L’action en réparation collective, s’inspirant de la class action anglo-saxonne, a été introduite dans notre droit depuis le 1er septembre 2014. Parmi les lois et règlements pouvant fonder une telle action figure le Règlement (CE) 261/2004 en matière d’indemnisation et d’assistance en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol. Ce Règlement prévoit notamment des compensations forfaitaires entre 250 et 600 EUR par passager, selon la distance du vol affecté, en plus de services devant être offerts par la compagnie aérienne.
En 2018 le personnel belge de Ryanair a mené plusieurs grèves, ayant affecté de nombreux vols et Ryanair aurait systematiquement refusé de payer les indemnisations prévues dans le Règlement (CE) 261/2004. Test-Achats, pouvant agir en qualité de représentant du groupe de consommateurs en vertu de l’article XVII.39 CDE, a intenté une action en réparation collective devant le tribunal d’entreprise francophone de Bruxelles.
Dans son jugement du 7 décembre 2020 le tribunal de l’entreprise s’est, dans une première phase, penché sur la compétence, les conditions de recevabilité, les modalités et la constitution du groupe.
Le tribunal s’est déclaré compétent, en considérant que la clause d’élection de for que Ryanair inclut dans ses conditions générales, renvoyant vers les tribunaux irlanais, même si formellement valide au sens de l’article 25 du Règlement Bruxelles Ibis, violait l’interdiction d’imposer des clauses ayant pour objet ou effet “de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une jurisdiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales (…)”, interdiction résultant de la Directive 93/13 concernant les clauses abusives, transposée tant en droit irlandais qu’en droit belge.
Le tribunal a ensuite confirmé la recevabilité de l’action, constatant d’abord l’existence d’une violation potentielle du Règlement 261/2004 en rejetant l’argument de Ryanair selon lequel il y avait des circonstances exceptionnelles pouvant, en vertu de l’article 5.3 du Règlement 261/2004, libérer la compagnie aérienne de l’indemnisation forfaitaire. Sur la base des articles de presse le tribunal de l’entreprise a estimé qu’en l’occurence, les grèves trouvaient bien leur origine dans des comportements imputables à Ryanair, de sorte que l’arrêt Krüsemann (CJEU 17 avril 2018, C-195/17, ECLI:EU:C:2018:258) pouvait s’appliquer par analogie. Dans cet arrêt il avait été décidé qu’une grève sauvage et spontanée au sein d’un transporteur aérien, initiée par les travailleurs eux-mêmes (qui s’étaient placés en congé maladie) trouvant son origine dans l’annonce surprise d’une restructuration, ne relevait pas de la notion de « circonstances extraordinaires » au sens de la Directive.
Le tribunal a considéré que la condition de recevabilité de l’article XVII.36, 3° CDE, était remplie à savoir “que le recours à une action en réparation collective semble plus efficient qu’une action de droit commun.” compte tenu de l’ampleur du groupe, estimé à 40.000 passagers, et le montant limité des préjudices individuels par rapport aux frais judiciaires.
Le tribunal a choisi le système du “opt-in” pour cette action collective et ordonné à Ryanair d’informer individuellement par e-mail les passagers des vols concernés. Le délai donné aux consommateurs pour excercer leur option étant le délai légal maximal de trois mois à partir de la date de publication du jugement au Moniteur Belge.
Le jugement intégral sera publié et annoté dans un prochain numéro de la RDC.