la demande ne doit pas viser expressément les actes par lesquels le défendeur participe à la publicité (l'édition, l'impression, la distribution ou quelque autre acte) mais uniquement la cessation de ladite publicité.
L'arrêt attaqué constate que la publicité litigieuse mentionne le nom de la défenderesse, reprend son adresse et son numéro de téléphone, notamment pour localiser le service clients, que la défenderesse réceptionne le courrier et le transfère vers la société Numa, qu'elle assure le service téléphonique et la réponse à toutes les demandes d'information des clients potentiels, ainsi que la réception et la gestion des plaintes.
En déboutant le demandeur de sa demande en cessation en tant qu'elle était dirigée contre la défenderesse sur la base de l'article 27, alinéa 2, in fine, de la loi du 14 juillet 1991, aux motifs “qu'il n'est (...) pas démontré que la (défenderesse) soit en mesure d'obtempérer à un ordre de cessation qui vise exclusivement et expressément l'envoi du courrier litigieux; qu'indépendamment de la question de savoir si l'offre en vente à distance et la publicité qui l'accompagne sont licites, une injonction de cesser 'l'envoi de toute publicité pour Le Livre des patronymes du Monde entier ainsi que tout bon de commande et note descriptive de l'éditeur' ne peut être faite à une entreprise dont la participation audit envoi n'est pas prouvée; (...) qu'aucune autre mesure de cessation n'est sollicitée; (... ) qu'en vain, (le demandeur) fait valoir qu'en prêtant ses services à la société Numa (...), (lire: la défenderesse) contribue sciemment à ce que la publicité produise ses effets; qu'à supposer même que cette considération soit exacte, il suffit de constater que l'ordre de cessation demandé ne vise nullement les prestations ainsi décrites, mais seulement l'envoi du courrier qui les précède”, l'arrêt n'est pas légalement justifié (violation de toutes les dispositions visées au moyen à l'exception du principe général du droit imposant le respect des droits de la défense).
IV. La décision de la cour |
Quant à la seconde branche |
Attendu que l'arrêt constate, d'une part, que l'action en cessation formée par le demandeur a pour objet de faire constater le caractère illicite de l'envoi d'une publicité et de faire ordonner la cessation de cet envoi et, d'autre part, que le demandeur fait grief à la défenderesse de “contribuer sciemment à la diffusion de la publicité ou à ce qu'elle produise ses effets”;
Attendu que, dans sa version applicable aux faits, l'article 27, alinéa 2, de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur dispose que lorsque l'annonceur à charge duquel une action en cessation peut être intentée du chef de manquement à l'article 23 n'est pas domicilié en Belgique et n'a pas désigné une personne responsable ayant son domicile en Belgique, l'action en cessation pourra également être intentée à charge de: l'éditeur de la publicité écrite ou le producteur de la publicité audiovisuelle; l'imprimeur ou le réalisateur, si l'éditeur ou le producteur n'ont pas leur domicile en Belgique et n'ont pas désigné une personne responsable ayant son domicile en Belgique; le distributeur ainsi que toute personne qui contribue sciemment à ce que la publicité produise son effet, si l'imprimeur ou le réalisateur n'ont pas leur domicile en Belgique et n'ont pas désigné une personne responsable ayant son domicile en Belgique;
Attendu que l'ordre de cessation qui peut être prononcé sur cette base à charge de celui qui a contribué sciemment à ce que la publicité produise son effet ne doit pas viser ses actes de participation à la publicité litigieuse mais bien la cessation de cette publicité;
Attendu que l'arrêt qui rejette l'action en cessation intentée par le demandeur par les motifs que “l'ordre de cessation (...) vise expressément et exclusivement l'envoi du courrier” contenant la publicité, “qu'aucune autre mesure de cessation n'est sollicitée” et que, même s'il était exact que la défenderesse a contribué sciemment à ce que la publicité produisît ses effets, “il suffit de constater que l'ordre de cessation demandé ne vise nullement les prestations (effectuées par la défenderesse), mais seulement l'envoi du courrier qui les précède”, viole les dispositions légales visées au moyen;
Que le moyen, en cette branche, est fondé;
Sur les autres griefs |
Attendu qu'il n'y a pas lieu d'examiner la première branche du moyen qui ne saurait entraîner une cassation plus étendue;
Par ces motifs,
La cour
Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il reçoit l'appel.
(...).